Les troubles de l’humeur tardifs
N. Bazin
Centre hospitalier de Versailles, 177, rue de Versailles, 78157 Le Chesnay cedex, France
L’Encéphale (2011) 37, 23-25
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journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
Correspondance.
Adresse e-mail : [email protected] (N. Bazin).
De nombreux facteurs de risque expliquent ces préva-
lences élevées : solitude et isolement, veuvage et deuil,
perte d’autonomie, affaiblissement corporel, diminution
des ressources, changement de domicile, affections soma-
tiques neurologiques (AVC, Parkinson, SEP) ou générales
(cancer, maladies cardiaques, maladies endocriniennes,
douleurs chroniques), et en n prise de médicaments
dépressogènes (bêtabloquants, antihypertenseurs cen-
traux, neuroleptiques, corticoïdes).
Clinique des épisodes thymiques
chez le sujet âgé
La clinique du syndrome dépressif chez le sujet âgé reste
parfois trompeuse. Tous les symptômes dépressifs habituels
peuvent être retrouvés, mais il faut également reconnaître
certaines spéci cités, comme la fréquence des plaintes
somatiques, l’importance de l’altération des fonctions
cognitives, l’apparition d’angoisse ou de phobie isolée, une
modi cation du caractère (hostilité, colère, agressivité).
La question du syndrome de glissement est une question
clinique importante chez le sujet âgé, du fait de son pro-
nostic sombre. Les dé nitions du syndrome de glissement
sont relativement consensuelles : il survient chez un sujet
très âgé, polypathologique, à la suite d’un facteur déclen-
chant en général somatique entraînant une hospitalisation,
et se manifeste, après un intervalle libre, et sans étiologie
repérable, par l’apparition très rapide d’une altération
majeure de l’état général, avec déshydratation et dénutri-
tion, le patient refusant l’alimentation et les soins, et
énonçant un désir de mort. On peut les considérer comme
La notion de troubles de l’humeur tardifs recouvre deux
situations cliniques différentes : les troubles de l’humeur
inauguraux, et les troubles bipolaires tardifs. Les troubles
de l’humeur inauguraux sont dé nis par l’apparition d’un
épisode dépressif chez un sujet âgé de plus de 65 ans sans
antécédent dépressif, tandis que les troubles bipolaires
tardifs recouvrent d’une part les troubles bipolaires débu-
tant après 65 ans (prévalence de 6 % pour Sajatovic et al.,
mais aussi les troubles bipolaires diagnostiqués tardive-
ment ou pris en charge tardivement [12].
La manie tardive est rare, la clinique est peu différente
chez le sujet âgé de celle du sujet adulte, et l’on retrouve
très souvent une étiologie somatique ou iatrogène. La
dépression tardive est plus fréquente, et présente des par-
ticularités cliniques, diagnostiques et pronostiques.
La dépression tardive
Le diagnostic de dépression tardive reste dif cile, comme
en témoignent les chiffres de prévalence retrouvés dans la
littérature, qui vont de 1 % à 45 %, variant en fonction de la
technique d’évaluation ou des lieux d’observation.
La dépression tardive est une éventualité fréquente, les
études en population générale montrant des prévalences
moyennes de 2 à 3 % pour les épisodes dépressifs majeurs,
et de 10 à 15 % pour les états dysphoriques ; les études
réalisées en médecine générale montrent que 15 à 30 % des
patients qui consultent ont des symptômes dépressifs, et
celles réalisées en structure de soin et d’hébergement des
prévalences d’épisode dépressif majeur de 12 % et de
symptômes dépressifs de 40 %.
N. Bazin24
de la tentative de suicide, soit un suicide ultérieur, soit des
causes organiques diverses.
Les idées suicidaires chez le sujet âgé non déprimé ne
sont pas plus fréquentes que chez le sujet plus jeune, mais
elles sont très fréquentes chez le sujet âgé déprimé.
Symptômes dépressifs et évolution cognitive
À plus long terme, le pronostic de la dépression du sujet
âgé est marqué par deux risques évolutifs essentiels : le
risque de chronicité (aggravé par l’état de santé, l’isole-
ment affectif, le manque de soutien social), et le risque
d’évolution démentielle.
Parmi les facteurs de risque d’évolution démentielle d’un
trouble thymique chez le sujet âgé, on retrouve l’existence
d’antécédents dépressifs. Comparant des patients hospitali-
sés pour épisode thymique (dépressif ou maniaque) ou pour
une pathologie somatique (diabète ou maladie articulaire),
Kessling et al. [5] ont montré un risque beaucoup plus élevé
d’évolution démentielle ultérieure en cas d’antécédents thy-
miques qu’en cas d’antécédents somatiques. Cette même
équipe a montré [4] que dans le trouble bipolaire, le taux de
démence augmente de 6 % à chaque épisode bipolaire néces-
sitant une hospitalisation. Une étude de Palmer et al. [10] sur
des sujets de plus de 65 ans suivis sur 4 ans, ne retrouvait pas
d’augmentation du risque de démence en cas d’antécédents
de dépression, mais une méta-analyse d’Ownby et al. [9]
montrait un risque de démence multiplié par deux en cas
d’antécédents d’épisodes dépressifs majeurs.
De nombreuses études de suivis de cohorte ont exploré
les liens entre troubles cognitifs et troubles dépressifs.
Alexopoulos et al. [1] constatait chez des patients âgés
déprimés, suivis durant 1 à 5 ans, une évolution vers la
démence passant, durant la période de l’étude, de 3 à 70 %
des cas, le risque étant très majoré en cas de troubles
cognitifs lors de l’épisode dépressif (risque multiplié par 5),
et en cas de dépression inaugurale.
des états dépressifs, et une prise en charge très précoce
par antidépresseur peut améliorer le pronostic, avec des
résultats parfois spectaculaires.
Une des caractéristiques des dépressions du sujet âgé est
la fréquence des symptômes délirants (persécution, préju-
dice, spoliation, ruine…), liée à la forte propension du sujet
âgé à délirer, indépendamment du trouble thymique : face à
des événements de vie dif ciles ou des situations soma-
tiques, le sujet âgé délire là où le sujet adulte ne délire pas.
Dans le cadre de la dépression, une étude de Brodaty et
al. [2] retrouvait des symptômes délirants dans 3 % des
dépressions des sujets de moins de 40 ans, dans 7 % entre
40 et 60 ans, et dans 32 % des dépressions des sujets de plus
de 60 ans. La mise en évidence de symptômes délirants chez
le sujet âgé, en l’absence d’antécédents similaires, doit
donc faire évoquer un épisode dépressif, si les thèmes déli-
rants apparaissent congruents à une humeur dépressive.
Les troubles bipolaires du sujet âgé (épisodes dépressifs,
maniaques ou mixtes) doivent également être reconnus. Ils
prennent chez le sujet âgé plus fréquemment la forme
d’épisodes délirants. Les états mixtes délirants constituent
une situation clinique particulièrement complexe, d’autant
qu’une note confusionnelle est fréquemment présente chez
le sujet âgé. En l’absence d’antécédents connus de troubles
bipolaires, le diagnostic peut être très dif cile à poser.
Pronostic des états dépressifs du sujet âgé
Suicide et idées suicidaires
Le pronostic immédiat des états dépressifs du sujet âgé est
dominé par la question du suicide. Le ratio suicides abou-
tis/tentatives de suicide est beaucoup plus élevé chez les
sujets âgés, et 20 % des suicides aboutis concernent les
sujets de plus de 65 ans. L’étude des taux de suicide par
tranche d’âge montre que ceux-ci augmentent régulière-
ment avec l’âge, et en particulier chez les hommes (Fig. 1).
La dépression est un facteur de risque suicidaire majeur
à tous les âges (la dépression multiplie par 20 le risque de
suicide, et l’existence d’antécédents de tentatives de sui-
cide le multiplie par 40), mais particulièrement chez le
sujet âgé : si les autopsies psychologiques de suicidés mon-
trent un taux de dépression d’environ 50 %, chez les sujets
âgés il serait de 75 à 80 % [12, 14]. Une tentative de suicide
chez le sujet doit donc toujours être considérée comme
grave, et de mauvais pronostic. Une étude de Hepple et
al. [3] souligne bien la gravité psychiatrique et somatique
des tentatives de suicide du sujet âgé : sur 100 tentatives
de suicide de sujets âgés (âge moyen de 75,8 ans ;
64 hommes et 36 femmes), les auteurs retrouvent 42 décès
à 3,5 ans de suivi, dont 24 décès la première année ; le
risque par rapport à la population générale apparaît multi-
plié par 2 chez les hommes et par 3,5 chez les femmes.
Dans cette étude, les causes du décès étaient soit les suites
0,00
50
100
150
200
250
0-
19
ans
20-
39
ans
40-
59
ans
60-
74
ans
75-
84
ans
85
ans
et +
Hommes
Femmes
Taux de suicide par tranche d’age
(Bazin, Drunat, 2000)
Figure 1 Le suicide, 20 % des suicides concernent des
sujet > 65 ans.
Les troubles de l’humeur tardifs 25
doute subsiste. Il est dif cile de faire la part des choses,
dans l’évolution démentielle, entre les épisodes dépressifs,
les troubles maniaques, les traitements…
La présence de troubles cognitifs au moment de l’épi-
sode dépressif est également un facteur péjoratif d’évolu-
tion démentielle. Certains auteurs ont même évoqué qu’un
épisode dépressif ou des symptômes dépressifs pourraient
être une manifestation prodromique de la démence.
Con its d’intérêts
N. Bazin : aucun
Références
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Trois études de suivi intéressantes ont exploré le deve-
nir cognitif de sujets selon la présence ou non de symp-
tômes dépressifs. La première de ces études [11, 15] a
étudié des sujets âgés normaux, avec ou sans symptômes
dépressifs, suivis durant 4 ans ; les auteurs montrent que
les patients présentant des symptômes dépressifs au début
de l’étude avaient, à l’issue du suivi, un plus grand déclin
cognitif (-3 points au MMS), et évoluaient plus fréquem-
ment vers une démence.
Dans la seconde étude [6] les auteurs ont suivi durant
3 ans 114 sujets âgés présentant des troubles cognitifs
débutant (MCI ou mild cognitive impairment). À l’issue du
suivi, 59 de ces sujets présentaient une démence (51,7 %) ;
mais la proportion de sujets déments à l’issue du suivi pas-
sait de 24 % en absence de symptôme dépressifs au début
de l’étude, à 85 % en présence de symptômes dépressifs, le
risk ratio lié aux symptômes dépressifs étant de 2,6.
En n, la troisième étude [10] a porté sur 7869 sujets
âgés de plus de 65 ans, et suivis durant 4 ans : à l’issue de
ce suivi, 214 présentaient une démence, et le risque appa-
raissait nettement augmenté en cas de symptômes dépres-
sifs au début de l’étude.
Troubles délirants et évolution démentielle
Une autre information importante apportée par les études
est le fait que la présence de troubles délirants est un fac-
teur d’évolution vers un trouble démentiel. Un travail
d’Ostling et al. [8] a suivi sur 3 ans, 347 sujets âgés non
déments, âgés de 85 ans et plus. La prévalence des troubles
psychotiques était de 10 % (hallucinations 6,9 % ; idées déli-
rantes 5,5 % ; idées délirantes et hallucinations : 2,3 %).
L’évolution comparative des 2 populations (patients déli-
rants vs patients non délirants) montre que le risque d’évo-
lution démentielle est considérablement plus marqué chez
les patients délirant (risque de 65 % : 23 sujets sur 35) que
chez les patients non délirants (risque de 15.5 % : 46 sujets
sur 297). Dans cette même étude, la présence d’hallucina-
tions multipliait par 3 le risque d’évolution démentielle, et
la présence d’idées délirante par 2,5. Le risque de morta-
lité à 3 ans était, quand à lui, multiplié par 3 lorsqu’exis-
taient des hallucinations.
Une seconde publication de la même équipe [7] portant
sur 392 sujets suivis durant 20 ans, entre 70 et 90 ans et
non déments, montre que 64 % de ceux qui présentent des
hallucinations deviennent déments, 30 % de ceux qui pré-
sentent des idées délirantes, et seulement 25 % de ceux ne
présentant pas de symptôme psychotique.
Conclusion
Le risque d’évolution démentielle apparaît donc augmenté
chez le sujet âgé en cas de symptômes délirants, et sans
doute aussi en cas de symptômes dépressifs – même si un
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