ÉDITORIAL Le cortex operculo-insulaire, les processus thermosensoriels et la douleur The insular cortex, thermosensory processes and pain “ R. Peyron Département de neurologie, CHU de Saint-Étienne, Inserm U879, UCB Lyon 1, UJM Saint-Étienne, PRES de Lyon. N ous avons fêté en 2011 les 20 ans d’application de l’imagerie fonctionnelle à l’étude de la douleur. Avec ce recul, il semble important de revenir sur un passé récent, celui des années 1990, où l’on considérait que les aires recevant les informations thermosensorielles et nociceptives étaient le cortex somatosensoriel primaire (SI), le thalamus, et éventuellement l’aire somatosensorielle secondaire (cortex somatosensoriel secondaire [SII]). Les premières surprises apportées par les études initiales étaient que le SI et le thalamus ne présentaient de modifications hémodynamiques face à une stimulation nociceptive que dans environ 50 % des cas. C’est ensuite l’accumulation des résultats avec la TEP ou l’IRMf qui a permis de découvrir que d’autres aires, non suspectées jusqu’alors, répondaient de manière constante ou quasi constante à une expérience douloureuse chez le volontaire sain. Ces techniques ont eu comme particularité intéressante le fait d’avoir exploré l’ensemble du cerveau, sans a priori, et donc d’avoir apporté la possibilité de découvrir des aires importantes jusqu’alors non suspectées. Plusieurs études se sont ensuite focalisées sur les activations cingulaires antérieures, avant que, plus récemment, des travaux constatent que les aires les plus constamment impliquées lors d’une stimulation douloureuse étaient les cortex insulaires et operculaires (1). Notre équipe a d’ailleurs publié en 1999 un résultat indiquant que, après avoir neutralisé l’aspect attentionnel associé à une stimulation douloureuse, celle-ci pouvait avoir comme seule traduction sur les réponses cérébrales, une activation restreinte aux 2 seuls cortex operculo-insulaires. ” 1. Peyron R, Laurent B, GarcíaLarrea L. Functional imaging of brain responses to pain. A review and metaanalysis (2000). Neurophysiol Clin 2000;30(5):263-88. 2. Frot M, Magnin M, Mauguière F et al. Human SII and posterior insula differently encode thermal laser stimuli. Cereb Cortex 2007;17(3):610-20. 3. Penfield W, Jasper H. Epilepsy and the functional anatomy of the human brain. Boston: Brown L; 1954. 4. Mazzola L, Isnard J, Peyron R et al. Stimulation of the human cortex and the experience of pain: Wilder Penfield’s observations revisited. Brain 2012;135(Pt 2):631-40. Récemment, nos connaissances dans le domaine de la physiologie de la douleur se sont enrichies, avec l’apport de nouvelles techniques appliquées à l’étude de la douleur et orientées vers les régions cérébrales identifiées par l’imagerie fonctionnelle, comme jouant un rôle dans les processus nociceptifs. Ces techniques tirent parti de l’implantation d’électrodes intracérébrales en différents sites corticaux, chez des patients candidats à une chirurgie de l’épilepsie. Des enregistrements intracérébraux ont ainsi permis de démontrer que les aires operculo-insulaires enregistraient des réponses stéréotypées (potentiel évoqué) à des stimulations laser douloureuses mettant en jeu la voie spino-thalamique. Ces réponses, bien que non exclusivement localisées dans les aires operculo-insulaires (elles ont aussi été enregistrées dans le cortex cingulaire antérieur et dans le cortex moteur primaire), présentent 2 caractéristiques : les réponses nociceptives sont les mieux individualisées parmi toutes celles qui ont pu être enregistrées et elles ont une amplitude corrélée aux scores de douleur, ce qui témoigne d’une certaine spécialisation dans le codage fin de l’intensité douloureuse (2). Une deuxième technique utilise les stimulations électriques sur les mêmes électrodes implantées et collecte les sensations évoquées par ces stimulations électriques. Depuis les travaux de W. Penfield et H. Jasper (3), il est connu que la stimulation du cortex n’induit qu’exceptionnellement des sensations douloureuses. Dans un article récent, L. Mazzola et al. (4) ont confirmé ces données sur plus de 4 000 stimulations largement distribuées à travers le cerveau. Une exception à cette absence de douleur évoquée par la stimulation cérébrale directe a été l’aire operculo-insulaire, très peu explorée par l’équipe de Montréal. La Lettre du Neurologue ̐˫˭ϴ͊˭͉͇͈͉| 79 ÉDITORIAL Or, il apparaît que, lorsqu’une sensation douloureuse est évoquée par une stimulation profonde du cerveau, la zone de stimulation est constamment le cortex operculoinsulaire controlatéral à la douleur. Le taux d’obtention d’une douleur après stimulation de l’aire operculo-insulaire atteint 11 %. Pourtant, ces stimulations destinées à évaluer la propagation de la décharge épileptique étaient de faible intensité et n’étaient pas réalisées avec l’objectif d’obtenir une douleur, si bien que le potentiel nociceptif de cette aire est probablement minoré dans cette étude. Ainsi, l’aire operculo-insulaire apparaît de manière relativement spécifique comme une aire d’intégration de la sensation douloureuse, que l’on considère les données de l’imagerie fonctionnelle, des enregistrements intracorticaux, ou des stimulations corticales. La démonstration qu’il existe un cortex nociceptif primaire ne peut être apportée que si une excitation anormale des neurones de cette région induit de la douleur et/ou si une lésion sélective de ce cortex induit une perte de la fonction nociceptive. Ces 2 étapes ont été franchies en pathologie neurologique (figure). Figure. 1. Données d’imagerie fonctionnelle. Les augmentations de signal (BOLD ou débit) obtenues respectivement en IRMf ou en TEP sont projetées sur l’IRM anatomique moyenne des sujets volontaires. Ces “réponses” comparent le signal dans 2 conditions de stimulation thermique de la main droite, l’une au-dessus du seuil de douleur, et l’autre en dessous du seuil. Dans certaines situations attentionnelles, les réponses cérébrales à la douleur peuvent se limiter à une activation operculo-insulaire bilatérale, comme représenté ici. 2. Enregistrement des réponses électriques cérébrales à une stimulation douloureuse par laser de la main, par le biais d’électrodes implantées pour des raisons épileptologiques. Les électrodes situées dans le cortex operculo-insulaire permettent d’enregistrer un potentiel nociceptif à la stimulation laser, distinct dans le SII et dans l’insula, avec une amplitude de réponse corrélée à l’intensité de la sensation douloureuse (2). 3. Stimulation intracérébrale directe. La stimulation n’induit pas de sensation douloureuse excepté lorsqu’elle concerne le cortex operculo-insulaire. Une stimulation de faible intensité dans cette aire peut induire une sensation douloureuse dans 11 % des cas (4). 4. Le modèle d’hyperexcitabilité neuronale est représenté ici par une décharge épileptique qui naît dans le cortex operculo-insulaire. La naissance ou la propagation d’une décharge épileptique dans cette région se traduit par un symptôme douloureux (5). 5. Le modèle de lésions operculo-insulaires est représenté ici par cet infarctus limité, se traduisant par une perte de sensibilité thermique incluant une perte de sensation douloureuse pour des températures habituellement nociceptives. Dans un certain nombre de cas, ces lésions peuvent se compliquer par la survenue de douleurs neuropathiques centrales. 80 | La Lettre du Neurologue ̐˫˭ϴ͊˭͉͇͈͉ ÉDITORIAL Ces dernières années, les épilepsies insulaires et leur symptômes ont été redécouverts, dont le symptôme douloureux. Très peu de crises épileptiques comportent des symptômes douloureux somatiques et explicites, à l’exception des crises originaires de l’insula ou des crises propagées à ce cortex. Les enregistrements de crises épileptiques avec électrodes intra-insulaires montrent que la sensation douloureuse induite par les décharges épileptiques concerne celles de topographie insulaire (5). Dans le domaine lésionnel, il est maintenant admis que des lésions circonscrites de l’aire operculo-insulaire s’accompagnent d’une perte de sensibilité thermo-algique, mais aussi d’une élévation des seuils à la douleur et d’une disparition du potentiel évoqué nociceptif (6). 5. Isnard J, Guénot M, Sindou M et al. Clinical manifestations of insular lobe seizures: a stereo-electroencephalographic study. Epilepsia 2004;45(9):1079-90. 6. Garcia-Larrea L, Perchet C, Creac’h C et al. Operculo-insular pain (parasylvian pain): a distinct central pain syndrome. Brain 2010;133(9):2528-39. Ces données confortent l’hypothèse que des structures profondes et de fonctions méconnues − comme le cortex operculo-insulaire − interviennent de manière cruciale dans le processus nociceptif. Les arguments sont nombreux pour considérer que ce cortex à la fonction thermosensorielle établie dans sa partie postérieure et supérieure puisse aussi inclure une fonction nociceptive thermique. Même si les modèles lésionnels peuvent être en faveur d’une fonction nociceptive primaire, cette question reste plus incertaine, car les processus nociceptifs pourraient aussi concerner d’autres aires insulaires dont les parties antérieure et inférieure sont difficilement explorables par des électrodes implantées en raison d’un risque vasculaire. ” AVIS AUX LECTEURS Les revues Edimark sont publiées en toute indépendance et sous l’unique et entière responsabilité du directeur de la publication et du rédacteur en chef. Le comité de rédaction est composé d’une dizaine de praticiens (chercheurs, hospitaliers, universitaires et libéraux), installés partout en France, qui représentent, dans leur diversité (lieu et mode d’exercice, domaine de prédilection, âge, etc.), la pluralité de la discipline. 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