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6août 2008 Revue Médicale Suisse
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23 février 2008 00
CARTE BLANCHE
Aristote, les neurosciences
et le bonheur de ne rien
faire
Récemment, les médias se sont large-
ment fait l’écho de l’établissement de
la première carte à haute résolution du
cortex humain. Cette prouesse due à
des chercheurs de l’Université de Lau-
sanne, de l’EPFL et des Universités de
l’Indiana et de Harvard est un premier
pas vers l’établissement du «connec-
tome» humain, c’est-à-dire la connais-
sance détaillée du réseau dynamique
de connections entre les neurones qui
forme la base structurelle du fonction-
nement cérébral. Le béotien soussigné
n’a pas vocation à expliquer les tenants
et aboutissants de cette performance
et se limite à commenter certains as-
pects connexes – si l’on peut dire – de
cette avancée remarquable. D’abord le
choix du journal PLoS Biology1plutôt
que Nature ou Science,qui sont norma-
lement à la science de pointe ce que
l’Osservatore Romano est aux encycli-
ques papales. PLoS Biology est un de
ces nouveaux journaux en libre accès
sur internet qui visent à redonner à la
communauté scientifique elle-même la
responsabilité de diffuser ses recher-
ches. Car de plus en plus de journaux
scientifiques traditionnels sont affiliés à
des grands groupes financiers qui obéis-
sent à une logique purement commer-
ciale. Leur rapacité croissante fait d’ail-
leurs souffrir les budgets des biblio-
thèques universitaires. Publier en «open
access» est donc un choix courageux
et visionnaire. Autre relative nouveauté,
àl’article et à l’abstract s’ajoute une
«synopsis» qui cherche à expliquer la
découverte en termes compréhensibles
au non-spécialiste. Or ce commentaire
fort érudit commence par le commen-
cement, c’est-à-dire Aristote. En effet,
l’idée que l’essence des objets naturels
se révèle dans leur forme est un héri-
tage aristotélicien que la science mo-
derne n’a pas renié. Structure-fonction:
c’est le mantra de la biologie contem-
poraine. Non que la notion de structu-
re soit fixe, bien au contraire, puisqu’on
est passé d’une neuroanatomie stati-
que à la neuroimagerie fonctionnelle et
enfin à l’exploration de la topologie dyna-
mique des réseaux de communication
entreneurones.
Ces études ont montré qu’un certain
nombre de carrefours de communica-
tion particulièrement denses forment
un «cœur fonctionnel» du cortex humain
et coïncident avec ce qui a été récem-
ment décrit comme le «réseau par dé-
faut» de notre cerveau. Or il se trouve
que cet ensemble de régions corticales
recouvrant les deux hémisphères est plus
actif chez des personnes éveillées, mais
qui ne font rien de particulier, que chez
des sujets appliqués à une tâche co-
gnitive. Tous les paresseux contrariés
devraient trouver cette découverte ex-
traordinairement rassurante. Une véri-
table réhabilitation de l’otium cher aux
Anciens. Car en ce moment, tandis que
vous êtes en train de lire une revue mé-
dicale d’une haute tenue intellectuelle,
votre «cœur cortical » se la coule douce.
Avotre insu, votre crâne abrite un tire-au-
flanc neuronal. Mais ce soir peut-être
serez-vous affalé devant la télévision,
absorbant une bière bien fraîche en sui-
vant d’un œil vague les impertinences
surjouées de votre confrère House, ou
les vicissitudes existentielles des fem-
mes au foyer désespérées… Alors, dites-
vous que votre cortex carburera plus fort,
toutes vésicules synaptiques dehors,
pompant des neurotransmetteurs à plein
régime. Braves petits neurones, qui bos-
sent à notre place!
La paresse, c’est le vrai travail.
A. M.
1Hagman P,et al. Mapping the structural coreof human
cerebral cortex. http://biology.plosjournals.org/perlserv/
?request=get-document&doi=10.1371/journal.pbio.
0060159
Pr Alex Mauron
Institut d’éthique
biomédicale
CMU, 1211 Genève 4
Alexandre.Mauron@
medecine.unige.ch
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