News_1732.qxp 31.7.2008 9:16 Page 1 CARTE BLANCHE Aristote, les neurosciences et le bonheur de ne rien faire Récemment, les médias se sont largement fait l’écho de l’établissement de la première carte à haute résolution du cortex humain. Cette prouesse due à des chercheurs de l’Université de Lausanne, de l’EPFL et des Universités de l’Indiana et de Harvard est un premier pas vers l’établissement du «connectome» humain, c’est-à-dire la connaissance détaillée du réseau dynamique de connections entre les neurones qui forme la base structurelle du fonctionnement cérébral. Le béotien soussigné n’a pas vocation à expliquer les tenants et aboutissants de cette performance et se limite à commenter certains aspects connexes – si l’on peut dire – de cette avancée remarquable. D’abord le choix du journal PLoS Biology1 plutôt que Nature ou Science, qui sont normalement à la science de pointe ce que l’Osservatore Romano est aux encycli- Pr Alex Mauron Institut d’éthique biomédicale CMU, 1211 Genève 4 [email protected] medecine.unige.ch 1732 ques papales. PLoS Biology est un de ces nouveaux journaux en libre accès sur internet qui visent à redonner à la communauté scientifique elle-même la responsabilité de diffuser ses recherches. Car de plus en plus de journaux scientifiques traditionnels sont affiliés à des grands groupes financiers qui obéissent à une logique purement commerciale. Leur rapacité croissante fait d’ailleurs souffrir les budgets des bibliothèques universitaires. Publier en «open access» est donc un choix courageux et visionnaire. Autre relative nouveauté, à l’article et à l’abstract s’ajoute une «synopsis» qui cherche à expliquer la découverte en termes compréhensibles au non-spécialiste. Or ce commentaire fort érudit commence par le commencement, c’est-à-dire Aristote. En effet, l’idée que l’essence des objets naturels se révèle dans leur forme est un héritage aristotélicien que la science moderne n’a pas renié. Structure-fonction : c’est le mantra de la biologie contemporaine. Non que la notion de structure soit fixe, bien au contraire, puisqu’on est passé d’une neuroanatomie statique à la neuroimagerie fonctionnelle et enfin à l’exploration de la topologie dynamique des réseaux de communication entre neurones. Ces études ont montré qu’un certain nombre de carrefours de communication particulièrement denses forment un «cœur fonctionnel» du cortex humain et coïncident avec ce qui a été récem- Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 6 août 2008 ment décrit comme le «réseau par défaut» de notre cerveau. Or il se trouve que cet ensemble de régions corticales recouvrant les deux hémisphères est plus actif chez des personnes éveillées, mais qui ne font rien de particulier, que chez des sujets appliqués à une tâche cognitive. Tous les paresseux contrariés devraient trouver cette découverte extraordinairement rassurante. Une véritable réhabilitation de l’otium cher aux Anciens. Car en ce moment, tandis que vous êtes en train de lire une revue médicale d’une haute tenue intellectuelle, votre «cœur cortical » se la coule douce. A votre insu, votre crâne abrite un tire-auflanc neuronal. Mais ce soir peut-être serez-vous affalé devant la télévision, absorbant une bière bien fraîche en suivant d’un œil vague les impertinences surjouées de votre confrère House, ou les vicissitudes existentielles des femmes au foyer désespérées… Alors, ditesvous que votre cortex carburera plus fort, toutes vésicules synaptiques dehors, pompant des neurotransmetteurs à plein régime. Braves petits neurones, qui bossent à notre place ! La paresse, c’est le vrai travail. A. M. 1 Hagman P, et al. Mapping the structural core of human cerebral cortex. http://biology.plosjournals.org/perlserv/ ?request=get-document&doi=10.1371/journal.pbio. 0060159 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 23 février 2008 00