Apport de l’imagerie médicale en paléopathologie: un cas médiéval d’ostéite multifocale Ph. Vidal*°, V. Marié*, D. Bossut*, A. Blum** * Institut National de Recherches Archéologiques Préventives, Lille ** Service d’Imagerie Guilloz, Hôpital Central, CHRU Nancy ° courriel : [email protected] - L’étude des populations anciennes peut être abordée par différents paramètres, dépendant étroitement de la nature des échantillons (cimetières ou sépultures isolées). En effet, différentes analyses permettent de restituer les caractéristiques propres (morphologiques, démographiques, génétiques,…) à ces populations. - La reconstitution des conditions de vie constitue un objectif majeur en paléo-anthropologie. Celles-ci peuvent être appréhendées par l’étude de l’état sanitaire, permettant ainsi un accès à l’écologie des populations anciennes. Introduction - L’étude de l’état sanitaire porte sur le recensement systématique et l’analyse des lésions dentaires, osseuses et articulaires. Les comparaisons intra et inter-populationnelles contribuent à l’élaboration d’une « paléo-épidémiologie ». Matériel Description Discussion - si la plupart des lésions, notamment dégénératives ou traumatiques sont aisément identifiables sur le squelette, la caractérisation d’un grand nombre de lésions focales, non spécifiques reste difficile et parfois impossible (Vidal, 2003). - Dans ces conditions, le diagnostic rétrospectif repose à la fois sur l’anatomopathologie macroscopique mais surtout sur l’apport précieux de l’imagerie médicale. Celle-ci constitue en effet une aide au diagnostique fondamentale permettant de préciser les caractéristiques lésionnels (étendue, nature,…). - Les examens biochimiques participent parfois au diagnostic rétrospectif. DIAGNOSTIC RÉTROSPECTIF Introduction Examen macroscopique (et/ou microscopique) Examen radiographique (et/ou tomodensitométrique) Examen biochimique (Adn ancien) Matériel Description - En outre, l’imagerie médicale permet un accès à la pathologie moderne et donc une comparaison des lésions, contribuant ainsi à l’élaboration d’un diagnostic positif et différentiel. Discussion Nous présentons un cas de périostite multifocale observé sur un squelette médiéval • Fouille d’un cimetière médiéval à Arras (Pas-de-Calais) en 2003 320 individus étudiés - Age au décès - Sexe - Anthropométrie, stature Introduction - Liens de parenté - Lésions dentaires, osseuses et ostéoarticulaires Matériel Description Discussion Outre l’observation de lésions dégénératives et traumatiques sur l’ensemble de la population, un sujet (en rouge) présentait plusieurs lésions périostées sur le squelette Situation anatomique des périostites Introduction Matériel Description Discussion 1. Chaque os a fait l’objet d’un examen macroscopique minutieux suivi d’une recherche systématique d’éventuelles lésions périostées isolées sur l’ensemble du squelette. 2. Les pièces paléopathologiques ont fait l’objet d’un examen radiographique standard. Introduction Méthode Description Discussion 3. Un examen TDM a ensuite été réalisé sur un scanner volumique (Sensation 16, Siemens) en mode UHR avec des coupes infra-millimétriques, dans les plans axial et longitudinal (frontal ou sagittal). Des reconstructions de type MPVR et VRT ont également été réalisées. Aspects macroscopiques des lésions – Clavicule Introduction Méthode Description Discussion La réaction périostée affecte la moitié proximale de la clavicule. On notera une perforation de la diaphyse (flèche) Aspects macroscopiques des lésions – Clavicule (détail) Introduction Méthode Description Discussion L’apposition périostée est homogène et d’aspect micro-poreux aux abords de la perforation diaphysaire. Aspects macroscopiques des lésions – Humérus Introduction La réaction périostée s’étend sur le tiers distal de l’humérus. Elle se développe latéralement le long de la diaphyse puis englobe la totalité de l’os dès la métaphyse. La surface articulaire dont il ne reste plus que la trochlée, est épargnée. Méthode Description Discussion Les autres composants articulaires (radius, ulna) n’objectivaient aucune lésion arthritique. Aspects macroscopiques des lésions – Humérus (détail) La prolifération périostée est moins homogène et laisse apparaître davantage de remaniements mixtes. Introduction Méthode Description Discussion Aspects macroscopiques des lésions – Tibiae Introduction Méthode Description Discussion Les remaniements périostés affectent les deux tibiae ainsi que les fibulae. La nature de la réaction semble néanmoins différente dans les deux cas. Pour le tibia droit, celle-ci est homogène tandis que pour le gauche, on observe certaines zones d’ostéolyse. Aspects macroscopiques des lésions – Tibia gauche (détail) Introduction Méthode Description Discussion Le remaniement de l’os est mixte, présentant des secteurs de proliférations (flèche blanche), homogènes, et des zones d’ostéolyses (flèches rouges) Aspects TDM des lésions – Clavicule Introduction B Méthode Description Discussion A La coupe longitudinale (A) de l’os montre bien deux cavités intra-osseuses (flèches blanches) ainsi qu’un remaniement de l’os cortical (flèche rouge). L’orifice de fistulisation (flèche) est nettement visible sur la coupe axiale (B). Aspects TDM des lésions – Humérus Introduction Méthode B Description A Discussion L’apposition périostée, unilamellaire et homogène, est clairement observée sur les coupes frontale (A) et axiale (flèches blanches). A la métaphyse, son épaisseur est d’environ 7mm. Dans la région supra-articulaire, la corticale a disparu et a été remplacée par de l’os néoformé (flèches rouges). Aspects TDM des lésions – Tibia gauche Introduction Méthode B Description La périostite est régulière et homogène (A-B). Son épaisseur est d’environ 10mm. L’os cortical diaphysaire a parfois disparu à certains endroits (flèches). Discussion A Aspects TDM des lésions – Tibia gauche Introduction B Méthode La périostite est nettement plus proliférative. L’os cortical n’est conservé que dans la région proximale de l’os. Il semble avoir disparu au profit de la néoformation périostée (flèches blanches). Quelques lacunes sont observées sur la coupe frontale et peuvent correspondre à des zones de résorption (flèche rouge - granulome d’inflammation chronique avec nécrose) . Description Discussion A 1. La confrontation des données anatomiques et TDM objectivent une apposition périostée homogène, régulière et particulièrement épaisse. Même si on observe quelques lyses osseuses ponctuelles, le processus est essentiellement ostéoformateur. 2. L’aspect morphologique traduit vraisemblablement un processus chronique,a priori sans phases aigües. L’os cortical tend à être remodelé par la réaction périostée et dans certains cas, il a disparu au profit de la périostite. Les pertes de substance peuvent correspondre à des orifices de fistulisation ou à des nécroses localisées. Introduction Méthode Description Discussion 3. L’aspect multifocal de la périostite permet d’envisager logiquement une cause systémique. En l’absence d’examen clinique, il nous est difficile voire impossible d’en déterminer l’agent causal. Cependant, certains éléments anatomique et radiologique peuvent contribuer néanmoins à une orientation diagnostique. - la périostite ne concerne pas l’ensemble du squelette et hormis les tibiae elle ne touche que les extrémités diaphysaires (proximale pour la clavicule, distale pour l’humérus). - elle semble davantage proliférative que lytique. Le processus est par ailleurs lent et chronique. - la topographie des lésions milite en faveur d’une dissémination hématogène. 4. Ces caractéristiques permettent d’écarter un certain nombre de lésions : A. Les tumeurs osseuses rarement multifocales. Cependant, les images lacunaires observées sur le tibia gauche peuvent évoquer des lésions métastasiques,myélomateuses (Eschard et al., 1993) voire même des hémopathies malignes (Régent et al., 1992). B. L’ostéoarthropathie hypertrophiante dont les lésions concernent presque la totalité du squelette (Resnick, 1989, Vidal, 2004). Introduction Méthode Description C. La périostose multifocale récurrente qui affecte les enfants et surtout le squelette jambier (De Boissieu et al., 1989) D. L’ostéomyélite à pyogène est plus fréquemment unifocale voire bifocale et localisée aux membres inférieurs (Ortner et Putschar, 1981). E. La syphilis aquise ou congénitale tardive dont les lésions pourraient tout à fait être identiques (Stirland 1994). Cependant l’atteinte crânienne est quasiment pathognomonique de cette maladie (Lagier et al., 1994). Par ailleurs, un aspect en ”fourreau de sabre” est caractéristique des lésions tibiales (Dutour et al., 1989). Discussion Bien entendu d’autres étiologies sont possibles quoique moins probables. 5. Une dernière étiologie possible a retenu notre attention, il s’agit de la tuberculose. Si les lésions les plus fréquentes sont articulaires, il existe également une forme osseuse touchant les diaphyses et métaphyses. Celle-ci est le plus souvent multifocale (De Cagny, 1972) touchant préférentiellement les os longs. Les lésions ne sont cependant pas spécifiques et seul l’examen biologique permet d’établir un diagnostic avec certitude. Il n’est pas rare d’observer des lésions fortement évocatrices de la tuberculose dans les collections anthropologiques, notamment pour la période médiévale. Il s’agit néanmoins le plus souvent d’arthrite, de trochantérite et naturellement de mal de Pott. Introduction Méthode Le diagnostic positif est donc difficile à poser. L’étiologie la plus plausible semble néanmoins celle d’une tuberculose osseuse ou celle d’une ostéomyélite à pyogènes. Une analyse de biologie moléculaire (en cours) nous apportera peut-être des éléments de réponse. Dans l’attente de ces résultats, nous attendons les suggestions des lecteurs. Description Discussion De Boissieu D., Buissonnière RF., Ponsot G., Sellier N. Maroteaux P. – Périostose multifocale tardive de l’enfant. Arch. Fr. Pédiatr., 1989, 46 : 439-442. De Cagny R. – Ce qu’était la tuberculose ostéoarticulaire avant la découverte des antibiotiques. Rev. Med., 1972, 13 : 461-465. Dutour O., Zakarian H., Dagorn J., Ouaniche J., Eisinger J. – Diagnostic des ostéopathies déformantes du segment jambier. Lyon Mediterranée Médical, 1989, 12373-78. Eschard JP., Leone, J., Etienne JC. – Tuberculose osseuse et articulaire des membres. EMC – Appareil locomoteur, 14-185-A-10, 1993, 15 p. Lagier R., Baud CA., Kramar C. – Les bases anatomiques du diagnostic de syphilis osseuse en paléopathologie. In L’origine de la syphilis en Europe, avant ou après 1493 ? 1994, Errance. pp 58-62. Mabille JP. – Les réactions périostées. Radiologie, 12, 5, 1992 : 8-20 Introduction Méthode Ortner D., Putschar WJ. – Identification of pathological conditions in human skeletal remains. 1981. Washington DC, Smithsonian Institution Press. Régent D., Gaucher H., Mainard L., Stines J., Blum A., Claudon M. et Grignon B. – Place du scanner et de l’IRM dans l’étude du périoste pathologique. Radiologie, 12, 5, 1992 : 35-52. Resnick D., Niwayama G. - Enostosis, hyperostosis and periostitis. In Diagnosis of bone and joint disorders. 1981,Saunders, Philadelphie. Vol.3 : 2962-3016. Description Discussion Roberts C., Manchester K. – The archaeology of disease. 2001, Sutton Publishing. Stirland A. – Evidence for pre-columbian treponematosis in medieval europe. In L’origine de la syphilis en Europe, avant ou après 1493 ? 1994, Errance. pp 109-115. Vidal P. - La paléoécologie des populations du passé : de la “botanique“ à la paléoépidémiologie. Archéopages, décembre 2003 : 18-27. Vidal P. – Une périostose diffuse : un cas médiéval d’ostéoarthropathie hypertrophiante. Bull. Mem. Soc. Anthrop. Paris, 2005.