conditions locales particulières, de l’inoculum, mais aussi parce
que certains facteurs de virulence ne sont présents que chez des
espèces déterminées et leur confèrent un avantage. Ainsi, Pep-
tostreptococcus productus, qui est le plus fréquent des cocci à
Gram positif de la flore digestive, n’est que rarement isolé en
situation pathologique. À l’inverse, Bacteroides fragilis, qui ne
représente que 1 % des Bacteroides du groupe fragilis, est de
loin le plus souvent isolé.
Ces facteurs de virulence sont maintenant bien abordés pour
certaines espèces.
!Peptostreptococcus magnus. C’est le cocci à Gram positif
anaérobie le plus souvent isolé en pathologie. Ce n’est certes
pas le plus fastidieux à cultiver, mais on le rencontre également
souvent en situation monomicrobienne (abcès du poumon,
ostéite), ce qui, dans une certaine mesure, conforte sa patho-
génicité. Il a été montré que les souches de P. magnus isolées
à partir d’un pied diabétique ou d’un abcès pulmonaire sont
significativement plus souvent productrices de collagénase que
les isolats de sepsis abdominaux (1). Certaines souches de
P. magnus expriment à leur surface une protéine L, capable de
se lier aux chaînes légères kappa d’immunoglobuline, de la
même manière que la protéine A de Staphylococcus aureus.
Deux autres protéines de surface capables de se lier à l’albu-
mine ont été caractérisées. P. magnus est capable d’adhérer aux
collagène de types I et III, au fibrinogène, avec une capacité
d’adhésion au fibrinogène plus fréquente avec les isolats
ostéoarticulaires (2).
!Fusobacterium necrophorum. Sur des arguments taxono-
miques, F. necrophorum a été séparé, en 1991, en trois espèces
très proches, F. necrophorum, F. funduliforme et F. pseudone-
crophorum (en fait proche de F. varium), en toute cohérence
avec les données cliniques et de pathogénicité. L’espèce necro-
phorum est, en effet, la plus souvent isolée lorsque le tableau
clinique est sévère (syndrome angine-infarctus de Lemierre).
Elle est responsable d’une létalité importante dans un modèle
de péritonite expérimentale et est douée d’une grande hydro-
phobicité ainsi que de propriétés d’adhérence ; elle produit une
DNAse, des hémolysines, des facteurs d’agrégation plaquet-
taire, des lipases et une phosphatase alcaline qui sont excep-
tionnelles chez F. funduliforme (3).
!Porphyromonas gingivalis. P. gingivalis est le premier agent
incriminé dans la périodontopathie chronique de l’adulte, mala-
die inflammatoire chronique conduisant à la dégradation de l’os
alvéolaire et donc à la perte de la dent. De nombreuses oxoen-
zymes ont été caractérisées chez cette bactérie : enzyme à acti-
vité “trypsin-like”, collagénase, hexosaminidase, mais absence
de hyaluronidase. Dans cette maladie où la composante inflam-
maroire est majeure, il est intéressant de noter que l’activité
biologique du LPS de P. gingivalis est très faible comparative-
ment à celle de Escherichia coli.Plusieurs hémagglutinines et
fimbriae sont décrits (gènes hagA, fimA) ; ils sont impliqués
dans la dysrégulation de métalloprotéases de la matrice extra-
cellulaire du périodonte de l’hôte et dans les phénomènes
d’adhésion. il est montré que cette bactérie est capable de se
multiplier dans la cellule épithéliale gingivale et que des variants
dépourvus de fimbriae voient non seulement leur capacité
d’adhérence réduite de 50 %, mais surtout leur capacité
d’invasion divisée par huit (4).
!Bacteroides fragilis. Il s’agit de la bactérie anaérobie stricte
la plus fréquemment isolée, toutes situations pathologiques
confondues. B. fragilis tolère probablement mieux l’oxygène
que la plupart des autres anaérobies stricts du fait de la pré-
sence non spécifique d’une catalase et d’une superoxyde dis-
mutase. De nombreux facteurs de virulence ont été étudiés chez
B. fragilis : absence de sidérophore mais présence de systèmes
de captation du fer à partir de l’hémine, capsule pour laquelle
un modèle expérimental montre qu’elle est indispensable à la
formation d’abcès, LPS, quoique d’activité biologique relati-
vement faible, diverses hémagglutinines et adhésines, et de
nombreuses enzymes classiquement impliquées dans les phé-
nomènes de destruction cellulaire (hyaluronidase, collagénase,
DNAse, diverses protéases). L’activité antichimiotactique du
peptidoglycane de B. fragilis, si elle se confirme, jouerait pro-
bablement un rôle important dans la constitution progressive
d’abcès (5). Plus spécifiquement, une entérotoxine a été récem-
ment reconnue et fait de B. fragilis un agent possible de diar-
rhée chez l’homme, ce qui reste à confirmer (6). Dans un tra-
vail récent portant sur 187 souches, il est montré qu’il y a
significativement plus de B. fragilis entérotoxinogènes dans les
bactériémies que dans les autres types de prélèvements (29 %
versus 20 %) (7). Cette toxine est une métalloprotéase zinc-
dépendante qui agit directement sur la jonction ténue des
espaces intercellulaires, sans pénétration préalable dans la cel-
lule épithéliale, comme le feraient les toxines de Clostridium
difficile par exemple (8).
!Cas particulier des Clostridium.Il convient de séparer ces
bacilles sporulés en deux groupes : le groupe des espèces tel-
luriques (C. tetani, C. botulinum...), sécrétrices d’exotoxines
puissantes, mais n’appartenant pas à la flore endogène humaine,
et le groupe des autres Clostridium, que l’on retrouve au sein
d’infections mixtes, car ils sont des éléments à part entière de
la flore digestive normale. C. difficile et C. perfringens sont à
la fois largement répandus dans l’environnement et présents
dans la flore digestive normale, notamment C. perfringens.
C. difficile exprime deux toxines à activité entérotoxique et
cytotoxique, responsables de diarrhée post-antibiotique allant
jusqu’au tableau de colite pseudomembraneuse, dont le dia-
gnostic de laboratoire, la prévention primaire et secondaire et
le traitement sont actuellement bien codifiés. C. perfringens
produit au moins cinq facteurs toxiniques, dont le plus puissant
est la phospholipase C, et diverses enzymes ; il est responsable
de tableaux cliniques variés et souvent graves : gangrène
gazeuse, entérite nécrosante, toxi-infections alimentaires, infec-
tions mixtes abdominales...
FLORES ENDOGÈNES DE L’HOMME (tableau I)
Les bactéries anaérobies strictes font partie des flores endo-
gènes normales de l’homme, tapissant muqueuses et revête-
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La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 2 - février 1999
MISE AU POINT BACTÉRIOLOGIE