MISE AU POINT
BACTÉRIOLOGIE
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 2 - février 1999
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es bactéries anaérobies strictes sont des procaryotes
dont les réactions de biosynthèse et de production
d’énergie ne peuvent pas utiliser l’oxygène comme
accepteur d’électrons. Cet oxygène leur est d’ailleurs toxique.
Les anaérobies rencontrés en pathologie infectieuse ne peuvent
se diviser dans une atmosphère contenant plus de 1 % d’oxy-
gène. En fait, plus que la teneur en oxygène, c’est le potentiel
d’oxydoréduction d’un milieu qui permet ou non le dévelop-
pement de ces bactéries anaérobies. Les bactéries aéro-anaé-
robies facultatives tolèrent jusqu’à un taux minimal de 2 à 8 %
d’oxygène.
Les anaérobies sont responsables d’une grande variété d’in-
fections, localisées ou systématiques. Dans plus de 80 % des
cas, il s’agit d’infections mixtes, c’est-à-dire d’infections asso-
ciant des bactéries anaérobies strictes et des bactéries aéro-anaé-
robies facultatives. Ces bactéries proviennent des différentes
flores endogènes de l’homme, à l’occasion d’une rupture phy-
sique ou fonctionnelle des barrières muqueuses ou cutanées.
La connaissance de ces flores est donc importante, car elle per-
met de prévoir quelles espèces bactériennes seront isolées au
site infectieux, et, à partir de là, d’adapter l’antibiothérapie.
Outre les interactions synergiques mises en jeu dans ces infec-
tions mixtes, des facteurs de virulence on été caractérisés pour
certaines bactéries telles Bacteroides fragilis, Porphyromonas
gingivalis, Fusobacterium necrophorum ou Peptostreptococ-
cus magnus.
FACTEURS DE VIRULENCE
Notion d’infection mixte
Les quatre grands réservoirs de bactéries chez l’homme (peau,
vagin, bouche, tube digestif) comptent environ 1014 bactéries,
parmi lesquelles les bactéries anaérobies strictes sont les plus
nombreuses (rapport de 1 à 1 000 dans le côlon). Ces bactéries
n’ont certes pas de pouvoir invasif, mais leur déplacement vers
un tissu avoisinant peut être le point de départ d’une infection
locale. Elles se comportent donc comme des bactéries oppor-
tunistes. L’incision chirurgicale, le patient ventilé ou comateux
qui déglutit et ne tousse plus, la simple plaie chez le neutropé-
nique, les phénomènes ischémiques ou inflammatoires, les défi-
cits immunitaires sont autant de conditions favorables à la trans-
location de ces bactéries.
Il en est de même des infections à flore anaérobie d’origine
exogène : flore anaérobie d’origine buccale lors de morsures
humaines ou animales, Clostridium d’origine tellurique après
blessure.
La synergie bactérienne joue un rôle important. L’infection pri-
maire peut d’ailleurs commencer par le développement des bac-
téries aérobies, qui vont contribuer à abaisser le potentiel redox
via notamment l’ischémie et la nécrose, amener des facteurs de
croissance, éventuellement réduire l’activité de phagocytose et
faire le lit des anaérobies stricts, qui se développent progressi-
vement. L’examen direct du pus anaérobie montre alors un
grand nombre de bactéries de morphotypes extrêmement variés
correspondant à la flore endogène de départ. Le traitement anti-
biotique doit cibler les aérobies, mais aussi l’espèce anaérobie
dominante pour rompre cette synergie bactérienne.
FACTEURS DE PATHOGÉNICITÉ SPÉCIFIQUES
Au site de l’infection mixte, la composition microbiologique
n’est pas tout à fait celle de la flore endogène du réservoir de
proximité. Seules certaines espèces s’implantent, du fait de
Actualités sur les infections mixtes
!
A. Sédallian*, S. Bland*, L. Dubreuil**
RÉSUMÉ.
Les infections à anaérobies sont le plus souvent des infections mixtes, c’est-à-dire des infections à flore bactérienne mixte associant
bactéries anaérobies strictes et bactéries aéro-anaérobies facultatives. Ces bactéries proviennent des différentes flores endogènes de l’homme
à l’occasion d’une rupture des barrières muqueuses ou cutanées. Outre les interactions synergiques mises en jeu dans ces infections mixtes,
des facteurs de virulence ont été caractérisés pour certaines bactéries. La connaissance de ces flores est donc importante, car elle permet de
prévoir les espèces bactériennes isolées au site infectieux et, à partir de là, d’adapter l’antibiothérapie.
Mots-clés :
Anaérobies stricts - Flores microbiennes endogènes - Résistance aux antibiotiques.
*Fédération de microbiologie clinique et d’infectiologie, Centre hospitalier
d’Annecy.
** Laboratoire de bactériologie, Faculté de pharmacie de Lille.
L
conditions locales particulières, de l’inoculum, mais aussi parce
que certains facteurs de virulence ne sont présents que chez des
espèces déterminées et leur confèrent un avantage. Ainsi, Pep-
tostreptococcus productus, qui est le plus fréquent des cocci à
Gram positif de la flore digestive, n’est que rarement isolé en
situation pathologique. À l’inverse, Bacteroides fragilis, qui ne
représente que 1 % des Bacteroides du groupe fragilis, est de
loin le plus souvent isolé.
Ces facteurs de virulence sont maintenant bien abordés pour
certaines espèces.
!Peptostreptococcus magnus. C’est le cocci à Gram positif
anaérobie le plus souvent isolé en pathologie. Ce n’est certes
pas le plus fastidieux à cultiver, mais on le rencontre également
souvent en situation monomicrobienne (abcès du poumon,
ostéite), ce qui, dans une certaine mesure, conforte sa patho-
génicité. Il a été montré que les souches de P. magnus isolées
à partir d’un pied diabétique ou d’un abcès pulmonaire sont
significativement plus souvent productrices de collagénase que
les isolats de sepsis abdominaux (1). Certaines souches de
P. magnus expriment à leur surface une protéine L, capable de
se lier aux chaînes légères kappa d’immunoglobuline, de la
même manière que la protéine A de Staphylococcus aureus.
Deux autres protéines de surface capables de se lier à l’albu-
mine ont été caractérisées. P. magnus est capable d’adhérer aux
collagène de types I et III, au fibrinogène, avec une capacité
d’adhésion au fibrinogène plus fréquente avec les isolats
ostéoarticulaires (2).
!Fusobacterium necrophorum. Sur des arguments taxono-
miques, F. necrophorum a été séparé, en 1991, en trois espèces
très proches, F. necrophorum, F. funduliforme et F. pseudone-
crophorum (en fait proche de F. varium), en toute cohérence
avec les données cliniques et de pathogénicité. L’espèce necro-
phorum est, en effet, la plus souvent isolée lorsque le tableau
clinique est sévère (syndrome angine-infarctus de Lemierre).
Elle est responsable d’une létalité importante dans un modèle
de péritonite expérimentale et est douée d’une grande hydro-
phobicité ainsi que de propriétés d’adhérence ; elle produit une
DNAse, des hémolysines, des facteurs d’agrégation plaquet-
taire, des lipases et une phosphatase alcaline qui sont excep-
tionnelles chez F. funduliforme (3).
!Porphyromonas gingivalis. P. gingivalis est le premier agent
incriminé dans la périodontopathie chronique de l’adulte, mala-
die inflammatoire chronique conduisant à la dégradation de l’os
alvéolaire et donc à la perte de la dent. De nombreuses oxoen-
zymes ont été caractérisées chez cette bactérie : enzyme à acti-
vité “trypsin-like”, collagénase, hexosaminidase, mais absence
de hyaluronidase. Dans cette maladie où la composante inflam-
maroire est majeure, il est intéressant de noter que l’activité
biologique du LPS de P. gingivalis est très faible comparative-
ment à celle de Escherichia coli.Plusieurs hémagglutinines et
fimbriae sont décrits (gènes hagA, fimA) ; ils sont impliqués
dans la dysrégulation de métalloprotéases de la matrice extra-
cellulaire du périodonte de l’hôte et dans les phénomènes
d’adhésion. il est montré que cette bactérie est capable de se
multiplier dans la cellule épithéliale gingivale et que des variants
dépourvus de fimbriae voient non seulement leur capacité
d’adhérence réduite de 50 %, mais surtout leur capacité
d’invasion divisée par huit (4).
!Bacteroides fragilis. Il s’agit de la bactérie anaérobie stricte
la plus fréquemment isolée, toutes situations pathologiques
confondues. B. fragilis tolère probablement mieux l’oxygène
que la plupart des autres anaérobies stricts du fait de la pré-
sence non spécifique d’une catalase et d’une superoxyde dis-
mutase. De nombreux facteurs de virulence ont été étudiés chez
B. fragilis : absence de sidérophore mais présence de systèmes
de captation du fer à partir de l’hémine, capsule pour laquelle
un modèle expérimental montre qu’elle est indispensable à la
formation d’abcès, LPS, quoique d’activité biologique relati-
vement faible, diverses hémagglutinines et adhésines, et de
nombreuses enzymes classiquement impliquées dans les phé-
nomènes de destruction cellulaire (hyaluronidase, collagénase,
DNAse, diverses protéases). L’activité antichimiotactique du
peptidoglycane de B. fragilis, si elle se confirme, jouerait pro-
bablement un rôle important dans la constitution progressive
d’abcès (5). Plus spécifiquement, une entérotoxine a été récem-
ment reconnue et fait de B. fragilis un agent possible de diar-
rhée chez l’homme, ce qui reste à confirmer (6). Dans un tra-
vail récent portant sur 187 souches, il est montré qu’il y a
significativement plus de B. fragilis entérotoxinogènes dans les
bactériémies que dans les autres types de prélèvements (29 %
versus 20 %) (7). Cette toxine est une métalloprotéase zinc-
dépendante qui agit directement sur la jonction ténue des
espaces intercellulaires, sans pénétration préalable dans la cel-
lule épithéliale, comme le feraient les toxines de Clostridium
difficile par exemple (8).
!Cas particulier des Clostridium.Il convient de séparer ces
bacilles sporulés en deux groupes : le groupe des espèces tel-
luriques (C. tetani, C. botulinum...), sécrétrices d’exotoxines
puissantes, mais n’appartenant pas à la flore endogène humaine,
et le groupe des autres Clostridium, que l’on retrouve au sein
d’infections mixtes, car ils sont des éléments à part entière de
la flore digestive normale. C. difficile et C. perfringens sont à
la fois largement répandus dans l’environnement et présents
dans la flore digestive normale, notamment C. perfringens.
C. difficile exprime deux toxines à activité entérotoxique et
cytotoxique, responsables de diarrhée post-antibiotique allant
jusqu’au tableau de colite pseudomembraneuse, dont le dia-
gnostic de laboratoire, la prévention primaire et secondaire et
le traitement sont actuellement bien codifiés. C. perfringens
produit au moins cinq facteurs toxiniques, dont le plus puissant
est la phospholipase C, et diverses enzymes ; il est responsable
de tableaux cliniques variés et souvent graves : gangrène
gazeuse, entérite nécrosante, toxi-infections alimentaires, infec-
tions mixtes abdominales...
FLORES ENDOGÈNES DE L’HOMME (tableau I)
Les bactéries anaérobies strictes font partie des flores endo-
gènes normales de l’homme, tapissant muqueuses et revête-
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MISE AU POINT BACTÉRIOLOGIE
ment cutané, jouant un rôle de barrière essentiel vis-à-vis de
bactéries plus invasives ou de métabolites toxiques. La connais-
sance de ces flores et de la prévalence des différentes espèces
anaérobies au sein de chacune d’elles permet, en général, de
prédire les espèces présentes au site infectieux de contiguïté.
Cela oriente le traitement antibiotique des infections mixtes,
qui ne peut être qu’empirique du fait des délais nécessaires à
l’isolement et à l’identification de ces bactéries.
!Flore cutanée anaérobie. Le genre Propionibacterium,
bacille à Gram positif non sporulé, y est dominant. Les trois
espèces commensales du follicule pileux (P. acnes, P. avidum,
P. granulosum) sont celles retrouvées en situation pathologique,
mais aussi en tant que contaminant des hémocultures. Il n’est
pas anodin de noter que Propionibacterium produit une cata-
lase, et que l’espèce P. avidium pousse volontiers en aérobiose,
la faisant confondre avec une corynébactérie bêtahémolytique.
Le genre Peptostreptococcus, cocci à Gram positif, est présent,
mais de façon moins abondante. P. magnus, P. asaccharolyti-
cus, P. vaginalis sont les principales espèces dans ce site. Ce
genre est cependant difficile à quantifier, car il n’existe pas de
bon milieu sélectif pour l’isoler.
Les Clostridium ne font pas partie de la flore cutanée.
!Flore bucco-pharyngée.Un millilitre de salive peut conte-
nir jusqu’à 1010 bactéries. Cette flore est dominée d’une part
par trois genres de bacilles à Gram négatif :
Fusobacterium,l’espèce majoritaire étant F. nucleatum et non
F. necrophorum, espèce la plus virulente ;
Porphyromonas, avec les espèces principales non retrouvées
dans les autres flores que sont P. gingivalis, P. endodontalis,
mais aussi P. circumdentaria, ou P. catoniae ; certaines espèces
(P. canoris, P. salivosa) sont strictement affiliées à la cavité
buccale d’animaux et ne sont isolées chez l’homme qu’en cas
de morsure ;
Prevotella, dont seules les espèces P. bivia et P. disiens sem-
blent absentes de cette flore buccale.
L’autre groupe majoritaire est constitué par les Peptostrepto-
coccus, cocci à Gram positif, notamment P. micros et P. anae-
robius, présents dans le suc gingival, et par les Veillonella, cocci
à Gram négatif.
De façon minoritaire mais constante, la flore endogène buccale
comporte divers genres de bacilles à Gram positif non sporu-
lés : des Actinomyces (dont les espèces A. israeli, A. meyeri,
A. odontolyticus et de nombreuses espèces non anaérobies
strictes),des Lactobacilluset Bifidobacterium,deux genres qui
se retrouvent en dominance dans la flore gastrique et surtout
dans la flore vaginale, les Eubacterium.
!Flore digestive. La quantité de bactéries anaérobies aug-
mente au fur et à mesure que l’on descend vers le côlon. Des
quantités de l’ordre de 1012 anaérobies stricts par gramme de
selle peuvent être atteintes, soit mille fois plus que la quantité
d’aérobies. La flore digestive est dominée :
par le genre Bacteroides, bacilles à Gram négatif, dont il faut
bien noter que l’espèce B. fragilis,la plus souvent isolée en site
infectieux, est la moins fréquente par rapport aux autres Bac-
teroides en situation de flore normale ;
par de nombreux bacilles à Gram positif : genre Clostridium
essentiellement, facilement reconnaissable à l’examen direct,
genres Bifidobacterium et Eubacterium dans une moindre
mesure ;
et à nouveau par le genre Peptostreptococcus, dont l’espèce
principale est ici P. productus.
Les principaux genres de la flore buccale, Fusobacterium,Pre-
votella et Actinomyces,sont présents mais sous-dominants dans
la flore digestive.
!Flore vaginale. Chez la femme en période d’activité géni-
tale, la flore de “Döderlein” est constituée de Lactobacillus
(seules quatre espèces anaérobies strictes) et de Bifidobacte-
rium. Ces bacilles à Gram positif non sporulés constituent les
seules bactéries visibles à l’examen direct d’une flore vaginale
normale. Quoique largement dominés, donc non visibles en
général à l’examen direct, d’autres genres sont normalement
présents : Prevotella, avec entre autres espèces P. bivia et
P. disiens, assez spécifiques de la flore vaginale, Porphyromo-
nas asaccharolytica, Bacteroides dont B. fragilis, Clostridium,
Peptostreptococcus.Cet équilibre de flore est sensible aux
modifications du statut hormonal (traitement estroprogestatif,
âge).
DU SITE INFECTIEUX AU LABORATOIRE
Des critères cliniques orientent la recherche d’anaérobies inci-
tant à faire un prélèvement à visée anaérobie : odeur fétide, gaz
au sein de la lésion, gangrène, localisation plus ou moins conti-
guë d’une muqueuse, morsures, tableaux infectieux chroniques,
d’autant plus que des antibiotiques inactifs sur les anaérobies
auront été utilisés, infections tumorales, pus cervical... En
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 2 - février 1999
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MISE AU POINT
BACTÉRIOLOGIE
Flore Espèces dominantes
Flore sous-dominante
Peau Propionibacterium (acnes, avidum, granulosum)
[BGP]
Peptostreptococcus (magnus, asaccharolyticus,
vaginalis) [CGP]
Vagin Lactobacillus et Bifidobacterium [BGP]
Prevotella (dont bivia et disiens), Porphyromonas
asaccharolytica, Bacteroides [BGN],
Peptostreptococcus [CGP]
Oropharynx Fusobacterium, Prevotella et Porphyromonas [BGN],
Peptostreptococcus [CGP] et Veillonella [CGN]
Actinomyces, Bifidobacterium, Eubacterium,
Lactobacillus [BGP]
Tube digestif Bacteroides [BGN], Clostridium, Bifidobacterium,
Eubacterium [BGP], Peptostreptococcus [CGP]
Fusobacterium, Prevotella [BGN], Actinomyces [BGP]
Tableau I. Espèces anaérobies composant les principales flores
endogènes de l’homme.
BGP : bacille à Gram positif. BGN : bacille à Gram négatif. CGP : cocci à Gram
positif. CGN : cocci à Gram négatif.
revanche, si les anaérobies doivent être systématiquement
recherchés dans certains prélèvements (abcès, hémoculture,
liquides de ponction, brosse pulmonaire...), il est bien sûr inutile
de les traquer dans des prélèvements habituellement riches en
anaérobies (flores endogènes polluantes) : crachats, selles,
vagin...
Les conditions de transport du prélèvement restent un point
sensible. La mise en évidence des bactéries anaérobies est tou-
jours délicate. Cependant, les principales causes d’échec sont
de mauvais prélèvements, de mauvaises conditions de trans-
port et des méthodes de culture inadéquates. Le prélèvement
doit éviter tout contact avec la flore saprophyte. Comme il s’agit
d’infections mixtes, il est important de conserver toutes les bac-
téries pathogènes, aérobies et anaérobies. Les deux écueils
majeurs sont la dessiccation du prélèvement (refuser l’écou-
villon !) et son oxygénation. La plupart des anaérobies survi-
vent bien pendant six heures d’exposition à l’air : en revanche,
leur taux chute ensuite très vite et de façon inégale selon les
espèces.
En fait, si son volume est important (> 2 ml), le produit patho-
logique peut constituer en soi un bon milieu de transport. En
dessous de 2 ml, il faut impérativement utiliser un milieu de
transport qui protège les bactéries de l’oxygène (présence de
substances oxydoréductrices) et qui bloque leur multiplication
durant le transport (absence de facteurs de croissance). Les
milieux actuellement commercialisés sont satisfaisants.
Il est indispensable d’utiliser les moyens d’orientation
rapide au laboratoire. Le résultat de la coloration de Gram
d’un frottis fait partie, plus qu’ailleurs, de la démarche. La pré-
sence de polynucléaires très altérés, voire de polynucléaires
lysés et raréfiés, associée à une flore abondante, avec des mor-
photypes très variés, est très en faveur d’une infection à anaé-
robie. Dans un pus monomicrobien, les aspects typiques de
Clostridium, de Bifidobacterium, de certains Fusobacterium et
des Actinomyces sont très utiles et constituent donc des élé-
ments à transmettre. De façon plus anedoctique, car elle est plus
lourde à mettre en œuvre, l’analyse des acides gras volatils en
chromatographie de phase gazeuse peut être appliquée direc-
tement sur un produit pathologique liquide et affirmer alors la
présence d’un anaérobie, voire préciser un genre. L’ensemen-
cement systématique des pus sur un milieu placé en anaéro-
biose permettra d’isoler une bactérie anaérobie si celle-ci n’a
pu être mise en évidence à l’examen direct.
PRINCIPALES LOCALISATIONS DES INFECTIONS MIXTES
!Infections abdominales. Alors que les complications
post-chirurgicales se sont raréfiées après la généralisation de
l’antibioprophylaxie, les péritonites communautaires ou noso-
comiales, les abcès périappendiculaires, les abcès sous-
diaphragmatiques, les abcès hépatiques, les ischémies du grêle
sont toujours d’actualité. Les Bacteroides du genre fragilis, et
notamment l’espèce B. fragilis (14 % à lui seul), représentent
dans nos statistiques d’infections abdominales 67 % des anaé-
robies, les Clostridium 12 % (5 % pour C. perfringens). Sur le
plan thérapeutique, la sensibilité de ces germes est donc à sur-
veiller (9). Il faut rappeler la résistance de B. fragilis à la péni-
cilline A et aux céphalosporines de troisième génération (70 %),
l’émergence de souches résistantes à l’imipénème (prévalence
stable autour de 2 %), ou de souches de sensibilité réduite au
métronidazole (moins de 2 % des souches). Compte tenu de
l’importance de Clostridium dans ce type d’infections, il fau-
dra surveiller les trois espèces productrices de bêtalactamase,
C. butyricum, C. ramosum et C. clostridiiforme – bêtalactamase
insensible aux inhibiteurs pour ces deux dernières espèces ;
l’espèce C. innocuum doit être considérée comme résistante à
la vancomycine.
!Infections gynécologiques. Les vaginoses bactériennes cor-
respondent à un tableau de dysmicrobisme où la flore endo-
gène dominante (Lactobacillus et Bifidobacterium) a disparu
pour laisser toute la place aux autres anaérobies : Prevotella
(P. bivia et P. disiens représentant alors 55 % des Prevotella
isolées), Peptostreptococcus (P. vaginalis plus que P. magnus
ou P. asaccharolyticus), Actinomyces, Mobiluncus.Le dia-
gnostic se fait sur des critères cliniques et bactériologiques
d’examen direct : odeur nauséabonde des pertes vaginales, pH
élevé, aspects au microscope de “clue-cells” avec disparition
de la flore de Döderlein et présence de nombreux bacilles à
Gram négatif (Prevotella), dont certains peuvent être incurvés
(Mobiluncus)
À côté de ce tableau caractéristique, on trouve un autre tableau
de dysmicrobisme, moins évident à l’examen direct microsco-
pique, où les seuls anaérobies stricts isolés sont des B. fragilis,
alors associés à une flore aérobie complexe (10).
!Infections bucco-pharyngées. Ces infections sont très
variées et, en général, mixtes, à l’exception de l’actinomycose
ou de certaines endophtalmies : sinusite et otite chroniques,
abcès bucco-dentaires, périodontopathies, syndrome de l’an-
gine-infarctus de Lemierre... En fait, si la gravité du tableau est
différente selon la localisation anatomique de l’infection, les
bactéries isolées sont les mêmes quel que soit le type d’infec-
tion : Prevotella, Fusobacterium, Porphyromonas, Peptostrep-
tococcus, Actinomyces.
Porphyromonas gingivalis et Prevotella intermedia sont, avec
Actinobacillus actinomycetemcomitans (espèce non anaérobie
stricte), les trois espèces les plus pathogènes de la cavité
alvéolo-dentaire et celles généralement isolées de façon majo-
ritaire pendant les épisodes aigus des périodontopathies infec-
tieuses.
La prescription antibiotique prend en compte, selon le tableau
clinique, les résistances naturelles des Actinomyces au métro-
nidazole, et des Fusobacterium aux macrolides ; elle doit
prendre en compte la présence de pénicillinase chez plus de
50 % des Prevotella, la présence possible de pénicillinase chez
Fusobacterium (4 % des souches en 1997 à Annecy), ainsi que
la prévalence élevée de la résistance à la clindamycine chez
Peptostreptococcus (> 20 %).
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La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 2 - février 1999
MISE AU POINT BACTÉRIOLOGIE
!
Infections pleuropulmonaires. Les pneumonies aiguës sont
rarement le fait des bactéries anaérobies strictes, exception faite
des embolies septiques à F. necrophorum dans le cadre particu-
lier du syndrome de Lemierre. En revanche, les pneumopathies
traînantes, la quasi-totalité des pneumopathies de déglutition et
des abcès du poumon ainsi que près de 50 % des pleurésies puru-
lentes sont dus tout ou partie aux anaérobies. Un mauvais état
dentaire, les troubles de la conscience (éthylisme, épilepsie,
comas) sont les grands facteurs du déplacement des flores endo-
gènes buccales ou gastriques vers le poumon. Dans les pleuré-
sies purulentes, les germes le plus souvent isolés sont F. nuclea-
tum (21 %) et Prevotella (19 %). B. fragilis ne représente que
3% des cas. Les pleurésies purulentes à anaérobies sont fré-
quemment monomicrobiennes (40 % dans notre série) et
F. necrophorum représente alors deux cas sur dix (11).
!Infections osseuses. Elles ne sont pas rares. Une série de
trente-trois ostéomyélites à anaérobies montre que les germes
les plus fréquents sont les Peptostreptococcus (25 %) ; parmi
eux, P. magnus est majoritaire. Il faut se rappeler alors la pré-
valence élevée de la résistance à la clindamycine dans cette
espèce. Sont aussi isolés des Prevotella (20 %), Bacteroides
(15 %), Propionibacterium (12 %). Les infections osseuses
acquises par voie hématogène sont en général monomicro-
biennes (7 cas sur 8). Cette étude nous a montré par ailleurs la
valeur intéressante des prélèvements réalisés dans le trajet fis-
tuleux dans le cadre des ostéomyélites fistulisées à la peau,
puisque les anaérobies isolés dans ces prélèvements moins pro-
tégés sont en général aussi isolés dans les prélèvements osseux
peropératoires (12).
!Bactériémies à anaérobies. Elles représentent actuellement
encore 5 % des hémocultures positives. B. fragilis reste de loin
l’espèce la plus souvent isolée (70 %), devant les autres espèces
du groupe fragilis ou le C. perfringens. Le flacon anaérobie
doit encore systématiquement accompagner le prélèvement du
flacon aérobie.
!Actinomycoses. A. meyeri et A. israeli sont responsables
d’infections torpides, évoluant longtemps à bas bruit, consti-
tuant un foyer inflammatoire d’allure parfois tumorale. Il faut
savoir les suspecter au niveau d’infections cervicales, osseuses
(notamment vertébrales), cutanées ou gynécologiques. Typi-
quement, le pus d’actinomycose contient des grains qui sont en
fait des Actinomyces regroupés en amas dans un granulome
inflammatoire. Actinomyces est naturellement résistant au
métronidazole, mais bien sensible à la pénicilline G.
CONCLUSION
Les infections à bactéries anaérobies sont maintenant bien
connues. À la suite de Veillon, au début du siècle, qui avait mon-
tré l’existence de flores à anaérobies, les travaux de Prévot,
Beerens et Finegold (13) ont permis de bien préciser la locali-
sation et les espèces de bactéries responsables des infections
mixtes.
L’approche très clinique de ces infections nécessite, au niveau
diagnostique, d’évoquer les anaérobies sur des arguments de
facteurs de risque et de proximité d’une flore endogène, au
niveau thérapeutique, de connaître la composition des diffé-
rentes flores et les sensibilités aux antibiotiques des espèces
dominantes, et, au niveau de la documentation microbiologique,
de réaliser un prélèvement pertinent, qui évite les souillures par
les flores saprophytes, de savoir tirer parti du laboratoire, notam-
ment par les résultats d’un examen direct, et de participer à la
surveillance épidémiologique de ces bactéries. "
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 2 - février 1999
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