abc revue générale Ann Biol Clin 2004, 62 : 7-14 Protéolyse ATP-dépendante et virulence bactérienne Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 23/05/2017. O. Gaillot Laboratoire de bactériologie-virologie, faculté de médecine de Rennes, 2, avenue Léon Bernard, 35043 Rennes cedex [email protected] Résumé. La protéolyse est un élément essentiel du métabolisme cellulaire et de la réponse aux stimuli environnementaux. Elle module l’activité de nombreux peptides régulateurs et assure l’élimination des protéines anormales ou endommagées. Chez les eucaryotes, la protéolyse ATP-dépendante est assurée par le protéasome 26S qui dégrade des substrats identifiés par un unique marqueur, l’ubiquitine. À l’inverse, chez les bactéries, il existe différents systèmes d’adressage des substrats et plusieurs protéases ATP-dépendantes. Chacune associe une activité ATPase « chaperonne » et une activité peptidase distinctes, et bien qu’elles ne soient pas apparentées, ces protéases partagent un mode de fonctionnement séquentiel commun qui va de la reconnaissance des substrats par la partie ATPase jusqu’à leur protéolyse. Les principales protéases ATP-dépendante bactériennes sont FtsH, Lon, HslUV et les Clp-protéases. Ces dernières sont des complexes multimériques assemblés autour de la protéase ClpP et sont essentielles à l’adaptation rapide aux conditions de stress, en assurant le fonctionnement d’importantes voies métaboliques. Pour plusieurs espèces pathogènes, la protéolyse ClpP-dépendante est indispensable au déroulement de l’infection, en favorisant la survie chez l’hôte ou en modulant directement l’activité de facteurs de virulence. Mots clés : protéase, ATPase, chaperonine, stress, virulence Article reçu le 20 mai 2003, accepté le 23 juin 2003 Summary. Proteolysis plays an central role in key metabolic pathways and cellular adaptation to environmental changes. It modulates the activity of regulatory peptides and eliminates misfolded or damaged proteins such as those generated by stress exposure. In eucaryotic cells ATP-dependent proteolysis is carried out by the 26S proteasome whose substrates are identified by ubiquitin tags. Conversely, bacteria possess several tagging systems and different ATPdependent proteases. Bacterial ATP-dependent proteases carry distinct chaperone-ATPase and peptidase activities, either on the same molecule or on separate subunits. Although unrelated, all ATP-dependent proteases function according to a similar multistep scheme, from the docking of a substrate by the ATPase region to its proteolysis by the peptidase. Major bacterial ATPdependent proteases include FtsH, Lon, HslUV and the Clp proteases. Clp proteases are multimeric complexes assembled into a structure centered on the proteolytic component ClpP. They are essential for quick adaptation to stress and regulate important developmental processes. Clp-mediated proteolysis is also required for disease progression and virulence of several bacterial pathogens, favoring survival in the host or modulating the activity of genuine virulence factors. Key words: protease, ATPase, chaperone, stress, virulence Tirés à part : O. Gaillot Ann Biol Clin, vol. 62, n° 1, janvier-février 2004 7 revue générale Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 23/05/2017. L’élimination des protéines anormales, élément-clé de la réponse au stress La plupart des bactéries ont développé au cours de l’évolution des réponses moléculaires rapides qui leur permettent de survivre aux conditions hostiles auxquelles elles sont exposées au cours de leur vie saprophytique. Elles supportent ainsi des écarts de température, des carences nutritionnelles, des variations de pH et d’osmolarité, des stress chimiques ou encore la compétition d’autres microorganismes. Un réseau complexe et finement régulé de protéines effectrices s’est constitué pour maintenir la viabilité cellulaire lors de l’exposition au stress, en prévenant notamment l’accumulation délétère de protéines endommagées. Chez Escherichia coli et Bacillus subtilis, ainsi sans doute que chez la plupart des espèces bactériennes, c’est l’induction d’homologues des heat shock proteins (Hsp) eucaryotes qui permet le recyclage des protéines dénaturées par des conditions hostiles. Ces enzymes agissent selon l’état d’altération des protéines, soit en restaurant une conformation active (action des « chaperonines »), soit en assurant leur protéolyse (action des protéases). Ce contrôle de qualité des protéines est nécessaire au maintien du fonctionnement des voies physiologiques essentielles des bactéries agressées. Chez les bactéries pathogènes, ces mécanismes peuvent être mis à profit pour résister à la réponse de l’hôte infecté, et sont même indispensables à l’expression de la virulence de certaines espèces. Les chaperonines : dissociation des agrégats et remodelage des protéines Les principales protéines impliquées dans le remodelage de protéines anormales [1] sont les chaperonines GroEL et DnaK, équivalents respectifs chez E. coli des Hsp60 et Hsp70 eucaryotes, et les chaperonines-ATPases homologues des Hsp100 eucaryotes HslU, ClpA, ClpX, ClpC, ClpE, ClpB, ClpR{ Ces dernières, ou « Clp-ATPases », sont réunies avec la protéase ClpP sous le vocable de caseinolytic proteins bien que seule ClpP soit dotée d’activité protéasique sensu stricto. Chez E. coli, GroEL prend en charge des protéines anormalement repliées ou dénaturées et leurs agrégats insolubles, ainsi que des chaînes polypeptidiques non repliées. Associée à la protéine GroES, GroEL assure la dissociation des agrégats et la restauration d’une conformation active de ces substrats. Chez la bactérie pathogène Listeria monocytogenes, cette activité « chaperonne » est indispensable à l’expression de la virulence, et la transcription du gène groEL est fortement accrue lors de l’infection. 8 DnaK et ses cofacteurs DnaJ et GrpE ont une activité similaire à celle de GroESL (y compris la dissociation d’agrégats protéiques toxiques), mais qui s’exerce sur des substrats différents. De plus, chez E. coli, DnaK intervient lors de la dégradation de certains substrats par les protéases Lon ou FtsH. Il existe un homologue de dnaK chez plusieurs espèces pathogènes, dont le rôle n’est qu’incomplètement élucidé. Les homologues bactériens des Hsp100 (ClpA, ClpX, ClpC, ClpE, ClpL, ClpB, HslU{) forment un groupe d’ATPases très conservées à activité chaperonne. Assemblées en hexamères, elles catalysent le dépliement de substrats protéiques spécifiques. Les polypeptides libérés peuvent alors connaître deux sorts distincts, soit un remodelage en protéine native, soit une dégradation si leur structure est irrémédiablement altérée (figure 1). Cette dégradation est alors assurée par des complexes qui associent une Clp-ATPase et ClpP ou HslU et la protéase HslV. La protéolyse ATP-dépendante chez les bactéries La protéolyse est un élément fondamental de la régulation des processus métaboliques et de la réponse cellulaire aux stimuli environnementaux. Elle contrôle les voies métaboliques, notamment en modulant les quantités des protéines régulatrices. Chez les procaryotes et les organites cellulaires d’origine procaryote comme les mitochondries ou les chloroplastes, l’essentiel de l’activité protéolytique est assurée par des protéases ATP-dépendantes. Ces enzymes jouent un rôle central dans de nombreuses cascades régulatrices [2, 3] et sont indispensables à l’élimination des protéines anormales continuellement produites par dénaturation spontanée, erreurs de biosynthèse ou accumulation de mutations. Leur action est particulièrement vitale lors de l’exposition bactérienne aux stress qui détériorent les protéines. La plupart des protéases sont d’ailleurs inductibles par ces stress pour prévenir l’accumulation de polypeptides anormaux potentiellement toxiques et maintenir ainsi l’homéostasie cellulaire et les activités métaboliques de la bactérie. Les cinq principales protéases ATP-dépendantes caractérisées chez E. coli sont ClpAP, ClpXP, HslUV, Lon et la protéase membranaire FtsH. Des homologues de ces protéases ont été identifiés chez la plupart des espèces bactériennes. Leurs substrats restent largement méconnus. Quelques protéines et polypeptides naturels ou semisynthétiques spécifiquement dégradés par l’une ou l’autre ont néanmoins été identifiés, ce qui a permis d’appréhender les mécanismes par lesquels les substrats sont reconnus, captés puis transformés. Il est ainsi possible d’établir un schéma de la protéolyse, commun à toutes les protéases ATP-dépendantes, dans lequel la reconnaissance du subsAnn Biol Clin, vol. 62, n° 1, janvier-février 2004 Protéolyse ATP-dépendante Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 23/05/2017. trat, son dépliement et son introduction dans la chambre protéolytique de la partie protéase sont assurés par la partie ATPase (figure 1b). Les activités protéase et chaperonine/ATPase peuvent être présentes sur la même molécule (Lon et FtsH), ou le fait d’éléments distincts au sein d’un complexe protéolytique (ClpAP, ClpXP et HslUV). Identification des substrats Afin d’éviter la dégradation inappropriée de composants cellulaires essentiels, les protéases assurent une reconnaissance précise de leurs substrats. Dans les cellules eucaryotes, les substrats destinés à la protéolyse sont reconnus par des systèmes enzymatiques variés, mais qui réalisent tous un « étiquetage » par une même protéine, l’ubiquitine ; c’est ce marquage qui les désigne au seul protéasome 26S dans lequel s’effectue la protéolyse (revue dans [4]). À l’inverse, chez les procaryotes, il n’existe ni étiquetage ubiquitaire ni protéasome unique. L’orientation vers l’une des protéases dépend de la nature des substrats euxmêmes et d’un étiquetage spécifique. Il peut s’agir d’une séquence d’aminoacides du substrat natif, ou d’un ajout co- ou post-traductionnel, dont plusieurs modèles ont été récemment décrits. Parmi ceux-ci, l’étiquetage SsrA consiste en l’ajout de 11 acides aminés à l’extrémité C-terminale de tous les polypeptides restés bloqués sur leur ribosome en raison d’une troncature de leur ARNm [5]. La protéine anormale qui en résulte est adressée par cette étiquette à la protéolyse ATP-dépendante. Dans d’autres situations, c’est une protéine accessoire qui tient lieu d’étiquette et désigne le substrat à sa protéase ATPdépendante [6]. Les étiquettes de reconnaissance identifiées à ce jour sont toutes situées aux extrémités C- ou N-terminale des substrats. Lorsqu’un substrat protéique porte les motifs de reconnaissance de plusieurs protéases différentes, il peut être pris en charge par chacune d’entre elles. Reconnaissance et fixation du substrat par l’ATPase L’amarrage des substrats destinés à la protéolyse s’effectue exclusivement au niveau de la partie chaperonine. Les mécanismes de reconnaissance des substrats étiquetés semblent impliquer des domaines appelés SSD (sensorsubstrate discrimination), présents à la fois chez Lon, ClpA, ClpX, ClpB, ClpE et ClpY et capables de fixer les étiquettes de protéolyse. La spécificité de ces régions d’amarrage n’est cependant pas absolue et il faut sans doute plusieurs séquences « réceptrices » différentes à une chaperonine pour assurer la reconnaissance de ses substrats. Enfin, l’amarrage nécessite la fixation d’ATP, mais pas son hydrolyse. Transport du substrat jusqu’au site de protéolyse L’amarrage seul ne modifie pas la conformation du substrat. La déstabilisation des structures tertiaires et secondai- a Substrat Amarrage et linéarisation du substrat Remodelage Protéine active b Substrat Amarrage et linéarisation du substrat Protéolyse Oligopeptides Figure 1. Recyclage d’une protéine bactérienne anormale ou dénaturée. Selon son état d’altération, un substrat protéique peut être : (a) remodelé en la protéine native par une chaperonine-ATPase (cylindre sombre, en haut) ou, (b) dégradé par une protéase ATP-dépendante possédant une activité ATPase (cylindre sombre, en bas) et une activité protéase proprement dite (cylindre clair). Dans les deux cas, la reconnaissance du substrat puis sa linéarisation par l’ATPase sont indispensables. Ann Biol Clin, vol. 62, n° 1, janvier-février 2004 9 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 23/05/2017. revue générale res requiert l’hydrolyse d’ATP. Il est vraisemblable que la linéarisation indispensable à l’accès au site de protéolyse s’effectue dans une cavité formée par la structure tertiaire ou par l’oligomérisation des sous-unités de chaperonine [7]. Le maintien de la chaîne dans une conformation linéaire puis sa translation vers le site protéolytique nécessitent à leur tour l’hydrolyse de nouvelles molécules d’ATP. Au fur et à mesure du dépliement, de nouveaux déterminants du substrat sont exposés et peuvent réagir avec de nouvelles régions de la chaperonine, favorisant la translation [8]. Celle-ci est directionnelle, l’extrémité C-terminale entrant par exemple la première dans la chambre de protéolyse lorsqu’un substrat porteur d’une étiquette SsrA est pris en charge par la protéase ClpAP [9]. Protéolyse et évacuation des produits de dégradation Le site actif des protéases est isolé du milieu extérieur dans une cavité peu accessible formée par la structure tertiaire ou l’assemblage de plusieurs sous-unités. La chaîne polypeptidique doit être dévidée en un brin unique pour franchir l’étroit passage d’environ 1 nm qui commande l’accès à cette chambre de protéolyse. À l’intérieur de la chambre, le substrat est tronçonné dans une nouvelle réaction ATP-dépendante. Les oligopeptides ainsi produits semblent modifier l’équilibre ionique dans la chambre de protéolyse, créant des ouvertures dans les parois, par lesquelles ils s’échappent. Enfin, la dégradation en acides aminés est assurée dans le cytoplasme par des peptidases non spécifiques ATP-indépendantes. Les principales protéases ATP-dépendantes bactériennes La sérine-protéase Lon La sérine-protéase Lon est une protéase cytosolique tétramérique dont chaque sous-unité porte un site sérineprotéase et un domaine ATPase distincts. Chez E. coli, Lon est la protéase la plus impliquée dans la dégradation des protéines de conformation anormale [10]. Étonnamment, il n’existe pas d’homologue du gène lon chez des bactéries pathogènes comme L. monocytogenes ni chez Sreptococcus pneumoniae, bien que Lon soit assez ubiquitaire et présente par exemple chez les mycoplasmes dont le génome réduit n’encode aucune autre protéase ATP-dépendante. La métalloprotéase FtsH La métalloprotéase FtsH est ancrée dans la membrane cytoplasmique. Son domaine cytoplasmique contient la région ATPase et le site métalloprotéase Zn-dépendant. Plusieurs substrats de FtsH ont été identifiées chez E. coli, 10 notamment des polypeptides étiquetés par le système SsrA. FtsH est capable de linéariser puis de dégrader des protéines enchâssées dans la membrane cytoplasmique, après reconnaissance de leur extrémité C- et/ou N-terminale. Les équivalents bactériens du protéasome eucaryote Ce sont des complexes d’architecture similaire (figure 2), constitués d’une protéase multimérique centrale, ClpP ou HslV, encadrée axialement par deux ATPaseschaperonines hexamériques (ClpA, ClpX, ClpC, ClpE ou HslU). Bien que ClpP et HslV ne présentent pas d’homologie de séquence, les assemblages qu’elles forment avec leurs ATPases respectives sont similaires, et analogues à celui du protéasome eucaryote [11]. Tous ces complexes partagent vraisemblablement un même mécanisme de dégradation des protéines. HslUV est constituée d’un hexamère de la thréonineprotéase HslV et de deux hexamères de l’ATPase HslU. C’est une protéase présente chez la plupart des bactéries, à l’exception notable de S. pneumoniae. Chez B. subtilis et L. monocytogenes, le site actif thréonine de la protéase n’est pas exposé comme c’est le cas chez E. coli, alors qu’un site actif sérine fait son apparition à l’extrémité N-terminale et prend en charge l’activité protéolytique [12]. ClpAP, ClpXP, ClpCP et ClpEP sont des protéases ATPdépendantes organisées autour de la protéase ClpP (figure 2). La structure et le fonctionnement de ClpAP et ClpXP chez E. coli ont fait l’objet de nombreux travaux, tandis que la a b Hexamère ClpA6 Tétradécamère ClpP14 Hexamère ClpA6 Figure 2. Structure d’une Clp-protéase : (a) Représentation schématique du complexe ClpAP. Dans cette structure étagée, la protéase est formée de deux cycles heptamériques (ClpP14) empilés qui déterminent une chambre centrale contenant le site actif. L’accès à la chambre est limité à un étroit canal situé à chacune des deux extrémités du tétradécamère. Les ATPases, assemblées en hexamères annulaires (ici ClpA6), s’adaptent aux deux extrémités pour assurer la linéarisation des substrats protéiques et leur translation vers la chambre de protéolyse. (b) Reconstruction en coupe sagittale de la protéase ClpAP de Escherichia coli. Les flèches indiquent l’étroit canal d’accès à la chambre de protéolyse de ClpP (adapté de Reid et al., Proc Natl Acad Sci USA 2001). Ann Biol Clin, vol. 62, n° 1, janvier-février 2004 Protéolyse ATP-dépendante caractérisation des Clp-protéases d’autres bactéries est plus récente. Les Clp-protéases jouent un rôle fondamental dans la résistance au stress de nombreuses bactéries et dans la virulence de certains pathogènes. La suite de cette revue leur est consacrée. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 23/05/2017. Les complexes protéasiques de ClpP ClpP ClpP est une sérine-protéase présente chez les bactéries à l’exception des mycoplasmes, ainsi que dans les mitochondries et les chloroplastes des cellules eucaryotes. Chez ces derniers, ClpP joue sans doute un rôle essentiel, puisqu’elle est l’une des quatre protéines encodées par l’ADN du chloroplaste vestigial de Epifagus virginiana, une plante parasite ayant perdu toute capacité de photosynthèse. Chez les bactéries, ClpP est présente dans les conditions normales de croissance, mais fortement hyperproduite dans de nombreux types de stress, notamment les chocs thermiques. L’inactivation du gène clpP affecte la viabilité bactérienne en conditions de stress, surtout chez des bactéries à Gram positif comme B. subtilis, L. monocytogenes, S. pneumoniae et Staphylococcus aureus. L’oligomérisation de ClpP en deux cycles heptamériques accolés (ClpP14, figure 2) est indispensable à son activité biologique, laquelle se limite à la dégradation de peptides de moins de sept acides aminés. C’est l’association de ClpP14 à une chaperonine-ATPase qui permet la protéolyse de substrat de plus grande taille (figures 1 et 2). Les chaperonines-ATPases partenaires de ClpP ClpA, ClpX, ClpC et ClpE sont les principaux partenaires possibles de ClpP. Dans chaque génome bactérien séquencé à ce jour et contenant un gène clpP, on a pu identifier au moins un gène de l’une de ces Clp-ATPases. Toutes les Clp-ATPases possèdent une structure commune, incluant un domaine N-terminal SSD de reconnaissance des substrats précédé d’un ou deux domaines de fixation de l’ATP. ClpA de E. coli a été la première identifiée et constitue un bon modèle du fonctionnement des autres Clp-ATPases qui interagissent avec ClpP. Il n’existe cependant pas d’orthologue de clpA chez les bactéries à Gram positif, chez lesquelles elle semble remplacée par ClpC. En présence d’ATP, six sous-unités de ClpA peuvent s’assembler en un hexamère annulaire délimitant une cavité interne (figure 2b). Cette structure est nécessaire à l’activité chaperonne (linéarisation et remodelage) et à l’arrimage d’un tétradécamère ClpP14. Il existe probablement une certaine souplesse des hexamères de ClpATPase qui autorise la liaison dissymétrique avec les heptamères annulaires de ClpP [13]. Parmi les substrats reconnus par ClpA et dégradés par le complexe ClpAP, on trouve des protéines à étiquette SsrA et la protéine RepA. Ann Biol Clin, vol. 62, n° 1, janvier-février 2004 Ishikawa et al. ont récemment montré par cryomicroscopie électronique le processus de translation de RepA dans la protéase ClpAP. L’attachement à l’ATPase a été confirmé ainsi que le transfert ATP-dépendant du substrat jusqu’à la chambre de protéolyse, via l’intérieur de l’anneau ClpA6 [8]. ClpX est une ATPase ubiquitaire retrouvée chez les bactéries à Gram positif comme à Gram négatif. Elle se distingue de ClpA par une spécificité de substrats différente. On connaît cependant des substrats communs à ClpXP et ClpAP. Pour ceux-ci, la dégradation par ClpXP est moins efficace que par ClpAP, sans doute en raison de la présence de deux domaines ATPases chez ClpA alors qu’il n’en existe qu’un seul chez ClpX. ClpC et ClpE ont une structure qui suggère un mode d’appariement et un fonctionnement voisins de ceux de ClpA. ClpC semble être avec ClpX le principal partenaire de ClpP chez les bactéries à Gram positif, dans lesquelles elle est essentielle au catabolisme des protéines anormales et à la survie en conditions de stress [14, 15]. Le rôle de ClpE est encore méconnu ; le gène clpE caractérisé chez B. subtilis puis L. monocytogenes n’est pas indispensable à la survie de ces bactéries, mais jouerait un rôle dans la virulence listérienne [16]. Influence des ClpP-protéases sur la physiologie et la virulence bactériennes Cyanobactéries Chez les bactéries photosynthétiques du phytoplancton du genre Synechococcus, ClpP est induite et joue un rôle essentiel lors des variations d’intensité lumineuse et de l’exposition au froid auxquelles ces bactéries sont sujettes dans la nature. L’inactivation de clpP réduit la croissance de Synechococcus lors de l’exposition au rayons ultraviolets et au froid, avec la formation de bactéries filamenteuses qui suggère que l’élimination des protéines anormales est cruciale pour la division de ce micro-organisme. Les substrats naturels de ClpP de Synechococcus sont encore inconnus, de même que leurs partenaires Clp-ATPases. Ces bactéries possèdent néanmoins un homologue de ClpC qui forme sans doute des complexes protéasiques avec ClpP [17]. Bactéries à Gram négatif Chez Escherichia coli, ClpP joue un rôle important dans le catabolisme des agrégats protéiques. Elle n’est pourtant pas indispensable à la survie des bactéries en conditions de stress, les protéases Lon et FtsH pouvant sans doute pallier son absence. ClpXP intervient néanmoins dans la régulation des gènes spécifiques de la phase stationnaire 11 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 23/05/2017. revue générale en dégradant leur principal activateur, le facteur rS. ClpXP participe également à la réparation de l’ADN en régulant par protéolyse la protéine UmuD du système SOS. Chez Salmonella typhimurium, ClpP est nécessaire à la croissance en milieu acide, donc à la virulence digestive, via l’inactivation de rS et des gènes de phase stationnaire induits par le stress acide [18]. Récemment, il a été montré que l’inactivation de clpP provoque une surproduction de la principale protéine flagellaire. Les mutants clpP – sont hyperflagellés et moins virulents chez la souris qu’une souche isogénique sauvage [19]. Chez Yersinia enterocolitica, ClpP module la transcription du gène ail qui encode une protéine indispensable à l’adhésion et à l’invasion cellulaires. À 28 °C, température « environnementale », ClpP dégrade un activateur de ail, inhibant ainsi la transcription du gène. À 37 °C, température de l’hôte, cette inhibition n’a pas lieu et la protéine Ail est produite [20]. Ce mécanisme a été le premier exemple d’une régulation directe d’un facteur de virulence bactérien par une protéase ATP-dépendante. Bactéries à Gram positif Chez Bacillus subtilis, ClpP peut être associée à ClpC, ClpX et ClpE, chacune de ces protéines étant inductible par différents stress. ClpCP et ClpXP sont directement impliquées dans la dégradation des protéines dénaturées et des substrats étiquetés par SsrA. ClpP, ClpC et ClpX sont nécessaires à la croissance à température élevée ou en milieu hypersalé et à la mobilité bactérienne [21]. À l’inverse, aucun phénotype ne semble associé à l’inactivation de clpE. En plus de la résistance au stress, ClpP, ClpC et ClpX sont indispensables au fonctionnement de deux voies essentielles du développement de B. subtilis, la sporulation et la compétence. L’inactivation de ClpP confère le déficit de sporulation le plus net, alors que la sporulation des mutants clpC – n’est perturbée qu’à haute température. ClpP est également indispensable au développement de la compétence, c’est-à-dire de la propriété qu’ont les bactéries en fin de phase exponentielle de capter et d’internaliser de l’ADN exogène [3]. Le rôle des Clp des mycobactéries n’a pas été élucidé, mais il existe des anticorps spécifiques dirigés contre ClpC de Mycobacterium leprae chez des patients atteints de lèpre ou de tuberculose. Chez les Streptomyces, plusieurs isomères de ClpP ont été caractérisés et sont impliqués dans la formation du mycélium de ces bactéries telluriques. La surexpression de ClpX permet la pigmentation tandis que la surexpression de ClpP1 et ClpP2 active la formation du mycélium de Streptomyces coelicolor [22]. Chez Lactococcus lactis, ClpP est inductible par la chaleur et les variations de pH. L’inactivation de ClpP chez L. lactis entraîne une réponse médiocre à ces stress et une perte importante de viabilité des bactéries [23]. 12 Chez Staphylococcus aureus, clpC fait partie des gènes plus exprimés dans les bactéries constituées en biofilm que dans les cellules planctoniques. Le génome de Streptococcus pneumoniae contient des orthologues de clpP, clpC, clpX et clpE dont l’organisation est similaire à celle des gènes de B. subtilis. ClpC a été identifiée comme un possible « facteur de virulence » lors d’un criblage génomique par transposon-tagged mutagenesis [24], alors que d’autres travaux mettent plutôt en avant le rôle de ClpE, ClpX et surtout ClpP dans la résistance au stress, le développement de la compétence et la virulence du pneumocoque [25]. Chez Streptococcus agalactiae, ClpP module l’activité de la chaperonine DnaK, mais ne semble jouer qu’un rôle mineur dans la virulence [26]. Lorsque l’on considère les agressions que subit Listeria monocytogenes lors du processus infectieux (variations de pH et de température, stress oxydatif dans les phagolysosomes des cellules infectées, carences nutritionnelles, etc.), on conçoit que les protéases ATP-dépendantes soient essentielles à la survie de cette bactérie chez l’hôte. L’organisation génétique et la régulation de l’expression des Clpprotéases de L. monocytogenes sont identiques à celles décrites chez B. subtilis. ClpC est la première ATPase à avoir été impliquée dans la résistance au stress de L. monocytogenes et dans la physiopathologie de la listériose expérimentale [15]. ClpC est nécessaire à l’échappement des bactéries des phagosomes et à leur survie dans les macrophages [27] et semble moduler la production d’internaline, principale adhésine impliquée dans l’entrée de Listeria dans les cellules eucaryotes [28]. ClpE est requise pour la survie prolongée à haute température et la division cellulaire, mais seule l’inactivation simultanée de clpE et clpC produit un mutant avirulent [16]. En revanche, l’inactivation du gène clpP entraîne à elle seule la disparition complète de la virulence, ClpP étant indispensable à la croissance dans la plupart des conditions de stress [29]. Le plus intrigant chez L. monocytogenes est que ClpP paraît moduler l’activité biologique du principal facteur de virulence de la bactérie, la listériolysine O (LLO). Chez un mutant clpP – exposé un stress thermique, l’activité cytolytique in vitro de la LLO est fortement réduite, alors que la quantité de LLO produite est identique à celle d’une souche isogénique sauvage [30]. Il est possible qu’en situation de stress, ClpP dégrade un inhibiteur encore inconnu de la LLO, favorisant ainsi l’expression de ce facteur de virulence lorsque la bactérie en a expressément besoin. Conclusion : résistance au stress et virulence Les protéases ATP-dépendantes interviennent à des niveaux très divers du métabolisme bactérien. Leur activité Ann Biol Clin, vol. 62, n° 1, janvier-février 2004 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 23/05/2017. Protéolyse ATP-dépendante catabolique des protéines toxiques générées par l’exposition au stress a été la première étudiée et a permis de proposer des modèles moléculaires de leur fonctionnement, confirmés par l’imagerie [8, 9]. Plus récemment, la description des Clp-protéases des bactéries à Gram positif et des cyanobactéries a mis en évidence leur rôle régulateur de voies du développement aussi essentielles que la sporulation ou la division cellulaire. Ces travaux ont d’ailleurs considérablement enrichi nos connaissances de ces cascades métaboliques complexes [3]. Enfin, l’implication des protéases ATP-dépendantes bactériennes dans la physiopathologie des infections a montré combien le développement du processus infectieux était multifactoriel et complexe pour les bactéries. Les protéases ne sont pas à proprement parler des facteurs de virulence, puisqu’elles sont présentes chez la plupart des espèces, responsables ou non d’infection. Cependant, en maintenant l’homéostasie cellulaire lors de l’exposition à des conditions hostiles très diverses, notamment celles rencontrées pendant les processus infectieux, elles favorisent la croissance des bactéries virulentes chez leur hôte. La modulation directe d’authentiques facteurs de pathogénicité par la protéolyse ATP-dépendante suggérée par les données récentes obtenues chez L. monocytogenes ouvre de nouvelles perspectives de recherche. Ainsi, il est envisageable que, dans un avenir proche, l’étude des protéases de bactéries pathogènes permette d’identifier de nouveaux facteurs de virulence, cibles potentielles pour des thérapeutiques antiinfectieuses innovantes. Références 1. Ben-Zvi AP, Goloubinoff P. Review : mechanisms of disaggregation and refolding of stable protein aggregates by molecular chaperones. J Struct Biol 2001 ; 135 : 84-93. 2. Gottesman S. Regulation by proteolysis : developmental switches. Curr Opin Microbiol 1999 ; 2 : 142-7. 3. Msadek T. 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