L’élimination des protéines anormales,
élément-clé de la réponse au stress
La plupart des bactéries ont développé au cours de l’évo-
lution des réponses moléculaires rapides qui leur permet-
tent de survivre aux conditions hostiles auxquelles elles
sont exposées au cours de leur vie saprophytique. Elles
supportent ainsi des écarts de température, des carences
nutritionnelles, des variations de pH et d’osmolarité, des
stress chimiques ou encore la compétition d’autres micro-
organismes. Un réseau complexe et finement régulé de
protéines effectrices s’est constitué pour maintenir la via-
bilité cellulaire lors de l’exposition au stress, en prévenant
notamment l’accumulation délétère de protéines endom-
magées. Chez Escherichia coli et Bacillus subtilis, ainsi
sans doute que chez la plupart des espèces bactériennes,
c’est l’induction d’homologues des heat shock proteins
(Hsp) eucaryotes qui permet le recyclage des protéines
dénaturées par des conditions hostiles. Ces enzymes agis-
sent selon l’état d’altération des protéines, soit en restau-
rant une conformation active (action des « chaperoni-
nes »), soit en assurant leur protéolyse (action des
protéases). Ce contrôle de qualité des protéines est néces-
saire au maintien du fonctionnement des voies physiologi-
ques essentielles des bactéries agressées. Chez les bacté-
ries pathogènes, ces mécanismes peuvent être mis à profit
pour résister à la réponse de l’hôte infecté, et sont même
indispensables à l’expression de la virulence de certaines
espèces.
Les chaperonines :
dissociation des agrégats
et remodelage des protéines
Les principales protéines impliquées dans le remodelage
de protéines anormales [1] sont les chaperonines GroEL et
DnaK, équivalents respectifs chez E. coli des Hsp60 et
Hsp70 eucaryotes, et les chaperonines-ATPases homolo-
gues des Hsp100 eucaryotes HslU, ClpA, ClpX, ClpC,
ClpE, ClpB, ClpR{Ces dernières, ou « Clp-ATPases »,
sont réunies avec la protéase ClpP sous le vocable de
caseinolytic proteins bien que seule ClpP soit dotée d’acti-
vité protéasique sensu stricto.
Chez E. coli, GroEL prend en charge des protéines anor-
malement repliées ou dénaturées et leurs agrégats insolu-
bles, ainsi que des chaînes polypeptidiques non repliées.
Associée à la protéine GroES, GroEL assure la dissocia-
tion des agrégats et la restauration d’une conformation
active de ces substrats. Chez la bactérie pathogène Listeria
monocytogenes, cette activité « chaperonne » est indispen-
sable à l’expression de la virulence, et la transcription du
gène groEL est fortement accrue lors de l’infection.
DnaK et ses cofacteurs DnaJ et GrpE ont une activité
similaire à celle de GroESL (y compris la dissociation
d’agrégats protéiques toxiques), mais qui s’exerce sur des
substrats différents. De plus, chez E. coli, DnaK intervient
lors de la dégradation de certains substrats par les protéa-
ses Lon ou FtsH. Il existe un homologue de dnaK chez
plusieurs espèces pathogènes, dont le rôle n’est qu’incom-
plètement élucidé.
Les homologues bactériens des Hsp100 (ClpA, ClpX,
ClpC, ClpE, ClpL, ClpB, HslU{) forment un groupe
d’ATPases très conservées à activité chaperonne. Assem-
blées en hexamères, elles catalysent le dépliement de subs-
trats protéiques spécifiques. Les polypeptides libérés peu-
vent alors connaître deux sorts distincts, soit un
remodelage en protéine native, soit une dégradation si leur
structure est irrémédiablement altérée (figure 1). Cette
dégradation est alors assurée par des complexes qui asso-
cient une Clp-ATPase et ClpP ou HslU et la protéase HslV.
La protéolyse ATP-dépendante
chez les bactéries
La protéolyse est un élément fondamental de la régulation
des processus métaboliques et de la réponse cellulaire aux
stimuli environnementaux. Elle contrôle les voies métabo-
liques, notamment en modulant les quantités des protéines
régulatrices. Chez les procaryotes et les organites cellulai-
res d’origine procaryote comme les mitochondries ou les
chloroplastes, l’essentiel de l’activité protéolytique est as-
surée par des protéases ATP-dépendantes. Ces enzymes
jouent un rôle central dans de nombreuses cascades régu-
latrices [2, 3] et sont indispensables à l’élimination des
protéines anormales continuellement produites par déna-
turation spontanée, erreurs de biosynthèse ou accumula-
tion de mutations. Leur action est particulièrement vitale
lors de l’exposition bactérienne aux stress qui détériorent
les protéines. La plupart des protéases sont d’ailleurs in-
ductibles par ces stress pour prévenir l’accumulation de
polypeptides anormaux potentiellement toxiques et main-
tenir ainsi l’homéostasie cellulaire et les activités métabo-
liques de la bactérie.
Les cinq principales protéases ATP-dépendantes caractéri-
sées chez E. coli sont ClpAP, ClpXP, HslUV, Lon et la
protéase membranaire FtsH. Des homologues de ces pro-
téases ont été identifiés chez la plupart des espèces bacté-
riennes. Leurs substrats restent largement méconnus. Quel-
ques protéines et polypeptides naturels ou semi-
synthétiques spécifiquement dégradés par l’une ou l’autre
ont néanmoins été identifiés, ce qui a permis d’appréhen-
der les mécanismes par lesquels les substrats sont recon-
nus, captés puis transformés. Il est ainsi possible d’établir
un schéma de la protéolyse, commun à toutes les protéases
ATP-dépendantes, dans lequel la reconnaissance du subs-
revue générale
Ann Biol Clin, vol. 62, n° 1, janvier-février 20048
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