Lymphome primitif de la thyroïde (à propos de deux cas)

CAS CLINIQUE
268 | La Lettre du Cancérologue Vol. XVII - n°6 - juin 2008
Lymphome primitif
de la thyroïde
propos de deux cas)
Primary thyroid lymphoma (a report of two cases)
A. Benhammou*, N. Dib*, H. Mesbah*, N. Nazih*, M. Boulaadas*, L. Essakali*, M. Kzadri*
* Service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale, Hôpital des spécialités, CHU Rabat-Salé,
Rabat, Maroc.
Le lymphome non hodgkinien primitif constitue au sein des
tumeurs thyroïdiennes une entité anatomo-clinique rare.
Il ne représente que 1% à 8% des tumeurs malignes de
cette glande et moins de 5% des lymphomes extraganglionnaires
(1-3).
La symptomatologie et l’imagerie ne sont pas spécifiques, de
sorte que le diagnostic repose sur l’étude histologique et immuno-
histochimique. Le lymphome non hodgkinien primitif de la thyroïde
étant une tumeur hautement curable, il est important d’en faire
le diagnostic et de proposer un traitement adéquat.
Nous rapportons deux cas, de présentations cliniques très diffé-
rentes, et rappelons à cette occasion ses principaux éléments clini-
ques, radiologiques, histologiques, thérapeutiques et évolutifs.
Observations
Observation n° 1
Mme T.L., âgée de 54 ans et ne présentant pas d’antécédents
notables, a été hospitalisée pour la prise en charge d’un volumineux
goitre. Connu depuis environ 8 mois, il a rapidement augmenté
de volume au cours des dernières semaines. La patiente se plai-
gnait de douleurs cervicales et d’une dyspnée d’effort, mais ni de
dysphonie ni de dysphagie.
Il existait cliniquement une volumineuse tuméfaction de la face
antérieure du cou (figure 1), de consistance ferme, indolore, fixée
par rapport aux plans profonds, avec une circulation veineuse
collatérale. Le reste de l’examen ORL était sans particularité; la
laryngoscopie indirecte montrait des cordes vocales de mobilité
conservée. L’appréciation des aires ganglionnaires cervicales était
rendue impossible par la taille de la tumeur.
Le cliché de thorax standard montrait une volumineuse opacité
cervico-médiastinale, contenant des calcifications et respon-
sable d’une déviation de la trachée cervicale et thoracique vers
la gauche.
La tomodensitométrie (TDM) cervicale en coupe axiale avec injec-
tion de produit de contraste objectivait un volumineux processus
tumoral thyroïdien hypodense, de 14 cm de grand axe, prenant le
contraste de façon hétérogène, refoulant la trachée et l’œsophage
en arrière et à gauche, et plongeant dans le médiastin antérieur
jusqu’à la crosse aortique (figure 2).
Biologiquement, il existait un syndrome inflammatoire, mais le
dosage des hormones thyroïdiennes était normal.
Du fait du caractère inextirpable de la masse, une biopsie
chirurgicale a été décidée d’emblée. Lexamen histologique
couplé à une étude immunohistochimique était en faveur d’un
lymphome non hodgkinien diffus à grandes cellules de phéno-
type B (figure 3). Malgré le traitement entrepris en urgence,
l’évolution a été rapidement défavorable du fait de la survenue
d’une dyspnée aiguë par compression trachéale, responsable
du décès par asphyxie.
Observation n° 2
Mme F.B., âgée de 65 ans a été hospitalisée dans le service ORL
pour la prise en charge d’une adénopathie jugulo-carotidienne
gauche apparue 2 mois plus tôt. Le seul antécédent notable était
un goitre multihétéronodulaire évoluant depuis plusieurs années.
Figure 1. Volumineuse masse cervicale antérieure.
Figure 2. TDM en coupe axiale montrant un énorme goitre refoulant l’axe aéro-
digestif.
Figure 3. Lymphome thyroïdien à grandes cellules de type B (coloration à l’hémato-
xyline éosine safran, grossissement x 400).
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Le reste de l’examen clinique était normal. Léchographie cervi-
cale a révélé la présence de plusieurs nodules hypoéchogènes
hétérogènes au sein de la glande thyroïde, sans calcifications
ni végétations, de taille variable, dont le plus volumineux était
situé dans le lobe gauche et mesurait 6 cm de grand axe. Elle a
également mis en évidence la présence de 2 adénopathies jugulo-
carotidiennes gauches homogènes, ovoïdes, de 10 mm de grand
axe. Les dosages hormonaux ne montraient pas de dysthyroïdie.
La recherche d’anticorps antithyroglobuline était négative.
Une exploration thyroïdienne chirurgicale avec adénectomie et
analyse histologique extemporanée a été décidée. Lexploration
chirurgicale n’a pas montré d’adénopathies des chaînes récur-
rentielles. Les adénopathies jugulo-carotidiennes nétaient pas
fixées, leur taille était inférieure à 2 cm. L’examen extemporané
du prélèvement ganglionnaire était en faveur d’une adénite réac-
tionnelle. Une thyroïdectomie a été effectuée. Lexamen histolo-
gique de la pièce opératoire a mis en évidence une prolifération
lymphomateuse CD20+, dont le profil immuno-histochimique
était en faveur d’un lymphome de type MALT (tissu lymphoïde
associé aux muqueuses). La patiente a été adressée en oncologie
pour radiothérapie complémentaire.
Discussion
Le lymphome non hodgkinien primitif de la thyroïde est une entité
rare. La majorité d’entre eux se développent au cours de l’évolution
d’une thyroïdite auto-immune (thyroïdite de Hashimoto) [1-3].
Il touche surtout des sujets âgés, après la sixième décennie, avec
une nette prédominance féminine (sex-ratio H/F supérieur à 1/3).
La symptomatologie clinique est représentée le plus souvent
par un goitre de volume important, d’évolution rapide avec des
signes de compression posant un problème de diagnostic diffé-
rentiel avec le cancer anaplasique (2). Il est important de faire le
diagnostic, dans la mesure du possible, avant l’intervention ou
au cours de l’intervention, afin d’éviter la thyroïdectomie. Il en
existe diverses formes histologiques, indolentes ou agressives.
La plus fréquente est le lymphome B diffus à grandes cellules,
associé ou non à un lymphome du MALT (3-5). Les lymphomes du
MALT de forme indolente sont plus rares, et leur développement
est plus lent (5-7).
La présentation clinique est polymorphe, mais le plus souvent
évocatrice d’une tumeur maligne de la thyroïde. Il s’agit généra-
lement d’un nodule thyroïdien ayant augmenté rapidement de
volume, avec des signes de compression locorégionale, à type
de dysphonie, de dysphagie ou même de dyspnée (3), comme
dans notre première observation. Le risque de décompensa-
Résumé
Le lymphome primitif de la thyroïde est une tumeur rare qui n’a pas de spécificité clinique et paraclinique.
Son diagnostic est histologique. Le traitement repose sur la chimiothérapie, les anticorps monoclonaux
et la radiothérapie. En revanche, la chirurgie d’exérèse ne modifie pas le pronostic et doit être évitée
lorsque le diagnostic peut être obtenu avant ou pendant l’intervention. Nous nous proposons de faire
le point sur cette pathologie à propos de deux cas de présentations cliniques différentes.
Summary
Primary lymphoma of the thyroid is a rare tumour, with no clinical and paraclinical specificity. The diagnosis
is histological. Treatment is based on chemotherapy, monoclonal antibody and radiotherapy. The surgery
must be avoided when the diagnosis can be obtained before or during the intervention. We propose to
give a progress report on this pathology, with two cases of different clinical presentation.
Mots-clés
Lymphome
extraganglionnaire
Thyroïde
Chimiothérapie
Radiothérapie
Rituximab
Keywords
Extraganglionnary lymphoma
Thyroid
Chemotherapy
Radiotherapy
Rituximab
CAS CLINIQUE
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tion asphyxique brutale est réel. À la palpation, la thyroïde est
globalement augmentée de volume, est multinodulaire ou, plus
rarement, le siège d’un seul nodule. Elle est souvent ferme, voire
dure et parfois fixée. Des adénopathies cervicales sont présentes
dans environ 20% des cas. Plus rarement, il existe une paralysie
récurrentielle objectivée par la laryngoscopie indirecte. L’hypo-
thyroïdie est présente dans 40 % des cas, du fait d’une pathologie
thyroïdienne préexistante, notamment une thyroïdite auto-
immune lymphocytaire chronique (2, 3). Léchographie retrouve
une masse hypoéchogène hétérogène, et permet de rechercher
des adénopathies cervicales associées. La TDM est très utile dans
le cadre du bilan d’extension locorégional, notamment au niveau
ganglionnaire et médiastinal. La cytoponction à l’aiguille fine est
de plus en plus utilisée dans le cadre des tumeurs thyroïdiennes.
Elle est très utile pour orienter le diagnostic, mais une biopsie
chirurgicale est presque toujours nécessaire pour confirmer et
préciser le diagnostic (6, 7).
Sur le plan macroscopique, la tumeur est molle ou ferme, lobulée,
multinodulaire ou diffuse, solide ou parfois kystique, avec fréquem-
ment des foyers hémorragiques et nécrotiques, présentant un
aspect de “chair de poisson”. La lésion est habituellement bien
limitée mais non encapsulée, pouvant envahir le tissu périthyroï-
dien dans 50 à 60 % des cas (1).
La classification des lymphomes thyroïdiens répond à celle des
autres lymphomes non hodgkiniens lymphoïdes (8). La plupart
d’entre eux sont d’immunophénotype B, CD20+. La présence du
virus d’Epstein-Barr a été détectée dans certains cas. L’association
à d’autres lymphomes du MALT, en particulier du tube digestif,
n’est pas rare, justifiant une recherche systématique (2-4, 6). Les
lymphomes T primitifs thyroïdiens sont exceptionnels.
Dans les formes de lymphome thyroïdien du MALT de bas grade, les
lésions peuvent être difficiles à distinguer de l’infiltration lympho-
cytaire de la thyroïdite de Hashimoto à partir de laquelle elles
peuvent se développer (4-6, 9). Le lymphome folliculaire primitif
de la thyroïde est exceptionnel.
Le traitement doit être adapté à la forme histologique et à l’Index
pronostique international (âge, indice de performance, taux des
LDH, nombre de sites extraganglionnaires, stade). Il repose sur la
radiothérapie, la chimiothérapie ou l’association des deux. La thyroï-
dectomie totale ne modifie pas le pronostic et doit être évitée dès
lors que le diagnostic a pu être fait à temps (10). La chimiothérapie
de référence est le classique schéma CHOP, associé au rituximab
dans les formes CD20+, par analogie avec les autres lymphomes
non hodgkiniens, même si la rareté de l’affection fait obstacle à des
études randomisées spécifiques. Elle est habituellement complétée
par une irradiation plus ou moins étendue. Toutefois, comme dans
les autres lymphomes localisés, certaines équipes préconisent de
renoncer à l’irradiation pour privilégier une chimiothérapie exclusive.
L’irradiation seule peut être utilisée dans les formes de bas grade.
Le pronostic global des lymphomes thyroïdiens primitifs est favo-
rable, avec une survie à 10 ans de plus de 80% dans les formes
localisées (11).
Conclusion
Le lymphome malin primitif de la thyroïde est une tumeur rare,
qu’il faut évoquer devant toute augmentation rapide du volume de
la glande, a fortiori en cas de thyroïdite de Hashimoto préexistante.
Létude anatomopathologique permet de poser le diagnostic et de
différencier les types histologiques, notamment les lymphomes
de type MALT et les lymphomes non MALT. La radiothérapie,
l’immunothérapie et la chimiothérapie constituent les traitements
de référence. O
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