CAS CLINIQUE Lymphome primitif de la thyroïde (à propos de deux cas) Primary thyroid lymphoma (a report of two cases) A. Benhammou*, N. Dib*, H. Mesbah*, N. Nazih*, M. Boulaadas*, L. Essakali*, M. Kzadri* L e lymphome non hodgkinien primitif constitue au sein des tumeurs thyroïdiennes une entité anatomo-clinique rare. Il ne représente que 1 % à 8 % des tumeurs malignes de cette glande et moins de 5 % des lymphomes extraganglionnaires (1-3). La symptomatologie et l’imagerie ne sont pas spécifiques, de sorte que le diagnostic repose sur l’étude histologique et immunohistochimique. Le lymphome non hodgkinien primitif de la thyroïde étant une tumeur hautement curable, il est important d’en faire le diagnostic et de proposer un traitement adéquat. Nous rapportons deux cas, de présentations cliniques très différentes, et rappelons à cette occasion ses principaux éléments cliniques, radiologiques, histologiques, thérapeutiques et évolutifs. Observations Observation n° 1 Mme T.L., âgée de 54 ans et ne présentant pas d’antécédents notables, a été hospitalisée pour la prise en charge d’un volumineux goitre. Connu depuis environ 8 mois, il a rapidement augmenté de volume au cours des dernières semaines. La patiente se plaignait de douleurs cervicales et d’une dyspnée d’effort, mais ni de dysphonie ni de dysphagie. Il existait cliniquement une volumineuse tuméfaction de la face antérieure du cou (figure 1), de consistance ferme, indolore, fixée par rapport aux plans profonds, avec une circulation veineuse * Service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale, Hôpital des spécialités, CHU Rabat-Salé, Rabat, Maroc. 268 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 6 - juin 2008 collatérale. Le reste de l’examen ORL était sans particularité ; la laryngoscopie indirecte montrait des cordes vocales de mobilité conservée. L’appréciation des aires ganglionnaires cervicales était rendue impossible par la taille de la tumeur. Le cliché de thorax standard montrait une volumineuse opacité cervico-médiastinale, contenant des calcifications et responsable d’une déviation de la trachée cervicale et thoracique vers la gauche. La tomodensitométrie (TDM) cervicale en coupe axiale avec injection de produit de contraste objectivait un volumineux processus tumoral thyroïdien hypodense, de 14 cm de grand axe, prenant le contraste de façon hétérogène, refoulant la trachée et l’œsophage en arrière et à gauche, et plongeant dans le médiastin antérieur jusqu’à la crosse aortique (figure 2). Biologiquement, il existait un syndrome inflammatoire, mais le dosage des hormones thyroïdiennes était normal. Du fait du caractère inextirpable de la masse, une biopsie chirurgicale a été décidée d’emblée. L’examen histologique couplé à une étude immunohistochimique était en faveur d’un lymphome non hodgkinien diffus à grandes cellules de phénotype B (figure 3). Malgré le traitement entrepris en urgence, l’évolution a été rapidement défavorable du fait de la survenue d’une dyspnée aiguë par compression trachéale, responsable du décès par asphyxie. Observation n° 2 Mme F.B., âgée de 65 ans a été hospitalisée dans le service ORL pour la prise en charge d’une adénopathie jugulo-carotidienne gauche apparue 2 mois plus tôt. Le seul antécédent notable était un goitre multihétéronodulaire évoluant depuis plusieurs années. Mots-clés Résumé Le lymphome primitif de la thyroïde est une tumeur rare qui n’a pas de spécificité clinique et paraclinique. Son diagnostic est histologique. Le traitement repose sur la chimiothérapie, les anticorps monoclonaux et la radiothérapie. En revanche, la chirurgie d’exérèse ne modifie pas le pronostic et doit être évitée lorsque le diagnostic peut être obtenu avant ou pendant l’intervention. Nous nous proposons de faire le point sur cette pathologie à propos de deux cas de présentations cliniques différentes. Summary Primary lymphoma of the thyroid is a rare tumour, with no clinical and paraclinical specificity. The diagnosis is histological. Treatment is based on chemotherapy, monoclonal antibody and radiotherapy. The surgery must be avoided when the diagnosis can be obtained before or during the intervention. We propose to give a progress report on this pathology, with two cases of different clinical presentation. Figure 1. Volumineuse masse cervicale antérieure. Lymphome extraganglionnaire Thyroïde Chimiothérapie Radiothérapie Rituximab Keywords Extraganglionnary lymphoma Thyroid Chemotherapy Radiotherapy Rituximab Le reste de l’examen clinique était normal. L’échographie cervicale a révélé la présence de plusieurs nodules hypoéchogènes hétérogènes au sein de la glande thyroïde, sans calcifications ni végétations, de taille variable, dont le plus volumineux était situé dans le lobe gauche et mesurait 6 cm de grand axe. Elle a également mis en évidence la présence de 2 adénopathies jugulocarotidiennes gauches homogènes, ovoïdes, de 10 mm de grand axe. Les dosages hormonaux ne montraient pas de dysthyroïdie. La recherche d’anticorps antithyroglobuline était négative. Une exploration thyroïdienne chirurgicale avec adénectomie et analyse histologique extemporanée a été décidée. L’exploration chirurgicale n’a pas montré d’adénopathies des chaînes récurrentielles. Les adénopathies jugulo-carotidiennes n’étaient pas fixées, leur taille était inférieure à 2 cm. L’examen extemporané du prélèvement ganglionnaire était en faveur d’une adénite réactionnelle. Une thyroïdectomie a été effectuée. L’examen histologique de la pièce opératoire a mis en évidence une prolifération lymphomateuse CD20+, dont le profil immuno-histochimique était en faveur d’un lymphome de type MALT (tissu lymphoïde associé aux muqueuses). La patiente a été adressée en oncologie pour radiothérapie complémentaire. Discussion Figure 2. TDM en coupe axiale montrant un énorme goitre refoulant l’axe aérodigestif. Figure 3. Lymphome thyroïdien à grandes cellules de type B (coloration à l’hématoxyline éosine safran, grossissement x 400). Le lymphome non hodgkinien primitif de la thyroïde est une entité rare. La majorité d’entre eux se développent au cours de l’évolution d’une thyroïdite auto-immune (thyroïdite de Hashimoto) [1-3]. Il touche surtout des sujets âgés, après la sixième décennie, avec une nette prédominance féminine (sex-ratio H/F supérieur à 1/3). La symptomatologie clinique est représentée le plus souvent par un goitre de volume important, d’évolution rapide avec des signes de compression posant un problème de diagnostic différentiel avec le cancer anaplasique (2). Il est important de faire le diagnostic, dans la mesure du possible, avant l’intervention ou au cours de l’intervention, afin d’éviter la thyroïdectomie. Il en existe diverses formes histologiques, indolentes ou agressives. La plus fréquente est le lymphome B diffus à grandes cellules, associé ou non à un lymphome du MALT (3-5). Les lymphomes du MALT de forme indolente sont plus rares, et leur développement est plus lent (5-7). La présentation clinique est polymorphe, mais le plus souvent évocatrice d’une tumeur maligne de la thyroïde. Il s’agit généralement d’un nodule thyroïdien ayant augmenté rapidement de volume, avec des signes de compression locorégionale, à type de dysphonie, de dysphagie ou même de dyspnée (3), comme dans notre première observation. Le risque de décompensaLa Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 6 - juin 2008 | 269 CAS CLINIQUE tion asphyxique brutale est réel. À la palpation, la thyroïde est globalement augmentée de volume, est multinodulaire ou, plus rarement, le siège d’un seul nodule. Elle est souvent ferme, voire dure et parfois fixée. Des adénopathies cervicales sont présentes dans environ 20 % des cas. Plus rarement, il existe une paralysie récurrentielle objectivée par la laryngoscopie indirecte. L’hypothyroïdie est présente dans 40 % des cas, du fait d’une pathologie thyroïdienne préexistante, notamment une thyroïdite autoimmune lymphocytaire chronique (2, 3). L’échographie retrouve une masse hypoéchogène hétérogène, et permet de rechercher des adénopathies cervicales associées. La TDM est très utile dans le cadre du bilan d’extension locorégional, notamment au niveau ganglionnaire et médiastinal. La cytoponction à l’aiguille fine est de plus en plus utilisée dans le cadre des tumeurs thyroïdiennes. Elle est très utile pour orienter le diagnostic, mais une biopsie chirurgicale est presque toujours nécessaire pour confirmer et préciser le diagnostic (6, 7). Sur le plan macroscopique, la tumeur est molle ou ferme, lobulée, multinodulaire ou diffuse, solide ou parfois kystique, avec fréquemment des foyers hémorragiques et nécrotiques, présentant un aspect de “chair de poisson”. La lésion est habituellement bien limitée mais non encapsulée, pouvant envahir le tissu périthyroïdien dans 50 à 60 % des cas (1). La classification des lymphomes thyroïdiens répond à celle des autres lymphomes non hodgkiniens lymphoïdes (8). La plupart d’entre eux sont d’immunophénotype B, CD20+. La présence du virus d’Epstein-Barr a été détectée dans certains cas. L’association à d’autres lymphomes du MALT, en particulier du tube digestif, n’est pas rare, justifiant une recherche systématique (2-4, 6). Les lymphomes T primitifs thyroïdiens sont exceptionnels. Dans les formes de lymphome thyroïdien du MALT de bas grade, les lésions peuvent être difficiles à distinguer de l’infiltration lympho- cytaire de la thyroïdite de Hashimoto à partir de laquelle elles peuvent se développer (4-6, 9). Le lymphome folliculaire primitif de la thyroïde est exceptionnel. Le traitement doit être adapté à la forme histologique et à l’Index pronostique international (âge, indice de performance, taux des LDH, nombre de sites extraganglionnaires, stade). Il repose sur la radiothérapie, la chimiothérapie ou l’association des deux. La thyroïdectomie totale ne modifie pas le pronostic et doit être évitée dès lors que le diagnostic a pu être fait à temps (10). La chimiothérapie de référence est le classique schéma CHOP, associé au rituximab dans les formes CD20+, par analogie avec les autres lymphomes non hodgkiniens, même si la rareté de l’affection fait obstacle à des études randomisées spécifiques. Elle est habituellement complétée par une irradiation plus ou moins étendue. Toutefois, comme dans les autres lymphomes localisés, certaines équipes préconisent de renoncer à l’irradiation pour privilégier une chimiothérapie exclusive. L’irradiation seule peut être utilisée dans les formes de bas grade. Le pronostic global des lymphomes thyroïdiens primitifs est favorable, avec une survie à 10 ans de plus de 80 % dans les formes localisées (11). Conclusion Le lymphome malin primitif de la thyroïde est une tumeur rare, qu’il faut évoquer devant toute augmentation rapide du volume de la glande, a fortiori en cas de thyroïdite de Hashimoto préexistante. L’étude anatomopathologique permet de poser le diagnostic et de différencier les types histologiques, notamment les lymphomes de type MALT et les lymphomes non MALT. La radiothérapie, l’immunothérapie et la chimiothérapie constituent les traitements de référence. O Références bibliographiques 1. Ruggiero FP, Frauenhoffer E, Stack BC Jr. Thyroid lymphoma: a single institution’s experience. Otolaryngol Head Neck Surg 2005;133:888-96. 2. Matsuzuka F, Miyauchi A, Katayama S et al. Clinical aspects of primary thyroid lymphoma: diagnosis and treatment based on our experience of 119 cases. Thyroid 1993;3:93-9. 3. 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