INCA- 14janvier 2016

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Travailler avec une maladie
chronique
Dominique LHUILIER
CRTD-CNAM
[email protected]
Introduction
• La plupart des recherches privilégie un type de maladie chronique
et n’offre pas de perspectives comparatives permettant de
dégager des problématiques communes et des spécificités.
• Prendre en compte différentes sphères d’activités et régulations
adaptatives et développementales: l’unité dialectique des activités
humaines = réarticuler vie de travail et vie hors travail pour étudier
leurs régulations
• Ces régulations ont une visée adaptative: prévenir la menace de
précarisation sanitaire et sociale (dégradation de l’état de santé,
perte de « l’employabilité »). Et une visée développementale:
accroître le pouvoir d’agir du sujet sur lui-même et sur son
environnement.
Vivre et travailler avec une maladie
chronique
• Une recherche qualitative
• Des entretiens individuels (87)et collectifs (10)
• Comparaisons entre 4 pathologies: cancer,
VHC, VIH, diabète
• Financée par l’ANRS
• Conduite par des chercheurs du CRTD-CNAM
• Un ouvrage à paraître Editions ERES (2016)
Diagnostic et annonce
Cancer
VHC
VIH
Diabète
A partir d’examens
de routine ou
consultations vu
symptômes
(attribués à fatigue/
stress, surmenage).
Diagnostic
synonyme
d’angoisse
majeure, de
profonde mise en
vulnérabilité
d’attentes ; Idée de
mort et rupture
biographique
La découverte du
VHC est toujours
fortuite: l’annonce
jamais anticipée
Absence de
connaissances sur
VHC et modes de
transmission.
Quête de sens,
d’informations, de
l’origine de la
maladie (mais écart
temporel entre la
contamination et le
diagnostic)
Tests de dépistage
Choc de la
révélation (soit lors
l’annonce ou
premiers
symptômes ou mise
sous traitement).
L’acceptation de la
maladie diffère
selon
l’appartenance à un
groupe social dit à
risque (gay,
toxicomane,
migrant) ou non.
Diagnostic effectué
de façon fortuite
et/ou à partir de
symptômes
particuliers
Réactions à
l’annonce variables
suivant l’âge :
enfance= absence
évocation des
difficultés
rencontrées/plus
tardivement=
renoncements,
réaménagement du
mode de vie.
Traitements
cancer
VHC
VIH
Diabète
DES traitements.
Temporalité
spécifique :
interventions,
contrôle,
hospitalisations,
consultations
Un « travail à
temps plein » .La
rémission n’est pas
la guérison :
l’ombre de la
récidive. Guérison
maladie n’est pas
guérison du
trauma.
Longtemps
silencieuse,
traitement différé.
Entrée dans
traitement laissée à
la décision du
patient
Le « bon moment
»: incidences sur la
vie professionnelle
et familiale,
ressources
physiques et
psychiques.
Effets
collatéraux du
traitement.
Expérience des
progrès dans le
traitement du VIH :
peu d’effets
secondaires.
Différencier le
avant/après
trithérapies.
Infections
opportunistes,
comorbidités,
symptômes du
vieillissement à
traiter aussi
Contrôle
permanent taux
glycémie.
Observance
durable difficile.
Une activité = un
apprentissage
important
Décalage entre
visions des
soignants/celles des
malades : vivre
« normalement »=
méconnaissance de
la réalité de la vie
sous traitement.
Travail de santé
cancer
VHC
VIH
diabète
Prise en charge
médicale=délégatio
n, voire régression.
« S’écouter » pour
se ménager.
« Prendre soin de
soi » et se protéger
des autres
« Se sentir vivant
malgré tout » :
l’entretien de la
vitalité
Apprentissages qui
peuvent se
transmettre entre
pairs.
Intense activité de
prospection
d'informations.
Construction de
savoirs et savoirfaire : écouter son
corps, interpréter
signaux, anticiper
troubles provoqués
par les
médicaments,
régler son mode de
vie.
Trouver « le bon
médecin »
Prendre soin de soi :
auto-observation.
Auto-prescriptions
Coordination
spécialités
médicales.Apprendr
e à faire avec
l’incertitude, les
fluctuations de
l’énergie et du
moral. Importance
de l’activité qui
permet de mettre
la maladie à
distance, à la
Un travail essentiel
ici; apprentissage
nécessaire :
formation à
l’insulinothérapie
fonctionnelle =
acquisition de
compétences pour
devenir autonome,
organiser la
compatibilité
traitement et mode
de vie.
Poids des exigences
au quotidien
Trajectoires professionnelles et
aménagement de son travail
cancer
VHC
VIH
diabète
Arrêts de travail
Ambivalence
maintien lien au
milieu de travail +
reprise du travail :
lien rassurant et
menaçant, désir et
craintes du retour.
Reprise du travail=
confrontation à
une double altérité,
à soi-même, aux
autres.
diag : absence
d’impact sur vie
professionnelle.
Rupture lors entrée
traitement.
Interrogation sur le
« dire /
taire »:arrêt de
travail inscrit la
maladie sur la
scène du travail.
L'impact de l'arrêt
dépend durée,
répétitivité, statut
d'emploi et qualité
des relations
professionnelles.
Changement de
métier et/ou de
conditions
d’emploi : visée
d’allègement des
contraintes du
travail et
d’accroissement des
mages de liberté.
Modification des
manières de
travailler, de gérer
son rythme de
travail tout au long
de la semaine ou de
la journée.
Absence
d’interruption de la
vie professionnelle
mais recherche
d’un travail qui
permette de
satisfaire aux
contraintes de la
maladie.
Jeunes= la maladie
déterminant de
l’orientation
professionnelle.
Autres=
réorientation des
trajectoires
professionnelles et
suite
cancer
VHC
VIH
diabète
Le retour au travail :
place perdue, à
reconquérir, à
reconstruire, à
déplacer ? = un
travail
d’emplacement
dans lequel
s’engager pour
trouver sa place et
pas seulement une
place.
Importance de
l’histoire
antérieure.
Retour :
aménagements
formels (ex :mitemps
thérapeutique) ou
informels, pour
réduire la charge de
travail
Ou rupture
(démission,
licenciement,
invalidité).
Cacher sa maladie
et troubles et
consultations,
examens associés
Quête de stabilité
de l’emploi et des
conditions de
travail (régularité
des horaires et
rythmes de travail
dans l’activité),
anticipation,
prévention du
stress.
Le travail comme
moyen de se
décentrer de la
maladie, de la
mettre à distance
Transformations du rapport au temps,
à soi, aux autres
cancer
VHC
VIH
diabète
Métamorphose de
soi :déconstruction,
reconstruction; la
figure de la mort.
Une expérience
traumatique = des
séquelles
manifestes.
L’urgence vitale
redistribue les
engagements : se
concentrer sur ce
travail de
résistance sur la
construction d’une
nouvelle « allure de
vie ».
Transformations
temporaires ou
durables.
L’ambivalence à
l’égard du
vieillissement : un
luxe, un cadeau/
voir son corps de
dégrader, voir les
stigmates du temps
écoulé
Etre vieux avant
l’âge : brouillage
des temps
chronologiques,
des catégories
d’âge=
interrogation sur la
définition du
vieillissement
Une chronicité sans
perspective
d’évolution.
L'expérience de la
maladie =
restrictions,
renoncements
mais aussi gains.
La nécessité de
vivre avec
modération,
réévaluer la place à
accorder au travail
dans la vie, mesurer
son implication.
La guérison n'est
pas synonyme de
retour à l'état
antérieur.
L'expérience de la
maladie est
synonyme de
pertes mais aussi
de gains :
« opportunité »
d'une réévaluation
de sa vie passée
suite
cancer
Un soi affaibli +
grandi :être abîmé,
fragilisé/les
« bénéfices
secondaires » de la
maladie : ce qu’elle
a contribué à
révéler, à faire
découvrir, ce qu’elle
a permis
d’apprendre,
d’expérimenter.
Recentrement sur
soi et distance des
autres.
VHC
VIH
diabète
Vieillissement et
discriminations : un
stigmate de plus ou
une nouvelle
expérience du
stigmate, visible
celui-là.
Pertes associées au
vieillissement à la
maladie mais aussi
gains : l’émergence
de nouveaux
modèles de vie.
Isolement social,
difficultés
socioéconomiques
des femmes
Intensification du
rapport à soi :
nécessité de
s’observer, d’être
attentif à sa santé
et son alimentation.
Complexification
du rapport aux
autres :
comment accepter
d’être différent sans
renoncer à être
comme les autres ?
Réduction de
l’acceptation de la
différence dans les
milieux de travail.
Des problématiques transversales aux
maladies chroniques
• Transformation du rapport au temps, à l’action,
à soi-même, aux autres.
• Pour les personnes atteintes de maladies
chroniques, l’horizon n’est pas la guérison mais la
viabilité d’une vie, dans la conscience de la
fragilité. La vie est modifiée par l’événement
qu’est la maladie et qui implique une vie autre,
marquée par des ruptures biographiques, par la
labilité des états psychiques et somatiques, par
une précarité vitale et sociale.
Une tension qui contribue à l’usure
- Une vie traversée par des tendances contradictoires. La maladie =
réduction des possibles, ralentissement de l’existence, désocialisation /
exaltation des désirs, intensification du rapport à soi et aux autres,
accélération du temps de l’exister.
- Des régulations, arbitrages, compromis à construire et reconstruire en
fonction des évolutions, tant internes (de la pathologie, fluctuation des
ressources physiques, psychiques, usure et vieillissement…)
qu’externes (transformations du monde du travail et de ses exigences,
changement de métier, de poste de travail, d’activités, de collègues…).
- Ces changements affectent les manières de vivre et de faire, les
trajectoires professionnelles, les projets de vie, les équilibres construits
entre les différentes sphères d’activités
- Ajustements biographiques: actions entreprises par les personnes
malades pour retenir et/ou regagner un certain degré de contrôle de
leurs biographies rendues discontinues par la maladie
Travail de santé
• Des activités de soin ( care et cure) de soi,
auto-prescriptions qui règlent le style et
l’hygiène de vie, réorganisation du travail
demandé par la prescription médicale pour
ajuster à la fois aux exigences et contraintes
des autres sphères d’activités et aux désirs et
aspirations du sujet.
Aménagements des activités
professionnelles
• Le milieu professionnel = le cadre où se déploie ce travail de santé. Il
oriente, transforme les activités professionnelles
- aménagements des rythmes et horaires de travail (formels et informels)
, évitement des tâches les plus éprouvantes physiquement, stratégies
de compensation des altérations fonctionnelles, de la fluctuation des
ressources productives, réévaluation des urgences et priorités,
réduction de l’exposition à des risques pour soi et pour autrui,
composition avec les jugements des autres (suspicion)
. Le poids du secret = une impossible gestion partagée dans les milieux
de travail de la compatibilité état de santé / activité professionnelle =
un coût physique et psychique très lourd.
L’activité de dissimulation et de gestion solitaire de l’ajustement à / de
l’activité et du maintien au travail est source d’usure, d’épuisement, de
précarisation de la santé somato-psychique et d’isolement.
Les activités de recherche d’emploi
• La maladie chronique peut conduire à un réaménagement des
projets et situations professionnelles, comme elle peut orienter les
choix de formation et de métiers = des activités de
réaménagements en quête de constructions de compromis entre
exigences contradictoires : continuité / rupture, préservation de soi
/ développement de soi, altérité / conformité…
• Les activités de recherche d’emploi = usage des dispositifs
d’accompagnement (de droit commun ou spécifiques au
« handicap »), et des démarches personnelles prospectives.
• Au cœur de ses activités se situent l’épreuve du dévoilement : la
présentation du parcours = risque de la révélation de la maladie
ou de la réduction de soi au « déficit » supposé par le recours aux
dispositifs spécialisés (inaptitude, handicap…).
Maintien dans l’activité
professionnelle et usure
• Apprendre à construire et utiliser les ressources
pertinentes comme à esquiver ou limiter les
contraintes du contexte de travail est un
processus qui dépend de la possibilité de
construire des marges de manœuvre dans et
entre sphères d’activités. Il n’est pas sans coût
• L’épuisement, l’usure, peuvent favoriser le
passage vers la dépression et l’éviction du travail;
ils contribuent au vieillissement éprouvé.
À paraitre en février 2016
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