7ième AUTOMNALE de l’ETHIQUE en SANTE Fin de vie : préserver l’intime dans les choix sociétaux Jeudi 17 novembre 2016, Clermont Ferrand PROBLEMATIQUES ETHIQUES POSEES PAR UNE DEMANDE DE SEDATION en Unité de Soins Palliatifs (USP) Dr Pascale VASSAL Directeur adjoint de l’Espace de Réflexion Ethique Régional Rhône-Alpes (ERERRA) Chef du service de Soins Palliatifs, CHU Saint-Etienne INTRODUCTION PATIENT EN FIN DE VIE : GRANDE VULNERABILITE Parcours du patient : cancer, récidive,... Douleur, autres symptômes d’inconfort Souffrance psychique Souffrance sociale Souffrance spirituelle Espérance-désespérance Vie-mort Ambivalence Demande de sédation en unité de soins palliatifs : situation exceptionnelle, complexe et singulière Doute à ne pas confondre avec un septicisme paralysant (Jacques Ricot) , incertitude Questionnement et réflexion éthique La Sédation en médecine palliative : quels objectifs ? 1- Définition SFAP « Recherche par des moyens médicamenteux d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte de conscience. Son but est de diminuer ou de faire disparaitre la perception d’une situation vécue comme insupportable par le patient alors que tous les moyens [..] ont pu être proposés et/ou mise en œuvre sans permettre d’obtenir le soulagement escompté 1» La sédation en médecine palliative n’est pas une : - anxiolyse 2, 3 : apaisement de l’anxiété, midazolam benzodiazépine effet anxiolytique et sédatifs - anesthésie - analgésie 2 – V. Blanchet. Médecine Palliative 2014 3 – K. Keesmann. Médecine Palliative 2012 4 – M. Charpentier. Ethique & Santé 2014 5 – V. Gamblin. Ethique & Santé 2014 - euthanasie 4, 5 1- SITUATION CLINIQUE DE MME N. Mme N. 43 ans Mariée , IDE Deux fils : 10 et 13 ans Antécédents médicaux 2010 mutation génétique syndrome de Lynch Histoire de la maladie - Octobre 2015 : adénocarcinome gastrique avec métastases hépatiques et carcinose péritonéale synchrone - Novembre : - 1ière cure chimiothérapie - radiothérapie hémostatique Histoire de la maladie - Décembre : hémorragie massive, chirurgie en urgence (gastrectomie, splénectomie) - Décision de PEC palliative : rencontre EMASP - Janvier : RAD avec HAD - 10 jours plus tard : apparition de violentes douleurs abdominales persistantes - Demande réitérée d’une sédation faite à l’hôpital 26 janvier : hospitalisation en USP pour une sédation 2 - DILEMME ETHIQUE ….. La patiente demande une sédation Que faire ou ne pas faire ? Que décider ? ENJEUX ETHIQUES Respect de la vie Respect de la qualité de la vie Lorsque la qualité de la vie est trop gravement diminuée peut-on remettre en question la prévalence de la règle du respect de la vie ? ENJEUX ETHIQUES Peut-on soulager, au prix d’une altération de la vigilance et donc de la relation ? ENJEUX ETHIQUES Quelle FINALITÉ 6 ? - faire dormir ? - faire mourir ? Quelle finalité ? Art fourneret Quel BIEN pour Mme N. ? 6 – J.C Fondras Médecine palliative 2010 3 – QUE NOUS DIT LA LOI Art. L. 1110-5-2 du CSP « A la demande du patient d'éviter toute souffrance et de ne pas subir d'obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt de l'ensemble des traitements de maintien en vie, est mise en œuvre » « Art. L. 1110-5-2.du CSP lorsque qu’il est atteint d'une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements » « Art. L. 1110-5-2.du CSP La sédation profonde et continue associée à une analgésie [ ..] est mise en œuvre selon la procédure collégiale» 4 – REFLEXION et DEMARCHE ETHIQUE Le pronostic vital est-il engagé à court terme? Quelles situations 7 ? - aiguës à risque vital immédiat (hémorragies, détresses respiratoires asphyxiques) - où une décision d’arrêt des traitements de maintien en vie est prise (ex: ventilation artificielle). Mme N. - Affection grave et incurable - Incertitude du pronostic - Risque de penser le patient « par la fin » 7 - Recommandations SFAP 2009 Comment définir une symptôme réfractaire ? La souffrance est-elle réfractaire aux traitements? « Symptômes dont la perception est jugée insupportable par le patient et qui ne peuvent être soulagés en dépit des efforts obstinés pour trouver un protocole thérapeutique adapté sans compromettre la conscience du patient. » Comment évaluer le degré de souffrance « total pain » ? – Définir la souffrance : physique, psychologique, sociale, spirituelle, existentielle…. - Quelle(s) frontière(s) ? - Expression de la souffrance : - soumise à subjectivité - variable dans le temps - Non proportionnelle à un niveau de dégradation physiologique avancée Souffrance réfractaire ???? – Réfractaire…pour qui ? patiente, soignants, famille… – Réfractaire… à partir de quand ? – Peut‐on dissocier symptôme réfractaire et souffrance globale ? Mme N. Clinique : - indice de Karnofsky 10%, - cachexie, - écoulement de sang par 2 drains, - ventre dur douloureux, - asthénie intense, - ne peut ni marcher, ni manger - bouche sèche, malodorante, - hématomes diffus Douleurs jugées par : - la patiente insupportables - les soignants : - HAD : réfractaires - USP : ???? Est-on dans une obstination déraisonnable ? Face à l’incertitude, risque d’obstination déraisonnable si on propose : - autres traitements de la douleur - transfusion Quelle temporalité ? Temporalité propre des patients Temps normé et compté des soignants Temps de la fin de vie : temps ultime 8 8 - Chazot I. , Ethique & Santé. 2016 Mme N. Temporalité différente – patiente a cheminé dans sa demande - famille : Mme a parlé avec ses enfants, son mari – soignants de l’USP ne connaissent ni l’histoire de la maladie de la patiente, ni son histoire de vie Qui décide? Qui décide ? - patiente : autonomie - famille - soignants de l’HAD - soignants de l’USP - médecins Quelle responsabilité répondre de ? Procédure collégiale : Mme N. est autonome réunion pluriprofessionelle dit-elle ? médecins HAD, USP, soignants USP (capacité à décider) que nous - décision de non réanimation ni intervention chirurgicale partagée avec son médecin gastro entérologue - non influencée par son mari, sa famille - très heureuse d’avoir pu passer 10 jours à domicile dans des conditions satisfaisantes mais depuis 3 jours, douleur insupportable OUI MAIS…….. Est-on libre 9 ? La dépendance physique La détresse La douleur La souffrance L’angoisse de la mort proche – Zittoun R. Presse Med2016 René9MAGRITTE Pour les soignants, quelles sont les valeurs mises en jeu ? Tension…, paradoxe…, confrontation… 10 – Confrontation à l’autre, à sa souffrance, à son intimité – Confrontation à soi, aux limites à soulager, à accompagner – Confrontation à la volonté de maîtrise, à l’idéal d’un « bien mourir » 10 – V. Gamblin Ethique & Santé 2014 - Confrontation à ses propres souffrances, à ses doutes Soignants de l’USP Se sentent dépossédés, « prestataire de service » par la patiente et les soignants de l’HAD ? Difficultés : - d’accueillir la demande - de reconnaitre la souffrance de l’autre - de comprendre l’intime, la singularité et l’unicité de la patiente Relation juste • Relation juste : quel que soit la décision, il n’y aura ni arrêt des soins, ni abandon • Solidarité : • prodiguer des soins adaptés • soutien de son mari, ses enfants, ses proches • Respect du travail de chaque professionnel de santé : ville (HAD) et hôpital dans un travail ensemble NOMBREUSES QUESTIONS et INCERTITUDES EPILOGUE Décision d’une sédation Mais l’IDE a refusé de faire le geste Sédation réalisée par le médecin Avant sédation, la patiente a dit « adieu » à ses collègues de travail, sa famille, son mari, ses 2 enfants Décès survenu 24 h après début de la sédation en présence de son mari et de 2 amies.. EPILOGUE Organisation de 2 réunions avec tous les soignants de l’USP pour réfléchir ensemble sur la place de la sédation en service de soins palliatifs. CONCLUSION Difficulté de s’approprier - la décision d’une autre équipe - la demande de la patiente La décision médicale partagée nécessite une triple réflexion - avant la décision : anticiper, comprendre - pendant : savoir se questionner - après : continuer de prendre soin La sédation comporte beaucoup d’incertitudes : - avance-t-on ou non le décès : a priori non 11 - quel est le vécu du patient sédaté ? 11 - Barathi. Indian Palliative Journal of Palliative Care 2013 Le patient sédaté est vivant , importance d’en prendre soin jusqu’à son décès Inscrire la fin de vie dans une temporalité plus longue et dans un vivre ensemble Sédation : quel vécu par la famille ? Une sédation a toujours un impact majeur sur la famille puisqu’elle fait perdre les capacités de relation entre le malade et ses proches. Importance de l’accompagner 12 12 - Maeda I. Lancet Oncol. 2016 La sédation pensée comme un soin si : – Disponibilité : ouverture à l’altérité, attention à la vulnérabilité – Vigilance : légitimité éthique ≠ processus décisionnel chaque situation est unique 8 10 - V. Gamblin Ethique & santé 2014 SEDATION : Acte complexe singulier Ne jamais banaliser Ne pas en avoir peur SEDATION : Confronte la médecine palliative à ses limites Révèle la mise en tension d’un idéal de soin Souligne le paradoxe irréductible La sédation se situe dans une zone de fragilité, il est primordial de savoir : - ce que l’on fait - pour quelles raisons - dans quels objectifs Références bibliographiques 1 – SFAP. www.sfap.org 2 – Blanchet V. and coll., Sédation pour détresse en phase terminale : guide d’aide à la décision. Médecine Palliative, (2014) 13, 278-80 3 – Keesmann K. and coll., Confusion entre anxiolyse et sédation dans certaines situations en phase terminale. Médecine Palliative, (2012) 11, 173-80 4 – Charpentier M. and coll., Sédation en phase terminale, sédation terminale, euthanasie : peuton éviter la confusion ? Ethique & Santé (2014) 11, 152-60 5 – Gamblin V. and coll., La sédation en médecine palliative : l’inévitable focalisation sur euthanasie ? Ethique & Santé (2014) 11, 168-75 6 - Fondras J.C, Questions éthiques associées à la pratique de la sédation en phase terminale. Médecine palliative (2010) 9, 120-25 7 - Recommandations SFAP 2009; www.sfap.org Références bibliographiques 8- Chazot I. and coll., Fin de vie et temps ultime : qu’en disent les patients ? Ethique & Santé (2016)13, 149-55 9 – Zittoun R., Continuous sedation until death. A French way for the end-of-life care? Presse Med. 2016 May 10 - Gamblin V. ans coll., La sédation en médecine palliative : un soin de la limite et du paradoxe. Ethique & santé (2014) 11, 176-83 11 – Barathi B and coll., Palliative sedation in advanced cancer patients :does it shorten survival time ? A systematic review. Indian Palliative Journal of Palliative Care 2013; 19(1):40-7 12 – Maeda I. and coll. Effect of continuous deep sedation on survival in patients with advanced cancer :a propensity score-weighted of a prospective cohort study. Lancet Oncol. 2016; 17(1):115-22 MERCI