GENÈVE ET LES SUISSES
P
RÉFACE
Au début des festivités liées à l’entrée de Genève dans la
Confédération suisse, les Archives d’État se devaient de présenter au
public une exposition commémorant ce bicentenaire. Les
commémorations sont des occasions de rappeler un événement, triste
ou heureux, qui forge l’histoire d’une communauté, voire son identité.
Elles sont l’une des formes de la manifestation publique de la
mémoire
1
. Aujourd’hui, nous voyons les commémorations ou les
fêtes joyeuses qui ont longtemps été orchestrées par les autorités, être
peu à peu supplantées par les manifestions liées au devoir de
mémoire. Apprécions donc que cet anniversaire soit vécu comme un
événement festif, à l’heure, par exemple, où l’Europe va se souvenir
de la Grande Guerre et de ses millions de victimes.
Genève, cité épiscopale devenue République indépendante à la fin
du Moyen-Age en s’affranchissant de ses différents seigneurs, Rome
protestante, lieu de refuge mais surtout de passages, chef-lieu du
département du Léman après son annexion à la France
révolutionnaire, Genève devient donc un canton suisse en rejoignant
la Confédération, il y a deux cents ans. Son territoire, enrichi par ceux
des communes réunies, est alors à peu près celui que nous
connaissons aujourd’hui. Et ce petit espace abrite depuis le XX
e
siècle
la Genève internationale.
Or, est-il nécessaire de rappeler que le fait historique est une
construction soumise aux interprétations des historiens et à la
réception ou non par le public, les médias ou encore le monde
politique ? La richesse des fonds d’archives conservés par les
Archives d’Etat, et jusqu’ici préservés des catastrophes, permet de
remettre dans le contexte cet événement, soit en réalité une étape
supplémentaire franchie par Genève dans la relation qu’elle a
entretenue avec les Confédérés. En effet, les fonds d’archives nous
font redécouvrir que les rapports entre Genève et les Suisses datent
naturellement d’avant 1814, pour des raisons économiques,
politiques, stratégiques ou religieuses.
1
HARTOG, François, Régimes d'historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris,
2002.
2
Mais les archives ne parlent pas d’elles-mêmes. Il n’y a pas
d’immédiateté de la signification
2
. Et c’est bien l’une des tâches des
archivistes et des historiens que de proposer au public, à travers des
expositions et la mise en valeur des fonds, une compréhension du
passé et, peut-être, une réappropriation de la mémoire. Cette
exposition est en quelque sorte un chemin de mémoire à parcourir,
tels qu’on les connaît par ailleurs.
Pierre F
LÜCKIGER
Archiviste d’État
2
Cf. par exemple PECHANSKI, Denis, « Les responsabilités de l’historien
face aux archives sensibles », in Mémoire et histoire, les Etats européens face aux
droits des citoyens du XXIe siècle, Bucarest, 1998.
3
G
ÉOGRAPHIE
Le Mittelland, ou Moyen Pays, ou "Plateau suisse" stend entre
les Alpes et le Jura. La multiplici des carrefours y a surtout attiré
le commerce et l'industrie, les capitaux et les habitants. Cette zone
concentre sur moins du tiers de la Suisse plus des deux tiers de sa
population et presque toutes ses grandes villes. Située à l'extrémi
ouest du Plateau, Genève sera souvent considée comme la porte
de la Suisse. Un député suisse à la diète de Frauenfeld en 1792 ne
dira-t-il pas, parlant de Geve : "Quand on veut garder la maison,
on a soin de la c". On comprend mieux alors le souci de ses alliés
suisses de contrecarrer les ptentions de la Savoie ou de la France
sur Genève. C'est également par le plateau que les fugiés
protestants français, persécutés dans leur pays pour cause de
religion, poursuivaient, de Genève, leur voyage vers l'Allemagne et
les Pays-Bas.
Carte de la Suisse de 1693 par Hubert-Alexis Jaillot (AEG, A.P. 247/IV/28).
Carte actuelle de la Suisse en relief (Kümmerly + Frey)
3
.
3
Les puces signalent les documents qui ont été exposés mais qui ne sont pas
reproduits dans la présente brochure.
4
É
CONOMIE
Genève va bénéficier du déclin des foires de Champagne qui
s’amorce dès le XIV
e
siècle. Des courants commerciaux convergent
vers la cité, venant du Rhin, de l’Allemagne du Sud et des pays
danubiens à travers le Plateau suisse. Les localités situées sur cet
itinéraire commercial tirent d'importants revenus des différents
péages qui le jalonnent. C'est le cas notamment de Berne et de
Fribourg. Lorsque Louis XI édicte en 1462 des mesures sévères
contre Genève pour favoriser les foires de Lyon, les Suisses
interviennent en faveur de Genève car ils n'ont pas intérêt à voir cette
route abandonnée. Il s’agira là de la première relation entre Genève et
les Suisses. La situation de Genève au débouché des passages
alpestres comme le Grand Saint-Bernard, le Mont-Cenis ou le
Montgenèvre attirent également les marchands italiens.
Publicité de 1480 pour le
"Pétroléon", sorte de
potion qui semble guérir
tous les maux. On peut
imaginer que ce produit
miracle fut vendu sur les
marchés genevois. En tous
les cas, l'affiche a appartenu
au notaire genevois Michel
Du-puis, mort en 1571
(AEG, P.H. suppl. 107 bis).
Un pont gaulois en bois sur le Rhône est attesté dès le 1
er
siècle
avant J.-C. En 58 avant J.-C., Jules César le fait détruire dans le but de
stopper la migration des Helvètes. Il est reconstruit, probablement en
pierre, une fois l'occupation romaine établie. Reconstruit et modifié
au cours des siècles, il est muni d'un pont-levis au moment de la
5
construction du château de l'Île au XIIIe siècle. Au gré du temps, des
maisons de bois sont construites sur le pont et dans ses abords
immédiats, allant jusqu'à former tout un quartier. Un terrible incendie
le détruit en 1690. Cent vingt-deux personnes périssent et une
soixantaine de maisons partent en fumée. Il est rebâti, mais formé
cette fois-ci de deux passerelles séparées. Jusque dans la 1
re
moitié du
XIXe siècle, il est l'unique pont que peuvent emprunter marchands
ou voyageurs transitant par Genève pour se rendre d'une rive à l'autre
du Rhône.
Vue de Genève extraite de la "Cosmographie universelle de tout le monde" d'après
Sébastien Münster, augmentée et enrichie par François de Belle-Forest,
Paris 1575 (AEG, AP 247/I/100).
Gravure représentant l'incendie du pont du Rhône en 1690 (AEG, AP
247/I/ 27).
Ces panneaux en bois sont accrochés à l'entrée du pont du Rhône et
permettent aux marchands de connaître le montant dont ils doivent
s'acquitter pour passer leur marchandise. On notera sur le panneau de
gauche qu'un juif, pour le simple fait d'être juif, payait 4 deniers et qu'une
juive "grosse d'enfant" en payait 8. Le panneau de droite date de 1515 et
représente une scène de crucifixion qui fut en partie effacée après la
Réforme en 1535. On conserva l'objet car il avait encore son utilité, mais
tout ce qui rappelait l'ancienne religion fut détruit sans état d'âme (AEG,
non coté).
L
A
F
OLLE
V
IE ET LE PREMIER TRAITÉ DE COMBOURGEOISIE
Les guerres de Bourgogne, les Cantons suisses prirent fait et
cause pour le roi Louis XI contre Charles le Téméraire, se déroulèrent
en partie dans ce qui allait devenir la Suisse romande, et ne restèrent
pas sans effet sur Genève.
Dès avant la guerre, les Genevois et surtout leur évêque Jean-Louis
de Savoie s’étaient attiré le ressentiment des Suisses, particulièrement
des Bernois, par une politique favorable aux intérêts savoyards et
bourguignons. En 1475, Berne et Fribourg déclarèrent la guerre au
Comte de Romont et firent main basse sur le Pays de Vaud savoyard,
qui fut atrocement saccagé. Redoutant de subir le même sort, Genève
négocia avec les cantons, et obtint leur protection moyennant le
payement d’une rançon astronomique de 26'000 florins du Rhin. Un
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