GENÈVE ET LES SUISSES Au début des festivités

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GENÈVE ET LES SUISSES
PRÉFACE
Au début des festivités liées à l’entrée de Genève dans la
Confédération suisse, les Archives d’État se devaient de présenter au
public une exposition commémorant ce bicentenaire. Les
commémorations sont des occasions de rappeler un événement, triste
ou heureux, qui forge l’histoire d’une communauté, voire son identité.
Elles sont l’une des formes de la manifestation publique de la
mémoire1. Aujourd’hui, nous voyons les commémorations ou les
fêtes joyeuses qui ont longtemps été orchestrées par les autorités, être
peu à peu supplantées par les manifestions liées au devoir de
mémoire. Apprécions donc que cet anniversaire soit vécu comme un
événement festif, à l’heure, par exemple, où l’Europe va se souvenir
de la Grande Guerre et de ses millions de victimes.
Genève, cité épiscopale devenue République indépendante à la fin
du Moyen-Age en s’affranchissant de ses différents seigneurs, Rome
protestante, lieu de refuge mais surtout de passages, chef-lieu du
département du Léman après son annexion à la France
révolutionnaire, Genève devient donc un canton suisse en rejoignant
la Confédération, il y a deux cents ans. Son territoire, enrichi par ceux
des communes réunies, est alors à peu près celui que nous
connaissons aujourd’hui. Et ce petit espace abrite depuis le XXe siècle
la Genève internationale.
Or, est-il nécessaire de rappeler que le fait historique est une
construction soumise aux interprétations des historiens et à la
réception ou non par le public, les médias ou encore le monde
politique ? La richesse des fonds d’archives conservés par les
Archives d’Etat, et jusqu’ici préservés des catastrophes, permet de
remettre dans le contexte cet événement, soit en réalité une étape
supplémentaire franchie par Genève dans la relation qu’elle a
entretenue avec les Confédérés. En effet, les fonds d’archives nous
font redécouvrir que les rapports entre Genève et les Suisses datent
naturellement d’avant 1814, pour des raisons économiques,
politiques, stratégiques ou religieuses.
1
HARTOG, François, Régimes d'historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris,
2002.
Mais les archives ne parlent pas d’elles-mêmes. Il n’y a pas
d’immédiateté de la signification2. Et c’est bien là l’une des tâches des
archivistes et des historiens que de proposer au public, à travers des
expositions et la mise en valeur des fonds, une compréhension du
passé et, peut-être, une réappropriation de la mémoire. Cette
exposition est en quelque sorte un chemin de mémoire à parcourir,
tels qu’on les connaît par ailleurs.
Pierre FLÜCKIGER
Archiviste d’État
2
2
Cf. par exemple PECHANSKI, Denis, « Les responsabilités de l’historien
face aux archives sensibles », in Mémoire et histoire, les Etats européens face aux
droits des citoyens du XXIe siècle, Bucarest, 1998.
GÉOGRAPHIE
Le Mittelland, ou Moyen Pays, ou "Plateau suisse" s'étend entre
les Alpes et le Jura. La multiplicité des carrefours y a surtout attiré
le commerce et l'industrie, les capitaux et les habitants. Cette zone
concentre sur moins du tiers de la Suisse plus des deux tiers de sa
population et presque toutes ses grandes villes. Située à l'extrémité
ouest du Plateau, Genève sera souvent considérée comme la porte
de la Suisse. Un député suisse à la diète de Frauenfeld en 1792 ne
dira-t-il pas, parlant de Genève : "Quand on veut garder la maison,
on a soin de la clé". On comprend mieux alors le souci de ses alliés
suisses de contrecarrer les prétentions de la Savoie ou de la France
sur Genève. C'est également par le plateau que les réfugiés
protestants français, persécutés dans leur pays pour cause de
religion, poursuivaient, de Genève, leur voyage vers l'Allemagne et
les Pays-Bas.
Carte de la Suisse de 1693 par Hubert-Alexis Jaillot (AEG, A.P. 247/IV/28).
•
3
Carte actuelle de la Suisse en relief (Kümmerly + Frey)3.
Les puces signalent les documents qui ont été exposés mais qui ne sont pas
reproduits dans la présente brochure.
3
ÉCONOMIE
Genève va bénéficier du déclin des foires de Champagne qui
s’amorce dès le XIVe siècle. Des courants commerciaux convergent
vers la cité, venant du Rhin, de l’Allemagne du Sud et des pays
danubiens à travers le Plateau suisse. Les localités situées sur cet
itinéraire commercial tirent d'importants revenus des différents
péages qui le jalonnent. C'est le cas notamment de Berne et de
Fribourg. Lorsque Louis XI édicte en 1462 des mesures sévères
contre Genève pour favoriser les foires de Lyon, les Suisses
interviennent en faveur de Genève car ils n'ont pas intérêt à voir cette
route abandonnée. Il s’agira là de la première relation entre Genève et
les Suisses. La situation de Genève au débouché des passages
alpestres comme le Grand Saint-Bernard, le Mont-Cenis ou le
Montgenèvre attirent également les marchands italiens.
Publicité de 1480 pour le
"Pétroléon",
sorte
de
potion qui semble guérir
tous les maux. On peut
imaginer que ce produit
miracle fut vendu sur les
marchés genevois. En tous
les cas, l'affiche a appartenu
au notaire genevois Michel
Du-puis, mort en 1571
(AEG, P.H. suppl. 107 bis).
Un pont gaulois en bois sur le Rhône est attesté dès le 1er siècle
avant J.-C. En 58 avant J.-C., Jules César le fait détruire dans le but de
stopper la migration des Helvètes. Il est reconstruit, probablement en
pierre, une fois l'occupation romaine établie. Reconstruit et modifié
au cours des siècles, il est muni d'un pont-levis au moment de la
4
construction du château de l'Île au XIIIe siècle. Au gré du temps, des
maisons de bois sont construites sur le pont et dans ses abords
immédiats, allant jusqu'à former tout un quartier. Un terrible incendie
le détruit en 1690. Cent vingt-deux personnes périssent et une
soixantaine de maisons partent en fumée. Il est rebâti, mais formé
cette fois-ci de deux passerelles séparées. Jusque dans la 1re moitié du
XIXe siècle, il est l'unique pont que peuvent emprunter marchands
ou voyageurs transitant par Genève pour se rendre d'une rive à l'autre
du Rhône.
•
•
•
Vue de Genève extraite de la "Cosmographie universelle de tout le monde" d'après
Sébastien Münster, augmentée et enrichie par François de Belle-Forest,
Paris 1575 (AEG, AP 247/I/100).
Gravure représentant l'incendie du pont du Rhône en 1690 (AEG, AP
247/I/ 27).
Ces panneaux en bois sont accrochés à l'entrée du pont du Rhône et
permettent aux marchands de connaître le montant dont ils doivent
s'acquitter pour passer leur marchandise. On notera sur le panneau de
gauche qu'un juif, pour le simple fait d'être juif, payait 4 deniers et qu'une
juive "grosse d'enfant" en payait 8. Le panneau de droite date de 1515 et
représente une scène de crucifixion qui fut en partie effacée après la
Réforme en 1535. On conserva l'objet car il avait encore son utilité, mais
tout ce qui rappelait l'ancienne religion fut détruit sans état d'âme (AEG,
non coté).
LA FOLLE VIE ET LE PREMIER TRAITÉ DE COMBOURGEOISIE
Les guerres de Bourgogne, où les Cantons suisses prirent fait et
cause pour le roi Louis XI contre Charles le Téméraire, se déroulèrent
en partie dans ce qui allait devenir la Suisse romande, et ne restèrent
pas sans effet sur Genève.
Dès avant la guerre, les Genevois et surtout leur évêque Jean-Louis
de Savoie s’étaient attiré le ressentiment des Suisses, particulièrement
des Bernois, par une politique favorable aux intérêts savoyards et
bourguignons. En 1475, Berne et Fribourg déclarèrent la guerre au
Comte de Romont et firent main basse sur le Pays de Vaud savoyard,
qui fut atrocement saccagé. Redoutant de subir le même sort, Genève
négocia avec les cantons, et obtint leur protection moyennant le
payement d’une rançon astronomique de 26'000 florins du Rhin. Un
5
impôt, une « taille », fut levé sur tous les propriétaires, grands et
petits, pour réunir cette somme. On doit à cette opération un registre
énumérant toute la fortune mobilière et immobilière des Genevois
(Finances KK 2bis), qui est une source d’information de premier
ordre sur l’état matériel de Genève dans la seconde moitié du XVe
siècle.
Mais comme l’argent tardait à rentrer, les petits cantons
campagnards commencèrent à soupçonner les gouvernements des
villes suisses de s’entendre avec Genève pour les frustrer de leur part
de la rançon. Une sorte de corps franc se leva en février 1477, qui
s’intitula « La Folle Vie » (Das torechte Leben) dans l’intention de
marcher sur Berne, Fribourg et Genève pour obtenir la rançon par la
force. Ce corps s'était pourvu d'une bannière portant, sur les
illustrations de la chronique officielle bernoise de Diebold Schilling,
un sanglier avec une massue ; toutefois une bannière attribuée à la
Folle Vie, conservée au Musée historique de Zoug, porte un fou,
tenant une massue et jetant des glands à une truie qui allaite ses
petits – ce qui, avouons-le, donnait une image plus pacifique du
mouvement.
A grand peine, les gouvernements des villes parvinrent à les calmer
et à les renvoyer chez eux avec la promesse de livrer leur part de la
rançon. Genève dut promettre, pour le 6 avril (fête de Pâques) au plus
tard, une somme de 8'000 florins d'or du Rhin, faute de quoi le corps
franc de la Folle Vie était résolu à venir jusqu'au bout du Léman, à
piller la ville et à mettre le feu aux quatre coins de la cité. Leur avantgarde était déjà arrivée à Lausanne lorsque l'accord fut signé. Cette
somme était un nouvel acompte à la rançon de 26'000 écus due aux
Cantons, dont seuls 2'000 avaient été payés. Des otages, choisis parmi
les plus riches des citoyens, furent envoyés. Leur séjour à Fribourg, à
leurs frais ou à ceux de la ville – ils devaient payer non seulement leur
entretien, mais celui de leurs gardes – fut aussi extrêmement coûteux.
La duchesse Yolande de Savoie, sollicitée par son beau-frère l’évêque
Jean-Louis, fournit des joyaux et d’autres objets précieux comme
garantie pour le payement de la rançon. Mais il fallait trouver encore
16'000 florins du Rhin pour payer aux Suisses 8'000 florins à Noël
1477 et 8'000 à Pâques 1478. On s'efforça d'obtenir un prêt de
Strasbourg de 11'000 florins, pour lequel il fallait obtenir la garantie
6
de Berne et le dépôt à Berne des joyaux prêtés par la duchesse
Yolande, qui avaient été confiés à Lucerne et à Uri. Pour compléter la
somme due, Genève voulut augmenter la gabelle, et le tarif des
péages, ce qui pouvait irriter les marchands confédérés : nouvelles
difficultés de la part des petits cantons, nouvelles menaces. Il fallut
donc se résoudre à emprunter 3500 écus du Roi de France à la
banque Médicis à Lyon.
Les compagnons de la Folle Vie arrivent par bateau devant la ville de Lucerne
(dessin de la chronique officielle de Berne par Diebold Schilling).
La signature du traité de combourgeoisie entre l’évêque Jean-Louis
de Savoie et la ville d’une part, et les villes de Berne et de Fribourg,
longtemps ignorée de l’historiographie, s’inscrit dans le contexte
diplomatique extrêmement complexe de la fin des guerres de
Bourgogne. Aussi bien le roi Louis XI, que les ducs de Savoie et de
Milan, et l’empereur Frédéric III et son cousin le duc Sigismond
d’Autriche font la cour aux Suisses, qui sont considérés à cette
époque comme la principale puissance militaire d’Europe. Il s’agit
aussi de savoir quel sera le sort de la Franche-Comté, dont le roi de
France a entrepris la conquête, et celui du Pays de Vaud, occupé par
7
Berne et Fribourg, et que l’ensemble des cantons refusent de restituer
au duc de Savoie avant que le prix de rachat de 50'000 florins du
Rhin, fixé en 1476, ait été payé.
Mais en Suisse la mésentente et la crainte réciproque entre les
villes et les cantons campagne créent une ambiance délétère. Aussi
bien Berne que Fribourg sont désireux de se concilier la ville de
Genève, la « clé de la Confédération », selon l’expression qui
commence à s’imposer à la fin du XVe siècle. Aussi les ouvertures
faites par l’évêque et les délégués des citoyens au cours des
négociations sur la rançon de Genève vont-elles aboutir à la
signature d’un premier traité de combourgeoisie entre l’évêque et la
ville de Genève d’une part, et les villes de Berne et de Fribourg
d’autre part, le 14 novembre 1477. L’évêque était reçu bourgeois de
ces villes pour la durée de sa vie. Les parties s'engageaient à se
secourir mutuellement contre toute agression contre l'une d'entre
elles. En outre l'évêque et la cité de Genève assuraient aux deux
villes de Berne et de Fribourg la libre circulation des biens et des
marchandises sur leurs terres et s'engageaient à favoriser les
marchands des deux villes combourgeoises en matière de péage et
d'autres droits.
Sceau de l'évêque JeanLouis de Savoie.
Sceau de la Ville
de Berne.
Sceau de la ville
de Fribourg.
Ce traité complétait le renouvellement du traité d’alliance entre
Berne et le duché de Savoie, signé le 20 août 1477, ainsi que l'alliance
héréditaire entre Zurich, Berne, Lucerne, Uri et Soleure, d'une part, et
le duc Sigismond d'Autriche, conclue le 13 octobre 1477. Mais dès
cette époque – et ce phénomène ira s’accentuant dans les périodes
suivantes – les autres cantons manifestaient de la méfiance à l’égard
8
des velléités expansionnistes de Berne en direction de la France. Plus
généralement, les cantons campagnards, les « pays » comme on disait,
craignaient la puissance des villes à l’intérieur de la Confédération.
Ces craintes se manifesteront encore en 1814-1815 face à l’entrée de
Genève dans la Confédération.
•
Les compagnons de la Folle Vie se rassemblent devant la porte de la ville de
Zoug sous leur bannière portant un sanglier, symbole de force et
d'indépendance (dessin de la chronique officielle de Berne par Diebold
Schilling).
•
Traité de combourgeoisie conclu par l'administrateur de l'évêché de Genève
Jean Louis de Savoie pour lui et la ville de Genève, mais seulement pour la
durée de sa vie, avec les villes de Berne et de Fribourg le 14 novembre
1477. Les parties se promettent aide et secours réciproque en matière
militaire, et se garantissent la libre circulation des biens et des personnes sur
leurs territoires (photographie de l'original conservé aux Archives d'Etat de
Berne. StAB : Fach Savoyen, 1477 November 14).
•
Registre de la levée de l'impôt extraordinaire pour payer la rançon de
Genève aux Confédérés (A.E.G., Finances KK 2bis).
GENÈVE AU XVIE SIÈCLE (1)
Au début du XVIème siècle, Charles II, duc de Savoie, après être
parvenu à unifier ses Etats, tente de soumettre Genève. La
population genevoise est alors divisée entre partisans du duc
(Mammelus) et défenseurs de l’autonomie (Eidguenots), qui se
rapprochent petit à petit des cantons suisses. En 1519, une
combourgeoisie avec Fribourg est même décidée en Conseil
général, mais Charles II parvient à la faire annuler. Il en profite
également pour occuper Genève et faire exécuter Philibert
Berthelier, tête de proue des Eidguenots.
En 1526, les principaux partisans de l’indépendance, réfugiés à
Fribourg, parviennent finalement à signer un traité de
combourgeoisie, non seulement avec ce canton, mais également avec
le canton de Berne, marquant le triomphe des Eidguenots, qui
dépouilleront le prince-évêque de Genève, soumis à la Savoie, de ses
derniers droits.
9
A cette crise politique succède une crise religieuse. En 1532,
Guillaume Farel arrive à Genève et commence à y prêcher les idées
nouvelles, rencontrant aussitôt l’opposition des autorités religieuses.
Mais, soutenu et protégé par Berne, qui a adopté la Réforme en 1528
déjà, il gagne de plus en plus de Genevois à la nouvelle foi,
provoquant une nouvelle division au sein de la population.
Après le prêche d'Antoine Froment au Molard, en 1533, la majorité
de la classe dirigeante se déclare en faveur de la Réforme et Guillaume
Farel commence à organiser le culte. Pour renforcer la nouvelle foi,
les réformateurs demandent en août 1535 l’organisation d’une
« dispute », soit un débat public. A l’issue de ce dernier, le divin
sacrement ayant été qualifié de « fiente et chose abominable », les
réformateurs réclament l’abolition de la messe.
Adoption de la Réforme en Conseil général (aquarelle préparatoire d’Edouard
Elzingre, A.E.G., Archives privées 279.13).
Ce n’est qu’en mai 1536, toutefois, que la Réforme est adoptée en
Conseil général. Il est alors arrêté que « voulons vivre en cette sainte
loi évangélique et parole de Dieu, ainsi qu’elle nous est annoncée,
10
voulant délaisser toutes messes et autres cérémonies et abus papaux,
images et idoles ».
Lorsque Calvin arrive à Genève en juillet 1536, il s’attèle à pourvoir
l’Église naissante d’une structure et à vaincre toute résistance. A cette
fin, il élabore une confession de foi, à laquelle tous les habitants
devront se soumettre, pour savoir s’ils adhèrent ou non à la Réforme
(texte de Madame Sandra Coram-Mekkey).
•
•
Adoption de la Réforme en Conseil général (A.E.G., R.C. 29, fol. 112).
La confession de foi imposée aux habitants de Genève (Le catéchisme
français de Calvin (…) suivi de la plus ancienne confession de foi de l’Eglise de
Genève, Genève, 1878, p. CIV (A.E.G., Rés. A 34).
GENÈVE AU XVIE SIÈCLE (2)
La diffusion des idées nouvelles à Berne et à Genève a des
conséquences sur la combourgeoisie signée avec Fribourg en 1526.
En effet, en 1534, tandis que la Réforme progresse à Genève et que
les adeptes de la nouvelle foi sont autorisés à prêcher, les autorités de
Fribourg envoient plusieurs ambassades pour faire part de leurs
doléances, sans succès. Aussi finissent-elles par convoquer les
Genevois à un arbitrage à Lausanne, en avril, pour mettre un terme à
l’alliance.
La dissolution ayant été prononcée, les autorités genevoises
envoient des émissaires à Fribourg pour tenter de la convaincre de
faire marche arrière. C’est un échec. En présence de la délégation
genevoise, les Fribourgeois retirent leur sceau de leur exemplaire du
traité. Puis, quelques jours plus tard, au début du mois de mai, des
ambassadeurs fribourgeois arrivent au bout du lac pour rendre le
sceau de Genève et réclamer le leur, toujours fixé à l’exemplaire
genevois du traité.
Si l’alliance avec Fribourg est rompue, Genève et Berne
renouvelleront leur combourgeoisie en 1536, puis régulièrement par la
suite. Autre conséquence du progrès des idées nouvelles, leurs
adeptes demandent, au lendemain de la dispute de Rive en août 1535,
non seulement l’abolition de la messe, mais également la suppression
11
des images. Dans les jours qui suivent, plusieurs citoyens de la ville se
rendent à Saint-Pierre, au couvent de Notre-Dame de Grâce et au
couvent de Sainte-Claire pour y détruire les images.
En octobre, les autorités prennent enfin position, en condamnant
les images, et font brûler publiquement la représentation de NotreDame de Grâce. Puis, dans les mois et dans les années qui suivent,
elles font retirer des églises les objets de culte et les ornements
ecclésiastiques, qui sont en partie vendus et en partie détruits (texte de
Madame Sandra Coram-Mekkey).
Exemple d’acte iconoclaste. Il s'agit là d'un
cartulaire, soit un recueil
d'actes relatifs à l'Evêché
et à la Commune de
Genève du 13ème au 15ème
siècle. Après la Réforme,
ce document est conservé
précieusement car il s'y
trouve des documents
utiles à la Commune,
notamment une confirmation des franchises
que l'Evêque Adhémar
Fabri avait accordées en
1387 aux citoyens de
Genève. En revanche, ce qui rappelle l'ancienne religion, notamment le culte
des saints, est impitoyablement gommé (A.E.G., Ms hist. 23).
•
Traité de combourgeoise de 1526 entre Genève, Fribourg et Berne,
duquel le sceau de Fribourg a été retiré (A.E.G., P.H. 964).
LE TRAITÉ DE 1584 AVEC BERNE ET ZURICH
Le passage à la Réforme ne fait qu'attiser la haine que le duc de
Savoie voue depuis toujours à Genève et à ses habitants : non
seulement il n'a pas pu en faire sa capitale du nord des Alpes, mais la
cité est devenue un repaire d'hérétiques, un abcès au cœur de ses
propres Etats. Ce ne sont plus dès lors que guerres incessantes contre
12
la cité protestante. Genève appelle Berne à son secours laquelle, le 16
janvier 1536, déclare la guerre à Charles II de Savoie. Après une
rapide campagne, Berne occupe le Pays de Vaud, le Pays de Gex, le
Chablais et un morceau du Genevois. A son tour, la France entre en
guerre et s'empare du reste de la Savoie. Le glorieux Etat Savoyard a
cessé d'exister. Il n'en reste plus qu'un lambeau dans le Piémont.
Après leur victoire, les Bernois réclament la souveraineté sur Genève.
Grâce à la fermeté de ses autorités, la nouvelle république échappe au
sort de Lausanne et du Pays de Vaud, assujettis à la domination de
Berne.
Suite aux traités de Cambrésy (1559) et de Lausanne (1564), le
duc de Savoie recouvre ses anciens Etats occupés par la France et
Berne. Les Bernois parviennent à conserver le Pays de Vaud, mais
Genève est à nouveau sous la menace directe de son ennemi de
toujours. Dès son avènement en 1580, le duc de Savoie, CharlesEmmanuel 1er, celui-là même qui, en 1602, tentera vainement
d'envahir la cité pendant la nuit de "L'Escalade", recommence ses
agressions contre Genève. Pour des questions géopolitiques, Berne
et la France n'ont pas intérêt à ce que Genève tombe entre les
mains de la Savoie. C'est ainsi que le 8 mai 1579, Berne, de concert
avec Soleure, signe un traité perpétuel avec la France pour la
protection de Genève. Le 30 août 1584, Zurich, canton protestant,
conjointement à Berne, consent également à s'allier à Genève dans
un pacte d'assistance.
Au lendemain de la tentative manquée de l’Escalade des 11 et 12
décembre 1602, les intentions du duc Charles-Emmanuel 1er restent
incertaines ; de nombreuses troupes savoyardes stationnent encore
dans la région. C’est en application du traité de 1584 que Berne et
Zurich envoient à Genève un contingent de 1000 hommes pour
sécuriser la ville.
L'année suivante, le 11 juillet 1603, le duc de Savoie signe à
contre cœur le Traité de paix de Saint-Julien dans lequel il
reconnaît l'indépendance de Genève. Pour parvenir à cet accord
difficile, le roi de France Henri IV avait auparavant imposé aux
deux parties la médiation de Glaris, Bâle, Soleure, Schaffhouse et
Appenzell.
13
Détail de la gravure par Escuyer (1823), représentant la fameuse nuit de
l'Escalade de 1602 durant laquelle un "commando" de soldats savoyards,
franchissant à l'aide d'échelles les murailles de Genève, tenta vainement de
s'emparer de la cité (A.E.G., Archives privées 247/1/17).
•
•
14
Portrait de Charles-Emmanuel 1er, duc de Savoie (1562-1630), grand
ennemi de Genève et instigateur de l’Escalade.
Fontaine de l'alliance de 1584. Pendant les fêtes célébrant l'alliance avec
Berne et Zurich en octobre 1584, ce curieux appareil, actionné
automatiquement par un système de siphons, fut placé sur la fontaine qui
était située devant l'hôtel de Ville. On peut encore l'admirer aujourd'hui
dans l'une des salles de la Maison Tavel.
•
Traité du 30 août 1584 entre Berne, Zurich et Genève (AEG,
PH 2094).
TROUBLES POLITIQUES À GENÈVE AU XVIIIE SIÈCLE
Le XVIIIe siècle est marqué par de nombreux troubles politiques
dont l'origine provient de l'inégalité des droits entre Genevois. Les
bourgeois, qui ont obtenu ce statut en payant une taxe, et leurs
descendants, les citoyens, tiennent le haut du pavé : ils bénéficient de
tous les droits politiques et de nombreux privilèges économiques.
Face à eux, les habitants et leurs descendants, les natifs, forment une
population sans droits politiques et entravée dans ses activités
économiques. Au fil du temps, l'accès à la bourgeoisie s'est fermé. La
taxe augmente de telle manière qu'elle enlève à la masse des habitants
et des natifs l'espoir de pouvoir un jour changer de condition. En
1781, habitants et natifs représentent 46% des Genevois, contre 27%
pour les bourgeois et les citoyens. C'est pourtant à l'intérieur de ce
groupe privilégié que la lutte va éclater. Il s'est en effet créé en son
sein une "aristocratie" qui, profitant du système d'élection par
cooptation dans les conseils, a petit à petit accaparé le pouvoir
politique. En 1780, cette aristocratie gouvernementale est composée
de quelque quatre cents chefs de famille qui se partagent 80% de la
fortune genevoise.
En février 1781, une nouvelle révolte éclate. Bourgeois et natifs
s'emparent du pouvoir et promulguent une loi octroyant l'égalité
civile à tous les Genevois. Le roi Louis XVI, que l'aristocratie
genevoise a appelé à son secours, s'inquiète de cette révolution qui
pourrait donner de mauvaises idées à son propre peuple. A son
instigation, une coalition de trois armées composée de troupes
françaises, sardes et bernoises assiège Genève qui capitule le 2 juillet
1782. Pour l'allié bernois, l'ennemi vient cette fois-ci de l'intérieur.
L'aristocratie genevoise est ramenée au pouvoir et les meneurs de
l'insurrection bannis de la cité. Un édit de pacification est imposé par
les occupants. Les natifs conserveront l'égalité civile, mais les facilités
pour accéder à la bourgeoisie sont supprimées. Les cercles politiques
sont interdits, la presse muselée et la garnison de soldats étrangers,
notamment français, est doublée.
15
Projet pour la construction du théâtre des Bastions en 1782. Lors de précédents
troubles en 1766, des troupes françaises avaient déjà eu l'occasion de stationner
à Genève. Les officiers, confinés dans l'austère cité de Calvin où le théâtre était
interdit, insistèrent auprès des autorités genevoises pour que l'on en construise
un. Bâti en bois, celui-ci brûla deux ans plus tard. Il faudra attendre
l'intervention étrangère de 1782 pour qu'un nouveau théâtre, toujours à la
demande des Français, voie le jour. Construit cette fois-ci en pierre, sur la Place
Neuve, à gauche de l'entrée du jardin des Bastions, il ne sera détruit qu'en 1880
(A.E.G., Travaux B 2.171).
•
Vue montrant l'entrée des troupes suisses et françaises dans Genève le
2 juillet 1782 par la porte de Cornavin (AEG, Archives privées
247/I/14).
• Dès 1543, l'assemblée des citoyens et bourgeois de Genève, que l'on
appelle le Conseil général, voit ses pouvoirs diminuer. Certes il continue
à se prononcer en dernière instance sur les décisions importantes, mais
seulement sur proposition de deux conseils restreints : le Petit Conseil et
le Conseil des Deux-Cents qui, petit à petit, finiront par former une
oligarchie gouvernante. Ci-dessous la première page du registre du
Conseil de 1745 montrant la composition du Petit Conseil et du Conseil
des Deux-Cents. La plupart de ses membres sont unis par un lien de
famille (R.C. cop. 245).
16
L'ANNEXION À LA FRANCE EN 1798
La Révolution française de 1789 marque la fin de l'Ancien Régime
et le remplacement de la monarchie absolue française par une
monarchie constitutionnelle, puis par la Première République. Alors
que le gouvernement "aristocratique" genevois considère avec
craintes et mépris ces nouvelles institutions, la bourgeoisie, elle, y voit
des idées semblables aux siennes. En 1792, la France déclare la guerre
à l'Autriche. Face à ce conflit qui risque de se généraliser, une diète est
convoquée la même année à Frauenfeld à l'issue de laquelle la
neutralité suisse est proclamée. Genève parvient à s'y faire inclure,
malgré l'habituelle réticence de certains cantons catholiques. Dès lors,
attaquer Genève, c'est attaquer la Suisse. Lorsque quatre mois plus
tard les armées françaises qui ont envahi la Savoie sont aux portes de
Genève, des contingents de soldats bernois et zurichois sont envoyés
sur place pour renforcer la garnison de la ville. Un accord est
finalement trouvé avec la France moyennant le retrait des troupes
suisses. Un mois après leur départ, la révolution genevoise éclate et
met fin à l'ancien régime. L'édit du 12 décembre 1792 établit l'égalité
politique des genevois de toutes les classes.
Victime de l'expansionnisme militaire révolutionnaire, l'ancienne
confédération suisse est remplacée en 1798 par une République
helvétique, sous contrôle français. Quant à Genève, occupée puis
purement et simplement annexée à la France, elle devient le chef-lieu
d'un nouveau département : le département du Léman. Sa population
est composée de 10% de Genevois, 17% de Gessiens et 73% de
Savoyards. Dans le traité d'annexion de Genève à la France du 26
avril 1798, l'ancienne république bénéficie néanmoins de conditions
particulières qui lui permettront de continuer à gérer certaines de ses
institutions comme le Collège, l'Académie ou l'Hôpital général. Cette
période sera néanmoins néfaste pour Genève : son économie décline,
beaucoup de pauvres doivent recourir à l'assistance publique, sa
démographie diminue. Dès 1802, la population est soumise à la
conscription. De nombreux jeunes soldats genevois périront ou
seront faits prisonniers lors des campagnes napoléoniennes.
•
Carte du département du Léman (R.-H. Bautier, "Atlas historique français –
Savoie", Paris, 1979).
17
•
Affiche placardée dans la ville pour informer la population genevoise des
nouveaux règlements en vigueur (A.E.G., ADL I 27/22).
•
Liste de soldats du département du Léman engagés dans les armées
napoléoniennes et faits prisonniers en Russie (A.E.G., Affaires étrangères,
France 26).
LA RESTAURATION
Suite à la désastreuse campagne de Russie, qui voit la Grande
Armée napoléonienne décimée, une sixième coalition formée par le
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande, l'Empire russe, le
Royaume de Prusse, la Suède, l'Empire d'Autriche et certains Etats
allemands, se ligue contre l'Empire français. Après la défaite de la
bataille de Leipzig en octobre 1813, ce qui reste de la Grande Armée
se replie sur la France tandis que les forces coalisées commencent leur
descente vers Paris. Le 21 décembre 1813, le corps d'armée
autrichien du général Bubna pénètre en Suisse par Bâle. Le 27
décembre, il est à Lausanne et se dirige sur Genève. Sentant le vent
tourner, un groupe d'anciens magistrats genevois avait créé
18
secrètement une commission en vue de préparer la restauration de
l'ancienne république.
Elle
envoie
une
délégation à la rencontre
de Bubna afin de
parlementer. Le général
autrichien accepte de
traiter Genève en cité amie
à condition que la ville se
rende sans résistance. Il n'y
aura finalement pas de
bataille : le préfet du
département du Léman,
Guillaume Capelle, fuit
Genève tandis que le
commandant de la place, le
général français Nicolas
Jordy, quitte discrètement
la ville avec ses troupes le
30 décembre à 8 heures du
matin. Le même jour,
10’000 Autrichiens occupent la cité. Ils y
resteront jusqu'en mai
1814.
Gravure aux traits coloriés attribuée à François
Ferrière montrant deux officiers autrichiens se
promenant sur le bastion Saint-Antoine
(Bibliothèque de Genève).
Un gouvernement provisoire constitué d'anciens membres de
l'aristocratie genevoise est établi. Le 31 décembre 1813, il fait
proclamer l'indépendance dans les rues de la cité. Comme le note le
citoyen genevois Ami Fillion dans son journal : l'occupation française
aura duré "quatorze ans, huit mois, quatorze jours, dix heures et
trente minutes".
•
•
Gravure aux traits coloriés montrant la Porte de Cornavin par laquelle les
troupes autrichiennes sont entrées à Genève (Collection particulière, Genève).
Plan de Genève de 1773 de Nicolas Chalmandrier, où l'on voit la Porte de
Cornavin (n°1) et la Porte Neuve (n° 2). En 1813, les fortifications n'ont
pas subi de modifications majeures (AEG, Archives privées 247/V/15).
19
•
•
•
Eau-forte et burin colorié de Christian Gottlob Geissler montrant à droite la
Porte Neuve par laquelle sont sorties les troupes françaises le matin du 30
décembre 1813. Le même jour, les troupes autrichiennes pénétraient dans la
ville par la porte de Cornavin. Le caporal Massé, qui a refermé la porte au
départ des Français, aurait prononcé la fameuse phrase : "Cette fois nous voilà
chez nous !" On peut voir en face le théâtre des Bastions, construit en 1782 à
la demande des Français (Bibliothèque de Genève).
Proclamation du 31 décembre 1813 qui marque la Restauration.de la République
de Genève (AEG, Placards, portefeuilles 16, n° 1744).
Deux de ces canons faisant partie de l'artillerie genevoise furent réquisitionnés
en février 1814 par l'armée autrichienne et emportés à Vienne. C'est grâce à
l'énergie et à la ténacité du lieutenant Joseph Pinon (1775-1839) qu'ils furent
finalement restitués à la République début 1815. Une plaque commémorative
relatant cet événement est apposée sur un des piliers de l'Ancien Arsenal.
ARRIVÉE DES SUISSES AU PORT NOIR LE 1ER JUIN 1814
Qu'allait donc devenir Genève, cette république qui avait lutté bec
et ongles pendant des siècles pour conserver son indépendance ? Il
était impossible de l'imaginer absorbée par un autre Etat, qu'il soit
français ou sarde. La "solution Suisse" semblait donc aller de soi. En
s'alliant au Corps helvétique, Genève cessait d'être isolée et obtenait
cette fois-ci le soutien de l'ensemble des cantons, tout en conservant
une large souveraineté.
Alors que les puissances alliées étaient favorables à cette alliance,
plusieurs cantons suisses considéraient avec méfiance cette cité dont
on avait encore en mémoire les nombreux troubles politiques du
siècle précédent. L'objectif principal du Gouvernement provisoire
sera donc de mettre tout en œuvre pour faire de Genève un nouveau
canton suisse. Il obtient finalement de la diète fédérale l'envoi d'un
contingent de soldats suisses pour renforcer la garnison genevoise.
C'est un premier pas.
C'est ainsi que le 1er juin 1814, deux compagnies fribourgeoises et
une compagnie soleuroise arrivent à Genève. Ne pouvant passer par
voie de terre, Versoix étant encore territoire français, les troupes
arrivent à Genève par le lac, sur l’actuelle commune de Cologny, où
une foule en liesse les attend. Voici la description qu’en fait MarcJules Suès dans son journal :
20
« Mercredi 1er juin. Arrivée des Suisses. A une heure trois-quarts ils ont
débarqué au bas de la côte de Cologny [Port-Noir] devant chez Chapalay.
Deux arcs de triomphe en verdure ; devises et rafraîchissements, préparés par
les habitants des Eaux-Vives. Au Bourg-de-Four, guirlandes et devises. A
leur entrée dans la ville, les fortifications étaient couvertes de peuple à tel point
qu’on ne voyait pas l’herbe. Le canon tirait et les cloches de toute la ville
étaient en branle.
Bien qu'il n'ait été qu'un acte symbolique, cet événement, que l'on
appellera plus tard "l'arrivée des Suisses au Port-Noir", est resté dans
le cœur de bon nombre de Genevois comme la véritable date de
l'entrée de Genève dans la Confédération.
Monument commémo-ratif,
plan cadastral de 2014 et
armoiries de la commune de
Cologny. Il n’y avait pas à
proprement parler de port à
l’endroit où ont débarqué les
contingents suisses mais un
simple ponton permettant aux
petits bateaux d’accoster. Ce
n’est que vers 1847 que le
gouvernement y fit établir un
véritable port de dimension
suffisante
pour
pouvoir
recevoir des barques. Le nom
de Port-Noir proviendrait de
la couleur sombre des pilotis
recouverts de goudron qui le
composaient. En 1896, on
érigea à cet emplacement un
monument commémoratif qui
fut déplacé en 1939, quelque
deux cents mètres plus au sud,
sur le territoire de la commune de Genève. L'événement déclencha une vive
émotion parmi les habitants de Cologny qui en avaient fait l’emblème de leurs
armoiries communales. Un compromis tout helvétique fut néanmoins trouvé :
la Ville de Genève céda gratuitement à la commune de Cologny une parcelle de
son territoire formant 15 mètres carrés autour du monument. Il s'agit
certainement là de la plus petite enclave de Suisse.
21
•
Tableau de Frédéric Dufaux (1880) montrant l’arrivée des Suisses au PortNoir (Musée d'art et d'histoire de Genève).
•
Numéro spécial de la Tribune de Genève à l'occasion du 150e anniversaire de
"l'arrivée des Suisses au Port-Noir" en 1964.
TRAITÉ DE RÉUNION DE GENÈVE À LA SUISSE
A la chute de l'Empire français, les puissances coalisées ainsi que
d'autres Etats comme la Suisse se réunissent à Vienne afin d'y
redéfinir les frontières de l'Europe. La condition "sine qua non" pour
que la Confédération helvétique accepte Genève en son sein est que
le futur canton soit homogène et contigu à la Suisse. Or, à la
Restauration, Genève a retrouvé son ancien territoire tel qu'il était
depuis les traités de Paris (1749) et de Turin (1754), c'est-à-dire coupé
de la Suisse et composé d'enclaves en Savoie et dans le Pays de Gex.
Le Gouvernement provisoire genevois décide d'envoyer à Vienne un
de ses membres, Charles Pictet de Rochemont (1755-1824), afin d'y
négocier l'agrandissement nécessaire du territoire de Genève. Au
premier Traité de Paris du 30 mai 1814, il avait déjà réussi à faire
reconnaître l'indépendance de Genève ainsi que l'idée de son union à
la Suisse. Dans les deux protocoles du 29 mars 1815, confirmés par
l'Acte final du Congrès de Vienne du 9 juin 1815, Pictet de
Rochemont obtient des garanties territoriales permettant le
rattachement de Genève au Corps helvétique. Le Traité de réunion de
Genève à la Suisse est finalement signé le 19 mai 1815 et, le 7 août, le
député de Genève, avec ceux des vingt-et-un autres cantons, prête
serment au Pacte fédéral.
•
22
Plan du territoire genevois avant les traités de Paris (1749) et de Turin
(1754). Au Moyen-Age, le prieuré de Saint-Victor et le Chapitre de la
cathédrale de Genève figurent parmi les plus riches seigneurs du bassin
genevois. Au XVe siècle, les comtes de Savoie, qui ont succédé aux comtes
de Genève, grignotent petit à petit les droits que détiennent ces deux
institutions sur de nombreux villages. A la Réforme, les terres de SaintVictor et du Chapitre sont en quelque sorte "nationalisées" par la nouvelle
république protestante. Les conflits de juridiction avec la Savoie n'en
continuent que de plus belle. Ce n'est qu'au XVIIIe siècle, grâce à des
échanges de territoires avec la France (1749) et la Savoie (1754), que le
conflit sera réglé une fois pour toutes.
•
•
Plan du territoire genevois après les traités de Paris (1749) et de Turin
(1754) et tel qu'il était en 1814.
Traité de réunion Genève à la Confédération (A.E.G., Confédération G 1.a).
Aquarelle représentant le Congrès de Vienne au travail (Paris, Bibliothèque
nationale).
TRAITÉS DE PARIS ET DE TURIN
Il restait encore à finaliser de manière officielle ce qui avait été
décidé dans l'Acte final du Congrès de Vienne du 9 juin 1815.
Avec le second traité de Paris du 20 novembre 1815, Genève
obtient de la France six communes du Pays de Gex, à savoir Versoix,
Collex-Bossy, Pregny-Chambésy, Vernier, Meyrin et le GrandSaconnex. C’est par le territoire de Versoix, grâce à une frontière
commune de 4,6 kilomètres avec le Canton de Vaud, que la condition
de contiguïté avec la Suisse est remplie.
Par le Traité de Turin du 16 mars 1816, Victor-Emmanuel 1er, roi
de Sardaigne, cède à Genève le territoire des actuelles communes de
23
Laconnex, Soral, Perly-Certoux, Plan-les-Ouates, Bernex, Aire-laVille, Onex, Confignon, Lancy, Bardonnex, Compesières, Troinex,
Veyrier, Chêne-Thônex, Puplinge, Presinge, Choulex, Meinier,
Collonge-Bellerive, Corsier, Hermance, Anières et Carouge.
Le nouveau canton gagne environ 16’000 âmes, en majeure partie
catholiques et rurales.
Bien que Pictet de Rochemont eût souhaité pour Genève des
frontières beaucoup plus étendues, il n’obtiendra finalement que le
strict nécessaire à son rattachement à la Confédération. La crainte de
voir l'ancienne "Rome protestante" submergée par de nouveaux
habitants catholiques, français et savoyards, explique en partie cette
solution minimale. Le canton de Genève subit encore aujourd'hui les
conséquences de l'exiguïté de son territoire.
Ratification du Traité de Turin pour la Suisse par le bourgmestre en charge de
Zurich, canton directoire de la Confédération, et le Chancelier de la
Confédération (A.E.G. Savoie 37).
•
•
24
Traité de Turin du 16 mars 1816 signé par Louis de Montiglio et Louis
Provana de Collegno, représentant Victor-Emmanuel 1e, roi de Sardaigne,
et Charles Pictet de Rochemont, représentant Genève et la Confédération
(A.E.G. Savoie 37).
Ratification du Traité de Turin par Victor-Emmanuel 1e, roi de Sardaigne
(A.E.G. Savoie 37).
•
•
Portrait de Charles Pictet de Rochemont (lithographie de François Artus
in : E. Pictet, Biographie, travaux et correspondance diplomatique de C. Pictet de
Rochemont, Genève, 1892). Après une brève carrière militaire au service de
France, Charles Pictet de Rochemont (1754-1824) achète en 1799 le
domaine de Lancy qu'il transforme en ferme modèle et se fait connaître audelà de Genève par ses travaux agronomiques. Bien que n'ayant aucune
expérience de la diplomatie, c'est lui que le gouvernement enverra négocier
le rattachement de Genève à la Confédération au Congrès de Vienne. Il a sa
statue en haut de la Treille.
Portrait de Victor-Emmanuel 1e, roi de Sardaigne (Bibliothèque de Genève).
ARMOIRIES ACTUELLES DES COMMUNES
RÉUNIES À GENÈVE EN 1815 ET 1816
Au 20e siècle, toutes les communes genevoises furent prisent d'un
engouement pour l'héraldique : chacune voulait ses propres
armoiries. Nous vous présentons dans cette vitrine celles des
communes rattachées à Genève en 1815 et 1816 tirée de l'ouvrage d'
Auguste de Montfalcon " Armorial des communes Genevoises",
Genève, 1925.
Héritage de l'administration française, les communes réunies
subirent encore quelques modifications après 1816 :
Veyrier :
divisée en 1817 en 2
communes :
Veyrier et Troinex
Compesières (1) :
divisée en 1820 en 2
communes :
Compesières et PerlyCertoux
Compesières (2) :
divisée en 1851 en 2
communes :
Bardonnex et Plan-lesOuates
Avusy-Laconnex-Soral :
divisée en 1847 en 2
communes :
Avusy et LaconnexSoral
Laconnex-Soral :
divisée en 1850 en 2
communes :
Laconnex et Soral
25
Bernex-Onex-Confignon :
divisée en 1850 en 2
communes :
Bernex et OnexConfignon
Onex-Confignon :
divisée en 1851 en 2
communes :
Onex et Confignon
Presinge :
divisée en 1850 en 2
communes :
Presinge et Puplinge
Collex-Bossy :
divisée en 1855 en 2
communes :
Collex-Bossy et
Bellevue
Corsier :
divisée en 1858 en 2
communes :
Corsier et Anières
Chêne-Thônex :
divisée en 1869 en 2
communes :
Chêne-Bourg et Thônex
LES FÊTES DE JUIN 1914
Le "1er juin " est, au même titre que l'«Escalade », une fête nationale
genevoise. Il convenait donc en 1914 de commémorer le centenaire du
débarquement des Suisses au Port-Noir, prélude à l’entrée de Genève
26
dans la Confédération. Cette fête, outre la commémoration d’un
événement important, avait d’autres objectifs. Il s’agissait de rassembler
la population et de rappeler l’attachement du Canton à certaines valeurs
nationales. Il existe en effet quelques sujets de tensions tant entre les
Genevois eux-mêmes qu’entre le Canton et le reste de la Suisse. Genève
est gouvernée par une majorité radicale, soit de « gauche » ; dans
l’opposition, le parti démocrate, soit la « droite ». Les tensions sociales
sont vives notamment depuis 1907 et la loi de séparation de l’Eglise et
de l’Etat. Les catholiques sont majoritaires dans la cité de Calvin, ce qui
choque les conservateurs protestants. Les rapports entre Genève et la
Confédération sont également tendus : comme les autres cantons
romands, Genève trouve injuste qu’un seul conseiller fédéral soit un
Romand ; d’autre part, les CFF semblent prétériter Genève en
favorisant le Gothard au détriment du Simplon. On voit dans les fêtes
du centenaire l’occasion de ressouder la population et de tempérer les
relations avec le reste de la Suisse.
La préparation
C’est le Conseil d’Etat qui coiffera toute l’organisation. On a
volontairement mis à l’écart la Société de la Restauration et du 1er Juin,
créée en 1900. Au printemps 1910, la population est conviée à une
27
assemblée au Palais électoral. 2000 participants découvriront les
premiers éléments du programme des festivités. Les organisateurs se
mettent ensuite au travail. Le clou de la fête sera une pièce historique à
grand spectacle, un "Festspiel". Les disputes commencent : certains
s’offusquent du choix d’un mot allemand et proposent " festival ", ce
qui est français mais moins heureux. On s’affronte ensuite sur les
moments historiques choisis : les conservateurs voudraient qu’une plus
grande place soit réservée à Calvin ; les Radicaux, quant à eux, en
veulent moins. On se met d’accord sur l’organisation d’un concours.
Nouvelle dispute, certains veulent faire appel à des auteurs français, on
parle d’Anatole France et de Romain Rolland. Mais faire appel à des
Français pour commémorer la fin de l’annexion française, c’est aller
trop loin ! Finalement, ce sont Daniel Baud-Bovy, conservateur du
Musée d’art et d’histoire, Albert Malsch et Emile Jaques-Dalcroze qui
seront chargés du "Festspiel".
Les Fêtes de juin auront lieu en juillet. En effet, on veut s’assurer
d’un temps convenable et éviter de défiler sous la pluie comme lors
du grand cortège du 3e centenaire de l’Escalade en 1903. En outre, il
faut que les écoliers et collégiens soient en vacances. Enfin, on peut
jouer avec l’exactitude historique puisque Genève n’est devenue
suisse qu’en 1815. On commencera donc le 4 juillet.
La question du budget relance les disputes mais on se met
finalement d’accord et on prévoit 200’000 francs ; en fait cela coûtera
521’425 francs (soit environ 4'200’000 francs d’aujourd’hui). Il s’agit
de peaufiner l’accueil des autorités fédérales et des délégations
cantonales. Le caractère genevois est souvent mal compris : il est
frondeur, « rouspéteur » ; il faudra policer cette image et séduire nos
compatriotes, tout en mettant en avant la « supériorité » de Genève.
On trouve dans les discours prononcés cet été-là quelques passages
savoureux : On cite Capo d’Istria : « Genève est le grain de musc qui
parfume l’Europe ». « … Genève, la seule ville qui peut revendiquer
une place parmi les capitales européennes ». « Perdre Genève, ce
serait pour la Suisse, perdre la moitié de son cerveau ». Dans cette
offensive de charme, on prévoit de promener les autorités suisses
dans la campagne genevoise à bord d’automobiles fournies par le
TCS.
28
La fête
Elle commence le 4 juillet… sous la pluie.
A 9 heures, la première représentation du "Festspiel" est donnée
dans le théâtre couvert de 1200 mètres carrés spécialement construit à
la Perle du Lac. Cette pièce historique de 4 actes retrace l’histoire de
Genève des Allobroges à 1814 ; le titre complet : « Post, Tenebras,
Lux ; nuit, jour, hiver, claire matinée ». 1’200 acteurs jouent devant
6’000 spectateurs pendant 3 heures. Le final est grandiose : le fond du
théâtre s’ouvre sur le lac, un bateau accoste et les Suisses débarquent
sur la scène. Il y aura 7 représentations jusqu’au 12 juillet. En même
temps, s’ouvre au Musée Rath une exposition rétrospective qui
accueillera 6’000 visiteurs jusqu’au début août.
La fête nautique
Ce 4 juillet, les autorités cantonales accueillent à Nyon leurs
homologues fédéraux. De Versoix, 3 barques accompagnées d’une
flottille de petites embarcations se dirigent vers Cologny où elles
accostent à 17 heures au son des cloches et des salves d’artillerie. Le
descendant de Micheli de Châteauvieux accueille les Suisses. Le cortège,
8’000 participants, s’ébranle, comme en 1814, acclamé par près de
29
100’000 spectateurs. On passe une Porte de Rive reconstituée et on
arrive sur la Treille à 19 h 15. Là, se déroule la cérémonie officielle avec
les discours de Henri Fazy, président du Conseil d’Etat, et de De Planta,
conseiller national. Après les chants, le banquet de 500 couverts à la
salle communale de Plainpalais, jusqu’à 1 heure du matin.
Le dimanche
Carillons et canonnade ouvrent la journée. Les temples et églises
sont pleins. Tous les prêches, même à la synagogue, parlent de
fraternité, de patrie, de reconnaissance. Dans chaque quartier et dans
les villages se tiennent des banquets populaires agrémentés par des
chants et des discours, tandis qu’au Parc des Eaux-Vives on peut
admirer des « tableaux vivants ». A 21 heures, c’est la « Fête de nuit »,
le feu d’artifice. « On a voulu, dit la presse, faire deux fois mieux que
d’habitude ».
Le lundi 6 juillet, c’est sous la pluie qu’a lieu la promenade
motorisée dans la campagne genevoise. Et c’est encore sous la pluie
que se tient sur la Plaine de Plainpalais la « Fête de la jeunesse » qui
remplace cette année les promotions de tout le Canton. A cette
occasion, 23’000 médailles-souvenirs sont distribuées. Enfin, le
30
mercredi a lieu, on est en Suisse, l’inévitable "Tir cantonal " qui
rassemble plus de 2’000 tireurs.
Conclusion
Les " Fêtes de juin " ont été une réussite totale. Les réactions tant
en Suisse qu’à l’étranger sont excellentes, on salue la parfaite
organisation des autorités. Il est vrai que l’époque a contribué à cette
réussite. Le sentiment d’identité nationale est encore très fort. D’autre
part, les loisirs de l’époque et le temps qu’on pouvait leur consacrer
étaient maigres et cette magnifique occasion de se distraire était la
bienvenue.
Mais en cet été de 1914, la crise européenne se développe. Le
28 juin, l’archiduc François-Ferdinand est assassiné avec sa femme à
Sarajevo. Les 24 et 25 juillet, le danger de guerre s’aggrave
subitement. Certains discours prononcés lors des festivités font
allusion à la crise.
Texte de M. Richard Gaudet-Blavignac.
31
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
"Histoire de Genève", publiée par la Société d'histoire et
d'archéologie de Genève, Genève, Julien, 1951-1956.
Louis BINZ et Alfred BRECHTOLD, "Genève et les Suisses",
Genève, 1991.
"Les Cantons suisses et Genève, 1477-1815", dans Mémoires et
documents publiés par la Société d'histoire et d'archéologie de Genève, série in4°, t. IV, Genève, 1915.
Victor VAN BERCHEM, « Genève et les Suisses au XVe siècle. La
Folle Vie et le premier traité de combourgeoisie, 1477 », dans
Jahrbuch für schweizerische Geschichte, t. 44, 1919, p. 1-73 ; t. 45, 1920,
p. 1-80.
Sandra CORAM-MEKKEY, Christophe CHAZALON et GillesOlivier BRON, "Crises et révolutions à Genève. 1526-1544",
Genève, 2005.
Paul WAEBER, "La formation du canton de Genève (1814-1816)",
Genève, 1974.
Paul GUICHONNET et Paul WAEBER, "Genève et les communes
réunies", Genève, 1991.
Joël BOISSARD, "Le Centenaire de l’entrée de Genève dans la
Confédération suisse", mémoire de licence, université de Genève,
faculté des lettres, octobre 2000.
Alfred DUFOUR, Histoire de Genève, Que sais-je? n° 3210, Paris, 2010.
François WALTER, Histoire de la Suisse, 5 vol., Neuchâtel, 2009-2010.
32
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