HAREDHOL revisité Réductionnisme(s) : Une philosophie du nothing but ? 1. Les raisons d’un succès (séduction de la réduction) 2. Déplacement de l’ontologie vers la méthodologie 1. Les raisons d’un succès • La réduction des apparences aux structures géométriques : Platon • Le mécanisme : Descartes et sa postérité • Les 5 raisons d’un succès • Réductionnisme et réduction d’effectifs • Réductionnisme / positivisme Le choc Anaxagore / Platon « quelles sont les causes des actions de Socrate ? [...] [Selon Anaxagore] il est assis ici, parce qu’il a un corps composé d’os, de chair et de nerfs, que les os sont solides, mais qu’ils ont des intervalles ou jointures, que les nerfs peuvent être tendus et relâchés, que c’est par là que le corps est flexible et enfin qu’il est assis. […] » Phédon (97 bc) Réduction des éléments sensibles aux polyèdres réguliers (Platon, Timée) • Élément de base • Octaèdre (air) • Tétraèdre (feu) • Dodécaèdre (univers ) • Cube (terre) • Icosaèdre (eau) Postérité du platonisme scientifique • « Le livre de la nature est écrit en langue mathématique » (Galilée) • « Toute ma physique n’est que géométrie » (Descartes) • « La nature est la réalisation des idées mathématiques les plus simples qu’on puisse concevoir » (Einstein, 1922) • «Le concept de matière se ramène à la mathématique [...] Le noyau le plus intime de tout élément est, pour nous comme pour Platon, une forme, et non un quelconque contenu matériel» (Heisenberg, 1953) Descartes champion du mécanisme • « Toutes les variétés qui sont en la matière dépendent du mouvement de ses parties » • « Il n’y a donc qu’une même matière dans l’univers, et nous ne la connaissons que par cela seul qu’elle est étendue, et toutes les propriétés que nous apercevons distinctement en elle se rapportent à cela seul qu’elle peut être divisée et mue selon ses parties » Principes de la Philosophie II, 23 Les Animaux-machines • « Je suppose que le corps n'est autre chose qu'une statue ou machine de terre » […] avec « au dedans toutes les pièces qui sont requises pour faire qu'elle marche, qu'elle mange, qu'elle respire, et enfin qu'elle imite toutes celles de nos fonctions qui peuvent être imaginées procéder de la matière, et ne dépendre que de la disposition des organes. » (L’Homme) • Le mouvement vital (respiration, circulation sanguine) « suit aussi nécessairement de la seule disposition des organes [...] que fait celui d'une horloge, de la force, de la situation et de la figure de ses contrepoids et de ses roues » (Discours de la Méthode) Enthousiasme pour la philosophie mécanique : • Voltaire (Elements de la philosophie de Newton, 1738) « Donnez-moi de la matière et du mouvement, et je vais vous faire un monde » • La Mettrie « Concluons donc hardiment que l'Homme est une Machine; & qu'il n'y a dans tout l'Univers qu'une seule substance diversement modifiée ». (L’Homme-Machine, 1747) Les 5 raisons d’un succès La réduction : • satisfait au principe d’économie des entités (« rasoir d’Ockam ») • satisfait le critère de la simplicité des théories : atomes + vide plus simple que 4 éléments + une quintessence. • satisfait un principe d’homogénéité et de clôture causale du monde physique ex.: unification par Galilée du supralunaire et du sublunaire (cratères de la Lune et taches solaires: la Lune n’est qu’une planète, le Soleil n’est qu’une étoile) • satisfait la quête d’unification dans les explications ex.: unification de la chute des graves et du mouvement des planètes par les forces newtonienne. 5ème raison : la prime au déniaisement « le Père Noël n’existe pas, c’est les parents ! » « Les propriétés vitales ne sont en réalité que les propriétés physico-chimiques de la matière organisée » (Claude Bernard, Leçons…) « le cinéma c’est 24 images par seconde » (J.-L. Godard) « Composer l’Art de la fugue n’est au fond qu’un événement neuronal complexe » (D. Dennet) Réductionnisme = réduction d’effectifs ? • Une explication est-elle d’autant plus rationnelle qu’elle « rationne » le nombre d’entités postulées pour expliquer un phénomène? Non ! le critère de simplicité des hypothèses fait intervenir également la probabilité intrinsèque des hypothèses. • Exemples : Il est rationnel de remplacer le Père Noël par n fabricants, commerçants, parents, ou Jupiter par des masses d’air ionisées par frottement . • Cas limite : le Crime de l’Orient-Express Une hypothèse compliquée peut avoir un pouvoir explicatif supérieur à l’hypothèse simple (1meurtre, 1 meurtrier) Auguste Comte (1798-1857) « …dans l‘état positif, l'esprit humain, reconnaissant l'impossibilité d'obtenir des notions absolues, renonce à chercher l'origine et la destination de l'univers, et à connaître les causes intimes des phénomènes, pour s'attacher uniquement a découvrir, par l'usage bien combiné du raisonnement et de l'observation, leurs lois effectives, c'est-a-dire leurs relations invariables de succession et de similitude. ≫ "Cours de philosophie positive "(1829-30) Réductionnisme /positivisme • Le réductionnisme est-il toujours positiviste ? Non : Descartes, Nietzsche, Husserl. • Mais un positivisme, celui du Cercle de Vienne, s’est imposé comme promoteur d’une réduction de toutes les propositions à des énoncés observationnels (physicalisme) • «empirisme vérificationniste »: Les énoncés qui ne donnent pas lieu à une vérification empirique sont dénués de signification (Carnap, Testability and Meaning) Problème du physicalisme strict La réduction de la signification des énoncés à un test empirique disqualifie : • les propositions universelles, • les énoncés dispositionnels, • les attitudes propositionnelles. Hempel (1950) : « inutile de continuer à chercher un critère de testabilité en terme de relation déductives entre des énoncés observationnels » 2. Déplacement de l’ontologie vers la méthodologie • On répète à l’envi que la réduction est interthéorique, et pas ontologique (concerne la validité de théories, pas la description du monde / porte sur des scénarios plutôt que sur des castings) • Pourquoi ? A) Le holisme de la confirmation des hypothèses (ou thèse de Duhem-Quine) B) La relativité de l’ontologie + exemple A) Le holisme méthodologique de Duhem-Quine : A.1 Duhem • § II « Qu’une expérience de Physique ne peut jamais condamner une hypothèse isolée, mais seulement tout un ensemble théorique. » • « En résumé, le physicien ne peut jamais soumettre au contrôle de l’expérience une hypothèse isolée, mais seulement tout un ensemble d’hypothèses ; lorsque l’expérience est en désaccord avec ses prévisions, elle lui apprend que l’une au moins des hypothèses qui constituent cet ensemble est inacceptable et doit être modifiée ; mais elle ne lui désigne pas celle qui doit être changée. » (La théorie physique (1905) , IIème Partie, ch. VI La théorie physique et l’expérience) Le holisme méthodologique de Duhem-Quine : A.2 Quine • Sous-détermination de la théorie par l’expérience : « ...nos énoncés sur le monde extérieur affrontent le tribunal de l’expérience sensible, non pas individuellement, mais seulement collectivement. » (“Les deux dogmes de l’empirisme” (1953)) Nous ne sommes pas en mesure d’affirmer que telle hypothèse est invalidée, réfutée, falsifiée par une expérience. L’hypothèse de l’existence ou de l’inexistence de x (bactéries dans l’estomac) n’est pas opératoire en solitaire. • Le holisme méthodologique n’est pas antiréductionniste (mais justifie le déplacement de la réduction du niveau ontologique vers le niveau théorique) A.3 Théorie de la confirmation des hypothèses • Bayes, Essay Towards Solving a Problem in the Doctrine of Chances – 1763; • Carnap « On the Comparative Concept of Confirmation », 1953; • Carnap & Jeffrey Studies in Inductive Logic and Probability, 1971? Probabilité conditionnelle • On définit la probabilité conditionnelle de A sur B, ou de A étant donné B : P (A/B) = P (A&B) P(B) Comment justifier cette définition de la probabilité conditionnelle ? P (6/pair) = P (6 & pair) divisée par P(pair).Cette définition évite en outre le sophisme du joueur : P (Pile/Face&Face& ..n fois)= P (Pile&Face&face...n fois) = ½ P (Face&face... n fois) et non ½ n+1 Probabilité globale d’une hypothèse P(H/E&K) • Soient H= l’hypothèse explicative envisagée; E = l’indice ou la donnée à expliquer; K = les connaissances générales dont on dispose. Appliquée à P(H/E&K), la définition de la probabilité conditionnelle donne : P(H/(E&K)) = P (H&E&K) = P (E&(H&K)) = P(E/H&K).P(H&K) = P(E&K) P(E/K). P(K) P(E/K). P(K) P(E/H&K) .P(H/K) . P(K) P(E/K) .P(K) • D’où P(H/ E & K) = P (H/K). P(E/H&K) P(E/K) • Le rapport P(E/H&K) est donc le coefficient qui, appliqué à la probabilité P (E/K) intrinsèque de l’hypothèse, donne le valeur de la probabilité de l’hypothèse étant donné l’indice. (J.L. Mackie “The Relevance Criterion of Confirmation”, British Journal for the Philosophy of Science, 20 (1969). Le Cluedo et la théorie de la confirmation P(H/ E & K) = P (H/K). P(E/H&K) P(E/K) H = Mademoiselle Rose a assassiné le colonel Moutarde dans le salon à l’aide du chandelier; E = il y a des empreintes digitales de Mademoiselle Rose sur le chandelier; K = connaissances générales. K :Mademoiselle Rose fait les chandeliers deux fois par semaine. K’ : Mademoiselle Rose ne fait jamais les chandeliers (elle est allergique à l’argenterie) E’ : une toux allergique a été entendue à l’heure du crime ... K’’ : il est facile de reproduire des empreintes digitales et d’imiter une toux allergique, etc… Moralité : La confirmation des hypothèses est extrêmement sensible à K (exemple : K = composition des vitesses dans l’expérience de Michelson et Morley, ou absence de bactéries dans l’estomac!) B. La relativité de l’ontologie Pourquoi ne pourrait-on pas se prononcer sur ce qui existe sur ce qui n’existe pas ? « il n’existe que les atomes et le vide » « il n’y a que des faits, tout le reste est littérature » « il n’y a pas de faits, il n’y a que des interprétations » « il n’existe que des esprits et des perceptions ». « le monde extérieur n’est qu’un programme implémenté dans votre système nerveux (B.i.V)» B.1 Le problème ontologique selon Carnap Rudolf Carnap distingue deux types de questions concernant la réalité ou l’existence d’une entité: • Les questions internes à un linguistic framework, c’est-à-dire un système de façons de parler assujetties à des règles définies. • Les questions sur «l’existence ou la réalité du système d’entités comme un tout». Nous maîtrisons à peu près les premières, les secondes sont intraitables. Le problème ontologique de Carnap (suite) • « Dans le langage de tous les jours, nous nous référons au système spatio-temporellement ordonné des choses et événements observables. Dans ce cadre, nous pouvons poser et répondre à des questions internes, par exemple “Y a-t-il une feuille de papier blanc sur mon bureau?”; “Le roi Arthur est-il actuellement vivant?”, “Les licornes et les centaures sont-ils réels ou simplement imaginaires?” » • « Reconnaître la réalité d’une chose ou d’un événement veut dire réussir à l’incorporer dans le système des choses, à telle ou telle position d’espace-temps, de sorte qu’il s’ajuste aux autres choses reconnues comme réelles, selon les règles du cadre ». (Meaning and necessity (1947) Are there properties, classes, numbers, propositions?) B.2 W.V.O. QUINE : « On what there is» (1953) La réponse (Everything) au problème ontologique (What is there?) ne permet pas de trancher les cas particuliers. La formulation d’un désaccord sur l’ontologie avantage celui qui reconnaît des entités, sur celui qui les rejette (et qui se trouve contraint d’accepter qu’il y a des choses qu’il pense ne pas devoir être comptées comme entités — si tout ce dont on parle existe) Le « critère d’engagement ontologique » • « Être admis comme une entité, c’est purement et simplement être reconnu comme la valeur d’une variable (liée) » • « une théorie est engagée pour les entités, et celleslà seules, que ses variables liées doivent avoir comme références possibles pour que les affirmations faites dans la théorie soient vraies ». • si, dans T, il y a des affirmations vraies de la forme « il y a un x qui F » … ou « tous les y qui G sont F », alors T est engagée pour les références possibles de x ou y. Le « critère d’engagement ontologique » (suite) • Nous avons des a priori ontologiques (car nous évoluons toujours dans et à partir d’un schème conceptuel préalable, hérité, adopté au cours de l’apprentissage du langage) • Nous ne pouvons pas faire d’ontologie a priori (en dehors de toute théorie, sauf préjugé dogmatique) : nous ne pouvons pas dire a priori le genre de choses qu’il y a (ou qu’il doit y avoir) nous ne pouvons que réviser notre casting ontologique, et éventuellement regrouper les éléments sous des rubriques (les genres de chose qu’il y a). • L’ontologie est relative aux théories admises. Pégase existe en mythologie mais pas en biologie animale B.3 Exemple de problématique : la réduction mental /neuronal • La réduction porte sur des théories (dans le cadre desquelles les phénomènes sont décrits) plutôt que sur les phénomènes eux-mêmes, ou sur les entités. T1 réductible à T2 si T1 déductible de T2. Si T1 est fausse, elle n'a pas à être réduite : elle est éliminée. (Patricia Smith-Churchland, Neurophilosophie (1993), trad. PUF 1999 ch. VII : La réduction et le problème corps-esprit. ch. VIII : États mentaux irréductibles aux états neurobiologiques ?) Une différence d’accès épistémique ne suffit pas à conclure à l’irréductibilité • La connaissance introspective de la chaleur diffère de la définition de la chaleur en mécanique statistique → irréductibilité de l'état mental à l'état physique ? • Il doit bien y avoir un rapport entre l'énergie cinétique moléculaire moyenne et la sensation de chaleur, ou entre des états cérébraux normalement provoqués par les effets de l'agitation moléculaire ambiante sur des récepteurs sensoriels, et la sensation de chaleur. Pierres d’achoppement de la réduction • expliquer la conscience, l'intentionnalité, l'attribution de représentations à un sujet, d’une action à un agent, leur nature sémantique (vérité d’une proposition). • Le thermostat est sensible à l'agitation moléculaire, mais sent-il la chaleur ? • Distinguer le problème de la nature des états mentaux et celui de l'attribution des états mentaux. Ex : "Le thermostat trouve qu'il fait chaud." Il se pourrait que les états mentaux soient en fait des états cérébraux, sans qu'on puisse les attribuer à n'importe quel dispositif matériel. Difficultés de l’anti-réductionnisme • L'accès privé aux états mentaux est l'argument principal en faveur de leur irréductibilité. Argument, ou présupposition ? • Affirmer l’existence d’une capacité immatérielle (émergente) de représentation, d'intentionnalité, de signification, etc. irréductible aux possibilités neurobiologiques etc. risque de n'être qu'une pétition de principe . • « l’esprit », la « conscience », ou la « personne » échappent à la description des neurosciences… Un vieux problème : « qu’est-ce que la colère ? » • « Le dialecticien peut dire qu’il s’agit d’un appétit de vengeance ou quelque chose de semblable, et le physiologue qu’il s’agit d’un bouillonnement du sang qui entoure le coeur ou celui d’un élément chaud » (Aristote, De Anima 402b-403a). • • • • • • • L’appétit de vengeance et le bouillonnement du sang sont deux aspects d’un même phénomène. L’appétit de vengeance n’est que le bouillonnement du sang. (éliminativisme) L’appétit de vengeance survient sur le bouillonnement du sang.(supervenience : chgt physique CN du chgt mental) L’appétit de vengeance émerge du bouillonnement du sang !!! L’appétit de vengeance est un épiphénomène du bouillonnement du sang. L’appétit de vengeance est implémenté par le bouillonnement du sang. (multi-réalisabilité ?) L’appétit de vengeance déclenche le bouillonnement du sang. (causalité du mental sur le physique) MRTVXU OZTCNK PGJFCDN Y V R O PM C E S T P A S DROLE D UTOUTMAIS ALORS PASDUTOUT Qui vivra verra ! « …il est vrai qu'à cette étape de l'histoire des sciences, nous ne disposons ni d'une identification satisfaisante de l'expérience subjective à des états et à des processus cérébraux, ni d'une explication de celle-ci en fonction de leurs termes. [...] Quoi qu'il en soit, cet état présent de la science n'implique pas que la théorie neuroscientifique n'opérera jamais la réduction de la psychologie ».