Environnement d’acteur
Raphaël Vachoux
mnf
M"A"N"U"F"A"C"T"U"R"E"
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« Les acteurs sont un bizarre mélange de réalité et d’imaginaire.
Ce sont des ensorceleurs, victimes de leurs propres sorts. »1
George Sanders
1 George Sanders, Mémoires d’une fripouille, PUF (2004), p.64
3"
Table des matières
Introduction 4
Le voyage à rebours 5
Le courage 6
Vers l’animalité 8
Ce qui n’est pas raisonnable et ce qui est imprévu 9
Umwelt 10
Dans la cage avec les lions 12
Combat 14
Un petit chien sur une scène 15
Chasseur 17
Corrida 19
Volcan 22
L’attention 24
Conclusion 27
Le solo 29
Bibliographie 32
Remerciements 33
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Introduction
En décembre 2013, lorsqu’il nous a été proposé une première fois de réfléchir à ce que
pourrait contenir ce mémoire, j’ai sorti deux textes : l’un de Declan Donnellan2 et l’autre de
David Mamet.3 Ces deux lectures m’avaient été très instructives lorsque je les avais
découvertes, et elles me servent encore aujourd’hui.
Declan Donnellan parle beaucoup de la présence extraordinaire que possède un enfant en
bas-âge. Et, quelque part, le travail de l’acteur serait de retrouver cette innocence première,
cette entièreté primordiale que nous aurions perdue avec le temps et l’expérience.
J’ai tout de suite fait le lien entre les enfants et les animaux sur scène. Plusieurs fois, j’ai
pu constater la force de présence d’un petit chien qui faisait irruption sur le plateau au milieu
de très bons comédiens, et qui avait la puissance de capter chaque spectateur, quelque soit son
action.
J’ai donc décidé de travailler sur le terme vague de « l’animalité », et ai été redirigé vers
des livres élaborés par des éthologues, des scientifiques qui étudient les comportements
animaux, Jakob von Uexküll4 et Vinciane Despret.5
J’y ai fait quelques découvertes, au détour des tiques, éléphants sauvages d’Afrique et
autres babouins, qui m’ont non seulement intéressé, mais surtout fait beaucoup penser au
travail de l’acteur. De par la définition de la relation entre une espèce animale et son
environnement, et de la relation entre un animal observé et son observateur.
Car si Jakob von Uexküll nous invite dans son livre à découvrir les mondes merveilleux et
méconnus des animaux, le travail de l’acteur est aussi de sortir de chez soi pour aller voir
ailleurs, d’autres possibles. Et d’y convier le spectateur, par la suite.
Je vous propose de suivre le chemin qui a été le mien depuis décembre 2013. Dans ce
parcours, vous pourrez suivre le rythme de ma pensée que j’espère la plus claire possible. J’y
mélange de la théorie théâtrale, des expériences personnelles et de la recherche scientifique
sur les comportements animaux. Le terme de personnage ou protagoniste reviendra souvent,
comme un mot qui définit la relation entre l’acteur et ce qu’il a à jouer sur scène.
Le personnage existe-t-il ou non, ce n’est pas vraiment le sujet de ce travail. Quoiqu’il
m’arrivera parfois de proposer des questionnements et des réponses à ce sujet.
Ne nous y attardons pas plus que nécessaire, et découvrons les possibilités de jeu qui
s’offrent à travers ce parcours.
2 Declan Donnellan, L’acteur et la cible, L’Entretemps, 2004
3 David Mamet, Vrai et faux : blasphème et bon sens à l’usage de l’acteur, L’Arche, 2010
4 Jakob von Uexküll, Milieu animal et milieu humain, Payot & Rivages, 2010
5 Vinciane Despret, Penser comme un rat, Quae, 2009
5"
Le voyage à rebours
« Être acteur n’est pas plus difficile
que de faire du patin à roulettes.
Une fois qu’on sait en faire… »6
George Sanders
Qu’y a-t-il de si compliqué à être comédien ? Presque tout. Si George Sanders rappelle tout
de même que jouer est aussi enfantin que de faire du patin à roulettes, c’est que quelque part,
la faculté d’être comédien n’est pas si lointaine. Cela s’apprend, s’éprouve, et ne s’oublie pas.
Et pourtant, voilà maintenant presque six ans que le théâtre remplit mes semaines, jour
après jour. J’y répète, j’y vois des pièces de théâtre, j’y réfléchis, j’y essaie des milliers de
choses. Et les jours sont rares où je suis certain de savoir ce que je fais.
Le doute, l’incertitude et toute autre phénomène lié à la peur viennent rendre plus difficiles
chaque jour les décisions que je suis susceptible de prendre. La confiance est un concept
fragile qui, le plus souvent, ne confirme son existence que par son absence.
Être comédien, c’est jouer avec la peur. Nombreuses sont les situations un puissant
sentiment de solitude s’impose à nous. Seul face à une équipe de théâtre, seul face au texte,
seul face au public. Et pourtant tout cela n’est que du théâtre. La seule certitude que nous
pouvons avoir, c’est que souvent nous ne savons pas.
Et lorsqu’un petit enfant joue au milieu de toute sa famille, invente des mondes
imaginaires et impossibles, cette peur ne vient jamais empêcher sa créativité. Et l’âge,
l’expérience et la conscience d’être regardé venant, il vient un jour où l’enfant ne laissera plus
la porte de sa chambre ouverte quand il joue. Il fermera la porte pour ne pas être dérangé.
la seule préoccupation de l’enfant était de se demander ce qu’il pouvait bien inventer
de nouveau qui l’amuserait, il ajoute une conscience supplémentaire : le jugement.
Et si la clef résidait dans la quête de cet état primordial que nous avons tous connu, à un
moment ou à un autre ? Pour Declan Donnellan, le travail de l’acteur serait précisément ce
« voyage à rebours depuis “Comment suis-je perçu“ jusqu’à “Qu’est-ce que je vois ?“ ».7
Voir dans tous les sens du terme, voir dans les cinq sens. Regarder, écouter, sentir, goûter et
toucher. Dans ce chemin fourmillant de traversées du désert, « nous avançons de dix pas et
nous reculons de neuf ; la patience est essentielle ».8
Nous ne pouvons pas ignorer l’expérience qui est la nôtre, nous avons grandi et assimilé le
jugement dans nos actions. Par contre, je crois possible d’imaginer un travail d’acteur où nous
naviguerions sans cesse entre le « Comment suis-je perçu ? » et le « Qu’est-ce que je vois ? ».
Un chemin d’aller et retour continu, nous nous questionnons tantôt de la validité et de la
justesse de ce que nous proposons, et tantôt nous rejetons les mauvaises pensées qui nous
empêcheraient de jouer et d’expérimenter.
Il y a un temps pour tout. Il y a un temps pour réfléchir, et un temps pour agir. C’est un
subtil mélange entre les deux extrêmes qui permet à un acteur de s’épanouir. Il s’agit de prêter
attention aux dosages et aux instants pertinents.
6 George Sanders, Mémoires d’une fripouille, PUF (2004), p.86
7 Declan Donnellan, L’acteur et la cible, éditions L’Entretemps, p.262
8 Id.
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