Ethique et économie

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AUX ORIGINES DE L’ECONOMIE
François Dermange
Ethique et Economie
Adam Smith(1723-1790)
Adam Smith
« L’homme a presque continuellement besoin du
concours de ses semblables et c’est en vain qu’il
l’attendrait de leur seule bienveillance. Il sera bien plus
sûr de réussir s’il s’adresse à leur intérêt personnel et s’il
les persuade que leur propre avantage leur commande
de faire ce qu’il souhaite d’eux. C’est ce que fait celui qui
propose à un autre un marché quelconque, le sens de sa
proposition est ceci : Donnez-moi ce dont j’ai besoin et
vous aurez de moi ce dont vous avez besoin vousmêmes.
Ethique et Economie
Adam Smith
La majeure partie des bons offices qui nous sont
nécessaires s’obtiennent de cette façon. Ce n’est
pas de la bienveillance du boucher, du marchand
de bière et du boulanger que nous attendons
notre dîner, mais bien du soin qu’ils portent à leurs
intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur
humanité mais à leur égoïsme, et ce n’est jamais
de nos besoins que nous leur parlons, c’est
toujours de leur avantage ».
Wealth of Nations I, ii, 2, p. 82
Ethique et Economie
Adam Smith
•
L’économie a pour fonction de créer de la
richesse et – en première approximation – de
la répartir
• Son moteur premier est l’échange
C’est à travers l’échange que l’intérêt trouve
son accomplissement
Division du travail
Ethique et Economie
Adam Smith
« La division du travail est la conséquence nécessaire,
quoique lente et graduelle du penchant naturel des hommes
à échanger entre eux ». Wealth of Nations I, ii, 1
Le moteur n’est pas la concurrence, mais la faculté à négocier
entre égaux pour trouver par la discussion des accords
avantageux pour chacune des parties.
« The division of labour flows from a direct propensity in
human nature for one man to barter with another, which is
common to all men and known from no other animal »
(Jurisprudence (B) 219s).
Ethique et Economie
Adam Smith
De cet état de nature originel découle le progrès naturel
de l’opulence.
•les premiers gains de productivité permettent à
l’artisan de constituer un capital qu’il réinvestit dans la
mécanisation de son travail, ce qui en augmente encore
la productivité.
•A mesure de la division du travail et de l’investissement
du capital, les gains de productivité plafonnent, et
poussent à développer de nouvelles activités
.
Ethique et Economie
Adam Smith
Passage de l’ère agricole, à celle de l’industrie puis du
commerce.
A mesure que tous s’enrichissent et que la demande
augmente, le travail est divisé de plus en plus finement,
ne connaissant d’autres limites que la taille du marché.
Plus un marché est grand, plus il devient facile à chacun
de vivre de l’activité spécifique pour laquelle il excelle et
lorsque toutes les activités économiques suivent cette
logique, la croissance progressivement bénéficie à tous
jusqu’aux dernières classes du peuple.
Ethique et Economie
Adam Smith
Ce n’est pas la richesse de la nation comme telle qui
intéresse Smith mais « cette opulence générale qui se
répand jusque dans les dernières classes du peuple »
(Wealth of Nations I, i, 10).
C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’affirmation
selon laquelle « the indigence of a savage is far greater
than that of the meanest citizen of anything that
deserves the name of a civilized nation » (Jurisprudence
(A) vi, 27)
.
Ethique et Economie
Adam Smith
Dans la suite des temps, les naturels de ces pays deviendront
plus forts, ou ceux de l’Europe plus faibles, de sorte que les
habitants de toutes les différentes parties du monde
parviendront à cette égalité de force et de courage qui, par la
crainte réciproque qu’elle inspire, peut seule contenir
l’injustice des nations indépendantes et les contraindre à
respecter leurs droits mutuels. Rien ne paraît plus favorable à
l’établissement d’une telle égalité de forces que cette
communication mutuelle des connaissances et des moyens
de perfection de tout genre, qui suit naturellement ou plutôt
nécessairement un vaste et immense commerce de tous les
pays du monde avec tous les pays du monde.
Wealth of Nations IV, vii, c
Ethique et Economie
Bernard de Mandeville (1670-1733)
Bernard de Mandeville
Quittez donc vos plaintes, mortels insensés ! En
vain vous cherchez à associer la grandeur d’une
Nation avec la probité. Il n’y a que des fous qui
puissent se flatter de jouir des agréments et
des convenances de la terre, d’être renommés
dans la guerre, de vivre bien à son aise et d’être
en même temps vertueux. Abandonnez ces
vaines chimères. Il faut que la fraude, le luxe et
la vanité subsistent, si nous voulons en retirer
les doux fruits. .
Ethique et Economie
Bernard de Mandeville
Le vice est aussi nécessaire dans un Etat
florissant que la faim est nécessaire pour
nous obliger à manger. Il est impossible que
la vertu seule rende jamais une Nation
célèbre et glorieuse. Pour y faire revivre
l’heureux Siècle d’Or, il faut absolument
outre l’honnêteté reprendre le gland qui
servait de nourriture à nos premiers pères.
Ethique et Economie
Adam Smith
Établir comme Mandeville qu’il y a de
l’amour de soi dans la plupart des actions
humaines ne veut pas dire qu’elles sont
moralement condamnables.
Moral Sentiments VII, ii, 4, 12.
Distinguer amour de soi /amour propre
Ethique et Economie
Adam Smith
L’économie repose sur l’intérêt et pas sur la
bienveillance, mais elle n’est pas pour
autant «vicieuse» du moment qu’elle
respecte les «règles générales de la justice»
Ethique et Economie
La justice: comment la définir ?
La règle d’or ?
Ethique et Economie
La justice: comment la définir ?
Le plus grand bien du plus grand nombre
Ethique et Economie
Le conséquentialisme
•Les Lumières constatent qu’il n’y a pas d’accord sur le bien.
•Donner une base objective, impartiale, si possible
universelle à la morale.
Les éthiques déontologiques ont trouvé cette base dans la
suspension de la question du bien
 Le conséquentialisme la cherche dans une approche
scientifique du bien
Une approche objective, scientifique, du bien…
– Pas une théorie perfectionniste – on ne cherche pas à
transformer les individus. On les prend tels qu’ils sont.
– Les différentes options sont considérées de manière
neutre et impersonnelle
Ethique et Economie
Une approche objective, scientifique, du bien…
– Les différentes options sont considérées sans a priori
quant aux convictions ou aux valeurs de l’agent, quant
au fait qu’il est – on n’est pas – un homme ou une
femme de bien.
– Le conséquentialisme ne pense pas qu’il y a
nécessairement adéquation entre le bien personnel et
le bien pour tous
Motif
Aristote
Être heureux
Kant
Conséquentialisme
Etre homme/être libre Avoir du plaisir
Fondement
Bien commun
Idée d’humanité
Les
conséquences
heureuses pour tous.
Intérêt général
Règle
Prudence
Impératif catégorique
Calcul impartial
Décision
Pesée - médiété
Devoir
Rationalité
instrumentale : la
raison qui, les fins
étant données, trouve
les bons moyens pour
y parvenir
L’utilitarisme
La position conséquentialiste la plus importante
Une famille qui regroupe de nombreuses positions
Jeremy Bentham (1748-1832)
Etienne Dumont (1759-1829)
Une approche « scientifique » du bien
•Considérer les conséquences de l’action de manière neutre,
objective, analytique, descriptive, c’est-à-dire scientifique.
•C’est, pour Bentham, la seule manière de concevoir une
« science de la morale » ou une « science des devoirs », la
«déontologie» (dans un sens bien différent de Kant !].
Introduction aux principes, I, p. 202
Le welfarisme : une théorie du bien
•Seules importent les conséquences qui portent sur la
satisfaction des préférences des êtres sensibles
•« La nature a placé l’humanité sous l’égide de deux maîtres
souverains, la peine et le plaisir. C’est à eux seuls d’indiquer
ce que nous devons faire aussi bien que de déterminer ce
que nous ferons. A leur trône sont fixés, d’un côté la norme
du bien et du mal (right and wrong), de l’autre,
l’enchaînement des causes et des effets. Ils nous gouvernent
dans tout ce que nous faisons, dans tout ce que nous disons,
dans tout ce que nous pensons […]. » (Bentham,
Introduction aux principes, I, p. 201)
Le welfarisme : une théorie du bien
« Le bonheur des individus, c’est-à-dire leur plaisir et leur
sécurité, est la fin et même la seule fin, que le législateur
doit viser »
(Introduction aux principes, III, p. 223)
Le welfarisme : une théorie du bien
Fonder une philosophie politique et morale sur une
arithmétique des plaisirs et des peines des individus
« Additionnez toutes les valeurs de l’ensemble des plaisirs
d’un côté, et celles de l’ensemble de peines de l’autre. Si la
balance penche du côté du plaisir, elle indiquera la bonne
tendance générale de l’acte, du point de vue des intérêts de
telle personne individuelle ; si elle penche du côté de la
peine, elle indiquera la mauvaise tendance de l’acte »
(Introduction aux principes, IV, p. 230)
« Je me suppose étranger à toutes les dénominations de
vices ou de vertus. Je suis appelé à considérer les actions
humaines uniquement par leur effet en bien ou en mal. Je
vais ouvrir deux comptes. Je passe au profit pur tous les
plaisirs : je passe en perte toutes les peines. Je pèserai
fidèlement les intérêts de toutes les parties ; l’homme que
le préjugé flétrit comme vicieux et celui qu’il préconise
comme vertueux sont pour le moment égaux devant moi. Je
veux juger le préjugé même et peser dans cette nouvelle
balance toutes les actions afin de former le catalogue de
celles qui doivent être permises et de celles qui doivent être
défendues »
Traités de législation civile et pénale, publiés en français par Etienne
Dumont de Genève, Paris, Bossange, Masson et Besson, 1802, p. 90.
Le welfarisme : une théorie du bien
•« Je vais ouvrir deux comptes. Je passe au profit pur tous
les plaisirs : je passe en perte toutes les peines… »
•Calculer l’utilité sociale suppose qu’on puisse inventorier
les plaisirs ou impressions plaisantes et les peines ou
impressions dérangeantes ; distinguer les sensations simples
des sensations complexes qui sont l’association, la
juxtaposition et la combinaison de plusieurs sensations
simples ; séparer les sensations relatives à soi et celles
relatives à autrui…
ETHIQUE TRANSVERSALE
14 plaisirs simples
chap. V, § 3, p. 42
•
•
•
•
Les plaisirs des sens.
•
Les plaisirs de la richesse.
Les plaisirs de la compétence. •
•
Les plaisirs de la bonne
entente.
•
• Les plaisirs de la renommée. •
• Les plaisirs du pouvoir.
•
• Les plaisirs de la piété.
•
ETHIQUE TRANSVERSALE
Les plaisirs de la
bienveillance.
Les plaisirs de la malveillance.
Les plaisirs de la mémoire.
Les plaisirs de l’imagination.
Les plaisirs de l’attente.
Les plaisirs dépendant de
l’association.
Les plaisirs du soulagement.
12 peines simples
chap. V, § 3, p. 42
• Les douleurs de privation, la
gêne.
• Les douleurs des sens.
• Les douleurs de maladresse.
• Les douleurs de discorde.
• Les douleurs de mauvaise
réputation.
• Les douleurs de la piété.
• Les douleurs de la
bienveillance.
• Les douleurs de malveillance.
• Les douleurs de mémoire.
• Les douleurs de l’imagination.
• Les douleurs d’attente.
• Les douleurs dépendant de
l’association.
Inventorier les plaisirs et les peines
 La plupart des plaisirs trouve un équivalent négatif en
termes de peines mais pas systématiquement : ainsi, par
exemple, l’ennui, absence de tout sentiment agréable n’a
pas de contrepartie du côté des plaisirs et le plaisir d’exercer
du pouvoir n’a pas de contrepartie du côté des peines.
Pondérer les plaisirs et les peines par différents facteurs
•La Durée des impressions sensibles de notre corps : Un
plaisir long et durable est plus utile qu'un plaisir passager.
•L’Intensité avec laquelle les perceptions se présentent à nos
sens (au minimum l’insensibilité): Un plaisir intense est plus
utile qu'un plaisir de faible intensité.
•La Certitude ou la probabilité de l’événement envisagé : Un
plaisir est plus utile si on est sûr qu'il se réalisera.
•La Proximité ou son éloignement dans le temps : Un plaisir
immédiat est plus utile qu'un plaisir qui se réalisera à long
terme.
Pondérer les plaisirs et les peines par différents facteurs
•L’Étendue : ou le nombre de personnes auxquelles le plaisir
s’étend ; l’utilité est fonction du nombre total de personnes
qui l’éprouve. Un plaisir vécu à plusieurs est plus utile qu'un
plaisir vécu seul.
•La Fécondité : ou la chance que le plaisir ou la peine soit
suivi par des sensations du même genre Un plaisir qui en
entraîne d'autres est plus utile qu'un plaisir simple.
•La Pureté ou la chance de ne pas être suivi par un
sentiment opposé: Un plaisir qui n'entraîne pas de
souffrance ultérieure est plus utile qu'un plaisir qui risque
d'en amener.
• Hypothèses pour un individu :
– Courbe d’utilité
.
Hypothèses pour un individu
– Les différentes sortes de plaisir sont comparables et
commensurables
– Les différentes sortes de peines sont comparables et
commensurables
 Peut-on faire une comparaison quantitative, et pas
seulement qualitative entre la souffrance, la gêne, la
fatigue ou l’ennui?
– Plaisirs et peines sont commensurables
Hypothèses pour deux individus
– Chacun compte pour un
– On peut comparer leurs différents plaisirs et leurs
différentes peines
– ajouter un plaisir à l’un ou enlever une peine à l’autre
revient au même.
– ajouter un plaisir à l’un ou enlever un plaisir à l’autre
revient au même.
– C’est la somme qui compte et non pas la répartition
.
La maxime de l’utilitarisme
« On peut dire qu’une action est conforme au principe
d’utilité […] quand sa tendance à augmenter le bonheur de
la communauté l’emporte sur toutes les tendances qui, en
elles, tendent à la diminuer »
(Introduction aux principes, I, 203)
 « It is the greatest happiness of the greatest number that
is the measure of right and wrong. »
Réduire pour mieux comparer
« Veut-on évaluer une action ? Il faut suivre en détail toutes
les opérations que l’on vient d’indiquer. Ce sont les éléments
du calcul moral, et la Législation devient une affaire
d’arithmétique : mal qu’on inflige, c’est la dépense ; bien
qu’on fait naître, c’est la recette. Les règles de ce calcul sont
les mêmes que pour tout autre calcul. »
Traités de législation civile et pénale, op. cit., p. 52.
Hypothèses anthropologiques
•L’homme est rationnel, raison instrumentale.
•Il a des préférences qu'il peut ordonner. Si ainsi il préfère
les pommes aux poires et aussi les poires aux bananes, alors
il préfèrera les pommes aux bananes. Transitivité.
•Il est insatiable, « greedy » et cherche toujours à maximiser
son utilité
•Il est égoïste et solitaire. Seuls les plaisirs qui concernent le
sujet lui-même sont réputés avoir sens pour lui.
Hypothèses anthropologiques
•Ses plaisirs se réduisent aux plaisirs matériels. L’utilité
devient alors art de maximiser sa jouissance,
•« Des cinq ingrédients, les deux qualités de la certitude et
de la proximité n’entrent essentiellement, ni l’une ni l’autre,
dans la considération de tous les plaisirs, ni, par suite, de
toute portion de bonheur ; celui-ci peut être conçu sans
elles, car il existe sans elles quand il est présent. » Mss.
University College, p. 305.
Quel medium de comparaison des plaisirs et des peines?
« L'usage d'une commune mesure est de permettre à la
personne qui parle de communiquer, à toute personne à qui
elle parle, la même idée qu'il conçoit lui-même de la
quantité d'une chose dont il parle [...]. Si donc, venant à
parler des quantités respectives de diverses peines et de
divers plaisirs et nous mettant d'accord pour formuler à
leurs propos les mêmes propositions, nous voulons attacher
les mêmes idées à ces propositions, en d'autres termes, si
nous voulons nous comprendre l'un l'autre, il nous faut
employer quelque commune mesure. La seule commune
mesure que comporte la nature des choses c'est l'argent.










Combien d'argent donneriez-vous pour acheter ce plaisir ?
Cinq livres, et pas davantage.
Combien d'argent donneriez-vous pour acheter cet autre plaisir ?
Cinq livres, et pas davantage.
Les deux plaisirs doivent, pour vous, être réputés égaux.
Combien d'argent donneriez-vous pour acheter immédiatement ce
plaisir ?
Cinq livres et pas davantage.
Combien d'argent donneriez-vous pour vous exempter
immédiatement de cette peine ?
Cinq livres et pas davantage.
Le plaisir et la peine doivent être réputés équivalents. »
Mss University College n°27.
Quel medium de comparaison des plaisirs et des peines?
« Le thermomètre est l’instrument qui mesure la chaleur, le
baromètre, la pression de l’air. Ceux que ne satisfait pas
l’exactitude de ces instruments devront en trouver d’autres
plus exacts ou dire adieu à la philosophie naturelle. L’argent
est l’instrument qui mesure la quantité de peine et de
plaisir. Ceux que ne satisfait pas l’exactitude de cet
instrument devront en trouver d’autres plus exacts ou dire
adieu à la politique et à la morale »
Cité in Élie Halévy, La formation du radicalisme philosophique, 1901, t. 1 « La jeunesse de
Bentham », Paris, Alcan, 1901, p. 415.
Une approche des Lumières
•Impartialité
Les questions fondamentales de la philosophie
politique : que devons-nous faire de notre société ?,
Quel est le critère qui doit régir nos décisions
collectives ?, etc. ne peuvent être résolues par la
soumission aux intérêts particuliers de tel ou tel groupe,
ou aux préjugés de la société.
 L’utilitarisme cherche une conception impartiale de la
morale.
 Tous se valent et nul ne doit être privilégié.
Une approche des Lumières
« Il y a deux choses qui se confondent très facilement mais
que nous voulons distinguer soigneusement : le motif ou la
cause, qui, agissant sur l’esprit d’un individu, produit l’acte,
et le fondement ou la raison qui requiert quelque
observateur pour considérer cet acte sous un œil
approbateur. […] Il existe toutes sortes de motifs pour
lesquels un acte a pu être commis, mais il n’y a que le
principe d’utilité qui puisse donner la raison pour laquelle
aurait pu ou aurait dû être fait »
(Introduction aux principes, II, p. 222-223)
Une approche des Lumières
•Donner une base objective et rationnelle à la morale
Une loi sera d’autant plus juste qu’elle permet
d’augmenter la somme arithmétique des utilités des
individus concernés ;
 Pour connaître cette somme, il suffit de multiplier la
valeur d’un plaisir donné par le nombre des individus qui
l’éprouvent.
Une approche des Lumières
•De nombreuses contributions positives
en matière de droit pénal:
contre la peine de mort,
contre le racisme, etc.
Les critiques du modèle
 Une théorie vraiment « scientifique » ?
•De critère explicatif de l’action, l’utilité devient son principe
normatif.
•Une théorie descriptive ou une théorie normative des
comportements ?
Les critiques du modèle
Une étrange composition d’égoïsme et d’altruisme
« Il paraît y avoir une ambiguïté : d’un côté, toute la psychologie
que Bentham développe est fondée sur l’idée d’un sujet qui veut,
et ne peut vouloir, que son intérêt, son utilité, son bien, à savoir
augmenter son sentiment de plaisir et diminuer son sentiment
de peine ; de l’autre, l’individu égoïste que décrit Bentham n’est
pas un sujet isolé, replié sur soi : c’est une être en relation avec
d’autres êtres, dont les sentiments ou les jugements comptent
pour lui. Il est même susceptible d’être animé par des
considérations altruistes. »
(Michel Terestchenko, Philosophie politique I. Individu et société, Paris,
Hachette, 1994, p. 74-75).
Les critiques du modèle
 L’utilitarisme rend contingents les droits
Le commentaire que donne Bentham en 1795 de la
Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen
(1989):
Non-sens sur des échasses ou la boîte de Pandore ouverte
Une sécularisation du christianisme? (Nietzsche)
« Pas un seul de ces animaux grégaires à l’intelligence
épaisse et à la conscience inquiète (et qui entreprennent
de défendre la cause de l’égoïsme en la présentant
comme celle du bien-être général) ne veut admettre ni ne
devine que le « bien-être général » n’est pas un idéal, ni
un but, ni une idée concevable, mais seulement un
vomitif, – que ce qui convient à l’un peut ne pas convenir
à l’autre, qu’exiger une seule morale pour tous, c’est léser
précisément les hommes supérieurs, bref qu’il y a une
hiérarchie entre les hommes et par conséquent entre les
morales. C’est une espèce modeste et foncièrement
médiocre que ces anglais utilitaires. »
Par-delà le bien et le mal, § 228, p. 675.
Les critiques du modèle
« Salut à vous, brave charretiers !
Toujours « plus ça dure meilleur c’est » !
Toujours plus raides de la tête et des genoux,
Sans enthousiasme ni plaisanterie,
Incurablement médiocres,
Sans génie et sans esprit. »
Par delà le bien et le mal, trad. par P. Wotling, Paris, Flammarion,
2000, § 228, p. 675.
Le dernier vers est en français dans le texte.
ETHIQUE TRANSVERSALE
Les critiques du modèle
 Une doctrine essentiellement politique
« Quel doit être l’objet du Législateur ? – Il doit s’assurer de
deux choses ;
1)que dans chaque cas, les incidents qu’il s’efforce de
prévenir sont réellement des maux ; et
2)que ces maux sont plus grands que ceux qu’il emploie
pour les prévenir. Il a donc deux choses à observer, le mal du
délit et le mal de la loi : le mal de la maladie et le mal du
remède. » Traités de législation civile et pénale, p. 79.
Les critiques du modèle
 Une doctrine essentiellement politique
« Toute loi est un mal, car toute loi est une infraction de
la liberté. »
Traités de législation civile et pénale, p. 79.
Les critiques du modèle
 Une doctrine essentiellement politique… qui avance
masquée
« Derrière la neutralisation scientiste du problème moral se
trouve la motivation décisive d’une conviction utilitariste : la
conviction que seule une économie de marché capitaliste
conduit à la maximisation de l’utilité économique et donc à
la plus grande richesse de la population. […]
Les critiques du modèle
Une doctrine essentiellement politique… qui avance masquée
[…] Depuis la conception par Adam Smith de la « main
invisible » et ultérieurement l’échec du socialisme d’Etat, la
sélection utilitariste de l’économie de marché est répandue
à un tel degré qu’elle fonctionne politiquement comme une
condition préalable naturelle pour toutes les évaluations
explicites et est alors incluse dans l’invocation des
contraintes fonctionnelles »
K.-O. Apel, La réponse de l'éthique de la discussion, au défi moral de la de la situation
humaine comme telle et spécialement aujourd'hui, trad. fr. M. Canivet, Louvain/Paris,
Ed. Peters, 2001, p. 133
ETHIQUE TRANSVERSALE
Economie et Ethique au
ème
20
François Dermange
Ethique et Economie
siècle
Albert Schweitzer (1875 -1965)
Nos espérances sur les destinées futures de
l’espèce humaine peuvent se réduire à ces trois
questions : la destruction de l’inégalité entre les
nations ; les progrès de l’égalité dans un même
peuple : enfin le perfectionnement réel de
l’homme.
Condorcet Esquisse d'un tableau des progrès de
l'esprit humain (1795)
Enfin, l’espèce humaine doit-elle s’améliorer,
soit par de nouvelles découvertes dans les sciences et dans les
arts, et, par une conséquence nécessaire, dans les moyens de
bien-être particulier et de prospérité commune ;
soit par des progrès dans les principes de conduite et dans la
morale pratique ;
soit
enfin
par
le
perfectionnement
réel
des
facultés
intellectuelles, morales et physiques, qui peut être également la
suite, ou de celui des instruments qui augmentent l’intensité et
dirigent l’emploi de ces facultés, ou même de celui de
l’organisation naturelle.
Condorcet Esquisse d'un tableau des progrès de l'esprit humain (1795)
Notre époque, dans son insouciance, en est
arrivée à penser que la civilisation consistait avant
tout en réalisations pratiques, scientifiques,
techniques, artistiques et qu’elle pouvait bien se
passer d’éthique ou n’en garder qu’un minimum.
La civilisation et l’éthique, La civilisation et l’éthique; trad Madeleine
Horst, Paris, Alsatia, 1976, p. 57.
L’homme aliéné, surmené, dépersonnalisé et
cloisonné est exposé au danger de tomber dans la
déshumanisation.
La civilisation et l’éthique, p. 45.
Les murs sont encore debout parce que les
secousses dévastatrices qui ont emporté le reste
ne les ont pas encore renversés, mais, bâtis
également sur des éboulis, le premier glissement
de terrain pourrait les emporter.
La civilisation et l’éthique, p. 30
Il nous faut donc nous remettre au travail aujourd’hui.
Si nous voulons donner à notre vie un sens intelligible et
de haute qualité, il faut que nous trouvions à notre
affirmation du monde et de la vie et à notre éthique un
fondement convaincant irrécusable, capable de diriger
sainement nos activités et de leur donner une signification.
Albert Schweitzer, La paix par le respect de la vie (1923), trad. de l’allemand par
Madeleine Horst, Strasbourg, La Nuée bleue, 1979, p. 18.
Ce qui se passe aujourd’hui, dans les horreurs de notre
temps, est-ce autre chose qu’une gigantesque
répétition du drame faustien sur la scène du monde?
C’est à travers des milliers de violences et de crimes que
des idéologies inhumaines poursuivent leur jeu dément
! Méphisto nous fait mille grimaces ! Et c’est de mille
façons que l’humanité s’est laissé entraîner à couper ses
relations naturelles avec la réalité et à chercher son
salut dans les formules magiques d’un nouvel ordre
économique et social ! Elle veut fuir la misère dans
laquelle elle se trouve, mais ne fait que s’y enfoncer
davantage.
Goethe et notre temps, Francfort, le 22 mars 1932, cité dans, Humanisme et
mystique, Albin Michel, Paris, 1995, p. 228 – 229.
Paul Ricoeur (1913-2005)
Paul Ricœur
L’économie a sa propre rationalité, une
rationalité puissante qui peut par le calcul et la
recherche de l’efficacité organiser le travail et
penser les rapports entre production,
circulation et consommation.
On peut reconnaître à l’économie un réel
pouvoir d’intégration dans une « société
économique » qui rassemble les individus et les
rend interdépendants.
Ethique et Economie
Paul Ricœur
La rationalité économique, ainsi définie, s’oppose à
l’arbitraire et peut être vue comme un facteur
d’éducation des individus à prendre en compte
l’universel.
« L’homme de la technique, du calcul économique, du
mécanisme social, est le premier homme qui vit
universellement et se comprend par cette rationalité
universelle »
Paul Ricœur, « Ethique et politique » (1986), in Du texte à l’action.
Essais d’herméneutique II, Paris, Éditions du Seuil, 1998.
»
Ethique et Economie
Paul Ricœur
Là où l’économie devient suspecte, c’est
lorsqu’elle veut faire du politique une simple
variable de sa propre logique.
C’est là la critique de Ricœur contre le
marxisme, à qui il reproche d’avoir fait de
l’économie le seul critère du politique. Dans
cette mesure, les aliénations politiques étaient
vues comme de simples symptômes de
l’aliénation économique.
Ethique et Economie
Paul Ricœur
« Je vois pour ma part dans le marxisme-léninisme le
pourvoyeur de cette dramatique identification entre les
deux libéralismes. Je dis dramatique identification car
elle a eu pour effet un véritable machiavélisme
politique, dans la mesure où l’absence de réflexions
politiques autonomes laissait le champ libre à toutes les
expérimentations politiques y compris totalitaires, du
moment que le recours à la tyrannie était justifiée par
la suppression de l’appropriation privée des moyens de
production, prise pour unique critère des aliénations
modernes ».
Paul Ricœur, « Ethique et politique », p. 437.
Ethique et Economie
Paul Ricœur
Mais ce risque de réduction du politique à
l’économie vaut aussi pour au libéralisme
économique, lorsque celui-ci donne pour
seul critère du politique la satisfaction des
besoins et l’efficience du marché. Il réduit
alors la rationalité politique à une sorte
d’égoïsme intelligent.
Ethique et Economie
Paul Ricœur
Maximiser l’intérêt ne donne qu’une vue
incomplète des finalités de l’action humaine.
La société qui ne se définit qu’en termes
économiques est d’abord une société de
compétition, où les individus et les groupes
s’affrontent sans arbitrage, et qui n’a pas de
réponse à l’injustice. La mécanique sociale de
l’économie isole les individus et elle engendre
un sentiment d’insécurité
Ethique et Economie
Paul Ricœur
Maximiser l’intérêt ne donne qu’une vue
incomplète des finalités de l’action
humaine,
La recherche de l’efficacité économique ne
suffit pas à donner un sens à la vie
personnelle et sociale.
Ethique et Economie
Karl Otto Apel (1922)
Karl Otto Apel
« Pour la première fois dans l’histoire de l’espèce
humaine, les hommes sont confrontés en pratique
à la tâche d’assumer à l’échelle planétaire la
responsabilité collective des conséquences de
leurs activités. On pourrait penser qu’à la
contrainte d’une responsabilité collective doive
correspondre la validité intersubjective des
normes, ou au moins le principe fondamental
d’une éthique de la responsabilité. »
L’éthique à l’âge de la science, trad. fr. de R. Lellouche et I.
Mittmann, Presses Universitaires de Lille, 1987 p. 47
Ethique et Economie
Karl Otto Apel
« Comme on ne peut déduire les normes et les jugements de
valeur ni par le formalisme des inférences logicomathématiques, ni par des inférences inductives à partir des
faits, l’idée d’une objectivité scientifique semble renvoyer la
prétention à la validité élevée par les normes morales et les
jugements de valeur à la sphère d’une subjectivité arbitraire.
[…] Il s’ensuit que les normes morales elles-mêmes ne seraient
pas justiciables d’une fondation rationnelle, mais que seules le
seraient les descriptions axiologiquement neutres que les
sciences sociales empiriques – comme on les appelle – font
des normes morales effectivement observées, ainsi que les
explications causales ou statistiques de la constitution et de
l’application des normes morales ou des systèmes de valeur. »
K.-O. Apel, L’éthique à l’âge de la science, p. 46.
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Karl Otto Apel
« Derrière la neutralisation scientiste du problème moral se
trouve la motivation décisive d’une conviction utilitariste : la
conviction que seule une économie de marché capitaliste
conduit à la maximisation de l’utilité économique et donc à
la plus grande richesse de la population. […] Depuis la
conception par Adam Smith de la « main invisible » et
ultérieurement l’échec du socialisme d’Etat, la sélection
utilitariste de l’économie de marché est répandue à un tel
degré qu’elle fonctionne politiquement comme une
condition préalable naturelle pour toutes les évaluations
explicites et est alors incluse dans l’invocation des
contraintes fonctionnelles »
K.-O. Apel, La réponse de l'éthique de la discussion, au défi moral de la de la
situation humaine comme telle et spécialement aujourd'hui, trad. fr. M.
Canivet, Louvain/Paris, Ed. Peters, 2001, p. 133.
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Karl Otto Apel
« L’idée de liberté humaine ne devient-elle pas alors une
illusion, comme l’affirme effectivement le marxisme ? […] Dans
ces conditions, il n’est pas surprenant que la foule solitaire de
la société occidentale fasse finalement de moins en moins
usage de la possibilité, postulée par le système idéologique, de
ses décisions de conscience existentielles, et qu’elle n’agisse
plus de façon « autonome », mais de façon « hétéronome », ou
encore – pour employer un autre vocabulaire sociologique –,
qu’elle se laisse « manipuler », au sens de la manipulation du
consommateur, jusque dans la sphère, dite existentielle, de la
vie privée. »
L’éthique à l’âge de la science, p. 64
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