Quelles valeurs pour une société meilleure ?

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Quelles valeurs pour une société meilleure ?
Prologue pour une réflexion sur les valeurs
La raison d’être de notre Académie est la recherche de valeurs qui conviendraient à
une société meilleure. Autant il est facile en maçonnerie de tomber d’accord sur les
préceptes moraux contenus dans les rituels, comme l’approfondissement de la « Loi
morale », et les valeurs qui en découlent, autant intéresser l’opinion sur la nécessité
d’un consensus autour de valeurs est difficile.
Pour le maçon, réfléchir sur les valeurs morales fait partie de son engagement de
perfectionnement ; c’est un homme de bonne volonté « sainte », comme dirait Kant,
c’est-à- dire « conforme en tout à la loi morale ». C’est un art de vivre et un travail sur
soi, un processus, un cheminement. En maçonnerie, il est normal et coutumier de
réfléchir sur la liberté, la fraternité, l’égalité, la tolérance, la justice, l’équité, la
tempérance, la charité, le devoir etc.. On entretient ainsi une réflexion sur les «
hautes valeurs morales et spirituelles, intellectuelles voire matérielles » de
l’humanité.
Mais celui qui approfondit l’art royal et essaye de l’appliquer dans le quotidien, d’une
part ne remet pas en doute son contenu , et d’autre part fait difficilement partager
cette préoccupation qui n’est pas à la mode dans la société actuelle « tout
économique » : Et ceci sans compter les différences de contenus dès lors qu’il s’agit
de religions différentes, de cultures autres que la culture occidentale. Parfois même
parler « d’éthique » paraît être rétrograde, suranné, voire ridicule, improductif en tout
cas, quand cela ne suggère pas un rejet de l’idée « d’Ordre politique » qui pourrait en
découler, tant évoquer les « valeurs » fait ressurgir les souvenirs sombres de notre
histoire.
Ne pas en parler, ne pas susciter de réflexion sous prétexte que ce n’est pas le
problème d’aujourd’hui, c’est ignorer la crise d’identité qu’entraîne un mondialisme
sans contre pouvoir, autrement dit sans philosophie commune d’où peuvent renaître
d’autres institutions, qui ne sont que la mise en pratique d’un minimum de valeurs
communes et reconnues, autres que les valeurs spontanées et sporadiques nées
des modes et des media qui servent l’amoralité d’aujourd’hui. Les valeurs vivent ou
meurent comme un récif corallien plus ou moins atteint par la pollution ambiante.
Pour imager ce qui vient d’être dit, on peut dire que l’absence de valeurs écologiques
se traduit par la mer d’Aran, les pollutions diverses et les désertifications des forêts :
ce n’est pas tant qu’il n’y ait pas eu sous la pression des écologistes un intérêt dans
ce domaine (sans eux il n’y aurait pas eu un début de politique écologiste en Europe
et dans le monde) mais ce que nous voulons dire c’est que cette préoccupation n’est
pas sous-tendue par tout un réseau de valeurs appréciées et respectées. L’écologie
n’est qu’un polype parmi d’autres dans un récif en voie de disparition.
L’homme politique suit le courant de l’opinion et des media autant qu’un certain
fatalisme économique, comme si les hommes ne faisaient pas l’économie mais la
subissait ; il ne crée pas de valeurs, il en est le reflet. C’est pourquoi il me semble
nécessaire de recréer un intérêt à tous les niveaux pour ce domaine pour qu’un jour
le pouvoir politique, « l’ordre » de la société en général, se fonde sur quelque chose,
comme un réseau de valeurs cohérentes (le récif corallien) qui soit acceptable, qui lui
interdirait tout laxisme sous peine d’être condamné par l’opinion publique, un réseau
de valeurs dont l’homme soit le centre bien sûr.
La régression des religions, la régression des solidarités effectives (je pense au
traitement divers des catastrophes dans le monde dont certaines sont à peine
évoquées), la désintégration familiale (je pense au problème d’abandon des anciens
dans des mouroirs), une paradoxale montée de l’individualisme alors que tout est
traité globalement, un chômage décuplé par le mondialisme à tout crin, et le
développement technologique et un pouvoir gestionnaire sans limites ( je veux parler
des OPA), un désintérêt pour la chose publique qui dépasse la dimension de
l’individu ce qui entraîne une « anomie », un manque d’adhésion. Tout cela traduit
entre autre ce que j’ai appelé une crise d’identité de notre société globale. Ce n’est
pas tant qu’il n ’y ait aucune valeur, mais c’est plutôt que ces valeurs sont
dispersées, peu cohérentes, comme un filet de tennis distendu ou troué tant certains
de ses maillons sont vides de sens, de répercussion sur le quotidien parce qu’il y a
des choses à traiter dans l’urgence, sans penser à demain et qu’il faut bien « vivre
avec ce que l‘on a ». Et comment faire autrement puisque nulle part l’individu n’est
invité à penser et à agir différemment ? Ce n’est pas qu’il n’y ait personne pour
réagir, auteurs reconnus ou associations diverses, (la maçonnerie en est une), mais
là il s’agit d’une mode, vite désamorcée, là c’est la volonté de ne s’intéresser aux
effets plus qu’aux causes sans compter les récupérations de tout ce qui naît de non
politiquement correct ou de médiatiquement correct.
Il me semble qu’inciter à « réfléchir sur les valeurs » ne revient pas à faire la morale
aux autres, ni prôner une valeur plutôt qu’une autre. Or ceci est bien difficile, car on
ne peut s’empêcher de croire que ce à quoi on croit est vrai donc l’imposer aux
autres : depuis la nuit des temps les hommes se sont intéressés à la notion du « bien
» et « du mal » car en fin de compte tout revient à cela, qu’ils se soient inspirés du
code Hammourabi ou du Décalogue, ou qu ‘ils s’appuient sur d’autres cultures, les
hommes, on le sait, se sont souvent entretués au nom de valeurs dont ils croyaient
détenir la vérité. L’actualité nous montre bien que pour certains « la liberté de la
presse » convient et pour d’autres cette « liberté ne peut qu’être restreinte ». La
liberté de la presse n’est donc pas une valeur universelle.
Tout ceci pour expliquer pourquoi j’ai écrit, conformément à ma promesse, un
modeste essai en 7 chapitres non pas sur les valeurs elles-mêmes mais sur la façon
nous nous forgeons des opinions, des valeurs, en fonction de nos formations ou
aptitudes innées. J’ai essayé de mettre en relief que tout ce qui concerne ce en quoi
nous semblons croire le plus n’était que contingent dans le temps et dans l’espace ;
à tout moment on peut s’enfermer dans les dogmes et faire de nos valeurs un
prétexte à renier l’autre, à prendre le pouvoir et faire la guerre à l’autre.
C’est pourquoi je me suis livré à une réflexion en amont de l’événementiel du
contenu des valeurs mêmes, de nature plutôt philosophique, sur la façon dont les
scientifiques, les mathématiciens, les hommes de foi, les philosophes, les historiens,
prônaient leur vérité donc engendraient des valeurs dont s’inspire peu ou prou notre
monde pour évoluer. C’est une sorte d’examen de conscience précédent tout travail
de réflexion ou de création des valeurs elles-mêmes, Une remise à plat dont l’axe
sous jacent et utopiste est de tendre vers une mentalité d’accueil et d’amour de
l’autre comme tronc commun à partir duquel l’on pourrait faire pousser ou greffer des
branches dont je ne sais quelles formes ou densité elles pourront avoir dans l’avenir.
C’est ce qu’ont fait les philosophes de tous les temps, à ceci près que leurs systèmes
n’œuvrent pas tous dans le même sens : bien au contraire ces systèmes
philosophiques font apparaître bien des divergences. Ils partent d’un a priori, d’un
postulat de base, à savoir que ce qu’ils pensent est bien.
Aristote prône le bonheur, Epicure le plaisir, Spinoza la connaissance, Descartes la
logique, Kant la « bonne volonté », Bergson l’expérience, Marx la collectivité…les
nominalistes grecques, le réalisme, et les réalistes, les idées. Ces systèmes varient
selon la conception de la finalité, d’un but, d’un Bien dont l’homme devrait être le
sujet et l’objet. Cette pluralité de doctrines a été le ferment d’une société occidentale,
elle est toujours à souhaiter, mais la culture aujourd’hui humaniste et éclairée sertelle à sous tendre le mondialisme certes non ! Pas plus qu’il ne s’agit de revenir au
passé comme si le monde avait cessé d’évoluer. Ce n’est pas non plus en écrivant
des ouvrages en s’inspirant de l’état de l’opinion actuelle pour mieux vendre et se
faire reconnaître que l’on fera avancer le problème de l’édification des valeurs.Alors
que peut faire l’Académie dans cette voie ?
Si on accepte l’idée que les valeurs n’existent que si l’on en parle, chacun peut être
concerné par cette proposition de travail. Point n’est besoin d’être écrivain ou
philosophe.
1 - Chacun pourrait faire converger des anecdotes, des observations courtes sur ce
qui lui semble ne pas aller dans la société, dans son entourage et dans sa vie
professionnelle. C’est une autre façon d’aborder les valeurs. Identifier ce qui ne va
pas force à imaginer ce qui pourrait aller. On pourrait appeler cette partie « cahier de
doléances ». Ce premier point rejoint la ligne proposée par René Margeridon à
propos de conférences d’acteurs de la société. De mon côté je demande cette année
à mes thésars de rédiger une ou deux pages d’une part sur les valeurs des équipes
où ils vont effectuer un stage (endroits multiples publics et privés) et d’autre part sur
les valeurs qui sous tendent les actions économiques, médicales ou administratives.
Tout ceci constitue un vivier cohérent.
2 - Ceux d’entre vous les plus intéressés pourraient être l’équipe de travail de fond. Il
suffit de quelques uns. Ces quelques uns pourraient avoir des correspondants. Car il
existe plus d’un mouvement, des initiatives comme la nôtre de recherche.
L’Académie peut ainsi être un lieu qui a le mérite d’exister et elle peut servir de Lieu
de liaison en synergie avec l’extérieur, dans le vivier maçonnique et quelques
profanes.
Il conviendrait de faire un schéma type, comme une classification des domaines de
l’Ethique :
L’Ethique universelle :
C’est l’identification d’un certain nombre de postulats et de fondements. Le socle du
récif de corail.
L’Ethique de société :
C’est l’identification des courants existants actuellement
Intégrité physique et psychologique de l’homme, égalité des chances, dignité
humaine, dignité médicale, droit d’expression et media divers, Liberté et pouvoirs
divers. Et bien sûr, économie et écologie.
Ethique d’humanisme :
C’est l’identité de toute maçonnerie fondée sur la fraternité et tout ce qui découle de
la Loi morale. Il est inutile d’en préciser l’origine. Le penser le dire et le faire. Elle
sous-tend notre mode d’être.
Ethique de l’homme :
C’est l’éthique de conviction : la notion de bien et de mal qui s’impose à chacun
comme une vérité (voir les chapitres sur les vérités de l’opinion)
C’est aussi l’éthique de la responsabilité : la notion de droit et de devoir,
déterminisme et liberté, le refus de conformisme et de tout fatalisme.
Ethique de progrès ;
C’est l’éthique de toute évolution incluant la notion d’utopie.
a - Progrès scientifiques : médecine et technologie
b - Progrès affectifs : compassion, refus de la souffrance et espérance.
c - Progrès spirituel : incluant autant les penseurs de l’an mil que les écoles, que la
laïcité, que les travaux sur la cathédrale que nous avons envisagés.
Ethique du futur : tous domaines, c’est ce qui sortira de tous travaux
Les cahiers de l’Académie existent : le dictionnaire a commencé. Un site où l’on peut
convier des visiteurs et trouver des liens avec des tentatives sœurs. C’est l’idée de
synergie, une fois de plus, de tout ce qui est épars, institutionnel ou non . Les salons
de l’Académie, selon les années, dont il sortira toujours quelque chose sur les
valeurs. La correspondance avec des liens divers avec loges de recherches ou des
sites de cherchants. Commissions d’éthique existant dans les diverses obédiences et
dans le profane.
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Voilà donc de façon non exhaustive un exemple de schéma permettant d’organiser
notre travail de fond. Il est à parfaire. En conclusion l’essai sur les valeurs peut
constituer la pierre de seuil de notre cathédrale, nous qui travaillons à l’ombre de
celle de Chartres. Pour ma part, je serai toujours prêt à consacrer du temps et de
l’énergie à ce qui me semble primordial pour l’avenir de la société.
J’ai dit
René Polin
27 février 2006
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