L’observatoire du STRESS et des mobilités forcées PARIS le 6 Novembre 2008 Dr FONT LE BRET Psychiatre CES Médecine du Travail Psychiatre exerçant en libéral Praticien Attaché à la Consultation de Pathologie Professionnelle au CHU de Grenoble (Professeur De GAUDEMARIS) Praticien Attaché à la Consultation de Souffrance au travail, au CHU de Grenoble (Professeur BARRET) Expert Sécurité Sociale Psychiatre Agréée Membre du Comité Médical Départemental de l’Isère Saint-Etienne… On n’est pas d’un pays mais on est d’une ville Où la rue artérielle limite le décor Les cheminées d’usines hululent à la mort… Bernard LAVILLIERS Quelques éléments biographiques Une région en récession (Manufrance, Creusot-Loire…) Un cours de médecine du travail en 6ième année de médecine Des déceptions : l’approche par sommation Des rencontres marquantes : Jacques Durrafourg, Marc Bartoli, Bernard Doray… Des premières études sur le terrain Paul RICOEUR(1913/2005) « IL N’Y A PAS UN REGNE DU TRAVAIL ET UN EMPIRE DE LA PAROLE QUI SE LIMITERAIENT DU DEHORS MAIS IL Y A UNE PUISSANCE DE LA PAROLE QUI TRAVERSE ET PENETRE TOUT L’HUMAIN, Y COMPRIS LA MACHINE, L’OUTIL ET LA MAIN » « Je ne suis pas sûr d’avoir raison ; je suis sûr que çà doit être pensé. » Jacques DERRIDA Oui, retrouvé le chemin de la pensée et de la réflexion, en perte de vitesse, dans une société en pleine mutation du lien social, avec des seuils de rentabilité de plus en plus élevés n’épargnant plus aucun secteur. Cette société ne nous laisse plus assez de temps pour l’échange et le recul théorique indispensable à toute pratique professionnelle. Introduction Générale Mon travail part de 4 pré requis préliminaires : Nécessité 1/ D’une approche clinique qui part du Sujet, porteur d’une histoire singulière, familiale et sociale dont il faudra dénouer les entrelacements 2/D’une approche pluridisciplinaire respectueuse de chacun sans hiérarchisation des disciplines et acteurs 3/ De la Centralité du travail dans la construction identitaire 4/ D’une élaboration d’une Clinique Du Travail Clinique psychiatrique Les différents modes d’expression de la souffrance psychique au travail Un nécessaire retour à la Clinique en psychiatrie Il est impensable de faire l’impasse d’une connaissance sémiologique précise malgré le développement des neurosciences, des techniques d’imageries et de la génétique. Il n’existe aucun symptôme inutile dans le champ de la connaissance psychiatrique. Ne pas raisonner en fonction des Classifications (DSM IV, CIM 10) qui ont une autre fonction PAUL RICOEUR PHILOSOPHE LA SOUFFRANCE C’EST L’AMPUTATION DU POUVOIR D’AGIR » « CANGUILHEM «Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter les choses à l’existence, et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi.» Existe-t-il des symptômes spécifiques de la souffrance au travail ? Question déjà posée par Louis Le Guillant, psychiatre, un des pionniers dans ce domaine dont ses travaux sont d’une actualité saisissante mais qui ont été déformés à cause de son appartenance politique et de son militantisme. Docteur Louis Le GUILLANT 1900/1968 La névrose des téléphonistes. L’incidence psychopathologiques des bonnes à tout faire Le travail et la fatigue La VACMA (veille automatique à contrôle de maintien d’appui) … Les symptômes spécifiques de la souffrance au travail retrouvés le plus souvent : - affects de peur ou de terreur à l’idée de retourner au travail - phobies d’évitement des lieux - angoisse aiguë avec manifestations physiques : tachycardie, tremblements, sueurs, boule oesophagienne - cauchemars répétitifs à thématique professionnelle suivis de réveils en sueurs - pleurs fréquents (SUITE) … - retour diurne en boucle des scènes dites de violence ou d’humiliation au travail. - désarroi identitaire portant sur la perte d’estime de soi, avec un profond sentiment de dévalorisation et une position de justification défensive constante. Perte inhabituelle des repères moraux : le bien/le mal, le vrai/le faux, le juste/l’injuste - restriction de la vie sociale et affective - atteinte cognitive (concentration, logique, DTS, désorganisation du discours…) Conclusion 1 On s’accorde actuellement à reconnaître diverses formes de souffrance au travail, stress, violence , harcèlement,… mais le discours dominant reste souvent celui de la prise en charge des victimes, c’est-à-dire de la réparation et non de l’analyse des causes de cette nouvelle forme de pénibilité au travail. Conclusion 2 L’enjeu est donc de taille. Il est nécessaire de sortir d’une lecture réductrice qui présente la souffrance au travail comme un problème individuel ou issu de rapports entre les individus. Il apparaît clairement aujourd’hui que certaines organisations du travail engendrent des risques psycho sociaux. On parlera donc plutôt d’évaluation des contraintes psycho organisationnelles. Conclusion 3 Nécessité d’un travail en réseau sur la souffrance au travail, incluant les salariés, les syndicats, les médecins, les « médecins du travail », les médecins conseils, les avocats…et surtout ne pas PSYCHOLOGISER LES RAPPORTS SOCIAUX DE TRAVAIL MAIS LES RESITUER DANS UNE ORGANISATION GLOBALE DU TRAVAIL ET UNE VOLONTE POLITIQUE. Conclusion 4 Une évolution récente de la clinique psychiatrique. La violence avec des salariés qui en consultation arrivent à avouer des intentions délictuelles, des rixes, des auto mutilations ou blessures. Se souvenir que la violence peut-être auto agressive (c’est-à-dire se retourner contre soi) ou hétéro agressive mais que c’est la même pulsion qui est à l’œuvre. Conclusion 5 Bien connaître les spécificités et les différences entre le régime privé et le secteur public car cela peut être une source de contentieux inutile Médecins conseils versus Médecins agréés Accident de travail versus accident de service… Choix du formulaire d’arrêt maladie… Toujours se faire conseiller, on ne peut pas tout savoir. Conclusion 6 Ne pas tomber dans les pièges du « Coaching », terme à bannir, véritable outil de manipulation mentale et subjective. Le savoir est chez ceux qui travaillent, le tout est de leur laisser le droit de s’exprimer et de le mettre en œuvre à leur façon, avec leur ressenti et leur expérience. Centralité du Travail « LE RAPPORT DES PATIENTS AU TRAVAIL DOIT FAIRE PARTIE DE L’INVESTISSEMENT CLINIQUE DE BASE » CHRISTOPHE DEJOURS (article du Concours Médical du 29/03/2006 sur la Souffrance au Travail : Nouvelles pathologies et Nouvelles réponses) Conduite à tenir: protéger le patient de la démission. Si possible prévoir du temps pour la consultation Évaluation du diagnostic et de l’urgence Traitement symptomatique dans un premier temps Arrêt de travail mais sur quel formulaire ? Diagnostic ? Horaire de sortie ? Demander l’accord du Patient pour échange avec le Médecin du Travail Revoir le Patient rapidement Adresser si besoin à un spécialiste Conduite à tenir Si lien direct et essentiel entre la pathologie constatée et les conditions de travail habituelles, veiller à ce que la déclaration en maladie professionnelle hors tableau soit faite, si les conditions ne sont pas toutes réunies, faire une déclaration de maladie à caractère professionnel. Dans la FP saisir la Commission de Réforme si pathologie imputable au service. Conduite à tenir Dans tous les cas de figure, nécessité d’un accompagnement dans la durée car le processus thérapeutique est souvent long, les procédures complexes, et le contentieux important, avec des délais d’attente. Nécessité d’une bonne évaluation des capacités du Patient à affronter une procédure, en évaluer le bénéfice par rapport aux risques de chronicisation ou décompensation de type paranoïaque ou sucidaire. 4. Les apports de la psychodynamique du travail Les travaux de Christophe DEJOURS Les apports de la psychodynamique du travail sont essentiels car ils proposent un cadre conceptuel. On ne parle pas de stress mais de souffrance au travail La PDT s’appuie sur 3 théories : la théorie sur le sujet la théorie sur le travail la théorie sur la société 4. Les apports de la psychodynamique du travail La théorie sur le sujet s’appuie sur le fait que tout individu sain d’esprit cherche à s’accomplir et à relever des défis en mobilisant son intelligence pratique et son inventivité. Le travail, en questionnant notre capacité ou notre créativité, nous permet de révéler d’autres potentialités et donc de nous accomplir. Le travail devient alors l’instrument privilégié dans la construction du sens et de l’identité. 4. Les apports de la psychodynamique du travail La théorie sur le travail s’est beaucoup inspirée des découvertes de l’ergonomie pour laquelle le travail n’est jamais une simple exécution technique. Il y a toujours une différence entre le travail prescrit et le travail réel ouvrant ainsi un espace d’ajustement qui signe la résistance au réel. Cette résistance qui peut être déstabilisante pour le sujet le conduit à inventer et à créer. Le travail n’est donc jamais la stricte application de tâches techniques ou la mise en œuvre d’activités prédéterminées comme tentent de le faire la standardisation des procédés ou les organisations du travail très rigides. 4. Les apports de la psychodynamique du travail La théorie sur la société fait référence au regard de l’autre dans la construction de l’identité. Le jugement d’autrui sur la capacité de faire est ici capital, compte tenu que l’individu est inscrit dans une communauté d’appartenance. Le sujet peut être aidé par des règles de travail de sa communauté d’appartenance lorsqu’il est déstabilisé par la résistance du réel, mais il a besoin de singularité et a toujours l’espoir de faire progresser les normes et d’apporter sa contribution à l’organisation. 4. Les apports de la psychodynamique du travail Pour la psychodynamique du travail, la santé mentale est donc le résultat d’un équilibre dynamique ( donc instable) entre le besoin de l’accomplissement de l’individu, les normes sociales dont il dépend et finalement, le travail qui impose une productivité dans des contraintes connues. Cette approche positionne le travail comme un puissant opérateur de santé lorsque les conditions sont favorables. 4. Les apports de la psychodynamique du travail A contrario la non reconnaissance par la hiérarchie et/ou les collègues des difficultés rencontrées par le travailleur dans son rapport au réel et/ou dans sa contribution originale au travail est très difficile sur le plan psychologique et peut générer des atteintes à la santé. 4. Les apports de la psychodynamique du travail Le conflit autour de la qualité : Le terme qualité est ambigu au sein de l’entreprise. Il ne prend pas toujours la même signification pour le personnel et pour le management. Pour les salariés un travail de qualité présente 2 caractéristiques fondamentales: il est conforme aux règles de métier et il porte la marque personnelle de son auteur. Il en va tout autrement du point de vue du management. La qualité est définie par en référence au marché. 4. Les apports de la psychodynamique du travail Cette tension entre norme du marché d’une part, normes professionnelles d’autre part, est très généralement retrouvée à l’origine de la souffrance au travail. Le fait de devoir faire trop vite un travail qui demanderait plus de soins est nettement lié au sentiment de mal être au travail. Les atteintes à la santé Le travail source de plaisir ou de souffrance… Lorsque le contexte de travail est favorable, et qu’il autorise la contribution individuelle, le travail apporte un but et un sens à la vie. Il participe de l’identité de l’individu du fait de la reconnaissance des pairs et de la hiérarchie qu’il amène, du soutien social qu’il procure, du sentiment d’utilité qu’il confère. Dans ces conditions le travail est un des facteurs de bonne santé les plus importants de la vie Les atteintes à la santé Mais dans un contexte de travail défavorable, le travail peut faire basculer l’individu et entraîner des problèmes de santé ou les aggraver. Problèmes de santé physiques et/ou psychiques Comportements : consommation de tabac, d’alcool, mise en danger de la santé par des prises de risque Les atteintes à la santé 1ère phase : les manifestations du stress émotionnelles: réactions d’angoisse et de dépression, sentiment de désespoir, d’impuissance cognitives : difficultés à se concentrer, à mémoriser, à apprendre, à être créatifs comportementales : consommation d’alcool, de tabac, boulimie, prise de risque au travail, au volant, comportement agressif physiologiques : tachycardie,tensions musculaires,sécrétion excessive de sucs gastriques, augmentation de la tension artérielle Les atteintes à la santé 2ème et 3ème phase : les pathologies réversibles et irréversibles imputables au stress maladies cardiovasculaires : estimation 16% de maladies CV imputables au stress au travail chez l’homme et 22% chez la femme troubles musculosquelettiques : 1ère cause de maladie professionnelle indemnisable en France angoisse et troubles dépressifs autres : Syndrome du colon irritable participation du stress aux accidents du travail Quelle prévention ? Les facteurs liés à la tâche Contraintes physiques élevés Contraintes de temps, délais jugés trop courts Interruptions de travail fréquentes Surcharge de travail ou sous-charge Tâches incompatibles avec les moyens et les capacités du salarié Monotonie de la tâche Manque d’autonomie Excès ou insuffisance de responsabilités Contact avec le public ……… Quelle prévention ? Les facteurs liés à l’organisation du travail Mauvaise répartition du travail Horaires et organisation des temps de travail Imprécision dans « qui fait quoi ? » Demandes contradictoires Environnement de travail avec de nombreux dysfonctionnements techniques Facteurs d’ambiance : bruit, éclairage, vibrations …… Quelle prévention ? Facteurs psychosociaux Mauvaises relations de travail : pas d’entraide entre collègues, pas de soutien entre la hiérarchie Manque de reconnaissance du travail réalisé Management sans définitions claires des rôles et responsabilités de chacun Engagement excessif dans le travail Situations de précarisation lors des situations de restructuration d’entreprise Conclusion Les différentes approches présentées permettent d’orienter le débat social à l’intérieur de l’entreprise sur l’origine professionnelle de certains problèmes de santé mentale. Ainsi plutôt que de les attribuer aux seules caractéristiques individuelles des travailleurs, ces problèmes peuvent être abordés sous l’angle de l’organisation du travail, notamment en regard du déséquilibre entre les exigences du travail et l’autonomie, la reconnaissance et le soutien disponible d’autre part.