310
L’Encéphale,
33 :
2007, Mai-Juin, cahier 1
NEUROPSYCHOLOGIE
Le déficit neuropsychologique dans la maladie d’Alzheimer
débutante
L. TRAYKOV
(1)
, A.-S. RIGAUD
(3)
,
P. CESARO
(1)
,
F. BOLLER
(2)
(1) CHU Henri-Mondor, Université Paris XII, 51, avenue du Maréchal de Tassigny, 94010 Créteil.
(2) INSERM, Unité 549, 2 ter, rue d’Alésia, 75014 Paris.
(3) Hôpital Broca, 54-56, rue Pascal, 75013 Paris.
Travail reçu le 16 décembre 2004 et accepté le 15 mars 2006.
Tirés à part :
L. Traykov (à l’adresse ci-dessus).
Neuropsychological impairment in the early Alzheimer’s disease
Summary.
This analysis is centered on the study of cognitive disorders in Alzheimer’s disease (AD), mainly for major
neuropsychological functions. We insist on the heterogeneity of the clinical picture peculiarly in the early stages of the
illness, even if the deficits of episodic memory and of attentional/executive
capacities are the first to deteriorate, preceding
impairment
in perceptual and language function and potentially having a
substantial impact on the patient’s capacity to
cope independently. An episodic memory deficit is the hallmark of AD, but it must be stressed that this deficit may take
different forms and its origin may be traced back to different cognitive mechanisms. One of the most striking aspects of
episodic memory impairment in AD is the rapidity of forgetfulness on which screening and diagnostic tests of AD are
based. There is some evidence that the episodic memory deficit in AD is one of learning (encoding and storage) of infor-
mation rather than to a deficit of retrieval. Furthermore, episodic memory performance in AD depends on the integrity of
semantic memory abilities, so giving support to a hierarchical model of organization of human memory. Finally, recent
results show that an impairment of conscious recollection is responsible for the poor performance of AD patients in reco-
gnition memory. Executive deficits appear predominantly in tasks requiring cognitive flexibility and self-monitoring. With
the progression of the disease, additional deficits are observed in the verbal concept formation abilities. These findings
might be also very useful in the differential diagnosis between AD and the other cortical and subcortical dementias, as
well as in the differentiation between AD and fronto-temporal dementia. We consider that studying early stages of the
illness is necessary to delineate the diagnostic signs, to validate the new therapeutic experiments, to predict stages of
decline. Recent research suggested that onset of AD is commonly preceded by an interim phase known as mild cognitive
impairment (MCI). MCI refers to the clinical condition in which persons experience memory loss to a greater extent than
one would expect for age, yet they do not meet currently accepted criteria for clinically probable AD. Persons who expe-
rience this condition are at increased risk for the development of AD. In MCI, despite the comparable global cognitive
functioning, the findings show more impaired retrieval from long-term storage than in NC. The cued recall improves slightly
the total recall but the recognition is significantly impaired. Moreover, the data indicate that MCI patients had additional
problems with response inhibition, switching and cognitive flexibility. This suggests, that MCI may be identified by using
a more detailed procedure for the assessment of cognitive decline than the evaluation of memory alone. As preventive
strategies are developed and new cognitive enhancing therapies emerge, these results may also help us to define which
domains are expected to improve in MCI populations.
Key words :
Alzheimer’s disease ; Early diagnosis ; Mild cognitive impairment ; Neuropsychology.
L’Encéphale, 2007 ;
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310-6, cahier 1 Le déficit neuropsychologique dans la maladie d’Alzheimer débutante
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Résumé.
Cette analyse des désordres cognitifs de la mala-
die d’Alzheimer (MA) est centrée sur les atteintes des fonc-
tions majeures. Une hétérogénéité du tableau clinique est
observée dans les phases précoces de la maladie, bien que
les déficits atteignant la mémoire épisodique et les fonctions
exécutives soient les plus fréquents. La mémoire épisodique
est précocement atteinte dans la MA. Un déclin particulier des
capacités de l’administrateur central pour la mémoire de tra-
vail est également constaté dès l’apparition des premiers
symptômes de la maladie. En revanche, la mémoire séman-
tique, qui concerne les connaissances régulières linguisti-
ques et non linguistiques, apparaît mieux préservée au cours
des phases précoces de la maladie. La mémoire implicite,
qui requiert un rappel sans effort conscient, est habituelle-
ment préservée chez des patients alzheimériens, alors que
leurs performances aux tests explicites exigeant un effort
conscient de rappel sont détériorées. Pour ce qui concerne
la reconnaissance, les études montrent que la remémoration
inconsciente est aussi préservée au cours de la MA. Dans le
cadre des fonctions exécutives, les patients sont particuliè-
rement atteints dans les épreuves nécessitant une manipu-
lation simultanée d’informations différentes, dans toutes les
tâches impliquant une grande flexibilité cognitive, des capa-
cités d’auto-contrôle et de structuration temporelle d’un plan.
En revanche, dans les phases précoces de la maladie, les
performances aux épreuves qui requièrent la formation de
concepts verbaux sont beaucoup moins déficitaires. Les der-
nières études ont suggéré que le début de la MA est couram-
ment précédé par une phase intermédiaire connue en tant
que trouble cognitif léger (
Mild Cognitive Impairment
, MCI).
Des travaux récents montrent également que dans des popu-
lations MCI un déficit des fonctions exécutives est présent
précocement, même chez les sujets à risque quand le seul
symptôme est le déclin de la mémoire épisodique. On peut
estimer que la prise en compte des phases précoces de la
maladie est d’un intérêt déterminant pour l’établissement des
signes sur lesquels repose le diagnostic, pour la validation
des expérimentations thérapeutiques, pour la prédiction des
étapes de la détérioration démentielle.
Mots clés :
Diagnostic précoce ; Maladie d’Alzheimer ; Neuropsy-
chologie ; Trouble cognitif léger.
INTRODUCTION
Le problème du diagnostic au cours des phases précoces
de la maladie d’Alzheimer (MA) a retenu toute l’attention des
chercheurs et des cliniciens au long de ces dernières
années (2). La connaissance de ce profil cognitif est déter-
minante aussi dans les réflexions sur le pronostic et sur l’his-
toire naturelle de la maladie. Les récentes avancées des trai-
tements contre la MA ont également mis en évidence
l’importance du diagnostic précoce et le besoin de caracté-
riser le profil cognitif dès les premiers stades de la maladie.
Dans cette revue, sont examinées les altérations qui
affectent les fonctions cognitives majeures dans les pha-
ses tout à fait initiales de la MA : la mémoire, l’attention
et les fonctions exécutives, le langage et les fonctions
visuo-spatiales.
TROUBLES DE LA MÉMOIRE
Une littérature importante a été consacrée, au cours
des 25 dernières années, à la modélisation des processus
mnésiques. Les troubles mnésiques dans la MA peuvent
également être interprétés dans le cadre de théories qui
considèrent la mémoire comme un ensemble de sous-sys-
tèmes relativement autonomes
(tableau I)
.
La distinction entre mémoire à court terme (MCT) et
mémoire à long terme fait référence essentiellement à la
nature différente de chacun de ces systèmes. La MCT est
un système de faible capacité dans le temps et dans le
volume d’informations, qui permet de maintenir temporai-
rement l’information sous un format facilement accessible
pendant la réalisation des différentes tâches cognitives.
La mémoire à long terme (MLT) est conçue comme le sys-
tème d’opérations permettant l’utilisation d’apprentissa-
ges antérieurs. La distinction faite par Tulving (34) entre
mémoire épisodique et mémoire sémantique a marqué le
début des théories qui suggèrent le fractionnement de la
MLT. La mémoire épisodique concerne des événements
précis, spécifiques, du vécu du sujet, codés dans le temps
et dans l’espace. La mémoire sémantique rend possible
le stockage des informations se référant aux noms com-
muns ou propres, à la connaissance des règles et des
concepts qui permettent la compréhension du monde
environnant. La mémoire déclarative, verbalisable et
directement accessible à la conscience a été opposée à
la mémoire procédurale permettant l’acquisition d’habile-
tés perceptivo-motrices et cognitives sans recours au rap-
pel volontaire.
Une autre distinction, celle entre mémoire implicite et
explicite (27), concerne la modalité de récupération des
informations stockées en mémoire. La mesure de la
mémoire explicite exige des épreuves dites directes, qui
font appel à des processus conscients et actifs de récu-
pération d’informations basés sur des expériences anté-
rieures. La mesure de la mémoire implicite utilise des
épreuves dites indirectes, qui peuvent être classées en
deux catégories : l’effet d’amorçage (système de repré-
sentation perceptive) et l’apprentissage de procédures
(mémoire procédurale). Ces concepts et surtout l’hypo-
thèse de leurs interrelations ont conduit récemment à l’éla-
TABLEAU I. —
Subdivision des systèmes de mémoire
et quelques tâches communément utilisées.
Systèmes de mémoire Tâches de mémoire
Système de représentation
perceptive
Mémoire à court terme
Mémoire sémantique
Mémoire épisodique
Mémoire procédurale
Mémoire implicite
– amorçage
conditionnement classique
apprentissage implicite
d’habiletés perceptives,
motrices, etc.
Mémoire explicite
empan verbal et non verbal
rappel libre et indicé
– reconnaissance
L. Traykov
et al.
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310-6, cahier 1
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boration de modèles globaux. Ainsi Tulving (34) a-t-il pro-
posé de distinguer cinq systèmes mnésiques principaux :
la mémoire procédurale, la mémoire à court terme, la
mémoire épisodique, la mémoire sémantique, et le sys-
tème de représentation perceptive.
Les troubles de la mémoire constituent de loin le symp-
tôme le mieux reconnu et le plus caractéristique de la MA.
À un moment ou à un autre dans l’évolution de la maladie,
la mémoire peut se trouver altérée dans l’un ou dans
l’autre de ses aspects, ou dans tous simultanément. Tous
les systèmes de mémoire peuvent être dégradés : la
mémoire primaire, la mémoire implicite, la mémoire épi-
sodique, la mémoire sémantique. Assurément ces diffé-
rentes mémoires partagent des procédures générales de
même ordre (acquisition, stockage, récupération), mais
elles se différencient par la nature de l’objet sur lequel elles
opèrent, et très logiquement par des mécanismes et struc-
tures spécifiques, ce qui rend chacune susceptible de
modifications individualisées au cours de la maladie (34).
Les malades alzheimériens ont un déficit de la MCT,
mais des données contradictoires ont été également rap-
portées. Ce déficit ne se manifesterait pas au stade pré-
coce de la MA et n’apparaîtrait qu’après la survenue des
symptômes cognitifs majeurs. Aux épreuves mesurant la
MCT passive, verbale et spatiale, tel l’empan digital et le
test de Corsi, les patients alzheimériens dans la phase très
légère (
Mini Mental State Examination
, MMSE 24-30) ont
réalisé des scores quasi normaux, tandis que dans les sta-
des légers (MMSE 18-23) leurs performances ont été
significativement plus basses que celles des sujets
témoins. Un déclin particulier des capacités de l’adminis-
trateur central pour la mémoire de travail est constaté dès
l’apparition des premiers symptômes de la maladie (28).
La mémoire implicite, qui requiert un rappel sans effort
conscient, est habituellement préservée chez des patients
alzheimériens, alors que leurs performances aux tests
explicites exigeant un effort conscient de rappel sont dété-
riorées (8,16). Par exemple, les passations successives
d’un test d’assemblage de puzzle révélaient un appren-
tissage implicite, par l’amélioration de la performance,
sans qu’aucun souvenir explicite ne soit attaché à l’une
ou l’autre des passations elles-mêmes. Cette préservation
de la mémoire implicite s’est trouvée récemment confir-
mée (8). Des résultats comparables ont été démontrés
pour l’amorçage lexical. Les patients montraient un effet
d’amorçage normal au test de complétion de mots, tandis
que la reconnaissance explicite de ces mêmes mots était
considérablement déficitaire (16).
L’amnésie pour la source de l’information est un phé-
nomène bien documenté chez les patients alzheimériens.
Multhaup et Balota (22) ont établi que les patients alzhei-
mériens, bien que manifestant une amnésie de la source
reconnaissaient mieux les mots qu’ils avaient générés
dans l’épreuve de complétion de phrase
(generation
effect)
que les mots fournis directement par l’investigateur.
La mémoire épisodique est précocement atteinte dans
la MA. Typiquement, les patients alzheimériens présen-
tent des difficultés aussi importantes à se remémorer
des épisodes passés qu’à acquérir des connaissances
nouvelles. En revanche, la mémoire sémantique, qui
concerne les connaissances régulières linguistiques et
non linguistiques, apparaît mieux préservée au cours des
phases précoces de la maladie, quoique certaines mani-
festations laissent entrevoir les prodromes de dégradation
propres à cette base de données. Ainsi peut-on évoquer
la question, qui reste ouverte encore, de la possibilité pour
le rappel épisodique de se réaliser si un déclin de la
mémoire sémantique est manifeste. Graham
et al.
(13) ont
apporté une importante contribution à notre connaissance
des relations entre mémoire épisodique et mémoire
sémantique en montrant que les patients avec démence
sémantique conservent une capacité d’apprentissage
normale en l’absence de toute connaissance sur la pro-
cédure même d’apprentissage, tandis que les patients
alzheimériens montrent le profil inverse.
Cependant, dans les cas typiques de MA, des troubles
de la mémoire épisodique surviennent avant les troubles
de dénomination et les autres troubles sémantiques et non
sémantiques, impliqués dans l’agnosie et l’apraxie. Un
déficit isolé de la mémoire épisodique peut dominer le
tableau clinique de la MA pendant plusieurs années. Dans
leur étude, Bowen
et al.
, (6) ont montré que 48 % des
patients souffrant d’une perte de mémoire isolée dévelop-
pent une démence dans les 48 mois suivants l’observation
clinique initiale. Ces résultats suggèrent que le diagnostic
d’une MA peut être soupçonné même dans des cas qui
ne correspondent pas aux critères cliniques classique-
ment reconnus.
La reconnaissance comporte deux composantes : l’une
basée sur la remémoration consciente d’une exposition
antérieure aux items à reconnaître, l’autre basée seule-
ment sur le sentiment de familiarité avec les items à recon-
naître, sans aucun rappel conscient de leur présence
antérieure. Les études montrent que seulement la pre-
mière composante de la reconnaissance, la remémoration
consciente, est atteinte au cours de la MA (34).
TROUBLES DE L’ATTENTION
ET DES FONCTIONS EXÉCUTIVES DE CONTRÔLE
Les fonctions exécutives recouvrent l’ensemble des
processus cognitifs nécessaires à la réussite de tâches
complexes, telles que, suivant Tranel
et al.
: 1) l’élabo-
ration d’un plan (estimation du point de départ, du point
d’arrivée souhaité et des stratégies nécessaires pour s’y
rendre), 2) la prise de décision (capacité à choisir l’action
la plus appropriée au but visé), 3) le jugement (évaluation
des options afin d’en apprécier les mérites respectifs),
et 4) l’auto-perception (contrôle et maintien du pro-
gramme de réponse jusqu’à son achèvement complet)
(31)
(tableau II).
De façon générale, il s’agit de l’ensemble des fonctions
nécessaires au contrôle et à la réalisation de comporte-
ments intentionnels. Parmi les nombreux modèles visant
à rendre compte du fonctionnement neuropsychologique
du système exécutif, celui de Norman et Shallice (23)
apparaît encore comme le plus complet. Ce modèle
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310-6, cahier 1 Le déficit neuropsychologique dans la maladie d’Alzheimer débutante
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repose sur une organisation du contrôle de l’action à deux
niveaux. Au premier niveau, l’action se déroule grâce à
l’activation de routines spécifiques à l’organisation sché-
matique et à flexibilité réduite. Ces routines opèrent de
manière automatique et ne peuvent résoudre par elles-
mêmes aucun des nouveaux problèmes auxquels nous
sommes sans cesse confrontés
.
Lorsque un problème
nouveau se présente, les processus de premier niveau ne
permettent plus de faire face. Il faut alors recourir aux pro-
cessus de niveau supérieur, organisés dans le Système
de supervision attentionnelle (SAS). Le SAS opère alors
sur le niveau inférieur en réorganisant les routines de
façon qu’elles concourent à la solution du problème.
D’autres modèles ont été proposés afin d’expliquer le
« syndrome dysexécutif », soulevant de cette manière la
question de la spécificité des tâches utilisées pour son
évaluation (voir 12, pour une excellente revue).
Par définition, selon les critères du DSM IV, les malades
atteints de MA ne présentent pas d’atteinte grave de
l’attention. Pourtant, lors d’un examen détaillé recourant
aux tests neuropsychologiques adéquats, l’attention se
révèle effectivement compromise chez les malades
déments, à des degrés variables sans doute, mais dans
pratiquement tous ses aspects. Diverses études ont mon-
tré que, dans la phase initiale de la maladie, la vigilance
et l’attention dirigée étaient affectées de façon relative-
ment moindre que les autres aspects de l’attention (7). Les
temps de réaction simples ne sont que légèrement allon-
gés chez les patients déments qui conservent la capacité
de focaliser leur attention sur une information essentielle
pour la réalisation d’une performance déterminée. Les
problèmes d’attention se présentent, chez les malades
d’Alzheimer, de façon évidente lorsqu’ils sont engagés
dans l’exécution de tâches requérant un partage de
l’attention simultanément vers plusieurs stimuli ou types
de stimulus (19,20).
Les fonctions dites « exécutives » déclinent très préco-
cement au cours de la MA (2,7,18). Les patients sont par-
ticulièrement atteints dans les épreuves nécessitant une
manipulation simultanée d’informations différentes, dans
toutes les tâches impliquant une grande flexibilité cogni-
tive, des capacités d’auto-contrôle et de structuration tem-
porelle d’un plan. En revanche, dans les phases précoces
de la maladie, les performances aux épreuves qui requiè-
rent la formation de concepts verbaux sont beaucoup
moins déficitaires.
Il existe cependant un désaccord portant sur la chro-
nologie des troubles affectant les fonctions exécutives
dans la progression de la maladie. Broks
et al.
(7) sou-
tiennent que les troubles des fonctions exécutives sont
secondaires aux déficits mnésiques. Ils postulent l’exis-
tence d’une atteinte précoce des connexions liant le com-
plexe amygdalo-hippocampique au cortex frontal. Les
patients alzheimériens, selon ces auteurs, n’auraient pas
de trouble aux épreuves exécutives si elles ne sollicitent
ni les capacités de perception visuelle ni le langage.
Lafleche et Albert (18) ont montré que les troubles des
fonctions exécutives surviendraient au stade débutant
de la maladie (MMSE
22) lorsque les troubles praxi-
ques, phasiques et d’attention sélective sont peu pro-
noncés. Ces auteurs n’ont pas trouvé de corrélation
entre les performances aux épreuves exécutives et aux
épreuves mnésiques quelles que soient les méthodes
statistiques utilisées. Parmi les processus exécutifs fra-
giles, le mécanisme d’inhibition est très précocement
touché dans la MA (1). Nous avons confirmé entièrement
les résultats obtenus par Lafleche et Albert (18) avec des
épreuves mnésiques et exécutives différentes (33).
Nous avons ainsi observé que les troubles des fonctions
exécutives surviennent au stade débutant de la maladie
lorsque le tableau clinique est dominé par les seuls défi-
cits mnésiques.
Les troubles des fonctions exécutives dans les phases
précoces de la MA sont d’intensité moindre que ceux
observés dans la démence fronto-temporale (4), alors que
les déficits mnésiques sont plus prononcés dans la MA
que dans la démence fronto-temporale. Ainsi, ce profil à
deux composantes en relation inverse pourrait-il s’intégrer
dans la détermination d’un diagnostic différentiel distin-
guant MA et démence fronto-temporale. Une même dis-
sociation du profil neuropsychologique a été mise en évi-
dence entre MA et démence vasculaire sous-corticale
(32). Cette dernière observation conforte l’hypothèse que
des pathologies diffuses peuvent entraîner une atteinte
des fonctions exécutives. Le syndrome dysexécutif
observé dans ce type de pathologie résulterait d’une dys-
connexion du cortex frontal par lésion de la substance
blanche.
TROUBLES DU LANGAGE
Le langage est un ensemble cognitif dont l’architecture
intègre des niveaux différents fonctionnant de manière
autonome ou partiellement autonome. Ces niveaux com-
prennent la phonologie, le lexique, la syntaxe et le système
des règles qui régissent la participation des locuteurs à
l’exercice du langage. À chacun de ces niveaux corres-
pondent des opérations linguistiques qui manifestent une
sensibilité variable à la maladie d’Alzheimer.
La plupart des auteurs s’accordent pour considérer que
les troubles du langage sont présents dès le début de la
TABLEAU II. —
Quelques composantes des fonctions
« exécutives » et certains tests utilisés pour les mesurer.
Fonctions « Exécutives » :
a) Formation de concepts :
Wisconsin Card Sorting Test
b) « Shifting attitude » :
Wisconsin Card Sorting Test
Trail-Making Test
c) Maintien d’un « set » mental :
Stroop Test
Test de fluence verbale et non verbale
d) Planification, exécution et structuration temporelle :
Labyrinthes de Porteus
L. Traykov
et al.
L’Encéphale, 2007 ;
33 :
310-6, cahier 1
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maladie (26). Ces troubles sont toutefois d’importance
moindre que les troubles de la mémoire ou des fonctions
exécutives.
Les désordres langagiers se manifestent tant dans la
production que dans la réception et la compréhension du
matériel verbal. Aux stades précoces, lorsque la détério-
ration cognitive reste légère ou modérée, la production
verbale spontanée est toujours fluente, souvent marquée
par un manque de mots et une certaine incohérence thé-
matique. Le discours ne permet plus qu’une transmission
d’informations parcellaires et souvent insuffisantes pour
autoriser un véritable dialogue. L’articulation des sons du
langage, la morphologie et la syntaxe demeurent intactes,
mais les formes syntaxiques utilisées s’appauvrissent et
les références anaphoriques sont souvent absentes. Au
cours des étapes avancées de la maladie, à l’exclusion
des phases très tardives, les différents composants struc-
turaux du langage continuent à ne pas être atteints de
manière uniforme et à laisser apparaître des dissociations
manifestes : la phonologie, la morphologie et la syntaxe
vont demeurer largement préservées, l’atteinte de la
dimension lexico-sémantique va se conjuguer avec la dés-
tructuration des références pragmatiques.
Une analyse plus fine des troubles de la dénomination
a mis en évidence d’autres aspects des troubles séman-
tiques, en particulier une dissociation entre objets inani-
més et animés et la constatation que la catégorie « être
vivant » serait particulièrement vulnérable. Cette disso-
ciation semblerait, en fait, liée à la familiarité et aux carac-
téristiques perceptives des différents stimuli, ou/et au
stade de progression de la maladie (29). Les processus
gérant les similarités entre les items d’une même caté-
gorie contribuent à l’appréciation normale de la significa-
tion des mots et des images. Ils sont eux aussi gravement
influencés par l’intensité des troubles affectant la
mémoire sémantique. Des patients alzheimériens pré-
sentant une mémoire sémantique relativement préservée
sont capables de classer par catégorie des items bien
caractérisés, tandis que des patients avec un déficit
sémantique plus prononcé se montrent incapables de
réaliser cette performance.
Une autre dissociation a été récemment décrite par Sil-
veri
et al.
(30) dans les performances des patients MA
pour des tâches de dénomination. Des patients alzheimé-
riens et des malades souffrant d’une démence fronto-tem-
porale ont été soumis à une épreuve de dénomination por-
tant sur deux catégories d’items : des objets et des
actions. Les patients alzheimériens sont particulièrement
déficitaires dans la dénomination des objets et relative-
ment performants dans la dénomination des actions, alors
que les déments fronto-temporaux présentent le profil
inverse, ce qui suggère un rôle primordial du lobe frontal
dans la génération des noms d’action.
Par ailleurs, les performances des patients alzheimé-
riens aux épreuves sémantiques sont corrélées avec
les valeurs du débit sanguin cérébral de la région parié-
tale inférieure et de la région temporale supérieure de
l’hémisphère gauche (14). Par contre, chez les patients
avec démence fronto-temporale les résultats aux épreu-
ves évaluant la compréhension grammaticale sont cor-
rélés avec le débit sanguin cérébral de la région frontale
gauche et de la région temporale antérieure. Ces résul-
tats suggèrent l’existence de réseaux neuronaux distri-
bués dans l’hémisphère gauche supportant différentes
étapes fonctionnelles des processus sémantiques et lin-
guistiques.
TROUBLES VISUO-SPATIAUX
Dans sa forme typique, la MA présente une large variété
de troubles visuo-spatiaux, depuis les troubles de la per-
ception visuelle et spatiale (5), les troubles visuo-cons-
tructifs jusqu’aux troubles du raisonnement visuo-spatial
(17). Les fonctions visuo-spatiales sont affectées de
manière relativement précoce dans le cours de la MA,
même si certains déficits peuvent être attribués, au moins
partiellement, à la présence simultanée de troubles dans
d’autres fonctions, lexico-sémantiques et/ou attentionnel-
les par exemple, interférant dans l’exécution de ces
tâches.
Dans leur étude sur la perception visuelle et spatiale et
les habiletés visuo-constructives chez les patients alzhei-
mériens débutants, Binetti
et al.
(5) ont démontré une
atteinte précoce des performances seulement pour des
tâches impliquant une composante de dénomination des
stimuli (Silhouettes test). Ils ont mis en évidence une cor-
rélation significative entre les scores à ce test et à la déno-
mination. Les auteurs conclurent que les malades alzhei-
mériens avec une atteinte légère ne présentent pas de
troubles visuo-spatiaux et que les difficultés observées
dans certaines études sont dépendantes directement des
premiers déficits lexico-sémantiques et non pas d’une
composante perceptive. De manière analogue, l’implica-
tion de l’attention a été suggérée par Kaskie et Storandt
(17) pour les troubles visuo-spatiaux chez les patients
alzheimériens à un stade très léger (CDR = 0,5) ou léger
(CDR = 1) de la maladie.
Néanmoins il convient de souligner que chez ces mala-
des alzheimériens l’apparition des troubles visuo-spatiaux
et leur intensité ne sont pas uniformes. Dans une étude
portant sur 32 patients (25) la quantification de l’intensité
des déficits visuo-spatiaux a permis l’isolement de deux
sous-groupes de sujets en fonction de l’intensité du
déficit : l’un caractérisé par un déficit visuo-spatial impor-
tant et un déclin significativement moins sévère de la
mémoire ; l’autre, caractérisé par un profil symétrique-
ment inverse. L’examen PET pratiqué chez tous les
patients a révélé, dans le premier groupe, un large déficit
du métabolisme cortical dans les régions pariéto-occipi-
tales, et une préservation relative des aires frontales, tem-
porales inférieures et limbiques, et dans le deuxième
groupe un pattern inverse du métabolisme cortical.
L’étude de Galton
et al.
(11) souligne l’hétérogénéité de
ces troubles visuo-spatiaux. Ils rapportent des cas « d’atro-
phie bipariétale progressive » chez lesquels le déclin
cognitif progressif s’est trouvé accompagné pendant plu-
sieurs années par des troubles visuo-spatiaux et praxiques
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