L. Traykov
et al.
L’Encéphale, 2007 ;
33 :
310-6, cahier 1
312
boration de modèles globaux. Ainsi Tulving (34) a-t-il pro-
posé de distinguer cinq systèmes mnésiques principaux :
la mémoire procédurale, la mémoire à court terme, la
mémoire épisodique, la mémoire sémantique, et le sys-
tème de représentation perceptive.
Les troubles de la mémoire constituent de loin le symp-
tôme le mieux reconnu et le plus caractéristique de la MA.
À un moment ou à un autre dans l’évolution de la maladie,
la mémoire peut se trouver altérée dans l’un ou dans
l’autre de ses aspects, ou dans tous simultanément. Tous
les systèmes de mémoire peuvent être dégradés : la
mémoire primaire, la mémoire implicite, la mémoire épi-
sodique, la mémoire sémantique. Assurément ces diffé-
rentes mémoires partagent des procédures générales de
même ordre (acquisition, stockage, récupération), mais
elles se différencient par la nature de l’objet sur lequel elles
opèrent, et très logiquement par des mécanismes et struc-
tures spécifiques, ce qui rend chacune susceptible de
modifications individualisées au cours de la maladie (34).
Les malades alzheimériens ont un déficit de la MCT,
mais des données contradictoires ont été également rap-
portées. Ce déficit ne se manifesterait pas au stade pré-
coce de la MA et n’apparaîtrait qu’après la survenue des
symptômes cognitifs majeurs. Aux épreuves mesurant la
MCT passive, verbale et spatiale, tel l’empan digital et le
test de Corsi, les patients alzheimériens dans la phase très
légère (
Mini Mental State Examination
, MMSE 24-30) ont
réalisé des scores quasi normaux, tandis que dans les sta-
des légers (MMSE 18-23) leurs performances ont été
significativement plus basses que celles des sujets
témoins. Un déclin particulier des capacités de l’adminis-
trateur central pour la mémoire de travail est constaté dès
l’apparition des premiers symptômes de la maladie (28).
La mémoire implicite, qui requiert un rappel sans effort
conscient, est habituellement préservée chez des patients
alzheimériens, alors que leurs performances aux tests
explicites exigeant un effort conscient de rappel sont dété-
riorées (8,16). Par exemple, les passations successives
d’un test d’assemblage de puzzle révélaient un appren-
tissage implicite, par l’amélioration de la performance,
sans qu’aucun souvenir explicite ne soit attaché à l’une
ou l’autre des passations elles-mêmes. Cette préservation
de la mémoire implicite s’est trouvée récemment confir-
mée (8). Des résultats comparables ont été démontrés
pour l’amorçage lexical. Les patients montraient un effet
d’amorçage normal au test de complétion de mots, tandis
que la reconnaissance explicite de ces mêmes mots était
considérablement déficitaire (16).
L’amnésie pour la source de l’information est un phé-
nomène bien documenté chez les patients alzheimériens.
Multhaup et Balota (22) ont établi que les patients alzhei-
mériens, bien que manifestant une amnésie de la source
reconnaissaient mieux les mots qu’ils avaient générés
dans l’épreuve de complétion de phrase
(generation
effect)
que les mots fournis directement par l’investigateur.
La mémoire épisodique est précocement atteinte dans
la MA. Typiquement, les patients alzheimériens présen-
tent des difficultés aussi importantes à se remémorer
des épisodes passés qu’à acquérir des connaissances
nouvelles. En revanche, la mémoire sémantique, qui
concerne les connaissances régulières linguistiques et
non linguistiques, apparaît mieux préservée au cours des
phases précoces de la maladie, quoique certaines mani-
festations laissent entrevoir les prodromes de dégradation
propres à cette base de données. Ainsi peut-on évoquer
la question, qui reste ouverte encore, de la possibilité pour
le rappel épisodique de se réaliser si un déclin de la
mémoire sémantique est manifeste. Graham
et al.
(13) ont
apporté une importante contribution à notre connaissance
des relations entre mémoire épisodique et mémoire
sémantique en montrant que les patients avec démence
sémantique conservent une capacité d’apprentissage
normale en l’absence de toute connaissance sur la pro-
cédure même d’apprentissage, tandis que les patients
alzheimériens montrent le profil inverse.
Cependant, dans les cas typiques de MA, des troubles
de la mémoire épisodique surviennent avant les troubles
de dénomination et les autres troubles sémantiques et non
sémantiques, impliqués dans l’agnosie et l’apraxie. Un
déficit isolé de la mémoire épisodique peut dominer le
tableau clinique de la MA pendant plusieurs années. Dans
leur étude, Bowen
et al.
, (6) ont montré que 48 % des
patients souffrant d’une perte de mémoire isolée dévelop-
pent une démence dans les 48 mois suivants l’observation
clinique initiale. Ces résultats suggèrent que le diagnostic
d’une MA peut être soupçonné même dans des cas qui
ne correspondent pas aux critères cliniques classique-
ment reconnus.
La reconnaissance comporte deux composantes : l’une
basée sur la remémoration consciente d’une exposition
antérieure aux items à reconnaître, l’autre basée seule-
ment sur le sentiment de familiarité avec les items à recon-
naître, sans aucun rappel conscient de leur présence
antérieure. Les études montrent que seulement la pre-
mière composante de la reconnaissance, la remémoration
consciente, est atteinte au cours de la MA (34).
TROUBLES DE L’ATTENTION
ET DES FONCTIONS EXÉCUTIVES DE CONTRÔLE
Les fonctions exécutives recouvrent l’ensemble des
processus cognitifs nécessaires à la réussite de tâches
complexes, telles que, suivant Tranel
et al.
: 1) l’élabo-
ration d’un plan (estimation du point de départ, du point
d’arrivée souhaité et des stratégies nécessaires pour s’y
rendre), 2) la prise de décision (capacité à choisir l’action
la plus appropriée au but visé), 3) le jugement (évaluation
des options afin d’en apprécier les mérites respectifs),
et 4) l’auto-perception (contrôle et maintien du pro-
gramme de réponse jusqu’à son achèvement complet)
(31)
(tableau II).
De façon générale, il s’agit de l’ensemble des fonctions
nécessaires au contrôle et à la réalisation de comporte-
ments intentionnels. Parmi les nombreux modèles visant
à rendre compte du fonctionnement neuropsychologique
du système exécutif, celui de Norman et Shallice (23)
apparaît encore comme le plus complet. Ce modèle