Eric FUCHS, Le désir et la tendresse, pour une éthique chrétienne

Librairie JEAN CALVIN Rayon Ethique et Philosophie/Ethique de la Famille/Couple et sexualité
Fiche de lecture : Eric FUCHS, Le désir et la tendresse, Pour une éthique chrétienne de la sexualité, Albin
Michel/Labor et Fides, Paris/Genève, 1999, 275pp
Année 2010-2011
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La recherche d’une éthique biblique en matière de sexualité a chez Fuchs un double point de départ :
1/Une protestation : contre les dégâts de la morale chrétienne, aliénante et si éloignée de l’évangile,
sans pour autant reprendre à son compte le discours illusoire sur la « libération sexuelle » ;
2/Une conviction : la sexualité a un sens profond qui nous est transmis par la Révélation et auquel il
faut revenir pour fonder une éthique de liberté et de responsabilité.
Ch.1 Morale et sexualité : L’état de la question
En éthique, il s’agit de déterminer le contexte d’une question : 1/fragilisation du lien
conjugal, qui repose de plus en plus sur le seul engagement affectif (et ses variations).
2/relativisation et recomposition de la structure familiale (qui n’en est plus vraiment une en fait) :
monoparentale, recomposée… + nouvelle place de la femme et redistribution des rôles = les anciens
cadres se voient soumis aux revendications de la liberté individuelle. Pourtant, le climat aujourd’hui
est ambigu, loin de l’exaltation des 70’s.
Ch.2 Signification humaine de la sexualité :
La sexualiest ambivalente socialement : à la fois nécessaire (reproduction, plaisir, vie) et
dangereuse (anarchie, violence, mort) ; il y a nécessité de la réguler (d’où les innombrables rites et
tabous qui l’entourent). Il faut que l’homme canalise (culture) ses instincts (nature). La sexualité est
en tension constante entre les deux.
Fuchs développe le rôle du langage dans l’appropriation des caractéristiques de sa
sexualisation : c’est la société qui détermine ce qui est attendu d’un homme ou d’une femme. Dire le
sexe socialise le sexe, et permet une emprise dessus ; le langage met de l’ordre. Les instances de
contrôle social n’ont donc pas disparu, elles ont changé et sont plus subtiles : si elles ne sont plus
morales et bourgeoises en apparence, elles sont technique (devoir de « réussite » sexuelle),
médicale (objectivité du fait sexuel, évincement théorique d’un discours moral sur sa pratique), et
économique (l’investissement du désir doit me rapporter quelque chose personnellement ;
intériorisation d’une logique de rentabilité maximale). Il a cette excellente comparaison : la sexualité
crée ainsi son propre tiers-monde, ses exclus, son prolétariat.
Par ailleurs, la sexualité cherche une autre légitimation : banalisée, sa morale est désormais
celle de l’épanouissement individuel, au prix d’un surinvestissement aliénant.
La question du sens de la sexualité trouve différentes réponses liées à 3 sortes de discours :
1/Le langage de « l’évidence physiologique » : la différence des corps est première par rapport à
l’orientation que la culture lui donne, même si les deux sont inextricablement mêlés.
2/Le langage du « sacré » : l’appréhension de la sexualité connait un destin paradoxal ; d’abord
sacralisée dans les premières sociétés parce que cosmique, mais bonne ou mauvaise, il faut
l’apprivoiser pour organiser la cité. Ensuite désacralisée pour être tenue à distance, par la raison
grecque ou la foi juive, ce qui permet de légiférer. On passe du rituel à l’éthique, avec ses dérives (un
« platonisme catholique » qui en fait une aliénation et la rejette comme négative, une transgression
libertine qui en fait un moyen de libération mais enferme l’homme dans son ressentiment).
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Fiche de lecture : Eric FUCHS, Le désir et la tendresse, Pour une éthique chrétienne de la sexualité, Albin
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3/Le langage du corps : le corps n’est rien sans ce qui l’anime (un cadavre) ; c’est par lui que l’autre
se donne et nous échappe sans cesse ; il révèle et cache à la fois. L’eros est une énigme qui s’incarne
dans la corporalité. Pour Fuchs, la noblesse du corps vient de ce que l’Esprit s’y manifeste, et c’est
pour cela qu’il mérite le respect. Il est un lieu où s’exprime le mystère.
Ch.3 L’homme et la femme à l’image de Dieu : une théologie biblique
de la sexualité
Bibliquement, la sexualité apparait comme un don du Créateur (naturelle), bénédiction de la
vie (il n’est pas bon que l’homme soit seul), mais qui nécessite signification, et donc discours, langage
(culturelle). Elle est alors davantage qu’une réalisation des instincts ; elle est quête de l’autre dans sa
totalité, un accomplissement à deux.
Elle permet la découverte de l’altérité, entre similitude et différence, et surtout exprime la
vocation relationnelle de l’homme qui est un aspect de l’image de Dieu ; elle lui donne conscience
de son incomplétude : l’humain est un de son espèce et il est génériquement deux (Barth), il a été
créé homme et femme. En second, elle permet la procréation : mais son but initial est
l’accomplissement de l’amour, qui se concrétise possiblement dans la génération.
Réalité sociale aussi, la sexualité conduit à une pleine humanisation dans la mesure elle
accepte le risque d’un projet de vie global, dans la durée et la fidélité. Fuchs fait une lecture de
Galates 3.28 dans l’air du temps et en tire un espoir de relations égalitaires entre hommes et
femmes ; la détermination sexuelle demeure mais le poids des « prescriptions sociales » (ex :
hiérarchie des rapports) est relativisée. La sexualité a finalement un effet de personnalisation : en
amour, c’est l’autre qui permet la pleine conscience de soi.
Ch.4 Amour et institution : théologie biblique du mariage
Le mariage est le lieu d’une promesse (ils deviendront une seule chair) et d’un
émerveillement réciproque (Cantique) qui n’idéalise pas l’amour, mais cherche à le préserver de la
« dureté de cœur » ; Jésus en Mt 19.3-11 renvoie à la signification originelle du mariage : représenter
la relation de Dieu avec son peuple et reconnaître son don par le don de l’autre. C’est aussi pour cela
qu’il s’engage Lui-même comme garant de l’union. Les pharisiens sont dans le domaine du juridique
contraignant, quand Jésus renvoie à la profondeur théologique de l’amour et de l’alliance, vécue par
la foi.
Jésus semble autoriser le divorce (dans certains cas qui sanctionnent un état de fait de
rupture conjugale, à cause de la dureté du cœur) mais pas le remariage, laissant un espace à la
repentance, au retour et au pardon ; Paul quant à lui, insiste sur la perspective eschatologique et
l’engagement total au service de Christ, relativisant ainsi le mariage par l’urgence. Cependant sa
légitimité demeure (même si son statut chez Paul, qui sent la concession, est plus difficile à
décrypter) et plus que jamais, il devient une vocation, c’est-à-dire un « appel de Dieu », comme le
célibat, auquel l’homme répond avec liberté, en son âme et conscience.
Ch.5 Christianisme et sexualité, l’histoire d’une relation ambiguë :
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Fuchs dresse alors un panorama synthétique très éclairant du rapport des Eglises à la
sexualité, marquée du sceau de l’ambiguïté. Jusqu’à la Réforme, le divorce s’est accentué entre
sexualité, mariage et spiritualité, sous l’effet d’un mépris du corps et d’une diabolisation du plaisir.
L’empire des sens ou l’inaccessibilité à la sainteté, débouchant sur une morale à deux vitesses, celle
des clercs et des laïcs. Dès les Pères de l’Eglise, le mariage trouve un sens restrictif : espace de
dérogation accordé pour une sexualité source des malheurs humains, mais que la sacramentalité
absout. La tendresse et la beauté de l’amour sont les grands absents de ce discours. Au cours du
temps, l’Eglise tend à accentuer son contrôle et son pouvoir en la matière, jusqu’à donner une
situation paradoxale de grande immoralité, tant chez les clercs que dans le peuple : la survalorisation
du lien juridique du mariage conduit à une sous-valorisation de l’adultère, du concubinage… Le
mariage vaut pour lui-même et non pour sa signification.
La Réforme, en insistant sur la libération des consciences du lien juridique/sacramentel
(Luther), rend au mariage une acceptation positive. Elle relativise la valeur du célibat ecclésiastique
en n’en faisant qu’une modalité possible de la vocation du chrétien, et non une condition. De ce fait
c’est l’institution ecclésiale elle-même qui se voit écartée dans ses prétentions à légiférer en matière
de comportements ; ce rôle qu’elle se confère, abusif et contestable, cache le désir « d’organiser le
pouvoir », et c’est, pour Fuchs, l’une des sources du rejet contemporain de l’éthique. La norme en
matière d’éthique devient, théoriquement, une conscience libre et responsable que la Parole éclaire.
Finalement, la Réforme rend au mariage les conditions de sa moralité en le dégageant d’un
joug qui paradoxalement, en sacralisant l’union et en valorisant la continence, ne faisait qu’aliéner le
commun à la culpabilité, ou le contraindre à une immoralité plus grande encore (par ex, la pratique
répandue du concubinage des prêtres).
L’éthique se doit donc d’être critique vis-à-vis de la tradition, en replaçant le mariage dans un
cadre biblique, celui de l’amour et celui de la compassion pour la « faible chair des hommes ».
Ch.6 Pour une éthique de la sexualité :
Dans cette dernière partie, Fuchs cherche les fondements d’une éthique sexuelle pour notre
temps, à savoir quelles sont les conditions requises pour réaliser la pleine vocation de la sexualité.
Pour lui deux voies mènent à l’impasse :
- Le repli sur la Tradition, qui légitime une idéologie conservatrice. C’est le cas du catholicisme
romain, dont la vertu suprême est l’obéissance à l’autorité du magistère, qui interprète les
textes et légifère ;
- Le discours libéral, qui sous couvert d’indépendance de la foi, a comme seule référence une
conscience en prise à des normes relatives et mouvantes, et qui ne conduit en fait qu’à
légitimer les modes dominantes, prétendument progressistes.
Entre les deux, Fuchs prêche pour une double fidélité : celle à l’Evangile, et celle réclamée par la
réalité, en essayant de traduire pour nos contemporains le sens (et la valeur) d’une éthique
chrétienne (ce qui implique un travail de pédagogie et d’auto-critique).
Les deux pôles de la sexualité sont le don (qui implique et conditionne la confiance-fidélité,
l’abandon et la reconnaissance de l’autre) et la promesse (promesse de réciprocité : le couple ne
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prend son sens que dans la durée, en vue d’une construction amoureuse commune). Bibliquement,
la différenciation sexuelle est le « signe de la volonté divine d’inscrire dans la chair de l’être humain
sa vocation relationnelle ». Cela implique de reconnaitre l’égalité (sociale et morale) de l’homme et
de la femme mais aussi de valoriser leur différence : il s’agit pour eux d’inventer ce à quoi doit
ressembler leur union et la distribution de leurs rôles respectifs. Elle n’est pas le fait d’une nature
absolument déterminante, mais le fruit d’un dialogue. L’énigme de la différence doit se déchiffrer à
deux.
Pour Fuchs, l’Alliance repose sur cette parole échangée, qui est le socle de l’amour et la
condition d’une sexualité qui ne soit pas instrumentalisation de l’autre. Dans ce cadre, la fidélité
authentique, qui est un engagement de sa liberté, est légitime quand elle s’accorde à la nécessité :
quand l’autre que nous aimons nous est apparu comme un absolu non négociable. Elle est d’une
exigence redoutable : elle engage tout l’être et toute la vie. C’est pour cela que la tentation idolâtre
(refus de la relation et quête de soi) n’est pas loin, et qu’il faut laisser une place au facteur critique de
la Loi : il ramène sans cesse à ce radical besoin de l’autre pour être, à l’exigence de respect que je
dois à cet autre qui s’est donné Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Eglise et s’est
donné pour elle… »). La vérité de la fidélité, à temps et à contretemps, c’est l’amour, cet absolu
manifesté en l’autre, et la vérité de l’amour c’est la fidélité, qui est don total dans la durée, lieu de sa
pleine réalisation. Paradoxalement, elle est, dans l’élection et la soumission réciproque, la seule
liberté qui ne soit pas une illusion, c’est-à-dire asservissement subtil de l’autre à soi.
Le couple se construit en donnant à la relation amoureuse un statut unique et privilégié,
où l’être aimé prime sur soi.
Le mariage inscrit le lien conjugal dans l’ordre social :
1/l’homme se donne des moyens supplémentaires, extérieurs, pour supporter l’épreuve du temps ;
2/au niveau de la symbolique sociale, le couple reconnait la société qui le garantit (par le droit) et
dont il est solidaire, et la société reconnait le couple, qu’elle intègre et dont elle protège l’intimité.
C’est dépasser l’immaturité par le respect et la responsabilité mutuelle ;
3/la protection des enfants : garantit le droit des enfants à une identité et un cadre familial.
Importance de la symbolique du lien que l’enfant concrétise, même si le lien juridique venait à se
rompre. La filiation ne se réduit pas au biologique.
Il permet la stabilité de la famille, lieu d’une descendance la reconnaissance mutuelle est
de mise pour qu’elle soit pleine. L’éthique de la famille repose donc sur une haute notion de
responsabilité réciproque : enfant vis-à-vis des parents et vice-versa et elle a pour tâche d’en définir
les aspects matériels. Son sens est « d’exercer chacun à l’attention concrète d’autrui ». Elle cherche,
dans l’idéal, à préserver la gratuité des rapports, la solidarité, et à ancrer chaque personne dans une
mémoire, nécessaire à la structuration de l’identité.
L’érotisme a une valeur spirituelle. Au départ, la sexualité peut-être à conquérir, sur le
mépris de son corps, la crainte de se livrer entièrement à l’autre, la culpabilité parfois latente,
l’incompréhension… ; pas une évidence ; mais l’érotisme est la valorisation du désir de l’autre. Rien à
voir avec ce culte du plaisir qui réduit l’autre à ce qu’il apporte, dans un refus de sa propre limite ou
une conjuration de l’angoisse de la mort (narcissisme, violence, domination). Le plaisir est ambigu,
mais il est un don dans la mesure où il est signe de la fragilité reconnue de l’homme. Et cette fragilité
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correspond chez Fuchs à une affirmation du désir de vivre. Il y a donc un risque (on est à la merci) et
une promesse : l’autre est celui qui incarne la possibilité d’une réunion réussie, condition de vie
ritable. Cette spiritualité de l’érotisme se manifeste dans la caresse : expression de la tendresse,
elle confirme que le mystère de l’autre ne se réduit pas à son corps, mais que la corporéité est
indispensable pour le médiatiser. L’érotisme est la célébration de ce mystère.
La réflexion se termine sur une convocation de la poésie, ce qui est très important, mais qui
malheureusement reste un peu en deçà de ce qu’elle veut exprimer : c’est dans la poésie que se
réunissent le monde, la parole et la chair, et qu’est donnée à la sexualité sa pleine signification. Le
plaisir sexuel ici célébré est la réalisation même du couple, que le mariage permet ; en dehors de
cette destination, ce qui prime est le lien juridique et mortifère, l’institution. Dans cette perspective
de l’altérité radicale, Fuchs adopte une position critique vis-à-vis de l’homosexualité (et non des
homosexuels en tant que tels), qui bibliquement s’apparente à l’idolâtrie et la prolonge sur le plan
amoureux : à savoir, union avec le Même, dans le refus de la différenciation.
Evaluation critique :
Le désir et la tendresse est le complément, ou le prolongement logique, de Bible et sexualité
(Paul WELLS (dir.), éditions Excelsis, 2004) ; sa réflexion, riche et vivante, met principalement en
avant la vocation relationnelle de la différenciation sexuelle homme/femme, ainsi que la dimension
fondatrice du langage dans le pacte qui les unit. Son éthique, en fait assez traditionnelle, se fonde sur
une compréhension intelligente et critique de la tradition chrétienne comme des textes bibliques, à
la lumière d’une conception forte de l’altérité. Et cet apport est incontournable pour comprendre
que le coulpe est une construction, la construction d’une relation qui permette la pleine expression,
la pleine signification, de la sexualité, dont les maîtres mots sont donnés dans le titre : désir et
tendresse. On pourra cependant critiquer tel ou tel point, notamment la place faite au langage pour
déterminer les rôles respectifs dans le couple, mais ce n’est qu’un exemple. Une part trop
importante accordée au langage, qui évolue en fonction de la société, comme fondement du couple,
c’est aussi le soumettre au danger de sa propre « plasticité », et donner à la compréhension mutuelle
plus de poids que les textes bibliques qui en parlent. Car le couple est aussi une réalité
« créationnelle » (et pas seulement une réalité qui se modèle dans son rapport avec l’autre et la
culture ambiante), dont les fonctions et les rôles sont distinctement répartis ; cette acceptation de
l’ordre divin, à l’opposé d’une justification réactionnaire et bien qu’il grince singulièrement avec
l’esprit du temps, est aussi une garantie, par son acceptation, de stabilité, de clarté dans les rapports,
et d’épanouissement de la sexualité.
Le grand apport de Fuchs est d’avoir ramené la primauté de la parole sur le lien juridique du
mariage bourgeois monogame, c’est-à-dire d’avoir humanisé une relation que l’ordre social et le
catholicisme avaient réduit à un état de fait, à accepter, et privé de sa signification vivante.
L’érotisme et l’amour deviennent sous sa plume, parfois un peu psy, parfois poétique, le lieu de la
pleine reconnaissance de l’autre et de l’accession à sa propre vérité par l’autre. Une contribution
incontournable pour qui médite le sujet avec sérieux.
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