Les bêta-lactamases, armes bactériennes contre les antibiotiques

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Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Les bêta-lactamases, armes bactériennes contre les antibiotiques
14/11/12
Depuis leur découverte en 1940 jusqu'à nos jours, les enzymes bactériennes de résistance aux antibiotiques
n'ont cessé de se diversifier et d'évoluer. Parallèlement, la recherche sur les bêta-lactamases a permis de
comprendre le fonctionnement de ces enzymes et de mettre au point des stratégies pour lutter contre la
résistance des bactéries. L'ouvrage de synthèse dirigé par Jean-Marie Frère rassemble les connaissances
acquises sur ces enzymes au cours des septante dernières années.
Dans un article publié dans la revue Nature en 1940 et intitulé « Une enzyme bactérienne capable de détruire
la pénicilline », Edward Abraham et Ernst Chain de l'Université d'Oxford jetaient les bases de la longue et
passionnante histoire des bêta-lactamases. Aujourd'hui, Jean-Marie Frère, Professeur ordinaire émérite à
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l'Université de Liège où il a pendant longtemps dirigé le Centre d'Ingénierie des Protéines, a rassemblé les
connaissances acquises au sujet de ces enzymes au cours des 70 dernières années. Grâce à la collaboration
de collègues de l'ULg et d'autres universités, il a ainsi retracé les grandes étapes de l'histoire des bêtalactamases qui constituent quelque 500 pages dans un ouvrage collectif faisant partie de la série Molecular
Anatomy and Physiology of Proteins (1). « Un collègue américain, éditeur et responsable de cette série, m'a
contacté pour me demander si je voulais bien être l'éditeur scientifique pour cet ouvrage consacré aux bêtalactamases », explique Jean-Marie Frère. Il faut dire que ce dernier en connaît un rayon sur le sujet puisque
cela fait plus de 30 ans que ses travaux de recherche portent sur ces enzymes bactériennes. Voici un petit
aperçu des étapes qui ont ponctué l'histoire des bêta-lactamases et la lutte contre ces enzymes de résistance
depuis leur découverte à nos jours.
Une résistance hautement transmissible
Comme le titre de l'article d'Edward Abraham et Ernst Chain l'indiquait à l'époque, les bêta-lactamases
sont des enzymes fabriquées par certaines bactéries qui détruisent les antibiotiques de la famille de la
pénicilline. Mais ces enzymes peuvent également réduire à néant les effets des antibiotiques de la famille
des céphalosporines, des carbapénèmes et des monobactames, selon l'enzyme et l'antibiotique en présence.
« Tous ces antibiotiques ont un structure commune appelée le noyau bêta-lactame et, comme l'évoque leur
nom, les bêta-lactamases détruisent ce noyau », précise Jean-Marie Frère. « En faisant cela, ces enzymes
rendent l'antibiotique totalement inactif. C'est ainsi que les bactéries qui les fabriquent deviennent résistantes
aux antibiotiques contentant un noyau bêta-lactame ». Or les antibiotiques concernés représentent environ
70% des antibiotiques régulièrement utilisés pour venir à bout des infections bactériennes… Si toutes les
bactéries ne fabriquent pas de bêta-lactamases, les caractéristiques qui permettent aux bactéries de les
produire se trouvent au niveau d'éléments génétiques mobiles. Cela signifie qu'au-delà d'une transmission
« mère-fille » verticale, la transmission des outils nécessaires à la fabrication des bêta-lactamases peut
également se faire de manière horizontale. Le matériel génétique en question peut donc circuler d'une bactérie
à l'autre, voire d'une espèce bactérienne à une autre.
Neutraliser les bêta-lactamases
Dès les années 50, les scientifiques se sont aperçus que plus on avait recours aux antibiotiques de la famille
de la pénicilline, plus les bêta-lactamases se répandaient. La résistance des bactéries aux antibiotiques
s'intensifiait. C'est alors qu'a commencé une véritable course poursuite entre les industries pharmaceutiques
et les chercheurs d'une part et les bactéries d'autre part. Les premiers tentant de trouver de nouvelles
molécules pour lutter contre cette résistance bactérienne, les secondes développant sans cesse de nouvelles
bêta-lactamases. « De nouvelles enzymes de ce type naissent à partir de mutations de bêta-lactamases
existantes », explique Jean-Marie Frère. « Les bactéries ont la force du nombre. Même s'il n'y a qu'une
chance sur un milliard pour qu'une telle mutation se produise, les bactéries se divisent tellement rapidement
que cette mutation finit par se présenter. Si vous avez une chance sur un milliard de gagner au Lotto
mais que vous achetez un milliard de tickets, vos chances de gagner deviennent bien réelles! ». Cette
course poursuite a mené le monde scientifique à la mise au point de deux tactiques de lutte contre la
résistance des bactéries. « La première consiste à déguiser la pénicilline de sorte que les bêta-lactamases ne
reconnaissent plus l'antibiotique. Le noyau bêta-lactame est bien présent mais caché grâce à une enveloppe
de substituants destinée à tromper les bactéries », indique Jean-Marie Frère. « La seconde tactique vise à
trouver des composés capables de détruire les bêta-lactamases. Les médicaments qui en découlent peuvent
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être comparés à un fusil à deux coups : l'un permettant d'évincer les bêta-lactamases et l'autre d'atteindre
la cible physiologique de l'antibiotique, une transpeptidase participant à la synthèse de la paroi bactérienne.
C'est ainsi qu'est apparu l'Augmentin », poursuit Jean-Marie Frère.
Une variante très gênante
Depuis les années 90, une nouvelle famille de bêta-lactamases, d'abord considérée comme une simple
curiosité biochimique, met des bâtons dans les roues des chercheurs. Ces enzymes appelées métallo-bêtalactamases contiennent du zinc et présentent deux propriétés gênantes. « Elles échappent à l'action des
inactivateurs et elles détruisent à peu près tous les antibiotiques fabriqués pour lutter contre les bactéries
produisant des bêta-lactamases », reprend Jean-Marie Frère. En 2009, la bactérie baptisée NDM-1 (pour
« New Delhi Metallo-bêta-lactamase -1») a fait grand bruit suite à l'infection d'un touriste suédois séjournant
en Inde (lire Une superbactérie asiatique détruit tous les antibiotiques). « Il existe cinq variétés de cette
bactérie qui sont toutes aussi désagréables les unes que les autres », souligne le Professeur. « Ce qui
rend ces bactéries dangereuses, c'est que le matériel génétique qui code pour la bêta-lactamase à zinc est
accompagné de toute une série de gènes de résistance à bien d'autres familles d'antibiotique que celle de la
pénicilline », précise-t-il. Ces bactéries sont donc très difficiles à éradiquer. Seuls un ou deux antibiotiques « un
peu exotiques » et entraînant de sérieux effets secondaires permettent de s'en débarrasser. Nous n'avons
donc pas grand chose pour nous défendre contre les bactéries produisant des bêta-lactamases à zinc. Et
un « détail » complique encore les choses : « Notre organisme contient naturellement beaucoup d'enzymes
à zinc. Il n'est donc pas évident de mettre le doigt sur des composés qui puissent mettre les métallo-bêtalactamases hors d'état de nuire sans affecter nos propres enzymes », explique Jean-Marie Frère.
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Quand la recherche perd de la vitesse
La solution serait donc de trouver des composés qui inhibent spécifiquement les métallo-bêta-lactamases.
« Mais on se retrouve alors face à un conflit d'intérêt entre le patient et les industries pharmaceutiques »,
souligne Jean-Marie Frère. « Ces dernières ont tout intérêt à mettre la main sur des composés généraux afin
de limiter les coûts du développement de tels composés alors que pour le patient, et de manière générale
pour lutter contre la résistance des bactéries, il est préférable d'avoir recours à des composés spécifiques »,
précise le Professeur. Car plus on s'attaque à un grand nombre de bactéries à la fois, plus on sélectionne
la résistance au niveau des diverses familles bactériennes. « L'idéal serait de mettre au point une méthode
d'identification ultra rapide des bactéries et des bêta-lactamases qui infectent le patient et de lui administrer un
traitement spécifique », conclut Jean-Marie Frère. Selon ce dernier, le problème majeur de la recherche dans
ce domaine actuellement est le manque de moyens. « D'un côté les industries pharmaceutiques ont cessé de
s'intéresser de près aux antibiotiques car ces médicaments ne leur rapportent pas assez. Elles préfèrent se
concentrer sur la production de traitements contre les maladies chroniques pour lesquelles les patients doivent
prendre des médicament à vie », constate Jean-Marie Frère. « Et de l'autre côté, les organismes publics qui
subsidient la recherche allouent préférentiellement des budgets à d'autres domaines de recherche. Il semble
que les bactéries ne soient plus un sujet à la mode », continue-t-il. Et pourtant la course poursuite ne s'est
pas arrêtée, elle. Si les scientifiques, par manque de fonds, ne peuvent plus rester à la page alors que les
bactéries continuent d'évoluer, elles gagneront tôt ou tard du terrain et finiront par remporter la victoire. On
assistera alors à la résurgence d'épidémies sévères…
L'ULg, une mine de savoir sur les enzymes de résistance
Entre 1995 et 2008, le laboratoire d'Enzymologie du Centre d'Ingénierie des Protéines de l'ULg a coordonné
trois réseaux européens de recherche sur les métallo-bêta-lactamases et a ainsi été projeté au rang de
leader mondial dans ce domaine. Parmi les nombreuses avancées effectuées, Jean-Marie Frère et ses
collègues liégeois, en collaboration avec d'autres équipes, on notamment élucidé le mécanisme d'action de
certains inhibiteurs de bêta-lactamases. Ils ont également étudié les propriétés cinétiques de ces enzymes
et caractérisé leur spectre d'action, purifié un très grand nombre d'entre elles provenant d'organismes
pathogènes et non pathogènes. Une des grandes fiertés du Professeur Jean-Marie Frère est d'avoir été, avec
des collègues de Grenoble, les premiers à déterminer la structure d'une bêta-lactamase à zinc. « Ces travaux
étaient une première mondiale. Depuis lors on s'est aperçu que toutes les métallo-bêta-lactamases - il en
existe une centaine - présentent une structure similaire, à l'exception d'une petite sous-famille ». Jean-Marie
Frère est lui-même intervenu dans la rédaction de trois des vingt chapitres qui composent le livre et d'autres
chercheurs de l'ULg ont participé à l'écriture de sept chapitres. Un ouvrage, donc, dans lequel le savoir liégeois
sur les enzymes de résistance tient une grande place !
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(1) Beta-Lactamases. Molecular Anatomy and Physiology of Proteins Series. Author & Editor Jean-Marie
Frère. Nova Science Pub Incororated, 2012. ISBN 1613246382, 9781613246382.
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