Contrairement à la mythologie médicale qui présente la médecine comme émancipée du social
et objectivée à partir du XIXe siècle, la maladie et la santé sont des concepts commandés par
des jugements de valeur, qui se réfèrent toujours au champ culturel. La pathologie, loin d’être
une expérience brute, est nécessairement relative à des systèmes symboliques qui informent à
la fois la pratique thérapeutique et l’expérience du malade.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’abandon des prétentions de supériorité de
l’homme blanc en faveur d’une égalité postulée de l’humanité a conditionné l’élaboration de
figures détentrices d’un savoir thérapeutique « exotique » susceptibles d’éclairer l’homme
occidental, illustrées par exemple par la figure phantasmatique du « chamane ». On assiste
ainsi à l’émergence au nord comme au sud de thérapies à visée transculturelle
(ethnopsychanalyse, psychiatrie transculturelle, néochamanisme) ainsi qu’au développement
de la demande de thérapies exotiques, manifesté par le tourisme thérapeutique et spirituel.
Dans ce contexte, les phénomènes de pluralisme médical, les alternatives à la biomédecine
allopathique qui se construisent dans une relation à l’autre et à l’ailleurs se sont multipliées.
Le développement des transferts et des échanges internationaux de biens, de main-d'œuvre et
de connaissances induits par l'interdépendance croissante entre les peuples confronte
aujourd’hui chaque société à la pluralité culturelle. Dans ce contexte d’abolition des isolats
culturels qui inaugure une humanité coprésente à elle-même, les espaces investis et
symbolisés par l’homme s’analysent en fonction d’un contexte désormais mondialisé.
La mondialisation féconde ainsi de multiples créations culturelles, qui impliquent autant de
systèmes possibles de rapport à soi et à l’autre. Partout dans le monde, des groupes de
population réagissent par des productions identitaires inédites qui défient la banalisation,
l’uniformisation et la standardisation.
Ces cultures singulières ou locales édifiées dans une relation dynamique à l’altérité constituent
des objets de choix pour l’anthropologie, qui s’est longtemps définie comme l’étude des
groupes vivant en nombre restreint et isolés de la société occidentale. C’est aujourd’hui par
l’étude de ces objets essentiellement transculturels que l’anthropologie poursuivra son rôle
fondamental, qui consiste à penser une condition humaine en perpétuelle réinvention, dans
un monde en proie aux mouvements contradictoires d’une prolifération des diversités et d’une
abolition des barrières.