PROFIL DE LA PÉRICARDITE LUPIQUE LORS DES NÉPHROPATHIES LUPIQUES A PROPOS DE 15 OBSERVATIONS H. RHOU, L. BENAMAR, N. OUZEDDOUN, F. EZAITOUNI, N. HAOUAZINE, R. BAYAHIA, Z. ALHAMANY, L. BALAFREJ RÉSUMÉ La maladie lupique, touche les 3 tuniques du coeur avec prédilection pour le péricarde. Sur une période de 6 ans nous avons recensé 15 cas de péricardite lupique parmi 66 cas de lupus systémique avec atteinte rénale. Sa traduction clinique, électrique et radiologique n’a rien de spécifique. Soulignons sa latence possible et l’intérêt de l’échocardiographie systématique pour la d é p i s t e r. La tamponnade est rare mais r e d o u t a b l e nécessitant un drainage urgent. L’évolution est favorable sous traitement mais les récidives sont fréquentes posant le problème de diagnostic différentiel avec les péricardites infectieuses. Mots clés : Péricardite - Lupus - Évolution. INTRODUCTION Le lupus érythémateux disséminé (LED) est une maladie auto-immune multisystémique touchant principalement la femme jeune. L’appareil cardiovasculaire n’est pas épargné, son atteinte est fréquente et rarement inaugurale. Toutes les tuniques cardiaques peuvent être concernées mais la péricardite est la localisation la plus fréquente. Dans notre travail, concernant 66 cas de néphropathie lupique, nous montrons que la péricardite lupique survient dans un tableau clinique bruyant dominé par l’atteinte rénale et hématologique. Elle est souvent bien tolérée parfois même asymptomatique, de ce fait nous insistons sur la pratique d’une échocardiographie systématique pour dépister les épanchements latents. Ces péricardites lupiques peuvent être graves et se compliquer d’une compression cardiaque avec risque de tamponnade nécessitant un drainage urgent. L’évolution sous traitement est favorable, cependant les récidives sont fréquentes posant de délicats problèmes de diagnostics étiologiques. La fréquence de ces récidives imposerait un traitement corticoïde préventif au long cours. MATÉRIEL D’ÉTUDE Entre 1989 et 1995, nous avons colligé au service de néphrologie du CHU Ibn Sina 66 cas de néphropathies lupiques dont 15 présentent une atteinte du péricarde soit 22.7%. Les malades inclus dans notre étude ont tous un lupus systémique retenus selon les critères de l’ARA 1982, le nombre de ces critères varie entre 4 et 7. L’atteinte rénale est constante puisqu’elle a constitué le motif d’hospitalisation dans le service. Ont été exclus de cette étude les sujets porteurs d’un LED avec insuffisance rénale terminale ou porteur d’une cardiopathie préexistante ou d’une tuberculose évolutive. Tous nos malades sont des femmes jeunes dont l’âge moyen est de 25.3 ans plus ou moins 8.5 ans avec des extrêmes allant de 15 à 40 ans. Les manifestations cliniques (en dehors de la péricardite) et immunologiques rencontrées chez nos patientes sont présentes dans le tableau I. La péricardite lupique coïncide avec une poussée lupique systémique dont l’atteinte rénale constante est représentée essentiellement par un syndrome néphrotique noté chez 66.6% des patientes. L’ a t t e i n t e hématologique est quasi constante dominée par l’anémie dans 80% des cas. Les lésions cutanées sont fréquentes et variées constituant un critère important pour orienter le diagnostic de lupus, la principale atteinte est l’érythème facial trouvé dans 60% des cas, les autres manifestations dermatologiques sont moins fréquentes et non spécifiques, à type de vascularites. Les signes articulaires, souvent inauguraux sont présents chez 60% des malades allant de simples arthralgies à des arthrites diffuses et invalidantes. Les perturbations immunologiques au cours de la péricardite lupique sont bruyantes dominées par la présence des anticorps antinucléaires dans 93.3% suivie par celle des Service de Néphrologie Hémodialyse, CHU Ibn Sina Rabat. Médecine du Maghreb 1996 n°58 14 H. RHOU, L. BENAMAR, N. OUZEDDOUN, F. EZAITOUNI, N. HAOUAZINE, R. BAYAHIA, Z. ALHAMANY, L. BALAFREJ anticorps anti DNA dans 80% des cas. La baisse du complément sérique intéresse plus la fraction C3 (80%) que la fraction C4 (66.6%). La présence des cellules LE dans le sang est notée dans un tiers des cas. La présence d’anticorps antiDNA et la baisse des fractions C3 et C4 du complément sérique sont corrélées à l’existence d’une atteinte rénale grave et à l’évolutivité du lupus. Les différents types histologiques d’atteinte rénale rencontrés chez nos patientes figurent dans le tableau II. La glomérulonéphrite segmentaire et focale est notée dans la moitié des cas, suivie de la glomérulonéphrite proliférative diffuse retrouvée dans 35.7% alors que la glomérulonéphrite extramembraneuse n’est retrouvée que chez 2 patientes soit 14%, de ce fait la péricardite lupique survient dans un tableau clinique polymorphe dont l’atteinte rénale est sévère. Tableau II : Les différents types histologiques d’atteinte rénale lors des péricardites lupiques Tableau I : Signes cliniques et immunologiques au cours de la péricardite lupique Fièvre Signes articulaires Signes cutanés : Érythème facial Alopécie Pulpite Raynaud Signes hématologiques : Anémie Leucopénie Thrombopénie Adénopathie Signes neuropsychiques : Neurologiques Psychose Atteinte rénale : Syndrome néphrotique Protéinurie Hématurie-Leucocyturie Insuffisance rénale* Atteinte immunologique : Ac antinucléaires Ac anti DNA C3 C4 Latex et Waaler rose Cellule LE *123 < Créatinine < 264µmol/l Médecine du Maghreb 1996 n°58 Nb de cas % 9 9 60 60 9 4 4 2 60 26,5 26,5 13,3 12 4 3 1 80 26,5 20 6,5 2 1 13,3 6,5 10 4 9 4 66,6 26,5 60 26,5 14 12 12 10 6 5 93,3 80 80 66,6 40 33,3 Nb % 7 5 2 50 35,7 14 Glomérulonéphrite segmentaire et focale Glomérulonéphrite proliférative diffuse Glomérulonéphrite extramembraneuse RÉSULTATS La péricardite lupique est retrouvée chez 15 patientes parmi 66 cas de LED soit 22.7%. Son expression clinique est polymorphe, résumée dans le tableau III. La douleur thoracique et la dyspnée ne sont pas constante mais elles représentent un signe d’appel important orientant vers le diagnostic d’un épanchement péricardique. Les signes auscultatoires sont dominés par le frottement péricardique retrouvé chez 8 patients soit 53.3%. Sur le plan électrique, on note des troubles de repolarisation diffus dans 6 cas et un bas voltage du complexe QRS dans 4 cas. La radiographie pulmonaire objective chez toutes les patientes une cardiomégalie avec un index cardio-thoracique compris entre 55% et 75%, associée dans la moitié des cas à une pleurésie. L’échocardiographie réalisée chez 15 patients confirme l’existence l’épanchement péricardique dans tous les cas et apprécie son abondance qui est minime dans 6 cas, modéré dans 5 cas et abondant dans 4 cas. Chez une seule patiente l’échocardiographie retrouve à côté de l’épanchement péricardique modéré une hypokinésie globale du ventricule gauche avec un pourcentage de raccourcissement diminué et une insuffisance mitrale par dilatation de l’anneau mitral le tout est en faveur d’une cardiomyopathie associée. Tableau III : Les manifestations cliniques de la péricardite lupique Douleur thoracique Dyspnée Signes d’ICD* Frottement péricardique Assourdissement des bruits du coeur Tachycardie Galop ventriculaire gauche Nombre % 6 5 4 8 4 3 3 40 33.3 26.6 53.3 26.6 20 20 * Dans les signes d’insuffisance cardiaque droite (ICD), nous avons retenu que la turgescence spontanée des veines jugulaires et le foie cardiaque. Les oedèmes des membres inférieurs ne sont pas pris en considération car une origine rénale n’est pas exclue. PROFIL DE LA PÉRICARDITE… 15 Toutes nos patientes ont reçu une corticothérapie sous forme de séries de bolus mensuel de méthyl-prédnisolone à la dose de 20mg/Kg/j par voie intraveineuse pendant 3 jours. Le nombre de bolus est décidé en fonction du type histologique de l’atteinte rénale. Le premier bolus est relayé par 1mg/kg/j de prédnisone le premier mois, le deuxième bolus par 0.5 mg/kg/j et le troisième bolus par 0.25 mg/kg/j. La dose de corticothérapie orale est maintenue ensuite à la dose de 10 mg par jour au long cours. Dans 3 cas une ponction péricardique évacuatrice à visée thérapeutique est pratiquée. Parmi ces 3 patientes 2 ont subi un drainage chirurgical par fenêtre pleuro-péricardique devant l’échec de la ponction péricardique. Ce drainage est pratiqué d’emblée chez 2 autres patientes ayant une péricardite de grande abondance mal tolérée avec des signes de compression cardiaque (turgescence spontanée des veines jugulaires et foie cardiaque). La durée de drainage est de 3 jours chez 3 patientes et de 3 semaines chez une autre. L’analyse du liquide péricardique effectuée chez 5 patientes montre dans tous les cas un liquide citrin exudatif avec la présence de cellules LE dans ce liquide chez 2 patientes. La biopsie du feuillet péricardique a été pratiquée deux fois, elle a montré une péricardite inflammatoire non spécifique et elle a éliminé surtout une tuberculose péricardique. L’évolution sous traitement est favorable chez toutes les patientes dès l’administration du premier bolus de méthylprédnisolone avec une amélioration clinique et radiologique. Les contrôles échocardiographiques ultérieurs montrent la disparition de l’épanchement péricardique. 5 malades ont récidivé leur péricardite (voir tableau IV) lors d’une nouvelle poussée lupique. Tableau IV : Modalités de survenue des rechutes péricardiques et les doses de corticothérapie à laquelle elles sont apparues Nb de malades Délai de survenue L’abondance Dose de corticoïdes 3 1 an Grande Grande Minime 0.5 mg/Kg/j 10 mg/j 10 mg/j 1 2 ans Grande Sans 1 4 ans Minime Sans DISCUSSION La fréquence de la péricardite lupique reste sous estimée, elle varie de 20 à 40% selon les auteurs (1-2-3-4-5-6). Dans notre série de néphropathie lupique, elle est de 22,7%, cette fréquence est de 70% dans les études autopsiques (2-3-5) et atteindrait 80% (2) si l’on pratiquait une échocardiographie systématique chez tout patient présentant un lupus systémique si bien que certains auteurs la considèrent comme une partie intégrante du tableau de la maladie lupique (4). Elle est proportionnellement plus fréquente au cours des néphropathies prolifératives lupiques : glomérulonéphrite segmentaire et focale suivie par la glomérulonéphrite proliférative diffuse. L’expression clinique n’est pas toujours évidente parce que, soit noyée dans un contexte général riche, soit atypique et peu spécifique. L’intrication des douleurs de pleurésie associées dans la moitié des cas de notre série à la péricardite lupique masquent d’avantage le tableau clinique. Le frottement péricardique retrouvé chez la moitié de nos patientes est rapporté seulement dans 10% des cas (3-4). Dans les péricardites abondantes, la compression cardiaque se manifeste essentiellement par une dyspnée intense, un gros foie douloureux, une turgescence surtout inspiratoire des veines jugulaires, une cyanose et des oedèmes non seulement des membres inférieurs mais aussi de la face et du cou. A ce stade la tension artérielle est maintenue stable grâce à l’élévation des résistances périphériques secondaires à la vasoconstriction artériolaire. Ce tableau est observé chez 4 patientes de notre série soit 26.5%. Les enregistrements électrocardiographiques répétés mettent en évidence des anomalies non spécifiques sous forme de troubles de la repolarisation diffus, c’est le cas de 6 malades de notre série et un bas voltage du complexe QRS noté chez 4 patientes. La radiographie pulmonaire montre une augmentation du volume de la silhouette cardiaque qui est évidemment fonction de l’importance de l’épanchement péricardique, associée volontiers à un épanchement pleural noté chez 50% de nos patientes. Dans notre série l’index cardio-thoracique est élevé chez toutes les patientes variant entre 55% et 75%. L’échocardiographie détermine avec précision l’existence d’un épanchement péricardique, apprécie son abondance et précise par ailleurs, l’existence d’un dysfonctionnement myocardique associé ainsi que l’état des structures valvu- Médecine du Maghreb 1996 n°58 H. RHOU, L. BENAMAR, N. OUZEDDOUN, F. EZAITOUNI, N. HAOUAZINE, R. BAYAHIA, Z. ALHAMANY, L. BALAFREJ 16 laires. Dans notre série elle objective un épanchement péricardique d’abondance variable dans tous les cas où elle est pratiquée, dans un seul cas elle met en évidence une myocardite associée. La ponction péricardique est rarement utile, sauf en cas de péricardite compressive, c’est le cas de 3 patientes de notre série. Le drainage péricardique chirurgical par fenêtre pleuro-péricardique peut être indiqué d’emblée devant une péricardite compressive mal tolérée menaçant l’état hémodynamique des patientes, ou devant l’échec de la ponction péricardique. L’analyse du liquide péricardique faite chez 5 patientes montre un liquide citrin exudatif avec la présence des cellules LE chez 2 patientes. Des auteurs (1,3) rapportent une diminution du complément C1q, C4, C3, C1 inhibiteur et du complément hémolytique total dans le liquide péricardique ce qui évoque une pathogénie de consommation par des complexes immuns. Enfin ces péricardites réagissent bien à la corticothérapie c’est le cas de toutes nos patientes, mais les rechutes sont possible comme le cas de 5 malades : Ces rechutes accompagnent les poussées évolutives de la maladie lupique. En e ffet chez les 5 patientes la rechute péricardique est toujours associée à une poussée rénale, hématologique, articulaire et cutanée, elles sont associées à des perturbations immunologiques révélatrices du lupus en particulier la présence des anticorps antinucléaires, des anticorps antiDNA et la baisse de la fraction C3 et C4 du complément. Le diagnostic différentiel essentiellement avec les péricardites infectieuses en particulier tuberculeuses chez des malades immunodéprimés et sous corticothérapie est parfois délicat mais la négativité de l’enquête tuberculeuse, le contexte clinique, biologique et immunologique permettent de redresser le diagnostic de péricardite lupique. Ces récidives surviennent dans un délai variable de 1 à 4 ans et elles peuvent être plus graves que la poussée antérieure. Elles surviennent au cours de poussées de la maladie lupique et donc leur prévention serait celle de la poussée lupique puisque le fait de maintenir les malades sous faible dose de prédnisone au long cours réduirait nettement la fréquence de ces récidives. La péricardite constrictive reste une complication rarissime (4,7). CONCLUSION La péricardite dans la maladie lupique fait partie des éléments du diagnostic du LED. Elle est souvent bénigne parfois asymptomatique d’où l’indication d’une échocardiographie systématique, mais elle peut être grave et se compliquer d’une tamponnade. Elle évolue favorablement sous traitement, les récidives ne sont pas rares et elles sont fonction des poussées évolutives de la maladie lupique. BIBLIOGRAPHIE 1 - M.F. KAHN, A.P. PELTIER. Maladies systémiques. 3ème éd. Paris : Flammarion, 1992. 2 - D. VITAL-DURAND, H. ROUSSET, M. FAURE. 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