Le parcours du médicament, de la recherche clinique à la commercialisation. Contraintes, embûches, délais et coûts I. GIRI (1), F. ROUILLON (1) LE PARCOURS DU MÉDICAMENT DANS L’ENTREPRISE PHARMACEUTIQUE molécules ont été initialement criblées, et 250 sont arrivées au stade du développement préclinique (figure 2). Le parcours du médicament au sein de l’entreprise est de plus en plus long : il faut compter désormais 14 ans pour qu’une molécule synthétisée par une firme obtienne l’Autorisation de Mise sur le Marché (figure 1). De même, les coûts de développement d’une molécule ont considérablement augmenté : ils étaient d’environ 100 millions de dollars il y a 20 ans, ils dépassent aujourd’hui 800 millions de dollars. Ces coûts conduisent souvent les firmes à conclure des partenariats, parfois complexes et intriqués, afin de limiter les risques en cas d’échec d’une molécule, la probabilité de conduire une molécule jusqu’à l’AMM étant particulièrement limitée lors des phases précoces du développement : ainsi, 70 % des dépenses de recherche et développement financent des échecs… Le budget recherche et développement des grandes firmes est consacré pour environ 15 % à la recherche fondamentale, pour environ un tiers à la recherche appliquée, et pour plus de la moitié au développement. Pour un médicament dont le dossier d’AMM est déposé, 5 000 à 10 000 Recherche identification de la cible Durée (années) 2,5 Recherche candidat médicament 3 LES EXIGENCES ADMINISTRATIVES Les essais cliniques sont fortement encadrés par de nombreuses exigences médico-administratives. Ils doivent être conformes aux bonnes pratiques cliniques, recevoir un avis de conformité par rapport à la loi Huriet, et recevoir, conformément aux directives européennes, l’autorisation de l’Agence du médicament. Ces exigences peuvent poser des problèmes de délai, par exemple lorsque la France prend du retard pour obtenir l’autorisation de participer à un essai multicentrique européen, qui risque alors d’être mené sans elle. Le nombre de patients qui doit être inclus dans les essais cliniques pour soumettre un dossier a également considérablement augmenté : il est par exemple passé entre 1980 et 1995 d’environ 1 500 à plus de 4 000, tandis que durant la même période, le nombre d’essais cliniques par dossier passait d’une moyenne de 30 à près de 70. Développement pharmaceutique & préclinique AMM FDA approval Développement clinique (PI, II, III) 1 6 1,5 14 ans FIG. 1. — Une aventure longue… (1) Hôpital Sainte-Anne, Service du Pr Guelfi, clinique des maladies mentales et de l’Encéphale (CMME), 100, route de la Santé, 75674 Paris 14. S 858 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 858-60, cahier 3 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 858-60, cahier 3 Le parcours du médicament, de la recherche clinique à la commercialisation DÉVELOPPEMENT 5 à 10 000 molécules Identification des cibles Criblage Optimisation prototype 250 Pré-clinique Phase I 5 Phase II 2à3 1 médicament Phase III Dépôt dossier & AMM RECHERCHE 0 2 4 6 8 10 12 14 Années FIG. 2. — Phases recherche/développement. L’Autorisation de Mise sur le Marché La procédure d’obtention de l’AMM a été codifiée au niveau européen, avec la mise en place d’une procédure centralisée, obligatoire depuis novembre 2005 pour les médicaments concernant le SIDA, le cancer, le diabète et les maladies neurodégénératives, et facultative pour les autres innovations. Cette procédure centralisée implique le recours à des procédures de reconnaissance mutuelle par chacun des États. La réponse à une demande d’AMM doit être faite dans les 210 jours suivant le dépôt de la demande ; l’AMM est valable durant cinq ans. Les comptes rendus de l’Agence sont accessibles au public. L’AMM est délivrée en France par l’Afssaps, après avis de la Commission d’AMM. Lorsque des exigences de santé publique le justifient, certains produits peuvent obtenir une Autorisation Temporaire d’Utilisation (ATU) en attendant l’obtention de l’AMM. Récemment, de nouvelles évolutions sont apparues concernant l’AMM. Aux évaluations antérieures s’est ajoutée l’évaluation de la Valeur Thérapeutique Ajoutée ; le rapport bénéfice/risque doit être réévalué au bout de 5 ans ; il est nécessaire d’établir un plan de gestion des risques ; la possibilité est donnée de retirer un médicament du marché si le rapport bénéfice/risque n’est pas favorable. L’avis de la Commission de la Transparence L’AMM permet de commercialiser le produit en officine, mais n’implique pas la possibilité d’un remboursement. Elle permet également une prescription initiale hospitalière ; pour cela, il faut un agrément aux collectivités. Pour obtenir le remboursement et un prix, la molécule doit être évaluée par la Commission de la Transparence, rattachée à la Haute Autorité de Santé. Celle-ci évalue le Service Médical Rendu (SMR), qui prend en compte le rapport bénéfice/risque et la place du produit dans la stratégie thérapeutique, en particulier en fonction de la gravité de la maladie. Ce SMR est évalué selon 4 grades : insuffisant, faible, modéré, important. Il est également demandé à la Commission de la Transparence une évaluation de l’Amélioration du Service Médical Rendu (ASMR), évaluation comparative, notée de 1 à 5, qui vient compléter l’évaluation dans l’absolu du SMR. SMR et ASMR sont délivrés par indication, et peuvent concerner certaines populations-cible. Après la Commission de la Transparence L’avis de la Commission de la Transparence est transmis au Ministre de la Santé qui décide du remboursement, à l’UNCAM (Union Nationale des Caisses d’AssuranceMaladie) qui décide du taux de remboursement, au CEPS (Comité Économique des Produits de Santé) qui fixe le prix. Le CEPS est une structure administrative, incluant le Ministère, les Caisses et l’UNCAM ; il négocie le prix avec l’entreprise, négocie les volumes de ventes (au-delà desquels peuvent survenir des baisses de prix ou des remises). Ses décisions sont prises en fonction de l’ASMR, du prix des comparateurs, des volumes de ventes, des prix européens moyens. Le prix est publié par un avis au Journal Officiel. Les délais moyens d’accès au marché, ajoutant les démarches pour le prix et celles pour le remboursement, sont très longs, d’environ 180 jours en France, qui se situe parmi les pays les plus lents. S 859 I. Giri, F. Rouillon Face à l’exigence croissante d’études post-AMM, la place de chaque instance dans leur évaluation reste mal définie : elle peut concerner la Commission de la Transparence, la Direction Générale de la Santé ou l’Afssaps. À l’Hôpital Jusqu’à la récente réforme du Conseil de l’Hospitalisation, les prix de vente à l’Hôpital étaient libres, réglés par des appels d’offres, et l’accès au médicament était immédiat après l’obtention de l’agrément des collectivités. La création du Conseil de l’Hospitalisation a été concomitante de la tarification à la pathologie. La situation est désormais plus complexe : lorsque les médicaments sont inclus dans les GHS (Groupes Homogènes de Séjour), la procédure est la même qu’antérieurement, avec un prix libre et un appel d’offres ; lorsque les médicaments sont onéreux et hors des GHS (ce qui représente environ la moitié des budgets hospitaliers de médicaments), le tarif de responsabilité est alors négocié par le CEPS. C’est le Conseil de l’Hospitalisation qui décide si les médicaments doivent être classés dans les GHS ou en dehors. Il y a donc une multiplication des étapes administratives. Dans le prochain Projet de Loi sur le Financement de La Sécurité Sociale (PLFSS), le CEPS sera aussi chargé de contrôler les volumes de médicaments. Les prescriptions devront désormais respecter les AMM ou certaines S 860 L’Encéphale, 2006 ; 32 : 858-60, cahier 3 indications validées soit par les référentiels officiels, soit par des publications internationales. Ces nouvelles procédures se traduisent par la signature des Contrats de Bon Usage (CBU), signés entre l’hôpital et l’Agence Régionale de l’Hospitalisation, prévoyant molécule par molécule les volumes qui doivent être prescrits l’année suivante, avec un remboursement non plus sur le budget global de l’hôpital mais par la Caisse d’Assurance-maladie du patient. Après la commercialisation Les Laboratoires pharmaceutiques doivent encore, avec les nouvelles lois sur l’assurance-maladie, prendre en compte après la commercialisation un nouveau niveau de régulation, au travers de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé : des engagements conventionnels ou des accords de bon usage de soins sont signés entre l’assurance-maladie et les syndicats de médecins, précisant la manière dont les médicaments doivent être utilisés. Ces différents avis (Afssaps, UNCAM, HAS) ne sont néanmoins pas toujours cohérents entre eux… Enfin, les assureurs complémentaires commencent à jouer un rôle dans ces circuits complexes, en prenant parfois en charge des produits refusés par l’assurancemaladie, à la suite de leurs procédures propres d’évaluation.