La mobilisation collective pour répondre à un - EURO-MENA

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MED 5 - Cinquième Dialogue Euro-Méditerranéen de Management Public (25, 26, 27 septembre
2012), Amman, Jordanie
Thème : « Education et Formation : Les défis des Politiques et du Management Publics en
matière de développement des compétences»
La mobilisation collective pour répondre à un changement institutionnel
imposé par le haut le cas d’une université de petite taille dans le contexte
de mise en œuvre de la loi LRU
Corinne Grenier (*) et Christelle Zeller (**)
Corinne Grenier, professeur, HDR, Euromed Management, chercheur affilié à l‟Institut de Management Public
et Gouvernance Territoriale (IMPGT), Laboratoire CERGAM, Aix-Marseille Université ; mail :
corinne.grenier@euromed-management.com
Christelle Zeller, doctorante (Allocataire Région PACA), Institut de Management Public et Gouvernance
Territoriale (IMPGT), Laboratoire CERGAM, Aix-Marseille Université ; mail : christelle.zeller@univ-amu.fr
auteur de correspondance.
Introduction
Étudier l‟organisation au travers de la perspective institutionnaliste constitue désormais une
longue tradition initiée par les travaux de Selznick (1948) et de Parsons (1951), prolongés
plus récemment par le courant dit néo-institutionnel (DiMaggio et Powell, 1983 ; Tolbert et
Zucker, 1996). L‟institution est définie comme un ensemble de valeurs, normes, schémas
cognitifs, considérés comme acquis (taken-for-granted ), qui à la fois contraint le
comportement des individus et des organisations, tout autant qu‟elle le permet, en offrant à
ces individus et organisations un modèle (ou cadre) pour penser et agir (Powell, 1991 ; Scott,
2001). Elle est ainsi définie comme « enduring collection of rules and organized practices,
embedded in structures of meaning and resources that are relatively invariant in the face of
turnover of individuals and changing external circumstances » (Olsen, 2007:3). L‟institution
rend légitimes et façonne l‟identi, certaines pratiques et règles d‟actions et de
comportements, de ceux qui agissent au sein de l‟institution.
Alors que les institutions sont réputées stables par une littérature bien ancrée (DiMaggio et
Powell, 1983 ; Meyer et Rowan, 1977), reposant sur les comportements isomorphes des
acteurs qui y opèrent, de récents travaux ont mis en évidence depuis quelques années combien
elles peuvent évoluer, voire se créer, parlant ainsi d‟innovations ou de changements
institutionnels (ref.). La littérature a ainsi mis en évidence combien les institutions reposent
sur des mécanismes de pression et d‟isomorphisme à la stabilimais aussi au changement,
quand ces dernières évoluent dans le temps (Greenwood et Hinings, 1996).
Le changement institutionnel est défini comme « une différence dans la forme, la qualité ou le
statut, dans le temps, d’une institution » (Hargrave et Van de Van, 2006, p. 866) ; il peut aussi
consister en la création d‟une nouvelle institution (Lawrence et Suddaby, 2006). A partir
d‟une littérature abondante, on peut considérer qu‟il existe deux types de changements
institutionnels : ceux qui émergent progressivement, portés par des acteurs (internes ou
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externes à l‟institution) y trouvant un intérêt (et se diffusant et stabilisant au fur et à mesure de
l‟arrivée dans ce mouvement d‟un nombre croissant d‟autres organisations) (Hargadon et
Douglas, 2001 ; ref.) ; ou ceux qui sont provoqués par des évènements perturbateurs et
relativement soudains (Fligstein, 1991 ; Hannigan, 1995 ; Meyer, 1982). Ces évènements
peuvent être : la chute de l‟URSS en 1989 qui a obligé les entreprises cubaines à désormais
opérer sur le marché international et concurrentiel pour pouvoir respecter les objectifs de
production imposés par le gouvernement castriste (de Holan et Phillips, 2002), une nouvelle
réglementation…
Alors que les processus d‟innovation institutionnelle et d‟institutionnalisation du changement
ont été largement étudiés dans la littérature (Arndt et Bigelow, 2000 ; ref.), peu de travaux (de
Holan et Phillips, 2002 ; ref.) ont analy comment les organisations, considérées
individuellement, répondent et s‟adaptent dans un tel processus de changement, en particulier
dans la phase initiale du changement, quand commence la phase de désinstitutionalisation de
l‟ancien ordre établi (ref.). A contrario, il existe de nombreuses raisons qui amènent les
organisations à ne pas bouger face à un changement : par conformité à lancien ordre établi (et
alors que les ressources et les compétences, mais aussi les modes de pensées sont encore
adaptées à la situation qui prévalait avant le changement), en raison des pressions isomorphes
à ne pas changer (Scott, 1987), en raison de difficulté à comprendre le sens et les
caractéristiques du changement initié, parfois par manque d‟accompagnements
méthodologiques à s‟adapter à la nouvelle donne.
Ainsi en adoptant le point de vue de l‟organisation, nous nous intéressons à l‟adoption par
lorganisation du changement introduit dans son environnement (Rogers, 1983), et imposé par
des autorités, à un moment elle ne peut imiter d‟autres comportements similaires. L‟analyse
des raisons et de la manière de s‟engager dans l‟innovation peut être conduite en regardant la
facette organisationnelle ou institutionnelle de l‟adoption ou en regardant la facette «
individus » de ces organisations qui sont impliqués dans cette adoption (Choi et Chang,
2009). Ces deux facettes sont inter-reliées, quand, par ex. des facteurs institutionnels peuvent
affecter les conditions et l‟issue de l‟implémentation d‟une innovation institutionnelle au sein
d‟une organisation, en influençant le comportement et les attitudes de ses membres
(Greenhalgh et al., 2005).
Dans notre étude, nous nous proposons d‟articuler ces deux facettes en mobilisant le concept
de mobilisation collective des acteurs d‟une organisation s‟engageant dans un changement
institutionnel (imposé par l‟extérieur), pour les raisons suivantes.
La mobilisation collective est définie comme « une masse critique d’employés qui
accomplissent des actions (faisant partie ou non de leur contrat de travail, rémunérée ou non)
bénéfiques au bien-être des autres, de leur organisations et à l’accomplissement d’une œuvre
collective » (Tremblay et Wils, 2005, p. 45). La finalité de la mobilisation est clairement
d‟amener le personnel (tout ou partie, mais envisagé collectivement) à déployer une énergie
non habituelle dans la réalisation des objectifs de l‟organisation, à s‟impliquer dans un
objectif par « une conduite (collective) qui va au-delà des attentes affichées de
l’organisation » (Bichon, 2005, p. 58). Le premier intérêt à mobiliser ce concept est que ce
dernier est de l‟ordre du comportement, à savoir de l‟observable. Le second intérêt est de
considérer la mobilisation comme un comportement discrétionnaire, à savoir « un
comportement qui est adopté à l’initiative de l’employé » (Bichon, 2005, p. 58). Nous
attachons une grande importance à la nature discrétionnaire de ce comportement, puisque
nous savons que l‟implication à mettre en œuvre une innovation ne peut uniquement résulter
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d‟injonctions à faire venues du haut (top-management ou autorités extérieures de régulation).
D‟autre part, nous étudions une organisation de type bureaucratie professionnelle (Mintzberg,
1978), marquée par la forte autonomie des acteurs professionnels, qui agissent moins par
injonction managériale mais davantage selon d‟autres mécanismes (adhésion, conviction,
intérêt partagé…).
Ainsi, le contexte de changement institutionnel que nous étudions est la mise en place de la
Loi LRU qui modifie considérablement le mode de gouvernance et de management des
universités françaises. Cette loi porte un discours d‟excellence et de performance qui doit être
l‟objectif premier des universités pour affronter la concurrence internationale (symbolisée par
ex. par le « fameux » classement de Shanghai). Elle a été mise en œuvre en plusieurs vagues,
et la première vague d‟universités entrant dans le dispositif a vu le jour le 1er janvier 2009. Il
était attendu par le gouvernement ainsi que par les observateurs et experts de ce champ que
les universités entrant dans le dispositif lors de cette première vague seraient les plus
importantes en France, à savoir celles déjà confrontées à des enjeux majeurs de performance
et d‟excellence, car largement en compétition avec des organisations étrangères (par ex. pour
recruter et retenir des meilleurs chercheurs, pour remporter des appels à projets à un niveau
international, ou encore attirer les meilleurs étudiants et tisser un réseau partenarial
académique). Plus ou moins formellement et officiellement, ces universités avaient déjà
adopté dans leur management et dans leur discours, avant la loi, ces notions de performance et
d‟excellence, et voyaient ainsi, avec la loi LRU, la possibilité offerte d‟une plus grande
autonomie pour mieux affronter les universités étrangères. Or dans ce contexte, une université
de petite taille a répondu à l‟appel, désireuse de mettre en œuvre la loi LRU lors de cette
première phase. Ce cas est intéressant car, non seulement il nous permet de mieux
comprendre comment des organisations s‟adaptent à des changements institutionnels imposés,
et cela dans les tout premiers temps de sa diffusion ; mais également il nous permet d‟étudier
le cas d‟une université qui a priori ne correspondait pas au « portrait-type » de l‟organisation
pouvant répondre à un changement institutionnel majeur lors de sa phase de lancement.
Une première partie présentera les concepts d‟innovation institutionnelle et de mobilisation
collective. Nous présenterons le terrain étudié ainsi que la méthodologie déployée pour
collecter et analyser des données dans une seconde partie. Après avoir présenté le cas de
l‟université étudiée (dans une 3° partie), nous mettrons en évidence les résultats suivants.
Les acteurs se sont engagés de manière très volontaire dans le changement pour permettre à
l‟université de continuer d‟exister, malgré le peu de dispositifs qui existaient pour
accompagner ce changement. Les principaux facilitateurs ont été le leadership et la volonté du
Président porteur du projet, associés à l‟équipe administrative qui l‟accompagnait. Les
principales dimensions de la mobilisation collective identifiées dans la littérature se retrouvent
mais il apparait pourtant que l‟Université en tant qu‟organisation ne soit pas la priorité en
matière d‟efforts à fournir. La mobilisation collective est portée par un petit nombre d‟acteurs,
se dirige davantage vers d‟autres entités : l‟UFR, le laboratoire, le département, la
communauté universitaire, et se fait au nom du service public.
Les contributions de notre travail sont multiples. Tout d‟abord, nous complétons la littérature
sur le changement institutionnel en mobilisant le concept de mobilisation collective comme
variable permettant de relier les facettes institutionnelles et RH (Choi et Chang, 2009) pour
expliquer pourquoi et comment des organisations (et les individus en leur sein) s‟engagent
dans un changement qui, pourtant, est imposé par l‟extérieur et modifie profondément l‟ordre
préexistant établi. Nous offrons une compréhension additionnelle du concept de mobilisation
collective, qui reste encore peu étudié (Bichon, 2005 ; Wils et al., 2008 ; Barraud-Didier,
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1999), en distinguant la mobilisation collective de l‟adhésion au changement. Enfin, notre
recherche contribue à mieux comprendre les attitudes et comportements d‟acteurs
professionnels (enseignants-chercheurs) encore mal connus, car ayant fait l‟objet de peu
d‟études (Musselin, 2008), en particulier dans des contextes de changements majeurs.
Partie Se mobiliser collectivement pour répondre à un changement
institutionnel imposé « par le haut »
1.1 Adopter le changement institutionnel imposé « par le haut »
A partir de nombreux travaux sur les innovations sociales et technologiques, Hargrave et Van
de Ven (2006) identifient quatre modèles qui offrent différentes compréhensions du
changement institutionnel : le modèle du design institutionnel, le modèle de l‟adaptation
institutionnelle, le modèle de la diffusion institutionnelle et le modèle de l‟action collective.
Alors que les modèles de l‟adaptation et de la diffusion mettent au cœur des processus
d‟innovation le mécanisme de la reproduction à travers des processus évolutionnaires et
adaptatifs, les deux autres modèles (design et action collective) considèrent la capacité à
d‟être acteur (agency capacity) comme centrale pour expliquer le changement. Ces deux
derniers modèles valorisent l‟entrepreneur institutionnel (DiMaggio, 1988 ; Maguire et al.,
2004), voire l‟entrepreneur collectif institutionnel (Battilana et al. 2009 ; Leca et Naccache,
2006 ; Gambarelli et al., 2012 ; Wijen et Ansari, 2007). D‟une part, ces quatre modèles
s‟opposent autour de la dualité reproduction / construction. Les deux premiers modèles
s‟ancrent dans la logique de la reproduction et analysent comment les arrangements
institutionnels (existants ou nouveaux) façonnent les acteurs ; les deux autres modèles
s‟ancrent dans la logique de la construction et analysent comment les acteurs institutionnels
changent les arrangements qui prévalent dans une institution. D‟autre part, les modèles
s‟opposent quant à l‟unité d‟analyse : les acteurs construisant le changement ou participant à
sa diffusion, ou les institutions ainsi construites ou diffusées. Le tableau 1 ci-dessous
positionne ainsi les quatre modèles d‟analyse du changement institutionnel :
Unité d’analyse
Les acteurs
institutionnels
Les institutions
Mode du
changement
Reproduction
Modèle de l’adaptation
Modèle de la diffusion
Construction
Modèle du design
Modèle de l‟action
collective
Tableau 1 Les modèles de changement institutionnel d‟après Hargrave et Van de Ven (2006)
Pour autant, Hargrave et Van de Ven (2006) considèrent que chacun de ces modèles ne sont
pas exclusifs l‟un des autres, chacun offrant une facette explicative d‟un processus de
changement institutionnel complexe et reposant, in fine, sur des dualités entre construction /
reproduction et acteurs / systèmes. En particulier, le modèle de l‟adaptation et de la diffusion
paraissent pertinents pour analyser la phase d‟implémentation d‟un changement, une fois que
ce changement aura été décidé et ratifié (par des acteurs politiques ou ayant un pouvoir
normatif) ou qu‟il aura été suffisamment promu et légitimé par quelques entrepreneurs
institutionnels.
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Nous adoptons la perspective du modèle de l‟adaptation, qui correspond aux évènements que
nous étudions. Ce modèle explique pourquoi et comment des organisations se conforment aux
caractéristiques et aux forces de leur environnement institutionnel, y compris quand ces forces
poussent à un changement institutionnel (que ce changement émerge de mouvements
innovants portés par des entrepreneurs institutionnels, ou qu‟il est imposé par des évènements
extérieurs). L‟accent est ainsi mis sur les efforts des organisations pour s‟aligner et adapter
les changements institutionnels (i.e. pression au changement), qui se diffusent par des
processus qui peuvent être coercitifs, normatifs ou mimétiques (Van de Ven et Hargrave,
2004). Les organisations qui adoptent ce changement en attendent alors une plus grande
légitimité dans leur environnement. Cette adaptation aux forces changeantes de
l‟environnement est analysée par Rogers (1983) selon le mécanisme de l‟adoption d‟une
innovation, qui se déroule selon le processus plus large : attention portée à l‟innovation
(awareness), adoption, implémentation (utilisation de l‟innovation par les acteurs de
l‟organisation, Klein et al., 2001), et routinisation.
La littérature nous offre différentes manières à comprendre l‟adaptation par des organisations
d‟un changement institutionnel. Un premier ensemble de travaux révèle combien l‟adoption
(ou la diffusion) d‟une innovation est toujours une articulation entre des pratiques et des
arguments en faveur du changement et des pratiques et arguments qui s‟ancrent dans les
institutions existantes. Par exemple, Hargadon et Douglas (2001) expliquent comment Edison
a attaché une grande importance au design du nouveau produit qu‟il voulait lancer, l‟ampoule
électrique et l‟éclairage électrique, de telle sorte qu‟il repose sur quelques similitudes avec le
mode d‟éclairage qui prévalait et qu‟il voulait changer (l‟éclairage par le gaz). Ainsi, c‟est
tout à la fois le démarquage par rapport à l‟institution existante tout autant que son
rattachement à cette institution existante qui permet de légitimer l‟engagement dans
l‟innovation (de Holan et Phillips, 2002), et ainsi, par accumulation, sa diffusion (Strang et
Meyer, 1993).
Un autre ensemble de travaux montrent combien l‟adaptation du changement institutionnel
par une organisation est une réponse à l‟existence de pressions coercitives et mimétiques
existantes dans le champ, tout autant que ces pressions servent d‟arguments à l‟organisation
pour légitimer les adaptations internes entreprises (Arndt et Bigelow, 2000). Naturellement,
cette forme de justification et de management du changement institutionnel est d‟autant plus
aisée que l‟organisation adopte ce dernier à un moment qui n‟est plus celui de son
initialisation, quand, dès lors, de nombreuses autres organisations ont également suivi la
même voie. L‟adaptation organisationnelle au changement se fait alors par l‟imitation de
nouvelles pratiques déjà largement disséminées et légitimées (Hinings et al., 2004; Hargrave
et Van de Ven, 2006; Czarniawska, 2009). Zietsma et Lawrence (2010) parlent alors de
restabilisation institutionnelle pour caractériser les situations où : « (a) de nouvelles pratiques
sont créées qui sont largement considérées comme légitimes, (b) les frontières légitimes
prévalentes sont remises en cause, et (c) une coalitions d’outsiders et d’insiders existe et qui a
la capacité de coopérer pour diffuser les nouvelles pratiques et légitimer de nouvelles
frontières ou de re-légitimer les frontières qui subissent un changement » (Ibid., 2010, p.
212).
Enfin d‟autres travaux insistent davantage sur la capacité à être « acteur » (agency capability)
des organisations pour adopter le changement et le mettre en œuvre en interne. L‟accent est
souvent mis sur des « facilitateurs institutionnels (institutional enablers) qui promeuvent
l‟adaptation d‟une innovation au sein de l‟organisation, tels qu‟une vision stratégique claire,
une structure adaptée, le leadership, le climat social général, des ressources spécifiques, la
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