penser l`ouverture au monde et la participation sociale des

PENSER L'OUVERTURE AU MONDE ET LA PARTICIPATION
SOCIALE DES SUJETS « EN SITUATION DE HANDICAP PSYCHIQUE »
Pascale Peretti et al.
ERES | Nouvelle revue de psychosociologie
2012/2 - n° 14
pages 217 à 236
ISSN 1951-9532
Article disponible en ligne à l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-de-psychosociologie-2012-2-page-217.htm
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Pour citer cet article :
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Peretti Pascaleet al., « Penser l'ouverture au monde et la participation sociale des sujets « en situation de handicap
psychique » »,
Nouvelle revue de psychosociologie, 2012/2 n° 14, p. 217-236. DOI : 10.3917/nrp.014.0217
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Penser l’ouverture au monde
et la participation sociale des sujets
« en situation de handicap psychique »
Pascale Peretti, Valérie Boucherat-Hue, Annie Rolland
« Seul l’art a le pouvoir de tirer
la souffrance de l’abîme. »
A. Appelfeld, L’héritage nu
« HANDICAP PSYCHIQUE » ET PARTICIPATION SOCIALE
C’est probablement pour s’aligner sur les évolutions internationales en matière de
conception du handicap
1
que la nouvelle loi française, du 11 février 2005
2
, propose
à la fois une définition extensive de celui-ci, et un recentrage sur la question de l’ac-
cessibilité des structures sociales aux sujets les plus vulnérables. On note en effet un
certain effort, quoique non abouti
3
, pour introduire une acception que l’on pourrait dire
Pascale Peretti, docteur en psychanalyse et anthropologie, psychologue et cher-
cheure postdoctoral (LPPL-UPRES EA 4638). [email protected]
Valérie Boucherat-Hue, MCU en psychologie clinique et psychopathologie (univer-
sité d’Angers, Upres EA 2646). [email protected]
Annie Rolland, MCU en psychologie clinique et psychopathologie (université d’An-
gers, Upres EA 2646). [email protected]
1. En référence notamment à la CIF (classification internationale des fonctionnali-
tés) parue à l’OMS en 2001 et destinée à remplacer l’ancienne CIDIH (classification
internationale des déficiences, incapacités et handicaps), considérée plutôt comme
biomédicale et réifiante.
2. Loi française n°2005-102 dite « pour l’égalité des droits et des chances, la
participation et la citoyenneté des personnes handicapées ».
3. Cet effort pour introduire une conception sociosituationnelle du handicap
est notamment contrecarré par la logique statutaire qui demeure dominante en
France et tend à renforcer l’idée que le handicap serait en définitive un attribut de
la personne concrète, telle que le supposaient les modèles dits « biomédicaux ».
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« socio-éthique » du désavantage. Effort qui pourrait toutefois se voir contrarié par les
implications mêmes de cette définition, générique, qu’entend simultanément promou-
voir ce texte de loi.
S’il est bien question de « restriction de participation subie dans son environnement
4
»
pour qualifier la notion de handicap stricto sensu – c’est-à-dire bornée aux conséquen-
ces sociocomportementales négatives de de toutes sortes d’altérations fonctionnelles,
qu’elles soient de nature physique, somatique, sensorielle, cognitive, ou encore
psychique –, la notion de « handicap psychique » que le texte avalise ainsi implicite-
ment n’est sans doute pas sans devoir engager un certain nombre de changements
d’angles de vue par rapport aux définitions classiques, biomédico-sociales du
handicap.
Aussi son introduction dans le champ médico-légal viendrait-elle, d’une certaine façon,
faire obstacle à la véritable inscription du dispositif de 2005 dans la perspective socia-
lisante que les législateurs ambitionnaient de rallier. Car la conception socioenvironne-
mentale du handicap, comme l’ont déjà fait valoir les acteurs du champ de la maladie
mentale
5
, rencontre peut-être ici ses limites. Comment dissocier les troubles psychi-
ques de leurs conséquences sociales restrictives, si l’on considère que ce type de
pathologies se définit du point de vue même de ce qu’il engage comme perturbation
du contact avec le monde extérieur, et comme rupture avec les normes socioculturel-
les en vigueur dans un espace communautaire donné ? Car il en va bien en réalité de
la spécificité des troubles psychopathologiques d’engager déjà par eux-mêmes, en
eux-mêmes, une perturbation du contact avec le monde extérieur, pour autant qu’il
s’agisse là de troubles qui atteignent les personnes dans leur subjectivité et leur
conscience (Delbecq, Weber, 2009), dans leur construction narcissique et identitaire,
et de fait, dans leur rapport au monde.
Ce qui revient en fait à reconsidérer le handicap, psychique en l’occurrence, comme
inhérent à la personne, à sa façon de « fonctionner » et d’être au monde, tandis que
la perspective sociosituationnelle proposait de mettre plutôt l’accent sur la part socia-
lement construite de celui-ci, dans l’optique de le des-essentialiser et de le décoller de
l’être des personnes qui le subissent, pour en faire apparaître le caractère en partie
extrinsèque à celles-ci. Ou plus exactement, cela revient à faire reconnaître l’implica-
tion de la structure subjective de l’individu dans ce défaut d’inscription sociale, aux
côtés de facteurs socioculturels évidents, et du poids des cadres normatifs qui régu-
lent la vie publique.
Par ailleurs, on constate aujourd’hui, non sans surprise, la quasi-absence des psycho-
logues cliniciens dans le débat relatif à cette question, dès lors que la notion de
Cf. P. Peretti, V. Boucherat-Hue, « Processus de formation des handicaps dans les trajec-
toires toxicomaniaques », Bulletin de psychologie, n° 520(4), 2012, p. 351-364.
4. Cf. définition du handicap dans la loi du 11 février 2005 : « Constitue un
handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de
participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne
en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs
fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un poly-
handicap ou d’un trouble de santé invalidant. »
5. Cf. note de l’UNAFAM dans Rapport Charzat, 2002, p. 25.
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Penser l’ouverture au monde… 219
« handicap psychique » semble avoir été d’emblée construite selon une prise de vue
essentiellement sociocomportementaliste.
Pourtant, si la notion de « handicap psychique » n’a pas encore été véritablement
investie par les chercheurs en sciences humaines, du fait d’un certain hiatus entre sa
définition juridico-administrative et son appréhension par les professionnels du terrain,
rien n’oblige les chercheurs en psychologie à s’en tenir au cadre médico-légal pour
proposer de véritables concepts opératoires. Ainsi, l’expression « handicap psychi-
que » pourrait tout aussi bien s’entendre, littéralement, et d’un point de vue intrasub-
jectif, comme ce qui entrave le fonctionnement psychique du sujet, ou de ce qui « fait
handicap » dans son économie psychique, voire somatopsychique
6
, singulière.
Une telle ré-visitation conceptuelle prend toutefois le risque de mettre en péril la perti-
nence même du concept de « handicap », en le superposant finalement à celui de
« trouble », de « symptôme » ou de « défense » psychiques. Encore qu’une concep-
tualisation psychodynamique fine et prudente permette d’éviter cet écueil, et présente
surtout l’avantage de ne plus réduire le sujet ni à ses comportements, ni à sa seule
conscience.
Au fond, tout se passe comme si la psychologie clinique ne pouvait s’autoriser à penser
et à investir le champ du social, comme si la définition socialisante du handicap, psychi-
que notamment, disqualifiait par avance toute tentative d’appréhension psychologique
de ce phénomène. Pourtant, bien que cette discipline s’intéresse de façon privilégiée à
la « vie interne » des patients, à leur réalité subjective, leur vie pulsionnelle, fantasma-
tique et représentationnelle, elle ne se cantonne pas non plus à ce seul versant de
l’existence des sujets. Son fondateur, D. Lagache, la définissait plutôt comme « étude
du cas singulier, concret et complet, aux prises avec une situation » (Lagache, 1949).
Autrement dit, spécifiant ce champ disciplinaire par ces méthodes et éthique, il n’en
limitait pas l’objet au seul champ de la réalité subjective interne, plutôt réservé à la
psychanalyse, et inscrivait tout au contraire le rapport du sujet à la réalité extérieure
comme une facette majeure de la vie d’un patient, lieu d’une investigation et d’une
conceptualisation cliniques évidentes. Sans compter que la psychanalyse elle-même
s’est depuis ses origines intéressée au champ socioculturel, montrant notamment,
depuis Freud, comment le lien intersubjectif, tout comme l’ensemble de l’édifice socio-
culturel, trouvent leurs motifs derniers dans les structures subjectives profondes,
phylogénétiquement et ontogénétiquement constituées. De même que la part socio-
culturellement construite du psychonarcissisme, ainsi que l’enracinement environne-
mental et identificatoire de son édification, ont été largement discutés.
En quoi l’approche socialisante du handicap, qui a le mérite de préserver à ce concept
toute sa pertinence en le distinguant des troubles, ici psychopathologiques, d’où il
pourrait s’originer, devrait-elle donc nous arrêter, ou entraver notre capacité à le
penser d’un point de vue psychologique ?
Comment ne pas reconnaître que l’inscription sociale des sujets est indissociable de
leur construction psychonarcissique ? La construction même du narcissisme étant à
la fois déterminée par la qualité des échanges précoces entre l’individu et son environ-
6. Cf. colloque angevin « Handicap psychique, handicap somatopsychique », MSH
Angers, les 5 et 6 juillet 2011.
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nement primaire, tout en constituant la base nécessaire à la poursuite de ses échanges
sociaux.
Autrement dit, ce n’est pas parce que le handicap se définit du point de vue de la
restriction sociale qu’il engage que celle-ci se résume à une simple désadaptation
comportementale dont on ne pourrait que constater ou compenser socio-économique-
ment les effets, sans autre considération pour la dynamique psychique et subjective
propre à chacune des personnes concernées.
Aussi le « handicap psychique » pourrait-il légitimement s’envisager comme ce qui,
du fonctionnement psychique ou psychonarcissique d’un sujet, entrave sa participa-
tion sociale, limite ses capacités d’ouverture au monde et à l’autre.
Car même si les facteurs sociaux sont indiscutablement impliqués dans la genèse et la
définition de ces troubles – les interactions environnementales ayant nécessairement
joué un rôle dans leur développement, et leur sens même étant en partie socioculturel-
lement déterminé –, le caractère intrinsèquement désocialisant de la plupart d’entre eux,
manifesté par diverses formes de fermeture au monde ou d’intolérance, plus ou moins
marquée, à l’égard du phénomène d’altérité, ne peut pas échapper à notre observation.
À moins que les dits « symptômes psychiques » n’interviennent précisément pour
permettre aux sujets de se soutenir dans leur rapport au monde, de façon plus ou moins
satisfaisante, malgré les failles de leur organisation psychonarcissique. Ou encore que
ce qui « fait handicap » au sujet, dans son inscription sociale, relève finalement d’une
trop grande ouverture, d’une béance insuturée liée à cette sorte d’incapacité à se cerner
soi-même.
Dès lors, le « droit à la compensation » invoqué par la loi de 2005 doit être repensé
et étendu. Aucun dispositif sociopolitique n’est assurément suffisant pour compenser,
par exemple, un défaut de structuration narcissique tel qu’il empêche un sujet d’habi-
ter sereinement son propre corps, avant même que de lui interdire d’habiter la cité.
Sur cette question de la compensation du « handicap psychique », les psychologues
cliniciens ne peuvent donc déserter le terrain. Au moins pour rappeler que la logique
statutaire prescrite par la loi de 2005 doit être référée à la dynamique psychique et
identificatoire propre à chaque sujet singulier ; et pour faire valoir également les outils
dont ils disposent en termes de réinscription symbolique et sociale des sujets
concernés.
C’est précisément sur les vertus symboligènes et aperturales de certains de ces outils,
en particulier des médiations thérapeutiques, que nous avons choisi de nous arrêter le
temps de cette communication. Si, comme le soulignait déjà A. Brun (2005), le récent
essor de ces pratiques ne s’est pas toujours accompagné d’un effort soutenu pour en
conceptualiser les effets métabolisants et transformateurs, il nous faut ajouter que la
dimension socialisante, le potentiel d’ouverture au monde que recèlent ces outils théra-
peutiques représentent sans doute la part la moins exploitée théoriquement par les
psychologues cliniciens (Jacquet, 2011).
Mais avant d’en venir particulièrement à cette question, rappelons d’abord comment le
procès de socialisation est en fait indissociable du procès de symbolisation subjecti-
vante qui focalise généralement l’attention des psychologues, c’est-à-dire comment se
reconnaître pour « un » est ce qui permet au sujet de se compter ou de s’inscrire
« parmi d’autres » dans l’espace collectif, et inversement.
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