de l’ouvrage datant de 1991 3, édition que Benedict Anderson a
complétée par deux très beaux chapitres qui donnent force à sa
théorie, sans pour autant que celle-ci parvienne à être clairement
formulée à un endroit ou à un autre. Car c’est une théorie sinon
balbutiante, au moins inachevée, que nous présente ce spécialiste
de renommée « en relations internationales » dont la plus grande
partie des travaux ont porté sur l’Asie du sud-est et en particulier
l’Indonésie. Le lecteur attentif à la cohérence d’un système inter-
prétatif, ici celui qui engage le couple réel-imaginaire, ne pourra
parvenir à démêler des questions restées irrésolues sur le rôle de
l’imaginaire dans l’édification sociale. Pire, il pourra refermer
l’ouvrage en pouvant être convaincu que seules les formes politiques
associées aux nations modernes sont des « communautés imagi-
nées ». Le glissement de l’expression « communautés imaginées » à
celle de l’« imaginaire national » condense cette lacune définition-
nelle. Alors que le titre anglais suppose la congruence quasi parfaite
entre nationalisme et « communautés imaginées », le titre français
laisse supposer que le « national » pourrait qualifier un imaginaire
social parmi d’autres.
Ce diagnostic rapidement énoncé sur la faiblesse théorique
d’une notion n’est certainement pas le reflet du succès remporté par
cette dernière. Près de vingt cinq ans après sa première publication,
l’ouvrage d’Anderson continue d’inspirer de nombreux écrits au
point même qu’il est aujourd’hui possible de faire le constat selon
lequel « les communautés imaginées d’Anderson sont devenues un
nalism... », art. cité, p. 707-744 ; Thomas Haymes, « What is Nationalism Really ?
Understanding the Limitations of Rigid Theories in Dealing with the Problems of
Nationalism and Ethnonationalism », Nations and Nationalism, vol. 3, no4, 1997,
p. 541-557 ; Alexander J. Motyl, « Imagined Communities, Rational Choosers,
Invented Ethnies », Comparative Politics, janvier 2002, p. 233-250 ; Vincent P. Pecora,
Nations and Identities. Classic Readings, Oxford, Blackwell Publishers, 2001 ; Anthony
D. Smith, « The Nation : Invented, Imagined, Reconstructed ? », Millennium : Journal
of International Studies, vol. 20, no3, 1991, p. 353-368 ; Yael Tamir, « The Enigma
of Nationalism », World Politics, vol. 47, 1995, p. 418-440 ; Andrew Thompson et
Ralph Fevre, « The National Question : Sociological Reflections on Nation and Natio-
nalism », Nations and Nationalism, vol. 7, no3, p. 297-315.
3. La deuxième édition en anglais porte le même titre que la première avec mention de
« revised and enlarged version » (voir Benedict Anderson, Imagined Communities –
Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, Londres, Verso, 1983, et
B. Anderson, Imagined communities – Reflections on the origin and pread of Nationalism,
Londres, Verso, 1991, édition révisée et augmentée). Pour la référence française, se
reporter à B. Anderson, L’imaginaire national – Réflexions sur l’origine et l’essor du
nationalisme, trad. de l’angl. par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, La Découverte, 1996.
132 – Christine Chivallon