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Knock : Dans un canton comme celui-ci nous devrions vous et moi, ne
pas pouvoir suffire à la besogne.
Mousquet : C’est juste.
Knock : Je pose en principe que tous les habitants du canton sont ipso
facto nos clients désignés.
Mousquet : Tous, c’est beaucoup demander.
Knock : Je dis tous.
Mousquet : Il est vrai qu’à un moment ou l’autre de sa vie, chacun
peut devenir notre client par occasion.
Knock : Par occasion ? Point du tout. Client régulier, client fidèle.
Mousquet : Mais encore faut-il qu’il tombe malade !
Knock : « Tomber malade », vieille notion qui ne tient plus devant les
données de la science actuelle. La santé n’est qu’un mot, qu’il n’y
aurait aucun inconvénient à rayer de notre vocabulaire. Pour ma part,
je ne connais que des gens plus ou moins atteints de maladies plus ou
moins nombreuses à évolution plus ou moins rapide. Naturellement, si
vous allez leur dire qu’ils se portent bien, ils ne demandent qu’à vous
croire. Mais vous les trompez. Votre seule excuse, c’est que vous avez
déjà trop de malades à soigner pour en reprendre de nouveaux.
Mousquet : En tout cas, c’est une très belle théorie.
Knock : Théorie profondément moderne, monsieur Mousquet,
réfléchissez-y, et toute proche parente de l’admirable idée de la nation
armée, qui fait la force de nos Etats.
Extrait de Knock
Jules Romains