tat est manifestement décevant. Car nous devons
bien l’avouer, nous sommes bien plus fascinés
par un cliché de CT, qui permet de voir les orga-
nes mieux que dans n’importe quel manuel
d’anatomie, après avoir tenté péniblement de
palper le foie et la rate.
La technique médicale a sans aucun doute réa-
lisé des progrès spectaculaires – soit dit en pas-
sant pour une minorité des patients qui viennent
nous consulter chaque jour. La très grande ma-
jorité, probablement 90% environ de tous les
problèmes, peut être prise en charge par les mé-
decins de premier recours (généralistes, inter-
nistes généraux et pédiatres) de manière aussi
compétente qu’économique. Ce sont des généra-
listes, qui connaissant leurs limites, ne doivent
adresser que 10% environ de leurs patients à des
spécialistes.
Avec la disparition des départements de Méde-
cine interne dans nos universités, la formation
des futurs généralistes est naturellement com-
promise, et les conséquences financières seront
énormes! Il n’y aura bientôt plus d’internistes
généraux comme médecins-chefs des hôpitaux
cantonaux et régionaux. Les spécialistes ont une
orientation interventionniste et du fait de leur
formation, ils recourent plus souvent que les gé-
néralistes à des interventions coûteuses telles
qu’endoscopies, cathétérismes cardiaques, etc.
Dans notre système de santé, le généraliste de-
vient toujours plus important, car les patients qui
consultent nos hôpitaux et nos cabinets médi-
caux sont pour la plupart très âgés et polymor-
bides. Dans ma clinique par exemple, il n’y a pra-
tiquement aucun patient qui a moins de cinq
diagnostics graves. Le suivi des patients âgés
polymorbides est cependant le véritable domaine
du généraliste, qui tente d’adapter ses examens
et mesures thérapeutiques au patient dans sa
globalité, sans perdre de vue que c’est l’optimi-
sation de la qualité de vie qui est le but premier.
Il n’est donc pas étonnant que l’une de mes plus
importantes interventions lors des visites du chef
soit l’interruption de médicaments inutiles et
l’annulation d’examens inappropriés.
Chez nous, les patients tentent de consulter di-
rectement le spécialiste sans avoir au préalable
vu le médecin généraliste «gate-keeper», ce qui
contribue naturellement à la baisse d’attrait de
la profession de généraliste. Cette consommation
non coordonnée d’innombrables médecins, tou-
risme médical ou «doctor shopping», renchérit
considérablement notre santé publique. Si les
cabinets de généralistes disparaissent, les pa-
tients s’adresseront la nuit et le week-end direc-
tement aux services d’urgence de nos hôpitaux,
tendance déjà bien avancée. Ils y rencontreront
un jeune médecin de garde manquant encore
ÉDITORIAL Forum Med Suisse 2006;6:91–92 91
Cette question fait son chemin depuis le jour-
nal «PrimaryCare» et le «Bulletin des médecins
suisses» jusque dans la presse quotidienne et les
médias électroniques: de plus en plus de médecins
généralistes ne trouvent pas de repreneur pour
leur cabinet, pas seulement dans les fonds de val-
lées retirées mais bien aussi dans les banlieues
urbaines. La situation n’est pas encore drama-
tique; il y a trop de cabinets médicaux à certains
endroits, ce qui fait qu’une certaine dilution peut
y être supportée sans problème.
La pyramide des âges des médecins praticiens et
les souhaits professionnels des médecins assis-
tants font cependant imaginer le pire dans un
futur proche.
Dans l’Oberaargau bernois – là où la Suisse est
la plus moyenne – 70 médecins sur 186 ont plus
de 55 ans et prendront donc leur retraite dans
les cinq à dix années à venir. Quatre ont réglé leur
succession, six cherchent un repreneur et 14 se
sont finalement résignés. Celui qui veut trouver
un successeur pour son cabinet doit acquérir une
bonne portion de tolérance à la frustration!
Quelles sont les raisons de cette évolution dra-
matique? Pourquoi la profession de généraliste
n’attire-t-elle plus nos jeunes collègues?
Notre population est fascinée par le médecin
spécialiste, qui sait et peut tout dans son petit
domaine et réalise de véritables merveilles avec
sa technologie de pointe. Elles sont généreuse-
ment célébrées chaque jour dans les journaux et
à la télévision.
Le généraliste par contre est catalogué d’odieux
dilettante qui sait, il est vrai, beaucoup de cho-
ses car il a reçu une formation large. Mais pour
répondre aux questions concrètes, on préfère
s’adresser au spécialiste. Nos jeunes assistants
ne peuvent naturellement pas échapper à cette
mentalité. A cela vient s’ajouter la transforma-
tion de la pratique de la médecine de ces 50 der-
nières années. Jusque dans les années 1960,
les installations techniques d’un service univer-
sitaire de médecine n’étaient guère plus impres-
sionnantes que celles d’un cabinet de médecine
générale. Le professeur d’université devait, tout
comme le médecin généraliste, se fier à ses yeux,
ses oreilles, son nez et ses mains pour poser le
bon diagnostic. Aujourd’hui par contre, même
dans les petits hôpitaux, les étudiants et les
assistants grandissent avec des appareils à tel
point nombreux et sophistiqués qu’ils ont toutes
les peines du monde à s’imaginer pouvoir tra-
vailler sans CT, IRM ni endoscope. Quoi qu’il en
soit, cette perspective est démotivante pour la
pratique de la médecine en campagne. Les ins-
tances facultaires de Médecine générale essaient
de convaincre nos jeunes collègues par des sta-
ges pratiques chez les généralistes, mais le résul-
Le médecin de famille est-il condamné à disparaître?
Rolf A. Streuli