Revue Médicale Suisse
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21 mai 2014 1157
nisme qui les réplique ; démontrer qu’elles
peuvent être transcrites en ARN in vivo, co-
der des messages génétiques, pris en charge
par l’organisme d’accueil pour, par exemple,
contrôler l’expression des gènes. Que restera-
t-il alors de l’antique Escherichia coli et quels
seront les profils et les performances des nou-
velles Escherichia coli «augmentées» ?
L’affaire couvait de longue date. Il y a treize
ans précisément (Science du 20 avril 2001),
nous découvrions les travaux de l’équipe
amé ricaine dirigée par Peter G. Schultz
(Scripps Research Institute de La Jolla, déjà)
et de celle, franco-américaine, dirigée par
Philippe Marlière, fondateur de la société
Evologic. Ces chercheurs étaient parvenus à
créer, de deux manières différentes, une Esche-
richia coli ne correspondant plus vraiment aux
règles du code génétique naturel, et conte-
nant, en son sein, un acide aminé modifié.
En réalité, l’affaire est bien plus ancienne.
Sans remonter à la Genèse, on peut citer Ro-
bert Burns Woodward (1917-1979), prix No-
bel 1965 de chimie pour ses travaux sur la
synthèse de molécules organiques complexes
(quinine, cholestérol, cortisone, strychnine,
chlorophylle, céphalosporine, colchicine…).
Ou encore, en 1970, le biologiste indien Har
Gobind Khorana (1922-2011), prix Nobel 1968
de médecine, et ses travaux de
synthèse d’un gène codant pour
un ARN de transfert. C’est le dé-
but de l’ingénierie génétique.
En 1972, Paul Berg construit une
molécule d’ADN hybride.
Les années 1970 sont celles où
l’on a peur des monstres qui
pourraient naître des premières
recombinaisons génétiques. 1978 :
le biologiste polonais Waclav
Szybalski déclare : «Le travail sur
les nucléases de synthèse nous
permet non seulement de cons-
truire aisément les molécules
d’ADN recombinant et d’analy-
ser les gènes individuels, mais
nous a aussi menés à une nou-
velle ère de la biologie de syn-
thèse, où non seulement les gè-
nes existants sont décrits et ana-
lysés, mais où aussi de nouvelles
configurations génétiques peu-
vent être construites et évaluées.»
C’est le début des années 1980
marquées par la fécondation in
vitro réussie dans l’espèce hu-
maine. Les peurs s’effacent. En
1984, le laboratoire de Steven
Benner synthétise un gène co-
dant pour une protéine. Trente
ans plus tard, la biologie synthé-
tique est déjà comme dépassée, l’heure sonne
de la biologie augmentée.
Il ne s’agit plus ici d’une simple «recombi-
naison» de fragments de génomes, créés à
partir d’un alphabet du vivant, alphabet tenu
jusqu’ici pour universel et indépassable. Il
s’agit bien au contraire de la création d’une
vie nouvelle (pour l’heure bactérienne) à par-
tir d’un alphabet «enrichi». De ce point de
vue, les perspectives ouvertes sont poten-
tiellement considérables, enthousiasmantes
pour les uns, effrayantes pour d’autres. Si les
frayeurs sont là, les espoirs commerciaux
demeurent à concrétiser. Rien n’est acquis
quant à cet Eldorado et ses innombrables
applications dans les champs environnemen-
taux, énergétiques ou médicaux.
Qu’adviendra-t-il des microorganismes
bac tériens qui pourront pianoter sur un
nouveau clavier, plus large, de leur métabo-
lisme et de leur reproduction ? des micro-
organismes à mi-chemin du naturel et de
l’artificiel, aux frontières du «paranaturel» ?
des bactéries comme frankensteinisées. On
parle déjà ici de xénobiologie. Le chercheur
français, Philippe Marlière, présente la xéno-
biologie comme la discipline qui verra la créa-
tion de formes de vie radicalement étrangères
à celles connues sur Terre, qu’il s’agisse de
la chimie ou du codage génétique.
«Les travaux de Denis A. Malyshev et
Floyd Romesberg constituent le franchisse-
ment d’un «cap symbolique historique», a
déclaré au Monde Philippe Marlière. «Une
troisième paire de bases entièrement artifi-
cielle a aujourd’hui pu être répliquée in vivo,
résume M. Marlière. Il ne s’agit certes que
de quelques générations dans une bactérie,
mais le Rubicon est franchi.»
M. Marlière ne dit pas ce qui attend l’hom-
me de ce franchissement. Il n’y a pas que
Belle-Ile et l’Irlande. On peut aussi être pris
d’une vertigineuse ébriété en regardant l’une
et l’autre rive du dangereux Rubicon.
Jean-Yves Nau
jeanyves.nau@gmail.com
1 www.nature.com/news/first-life-with-alien-dna-1.15179
2 www.nature.com/nature/journal/vaop/ncurrent/full/
nature13314.html
3 www.nytimes.com/2014/05/12/business/media/fox-
looks-to-gotham-to-reverse-its-prime-time-slump.html
?rref=business&module=Ribbon&version=context&re
gion=Header&action=click&contentCollection=Busine
ss%20Day&pgtype=article
dépendances en bref
Cette revue systématique s’est
inté ressée à l’attitude des profes-
sionnels de la santé vis-à-vis des
patients présentant des problèmes
d’abus de substances et l’impact
de ces attitudes sur les soins pro-
digués. Les auteurs ont identifié
28 études menées dans des pays
occidentaux et publiées entre
2000 et 2011. Les populations
observées comprenaient des infir-
miers, des professionnels travail-
lant dans le domaine de l’addiction
et de la santé mentale, et des
méde
cins. Les conclusions géné-
rales des auteurs sont :
• une proportion élevée des pro-
fessionnels de la santé a une atti-
tude négative vis-à-vis des patients
avec problèmes d’abus de subs-
tances comparativement à
d’autres groupes de patients
comme ceux souffrant de diabète
ou de problèmes de santé men-
tale.
• Les attitudes vis-à-vis de patients
avec problèmes de drogues illi-
cites sont encore plus négatives
et les professionnels de la santé
préfèrent que ces patients soient
pris en charge par des spécia-
listes de l’addiction.
• Un grand nombre de profes-
sionnels de la santé rapporte une
méconnaissance des probléma-
tiques d’abus de substances et
ressent un manque de formation,
y compris pratique, en ce qui
concerne le traitement des
patient s. La formation et l’expé-
rience sont associées à des atti-
tudes positives.
• Le soutien institutionnel pour
les professionnels de la santé
contribue à une augmentation des
attitudes positives.
• Les conséquences de ces atti-
tudes sur la prise en charge sont
rarement évaluées. Une étude a
montré que les discriminations
perçues par les patients sont
asso
ciées à une moins bonne
réten
tion en soin et une deuxième
que les soins prodigués étaient
sous-optimaux.
Commentaires :
quelques études
montrent des attitudes positives
vis-à-vis des patients présentant
des problèmes d’abus de subs-
tances mais, de façon générale,
les attitudes négatives l’emportent
chez les professionnels de la
santé. La formation et l’expérience
sont associées avec des attitudes
plus positives. Une formation et
une expérience en médecine de
l’addiction devraient être encoura-
gées dans les organisations et
institutions de formation afin
d’améliorer la confiance des pro-
fessionnels de la santé et les
résul tats des traitements.
Dr Nicolas Bertholet
(version originale anglaise
et traduction française)
van Boekel LC, Brouwers EP, van Weeghel
J, Garretsen HF. Stigma among health pro-
fessionals toward patients with substance
use disorders and its consequences for
healthcare delivery : Systematic review. Drug
Alcohol Depend 2013;131:23-35.
Lien vers la version intégrale de la lettre d’in-
formation : www.alcoologie.ch/alc_home/
alc_documents/alc-lettreinformation-2.htm
Patients souffrant de problèmes d’alcool ou de
drogue : l’attitude des soignants s’améliore avec
l’expérience
Service d’alcoologie, CHUV, Lausanne
© istockphoto.com/Jezperklauzen
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