
Journal Identification = IPE Article Identification = 1054 Date: April 29, 2013 Time: 7:8 pm
Quel avenir pour les classifications des maladies mentales ? Une synthèse des critiques anglo-saxonnes les plus
récentes
Hyman:«Laneurobiologie a fait de réels progrès, mais n’a
pas encore atteint un niveau qui lui permettrait de contri-
buer utilement à la définition des différentes pathologies »
[12].
La fiabilité inter-juge du DSM
D’après son principal promoteur, Robert Spitzer, la fia-
bilité inter-juge1du DSM-III était supérieure à celle des
précédents DSM [41]. En réalité, selon Michael First [5],
une seule étude a comparé dans les mêmes conditions
la fiabilité du DSM-III à celle du DSM-II. Il en ressort
que les deux fiabilités sont identiques. Comme on pouvait
s’y attendre, elles sont satisfaisantes pour les pathologies
les plus sévères et médiocres pour les autres [25]. Selon
Michael First [5] et Allen Frances [7], la fiabilité inter-
juge des DSM-III et DSM-IV a été largement surestimée.
De plus, cette fiabilité est encore plus médiocre en pra-
tique clinique. Ainsi, le diagnostic posé par des chercheurs
expérimentés utilisant les protocoles standardisés recom-
mandés par le DSM diffère souvent de celui des psychiatres
en pratique clinique quotidienne pour le même patient
[33, 39]. Par exemple, pour les pathologies non psycho-
tiques, l’accord entre les spécialistes et les cliniciens était
nettement insuffisant avec un coefficient kappa de fiabilité
inter-juge variant entre 0,12 et 0,33 (ce coefficient varie
entre de0à1pour une parfaite fiabilité inter-juge. En
médecine, un kappa supérieur à 0,5 est considéré comme
satisfaisant) [39].
La validité du DSM
La validité est le critère le plus « scientifique » d’une clas-
sification. Pour que la définition d’une maladie soit valide,
elle doit permettre de la distinguer des autres maladies
et de la normalité. En médecine somatique, les mar-
queurs biologiques ont beaucoup contribué à la définition
d’entités valides. Leur absence en psychiatrie représente
donc un handicap considérable. Cependant, il est arrivé que
certaines pathologies uniquement définies par leurs symp-
tômes soient reconnues comme valides malgré l’absence
de biomarqueurs et sans qu’on en connaisse l’étiologie.
Par exemple, le syndrome de Down a été décrit et reconnu
comme une entité dès le début du xixesiècle sur la base
de critères physiques (le « mongolisme ») associés au
retard mental et n’est devenu la « trisomie 21 » qu’en
1959. En l’absence de biomarqueur et d’étiologie connue,
la validité d’une pathologie repose alors sur une description
permettant de la distinguer des autres pathologies et de la
normalité.
Pour Robert Kendell, psychiatre britannique qui a été
très impliqué dans la production des DSM-III et -IV, si l’on
1La fiabilité inter-juge est le degré d’accord entre les diagnostics posés
par différents médecins à propos d’un même patient.
s’accorde sur cette définition de la validité, le constat est
clair : les diagnostics psychiatriques définis par le DSM-IV
ne peuvent pas être considérés comme valides. D’ailleurs,
le préambule du DSM-IV reconnaît explicitement que la
validité des définitions proposées n’est nullement prouvée
[14]. Les études publiées depuis lors vont toutes dans le
sens d’une absence de validité pour quatre raisons qui ont
été soulignées aussi bien par Robert Kendell [14] que par
Steven Hyman [12]. Premièrement, la plupart des patients
souffrent d’une combinaison variable de plusieurs troubles :
la comorbidité, qui aurait du rester rare si la validité du
DSM avait été satisfaisante, est en réalité très fréquente
[19]. Deuxièmement, le DSM-IV et la CIM-10 sont organi-
sés en différentes classes de pathologies qui sont divisées en
entités très spécifiques, mais prévoient pour chaque classe
une catégorie non spécifiée (not overwise specified [NOS]).
Les enquêtes montrent que les catégories NOS sont beau-
coup plus souvent utilisées que les autres par les praticiens,
et en particulier les médecins généralistes, alors qu’elles
auraient dû rester l’exception. Steve Hyman en conclut que
les trop nombreuses catégories étroitement spécifiées ne
correspondent pas, aux yeux des cliniciens, à des entités
« naturelles » [12]. Troisièmement, la frontière entre état
pathologique et normalité est nette pour les pathologies
sévères, mais franchement imprécise pour les troubles plus
bénins comme la dépression [2, 14, 42]. Cela est cohérent
avec le fait que des enquêtes épidémiologiques réalisées à
la même période aux États-Unis puissent donner des résul-
tats très divergents [35]. Par exemple, la prévalence sur un
an de la phobie sociale était de 1,6 % dans une étude et de
7,4 % dans l’autre [35]. Quatrièmement, une même cause
peut entraîner des pathologies différentes. Par exemple,
les adultes qui ont subi des abus sexuels dans l’enfance
peuvent souffrir de dépression, de troubles anxieux, de
trouble du comportement alimentaire ou de toxicomanie
[14]. De même, une altération chromosomique rare (dite
DISC1) observée sur plusieurs générations d’une famille
écossaise a entraîné des troubles très variables : schizophré-
nie, troubles des conduites, dépression, troubles anxieux
[1]. Steven Hyman en conclut : « Les données génétiques et
familiales ne confirment pas les limites des pathologies défi-
nies par le DSM-IV » [12]. Ce manque de validité explique
que la définition même de ce qu’est un trouble mental fait
toujours débat [29].
Le DSM est-il utile ? Une synthèse
des critiques américaines actuelles
Robert Kendell soulignait la nécessité de bien distinguer
la validité de l’utilité. Il considérait que les catégories du
DSM-IV n’étaient pas valides, mais qu’elles étaient utiles.
De fait, on a du mal à voir comment la psychiatrie cli-
nique pourrait se passer de toute classification. Des troubles
mentaux sévères ont été reconnus comme tels dans toutes
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦4 - AVRIL 2013 287