Le traitement de la goutte

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Le traitement de la goutte
La goutte constitue l’une des atteintes inflammatoires les plus douloureuses qui soient. L’article suivant présentera tout d’abord
une définition concise et détaillée des causes et des facteurs de risque de la goutte. De plus, nous examinerons les différents
traitements selon la phase de la maladie. En effet, une crise de goutte aiguë ne se traite pas de la même façon qu’en prophylaxie.
Enfin, nous verrons la marche à suivre pour le traitement de la goutte chez une clientèle particulière, soit les patients ayant subi
une transplantation d’organe solide.
Définition
La goutte est une forme d’arthrite provoquée
par l’accumulation et la précipitation de cristaux d’urate de sodium dans certaines articulations, surtout à la base du gros orteil, mais aussi
aux chevilles, aux genoux, aux poignets, aux
mains et aux coudes (au niveau des bourses olécraniennes); par contre, les épaules sont rarement atteintes. Il en résulte une douleur lancinante caractéristique avec une inflammation
aux articulations atteintes3-8. L’urate de sodium
constitue en fait la composante anionique (ou
le sel) de l’acide urique, le produit final du
métabolisme des purines endogènes (acides
nucléiques de l’ADN) et exogènes (dans la
nourriture) chez l’humain. Puisque la dégradation des purines s’effectue presque constamment, on retrouve toujours une certaine concentration physiologique d’acide urique dans le
plasma. Par contre, lorsque la concentration
sanguine d’acide urique augmente, le risque de
crises de goutte devient plus important3-8.
Les crises de goutte (arthrite goutteuse
aiguë) apparaissent souvent sans avertissement : le patient ressent une douleur intense,
un érythème localisé, une enflure et de la
chaleur locale; on reconnaît les quatre points
cardinaux d’une réaction inflammatoire5. Ces
symptômes se manifestent souvent la nuit, car
la douleur devient de plus en plus insupportable et atteint son paroxysme 8 à 12 heures
après avoir débuté. Le patient n’arrive plus à
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toucher ni à bouger l’articulation atteinte tellement la douleur est atroce7,8. Parmi les autres
signes et symptômes, on peut retrouver de la
fièvre, des frissons et une tachychardie. Lors
d’une première crise, 90 % des attaques ne
concernent qu’une seule articulation; dans
plus de la moitié des cas, c’est l’articulation
métatarsophalangienne du gros orteil qui est
touchée7. Une première crise non traitée dure
environ de 3 à 10 jours. La douleur disparaît
progressivement et l’articulation redevient
fonctionnelle. La période asymptomatique
entre deux épisodes d’arthrite goutteuse aiguë
peut durer quelques jours à quelques mois.
Pendant cet intervalle, la maladie peut poursuivre sa progression si les taux d’acide urique
augmentent. Par conséquent, la période de
temps pendant laquelle le patient ne présente
aucun symptôme diminue, les crises durent
plus longtemps et elles affectent plusieurs articulations4-6. Après des attaques répétées, la
goutte atteint un niveau de chronicité et peut
causer la destruction de certains tissus et la
malformation de certaines articulations. En
Texte rédigé par Jean-Michel Boileau,
B. Pharm., Pharmacie Chantal Ratelle.
Révision : Dre Anne-Laure Chetaille, MD, M.Sc.,
rhumatologie adulte et pédiatrique, CHUL du CHUQ,
Québec, et Chantal Duquet, B. Pharm., M.Sc.
Texte original soumis le 1er mai 2007.
Texte final remis le 4 octobre 2007.
Remerciements
L’auteur aimerait souligner l’apport de Mme
Lydjie Tremblay, pharmacienne au Centre
hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM),
à cet article. Mme Tremblay, qui possède
une expertise chez les patients greffés,
a contribué plus particulièrement
à la section sur les patients transplantés.
Tableau I
Liste d’aliments selon leur concentration en purines40
Aliments riches en purines
Anchois
Bière
Bouillon
Consommé
Oie
Hareng
Viandes de cerveau, de foie
Faisan
Sardines
Pétoncles
Levures (suppléments) et extraits de levures
Aliments à teneur modérée en purines
Asperges
Haricots
Lentilles
Champignons
Pois
Épinards
Viandes et poissons en général
Aliments à faible teneur en purines
Pain
Beurre
Céréales
Fromage
Chocolat
Café
Œufs
Fruits et jus de fruits
Lait
Nouilles
Noix
Olives
Beurre d’arachides
Riz
Sel
Sucreries
Novembre 2007 vol. 54 n° 11 Québec Pharmacie
Publié grâce à une subvention sans restrictions de
Au fil des siècles en médecine, plusieurs
maladies ont vu le jour, certaines ont disparu,
mais d’autres ont su résister au temps. Parmi
celles-ci, la goutte, qui demeure toujours un
sujet d’actualité chez les professionnels de la
santé. En fait, de l’Antiquité jusqu’aux temps
modernes, la goutte a toujours été perçue
comme la maladie des riches et des décadents, car seuls ces derniers pouvaient se procurer de la nourriture et de l’alcool en grande
quantité : on retrouvait d’ailleurs une prévalence plus marquée de goutte dans les familles
royales, tributaires de leur opulence, disaiton1,2. Avec les années et les nombreuses publications sur le sujet, nous sommes maintenant en mesure de définir plus concrètement
la pathologie de l’arthrite goutteuse.
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effet, plus le temps passe, plus les mouvements
de l’articulation atteinte deviennent restreints
à cause de l’obstruction des cristaux d’urate
de sodium et de la destruction articulaire. À
cette étape, on voit apparaître des nodules ou
des masses bosselées sur les membres affectés : on les appelle des tophi. Ils consistent en
une accumulation importante de cristaux
d’urate de sodium. La formation de tophi est
un indice révélateur de la chronicité de la maladie chez le patient. En effet, ils n’apparaissent qu’après de longues années sans que la
maladie soit traitée5,6.
Épidémiologie
Étant donné la nature épisodique des crises de
goutte, il est difficile de donner des chiffres sur
la prévalence de cette maladie. On estime
qu’environ 500 000 Canadiens sont affectés
par la goutte : plus de 1 % de la population
nord-américaine en souffrirait3,9,10. Les hommes constituent la majorité des patients
atteints. En fait, l’arthrite goutteuse est la maladie articulaire inflammatoire la plus fréquente
chez les hommes de plus de 40 ans3,5,7,9,10. En
général, on parle d’un rapport homme/femme
oscillant entre 5:1 et 9:1. Cependant, l’équilibre entre les sexes se rétablit peu à peu avec le
vieillissement. On constate que les femmes
atteintes de goutte sont pour la plupart postménopausées. Cela s’expliquerait par la perte
de l’effet uricosurique (qui provoque une
excrétion accrue d’acide urique) des œstrogènes. Néanmoins, chez les personnes âgées de
plus de 65 ans, le rapport hommes/femmes
atteints demeure à 3:16,10.
Facteurs de risque
Certaines caractéristiques intrinsèques des
individus les rendent plus à risque de développer la goutte. Par exemple, nous venons
de voir que les hommes sont plus à risque
que les femmes. Dans le même ordre d’idées,
plus l’individu vieillit, plus la possibilité d’en
être atteint augmente. Donc, avec l’espérance
de vie accrue de la population occidentale, il
ne faut pas s’étonner que la prévalence de la
goutte monte en flèche. Comme ces facteurs
(âge et sexe) sont inchangeables, on ne peut
pas les traiter. Par contre, il existe d’autres
facteurs de risque de la goutte sur lesquels les
professionnels de la santé peuvent agir.
Hyperuricémie
La concentration plasmatique d’acide urique constitue le facteur de risque le plus
important de l’arthrite goutteuse3-8. Cependant, l’hyperuricémie ne condamne pas
nécessairement le patient à des crises. Tout
dépend des caractéristiques particulières de
chaque patient. Les taux d’acide urique san-
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guins sont maintenus à des niveaux stables
grâce à l’équilibre entre le métabolisme des
purines et l’élimination du produit de
dégradation5,7,8. À partir des acides nucléiques de l’ADN, les purines sont dégradées
par une série de réactions enzymatiques
pour aboutir à la formation d’acide urique
par le biais de l’enzyme xanthine oxydase
(XO) qui agit de façon irréversible7.
La production d’acide urique s’effectue principalement dans le foie. En moyenne, le tiers
de cette production provient de l’alimentation
de l’individu, le reste étant le résultat du cycle
de vie d’une cellule et des acides nucléiques.
La concentration plasmatique recommandée
d’acide urique diffère selon le sexe. On suggère
des valeurs moyennes entre 200 et 400 µmol/L
pour l’homme et entre 150 et 350 µmol/L chez
la femme3,5,7,8. Ces chiffres peuvent varier sensiblement d’un laboratoire à l’autre et d’un
centre hospitalier à l’autre, mais on essaie de
maintenir les patients en dessous du seuil de
saturation de l’urate de sodium, soit à un taux
inférieur à 360 µmol/L11.
L’élimination de l’acide urique est majoritairement rénale, le reste étant éliminé par
excrétion entérique. Pour qu’il y ait hyperuricémie, l’équilibre entre la production et
l’excrétion doit être brisé. Ainsi, certains
patients présenteront une excrétion déficitaire et d’autres, une production accrue.
Dans les deux cas, la résultante est une augmentation des réserves et des concentrations plasmatiques d’acide urique. Une
forte majorité (> 85 %) des patients hyperuricémiques présentent un défaut de l’excrétion, d’où la nécessité de développer des
agents uricosuriques7,8.
Régime alimentaire
Parmi les sources d’acide urique exogènes,
certains aliments renferment de grandes
quantités de purines, qui devront être métabolisées et qui entraîneront une production
plus importante d’acide urique. Le tableau I
présente une liste non exhaustive d’aliments
avec différentes concentrations en purines.
Une étude américaine de grande envergure a
examiné l’impact de l’alimentation sur la survenue d’arthrite goutteuse chez une population de 47 150 hommes pendant 12 ans12.
L’étude a montré qu’une plus grande consommation de viandes et de fruits de mer était
associée à un risque plus élevé de crises de
goutte (RR = 1,41 et 1,51 respectivement,
p = 0,02). Pour ce qui est des légumes riches
en purines, ils n’ont pas montré de risque
accru sur l’apparition de goutte. Par ailleurs,
certains aliments semblent avoir un effet protecteur. Une consommation accrue de produits laitiers a entraîné une diminution de
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près de 50 % des cas de goutte12. Ces données
permettent de mieux cibler la nourriture à
privilégier ou à éviter chez les patients présentant des taux élevés d’acide urique. Il ne faut
pas oublier le rôle de l’obésité dans la goutte.
Au Canada, on estime que 50 % des individus
de plus de 18 ans ont des kilos en trop, soit
avec un indice de masse corporelle (IMC)
supérieur à 2513. Plus l’IMC est élevé, plus le
risque de goutte est accru3,12,14. L’obésité augmente les taux d’acide urique en diminuant
l’excrétion rénale avec une production renforcée. L’inverse est aussi vrai, car une perte de
poids significative entraîne une baisse des
taux d’acide urique14.
Alcool
Nos ancêtres du Moyen-Âge n’étaient pas
complètement dans l’erreur quant aux caractéristiques des personnes atteintes de la
goutte. Les grands consommateurs d’alcool
présentent une prédisposition apparente à
une attaque de goutte, mais le type de boisson alcoolisée pourrait jouer un rôle prépondérant14,15. Ainsi, la bière est très riche en
purines, particulièrement en guanosine. Plus
un patient consomme de la bière, plus son
risque d’hyperuricémie et de goutte est élevé.
Choi et coll. ont utilisé la même cohorte
décrite précédemment pour mesurer l’impact de l’alcool. Ils ont montré un effet néfaste
chez les patients buvant en moyenne une
bière par jour (RR = 1,49; IC 95 % 1,32-1,70)
et, dans une moindre mesure, chez les hommes buvant un verre de spiritueux par jour
(RR = 1,15; IC 95 % 1,04-1,28)15. Cependant, un verre de vin par jour n’a pas eu d’impact significatif sur l’apparition de goutte
(RR = 1,04; IC 95 % 0,88-1,22). Évidemment, les grands buveurs d’alcool présentaient des risques plus élevés quel que soit le
type d’alcool qu’ils prenaient.
Médicaments
Plusieurs médicaments couramment prescrits
influencent positivement ou négativement la
concentration plasmatique d’acide urique. Ils
agissent plus souvent qu’autrement au niveau
rénal en freinant ou en stimulant l’excrétion
d’acide urique5,7. Par exemple, l’utilisation
régulière de diurétiques provoque une augmentation de la concentration d’acide urique
dans le sang. Tant les diurétiques de l’anse que
les thiazidiques réduisent l’excrétion d’urate,
probablement par déplétion volumique, ce qui
entraînerait une réabsorption au tubule proximal, fidèle au gradient de concentration3,7,14.
L’aspirine, quant à elle, présente plusieurs propriétés différentes dépendantes de la dose. En
effet, une dose élevée d’aspirine (> 3 grammes
par jour) a des propriétés uricosuriques en
Le traitement de la goutte
empêchant la réabsorption, tandis que les plus
faibles doses, incluant la dose quotidienne de
80 mg, diminuent la clairance de l’acide urique
et augmentent la concentration plasmatique
en nuisant à l’excrétion4,5,7. Parmi les autres
médicaments pouvant prédisposer à une crise
de goutte, citons l’éthambutol, l’acide nicotinique, la warfarine et la cyclosporine5. Par
contre, quelques médicaments provoquent
l’effet inverse (uricosurique) et permettent
donc une protection additionnelle face à la
survenue de goutte; le losartan et le fénofibrate, entre autres, présenteraient cette
caractéristique3,5,6.
Autres facteurs
Plusieurs types de cancers se manifestent par
une augmentation d’acide urique, comme le
myélome multiple et plusieurs autres cancers des cellules de la moelle osseuse5. Les
cancers sont également précurseurs du syndrome de lyse tumorale, une urgence métabolique qui s’observe dans les cancers ayant
une croissance tumorale rapide. Ces cancers
répondent habituellement bien à la chimiothérapie et à la radiothérapie. Cependant, la
mort d’une grande quantité de cellules cancéreuses en rapport avec l’efficacité du traitement provoque un largage rapide dans le
sang de produits intracellulaires, dont l’acide
urique. Par conséquent, on observe une augmentation marquée des taux d’acide urique
en l’espace de quelques jours suivant le traitement oncologique16.
Évidemment, les patients souffrant d’insuffisance rénale courent également le risque de présenter des crises de goutte. À
défaut de pouvoir excréter convenablement,
l’organisme accumule des déchets métaboliques, dont l’acide urique6,7. En fait, de
nombreuses maladies chroniques se présentent en association avec la goutte, tels le
syndrome métabolique, l’hypertension et la
Tableau II
Options thérapeutiques pour l’arthrite goutteuse aiguë3
Médicament
Régime posologique
Commentaires
AINS
Naproxène
375 à 500 mg po bid pour 3 jours, Peu dispendieux
puis 250 à 375 mg po bid pour 4 à 7 jours À éviter chez les patients en insuffisance rénale ou
Sulindac
150 à 200 mg po bid pour 7 à 10 jours hépatique et chez les patients à risque d’effets
gastro-intestinaux (GI), chez les patients asthmatiques
Indométhacine
150 à 200 mg par jour po pour 3 jours, puis 100 mg
ou en insuffisance cardiaque
par jour po pour 4 à 7 jours (divisés en 2 à 4 doses)
Inhibiteurs de COX-2
Célécoxib
200 mg po bid la première journée, Meilleure tolérance GI que les AINS. Cet effet protecteur puis 100 mg po bid pour 6 à 10 jours
est diminué, voire éliminé si prise d’aspirine concomitante
Stéroïdes systémiques
Prednisone
40 à 60 mg par jour po pour 3 jours, puis diminuer
À éviter si l’hypothèse d’une sepsis articulaire
progressivement de 10 mg à tous les 3 jours jusqu’à cessation
n’est pas exclue
À éviter chez les patients à risque d’hyperglycémie
Triamcinolone
Une dose de 60 mg intramusculaire
Stéroïdes locaux
Triamcinolone
Une dose de 40 mg intra-articulaire Utile si une seule articulation est atteinte
dans le genou ou 8 mg dans les petites articulations
À éviter si l’hypothèse d’une sepsis articulaire n’est pas exclue
ACTH
25 U sous-cutané pour une crise Disponibilité limitée
monoarticulaire; 40 U intramusculaire ou Efficacité moindre chez un patient recevant intraveineux pour une crise polyarticulaire
des corticostéroïdes oraux à long terme
Risque de réactions d’hypersensibilité
Colchicine
Pour un épisode aigu, dans les 24 premières heures, chez
À éviter ou limiter chez les personnes âgées et chez un patient ne recevant pas de prophylaxie à la colchicine:
les insuffisants rénaux et hépatiques. Tous les patients 0,6 mg initialement suivi de doses additionnelles
recevant des doses thérapeutiques de colchicine de 0,6 mg à chaque heure jusqu’à un maximum de
développeront des effets toxiques.
8 doses par jour, à cause du risque de diarrhée,Interactions potentielles avec l’érythromycine,
de nausées et de vomissements.
la simvastatine et la cyclosporine.
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Cas clinique
M.T., un homme de 70 ans sans antécédents de
problèmes de santé, se présente à la pharmacie avec une prescription de :
n Naproxène 500 mg bid x 5 jours
n Allopurinol 100 mg die
n Colchicine 0,6 mg die
Le patient vous indique qu’il a été victime d’une
crise de goutte il y a 48 heures et qu’il sort tout
juste de l’hôpital. Il ne prend aucun autre médicament et n’a pas d’allergie connue.
maladie cardiovasculaire. Cependant, le lien
causal demeure encore incertain. D’une
part, des taux élevés d’acide urique ont déjà
été associés à l’hypertension, mais, d’autre
part, on reconnaît également que la haute
pression est un facteur de risque pour des
crises d’arthrite goutteuse3,5,7,17. Enfin, parmi
les autres troubles pouvant précipiter une
crise de goutte, citons l’hypothyroïdie, la
malnutrition et certaines intoxications, le
plomb par exemple5.
Traitement
Le but du traitement dépend avant tout du
stade de la maladie. Dans le cas d’une crise
aiguë, le soulagement de la douleur et la maîtrise de l’inflammation demeurent la priorité3-8,18. Pour ce qui est de la goutte chronique ou de la prophylaxie, on cherche à
diminuer la concentration d’acide urique à
des taux inférieurs à 360 µmol/L, le taux
exact recherché demeurant arbitraire, en
autant qu’il soit le plus éloigné possible de la
solubilité de l’acide urique18. Pour ce faire,
on a recours à des agents empêchant la production ou accélérant l’excrétion d’acide
urique. On prévient ainsi la précipitation des
cristaux d’urate et la recrudescence de la
maladie. Cependant, les deux types de traitement (aigu ou chronique) sont différents.
Par exemple, en sachant qu’une crise de
goutte peut se prolonger ou se détériorer
avec des fluctuations, à la hausse ou à la
baisse, d’acide urique, les agents antihyperuricémiques ne devraient pas être ajoutés,
modifiés ou cessés tant que la réaction
inflammatoire n’est pas maîtrisée ni traitée7.
Approche non pharmacologique
Lors d’une crise de goutte aigüe, il est important d’immobiliser l’articulation atteinte en
plus d’appliquer localement de la glace à
l’aide d’une protection cutanée comme un
linge ou une serviette. Le froid rétrécit les
vaisseaux sanguins et diminue ainsi l’afflux
de médiateurs pro-inflammatoires à l’articulation. Comme nous l’avons expliqué
30
auparavant, l’alimentation et le style de vie
peuvent jouer un rôle non négligeable dans
l’apparition d’hyperuricémie et de goutte.
Cependant, le régime alimentaire comme
seule approche thérapeutique tient un rôle
plutôt modeste dans le traitement de l’hyperuricémie. Un individu qui suit un régime
strictement pauvre en purines peut voir sa
concentration d’acide urique diminuer
d’environ 60 µmol/L en moyenne6,7. Or, si
on ajoute à cette diète une perte de poids,
une consommation accrue de produits laitiers tout en modérant la prise d’alcool, on se
retrouve avec une méthode peu dispendieuse et sécuritaire qui peut donner des
résultats significatifs7,14,15. En ajoutant ces
moyens non pharmacologiques à la thérapie
médicamenteuse, nous pouvons mieux maîtriser la maladie.
Traitement de la goutte aiguë
Anti-inflammatoires non stéroïdiens
En l’absence de contre-indications, les antiinflammatoires non stéroïdiens (AINS) constituent le traitement de première intention de
la goutte aiguë. Ils agissent en diminuant la
réaction inflammatoire dans les articulations
atteintes par une inhibition de l’enzyme
cyclo-oxygénase (COX) responsable de la
formation de médiateurs pro-inflammatoires3-7,18. En général, on s’accorde pour dire
que les AINS peuvent soulager les symptômes à l’intérieur des 24 premières heures
d’administration. Ils présentent également
un avantage étant donné leur faible coût5. Par
le passé et encore aujourd’hui, les cliniciens
utilisent l’indométacine, le naproxène et
l’ibuprofène. Bien qu’elle soit efficace à de
fortes doses, l’aspirine est très peu recommandée en pratique. La comparaison des
différents AINS entre eux à des doses équivalentes chez des patients en crise de goutte n’a
pas montré la supériorité d’un produit par
rapport à un autre19. Cependant, l’utilité de
ces produits peut être limitée par les nombreux effets indésirables qu’ils occasionnent,
surtout aux niveaux gastro-intestinal et rénal5,7,18. Puisque les doses d’AINS utilisées
pour traiter la goutte sont élevées (tableau
II), ces effets indésirables apparaissent plus
souvent. Les patients âgés, avec une fonction
rénale réduite et avec des antécédents de maladies gastro-intestinales demeurent particulièrement vulnérables aux hémorragies,
aux ulcères et à une insuffisance rénale7,10.
Une solution de rechange intéressante pour
les patients intolérants aux AINS résiderait
dans les inhibiteurs de la cyclo-oxygénase-2
(COX-2), qui provoquent moins d’effets indésirables gastro-intestinaux en raison de
leur sélectivité pour la COX-2. Au Canada, il
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n’y a qu’une molécule de la sorte présentement sur le marché, soit le célécoxib (CelebrexMD). Le lumiracoxib (PrexigeMD) a été retiré du marché récemment. Par contre, peu
d’études sur la goutte ont été effectuées en
utilisant ces molécules. En Europe et en
Amérique latine, un autre produit, l’étoricoxib (ArcoxiaMD), est utilisé comme anti-inflammatoire et on a montré que son efficacité était similaire à l’indométacine dans le
traitement de la goutte aiguë tout en causant
moins d’effets indésirables20. Ainsi, pour un
patient qui présente des crises de goutte répétées, un traitement par les inhibiteurs de la
COX-2 serait envisageable chez ceux qui ont
des contre-indications aux AINS traditionnels5,7. Cependant, une mise en garde concernant les inhibiteurs de la COX-2 a entraîné le
retrait en 2004 du rofécoxib (VioxxMD) et en
2005 du valdécoxib (BextraMD) à la suite de la
publication de résultats montrant une légère
hausse des événements cardiovasculaires lors
d’une utilisation prolongée de ces agents.
L’étoricoxib ne semble pas présenter de risques cardiovasculaires à ce jour21. Étant donné que l’utilisation des anti-inflammatoires
demeure périodique, soit à chaque crise de
goutte, l’utilisation du célécoxib devient plus
envisageable, puisque le risque cardiovasculaire avec les inhibiteurs de la COX-2 a été
établi dans les cas de leur prise prolongée et
continue. Le lumiracoxib (PrexigeMD), pour
sa part a été retiré récemment par Santé Canada en raison d’effets indésirables grave sur
le foie.
Colchicine
La colchicine correspond à un dérivé alcaloïde de la colchique d’automne (ou Colchicum autumnale). La colchicine présente une
activité anti-inflammatoire par différents
mécanismes. Elle bloque la formation de
microtubules à l’intérieur des neutrophiles,
elle inhibe la libération de facteurs proinflammatoires tel le leucotriène B4 (LTB4) et
elle empêche le recrutement des autres globules blancs dans la réaction inflammatoire.
Ainsi, pour que la colchicine soit efficace
comme anti-inflammatoire, elle doit être
amorcée très tôt dans le processus inflammatoire. Pour une crise de goutte, on devrait
amorcer le traitement dans les 24 premières
heures après le début de la crise; sinon, les
effets bénéfiques seront moins importants et
l’attaque pourrait être plus longue à traiter7,18,19,23. Généralement, la douleur commence à diminuer après 12 heures de traitement et disparaît complètement à l’intérieur
de 48 heures. Un récent consensus international a standardisé la dose de départ à 1 mg
deux à quatre heures avec un maximum de
Le traitement de la goutte
4 mg par jour5,19,22,23. Bien que la colchicine
soit efficace, les effets indésirables gastrointestinaux (nausées, vomissements et diarrhée) et musculaires (myopathies) sont nombreux, et constituent une cause majeure
d’arrêt du traitement7. La diarrhée apparaît
souvent 24 heures après le début de la thérapie médicamenteuse, même avec des faibles
doses. En fait, la colchicine est reconnue
comme étant un médicament à index thérapeutique étroit, comme en font foi les nombreux effets indésirables et sa toxicité. La colchicine peut provoquer des complications
très graves au niveau hématologique si elle est
utilisée à fortes doses. On a rapporté des cas
de neutropénie, de pancytopénie, de neuromyopathie avec des défaillances de plusieurs
organes vitaux7,19,23. Une intoxication à la colchicine est presque impossible à traiter, car il
n’y a pas d’antidotes connus. Les troubles
digestifs, sanguins et neurologiques sont graves, et les conséquences peuvent être fatales5,23.
La colchicine peut également s’administrer
par voie intraveineuse. Les effets gastro-intestinaux sont peu ou pas présents, mais une
nécrose au point d’injection et les effets hématologiques demeurent fréquents. Cette voie
devrait rarement être privilégiée, mais si c’est
le cas, la dose maximale pour une seule crise
de goutte ne devrait jamais dépasser 2 mg7,19.
Corticostéroïdes et corticotropine Les corticostéroïdes représentent une bonne solution de rechange chez les patients
pour qui les AINS et la colchicine sont inefficaces ou contre-indiqués5-7,24. Les stéroïdes
dérivés de la cortisone (prednisone, méthylprednisolone) agissent comme anti-inflammatoire par leur action glucocorticoïde. Ils
inhibent les événements moléculaires liés à
l’activation des globules blancs et leur migration vers le site inflammatoire. Quelques
études ont montré l’efficacité de ces médicaments dans le traitement de la crise de
goutte, mais aucune jusqu’à ce jour n’a
comparé les différents corticostéroïdes entre eux. Lors d’une crise de goutte impliquant une seule articulation, on peut envisager une injection intra-articulaire de
corticostéroïdes. En effet, la triamcinolone
ou la prednisolone injectable après aspiration de l’articulation atteinte constitue un
traitement de choix lorsque l’aspiration est
possible. L’injection provoque un soulagement presque immédiat5,19. Dans le cas
d’une utilisation systémique, on peut utiliser des doses modérées de prednisone ou
son équivalent avec une diminution progressive pendant deux semaines (tableau
II). On observe une amélioration des symptômes dans les 24 premières heures avec une
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disparition complète en 7 à 10 jours24. Les
corticostéroïdes à court terme présentent
moins d’effets indésirables nocifs que la colchicine, mais ils peuvent causer une déminéralisation osseuse s’ils sont utilisés à de
hautes doses ou à trop long terme7,24.
La corticotropine, aussi connue sous le
nom d’hormone corticotrope ou Adreno
Cortico Tropic Hormone (ACTH), peut
également être utile pour les patients avec
plusieurs problèmes médicaux concomitants empêchant l’utilisation des thérapies
de première intention3,7,25. L’ACTH est produite normalement de façon endogène par
l’adénohypophyse pour stimuler la production de cortisol par les glandes surrénales.
L’injection de corticotropine de synthèse
(SynacthenMD) se rajoute à l’ACTH déjà présente dans la circulation et provoque une
plus grande libération de cortisol et une plus
grande réaction anti-inflammatoire au
niveau de l’articulation atteinte par des cristaux d’urate25. L’injection a déjà montré une
action plus rapide et un meilleur profil d’innocuité que l’indométacine. La douleur se
résorbait à l’intérieur des 4 premières heures
pour la corticotropine sans effets indésirables rapportés, comparativement à 24 heures pour l’AINS26. Cependant, l’utilisation
de l’ACTH de synthèse est limitée en raison
du coût et de l’inconfort causé par l’administration intramusculaire19.
Traitement prophylactique
de la goutte
Pour prévenir des crises subséquentes de
goutte, le meilleur objectif de traitement réside
en une concentration d’acide urique inférieure
à la limite de solubilité (< 360 µmol/L). Une
réduction à long terme des taux sanguins prévient et renverse la formation des cristaux
d’urate3,7. Une médication antihyperuricémique sera envisageable pour des patients présentant des tophi visibles à l’œil nu (de plus en
plus rares) ou avec une moyenne de deux ou
trois crises de goutte par an6. En d’autres termes, les patients présentant de l’hyperuricémie asymptomatique ne devraient pas recevoir de traitement tant et aussi longtemps
qu’une crise de goutte ne s’est pas manifestée.
Afin de maintenir des valeurs thérapeutiques,
le traitement médicamenteux devra être poursuivi à très long terme, voire toute la vie.
Cependant, tous les médicaments traitant
l’hyperuricémie peuvent précipiter une crise
de goutte lorsqu’ils sont initiés3-7. C’est pourquoi un traitement prophylactique par les
AINS ou par la colchicine peut être instauré
au même moment, mais à moyen terme, soit
de trois à six mois, parfois plus longtemps s’il
y a présence d’un tophus, ce qui permettra de
réduire le nombre et l’ampleur des attaques.
On recommande la plus faible dose thérapeutique possible pour les AINS et un maximum
de 1 mg par jour de colchicine et même 0,5
mg par jour chez les insuffisants rénaux pour
éviter les effets indésirables qu’entraînent ces
traitements7,22.
Allopurinol
L’allopurinol (ZyloprimMD), utilisé depuis les
années 1960, agit en empêchant la production d’acide urique par inhibition de l’enzyme xanthine oxydase (XO). L’allopurinol
constitue le traitement de choix pour l’hyperuricémie, tant pour ceux qui produisent trop
d’acide urique que pour ceux qui n’en éliminent pas assez5,7,27. La dose de départ est de
100 mg pour ensuite augmenter graduellement par incrément de 100 mg jusqu’à l’atteinte des cibles thérapeutiques. En général,
une dose de 300 mg permet de ramener les
Tableau III
Doses de maintien d’allopurinol recommandées
selon la fonction rénale
Clairance de la créatinine (mL/min)
0
10
20
40
60
80
100
120
140
Posologie d’allopurinol
100 mg à tous les 3 jours
100 mg à tous les 2 jours
100 mg die
150 mg die
200 mg die
250 mg die
300 mg die
350 mg die
400 mg die
Le tableau est basé sur une dose de maintien usuelle de 300 mg die pour un patient avec une clairance de la créatinine
de 100 mL/min25.
Novembre 2007 vol. 54 n° 11 Québec Pharmacie
31
LES pages bleues
Cas clinique (suite)
Étant donné que la crise de goutte a eu lieu
récemment, il n’est pas recommandé de
débuter l’allopurinol immédiatement, puisque ce dernier pourrait précipiter une nouvelle attaque d’arthrite goutteuse. Bref,
vous conseillez au patient de prendre son
naproxène pendant cinq jours pour traiter
l’inflammation. Il pourra commencer la colchicine régulièrement dès maintenant en
tant que prophylaxie et il pourra amorcer le
traitement par l’allopurinol après son traitement anti-inflammatoire dans cinq jours.
valeurs d’acide urique à un niveau acceptable
pour la majorité des patients7. Cependant, on
peut utiliser des doses plus élevées (jusqu’à
1000 mg par jour) de façon périodique pour
atteindre la concentration thérapeutique
recherchée7,27. Le médicament est généralement bien toléré lorsqu’il est pris avec de la
nourriture. Cependant, il peut causer à l’occasion de la diarrhée, du prurit et un rash. Il
existe une réaction d’hypersensibilité dépendante de la dose très rare à l’allopurinol qui se
manifeste par une éosinophilie, une vasculite
et un dérèglement hépatique ou rénal pouvant causer jusqu’à 20 % de mortalité chez les
individus atteints27,28. Dans le cas d’une hypersensibilité connue à l’allopurinol, un régime
de désensibilisation peut s’avérer nécessaire.
Une augmentation progressive des doses de
8 mg jusqu’à 300 mg sur une période de
30 jours résout généralement le problème28.
Sinon, il existe une forme intraveineuse, soit
l’oxipurinol, le métabolite actif de l’allopurinol, qui devient la thérapie de dernier recours.
Malgré tout, la popularité de l’allopurinol
réside dans sa prise uniquotidienne, son coût
moindre et son efficacité, quelle que soit la
cause de l’hyperuricémie5,7,27. Il peut également être utilisé en insuffisance rénale,
moyennant un ajustement de la dose. Le
tableau III présente les ajustements de doses
nécessaires pour l’allopurinol selon la clairance à la créatinine (ClCr) du patient.
Agents uricosuriques
(probénécide et sulfinpyrazone)
Les médicaments ayant des propriétés uricosuriques, ayant la capacité d’excréter une plus
grande quantité d’acide urique dans l’urine,
permettent de diminuer la concentration
sanguine de celui-ci. Ils agissent en empêchant la réabsorption de l’acide urique au
niveau des tubules rénaux3,6,18,29. Cependant,
l’usage de ces médicaments s’avère plutôt
limité au Canada, et ce, pour différentes raisons. En premier lieu, ils ne sont efficaces que
32
chez les patients présentant un problème de
sous-élimination et non un problème d’hyperproduction d’acide urique. Ensuite, l’accumulation d’urates dans l’urine devient une
condition favorable à la formation de cristaux dans le rein pouvant engendrer des
néphrolithiases ou des calculs rénaux5. Pour
éviter de tels effets indésirables, il est recommandé de boire beaucoup de liquide (jusqu’à
trois litres par jour) avec ces médicaments et
de recevoir un traitement par le bicarbonate
de sodium pour permettre une alcalinisation
de l’urine, ce qui diminue également le risque
de calculs rénaux. Par conséquent, une personne âgée avec une fonction rénale diminuée (ClCr < 50 mL/min) ne devrait jamais
utiliser ces produits7,29. Enfin, les deux principaux représentants de cette classe, soit le probénécide et la sulfinpyrazone, occasionnent
de nombreux autres effets indésirables au
niveau gastro-intestinal et sont responsables
de plusieurs interactions médicamenteuses
(particulièrement le probénécide) avec des
médicaments couramment utilisés, tels les
quinolones, les AINS et le méthotrexate, par
exemple29. De plus, l’observance thérapeutique devient plus difficile avec des posologies
de trois à quatre fois par jour contrairement à
la prise uniquotidienne de l’allopurinol. Par
contre, chez un patient en santé avec une
fonction rénale normale, mais avec une intolérance à l’allopurinol, ces médicaments
deviennent une thérapie possible.
Médicaments à l’étude
Fébuxostat
Le fébuxostat est un nouveau médicament
par voie orale prometteur en voie d’être commercialisé aux États-Unis pour le traitement
de l’hyperuricémie. Il agit comme un inhibiteur puissant de la xanthine oxydase (XO) du
même ressort que l’allopurinol, sauf que le fébuxostat est sélectif à la XO, tandis que l’allopurinol, en raison de sa structure chimique
analogue aux purines, inhibe plusieurs autres
enzymes du métabolisme des purines et des
pyrimidines7,30-32. La non-sélectivité de l’allopurinol pourrait être responsable, selon plusieurs, de certains de ses effets indésirables.
Des études ont montré que le fébuxostat diminuait les taux d’acide urique à des niveaux
physiologiques chez une proportion plus élevée de patients qu’avec l’allopurinol avec un
excellent profil d’innocuité32. Évidemment,
l’exacerbation d’une crise de goutte demeure
possible, comme avec l’allopurinol, d’où la
nécessité d’une prophylaxie par les AINS ou
par la colchicine. Aucune interaction médicamenteuse n’a encore été rapportée avec le fébuxostat, mais certains auteurs indiquent
qu’il pourrait être un faible inhibiteur du
Québec Pharmacie vol. 54 n° 11 Novembre 2007
CYP2D6. Néanmoins, on se questionne à savoir si un traitement puissant (fébuxostat) diminuant les niveaux d’acide urique vaut le
coup si aucune différence significative n’est
observée quant au nombre de crises de goutte
et au nombre d’articulations atteintes par
rapport à l’allopurinol. Ce produit pourrait
par contre être intéressant dans les cas d’allergie à l’allopurinol ou chez ceux dont l’insuffisance rénale empêche l’augmentation posologique de l’allopurinol alors que l’acide
urique n’est pas assez abaissé. D’autres études
sont donc nécessaires et c’est pourquoi l’approbation par la FDA aux États-Unis se fait
toujours attendre. Si le fébuxostat venait à être
commercialisé, il serait le premier nouveau
médicament pour la goutte commercialisé
depuis plus de 40 ans31,32.
Uricase
Chez certains mammifères, une autre enzyme,
l’uricase, dégrade l’acide urique en allantoïne,
un produit de dégradation inoffensif. L’humain n’exprime pas cette enzyme à l’état physiologique, mais une forme non recombinante a été isolée sous forme de rasburicase30,33.
En transformant l’acide urique en produit
plus soluble, le risque de formation de cristaux d’urate serait théoriquement plus faible.
Des études cliniques ont déjà utilisé cette
enzyme efficacement dans le syndrome de
lyse tumorale, mais les risques d’anaphylaxie
ne sont pas négligeables et limitent son utilisation. Cependant, il y a un espoir grâce à une
formulation d’uricase à base de polyéthylène
glycol (PEG) qui augmente la demi-vie de ce
médicament tout en diminuant les risques de
réactions allergiques33. La formulation de
PEG-uricase a été utilisée dans des études de
phases I et II, et elle est présentement en étude
de phase III pour déterminer ses effets sur la
douleur articulaire et sur les concentrations
plasmatiques d’acide urique. Elle pourrait être
un outil thérapeutique intéressant dans les
années à venir.
La goutte chez les patients
transplantés d’organes solides
Incidence et facteurs de risque
L’hyperuricémie et la goutte sont très prévalentes chez les patients ayant subi une greffe
d’organe solide. Les transplantés rénaux
et cardiaques en sont plus fréquemment
atteints que les transplantés hépatiques34.
Une récente étude visant à déterminer l’incidence de la goutte chez les transplantés
rénaux l’évalue à 23 % après la transplantation35. Les facteurs de risque pour le développement de l’hyperuricémie et de la goutte
post-transplantation incluent ceux de la
population générale. Toutefois, certains fac-
Le traitement de la goutte
teurs de risque sont spécifiques à la transplantation tels certains immunosuppresseurs comme la cyclosporine et le tacrolimus.
En effet, la prise de cyclosporine diminue la
clairance rénale de l’acide urique et elle est
considérée comme le facteur de risque le
plus important chez les patients transplantés34,36,37. Le tacrolimus, quant à lui, a également le potentiel d’augmenter la concentration d’acide urique, mais dans une moindre
mesure que la cyclosporine34,38.
Traitement chez la population transplantée
Les traitements pharmacologiques curatifs et
préventifs de la goutte ne sont pas sans risque
chez les patients transplantés. Il existe des
interactions potentiellement dangereuses
entre les médicaments pour le traitement de
la goutte et les immunosuppresseurs.
Goutte aiguë Les AINS, que l’on sait efficaces dans le traitement de la crise de goutte aiguë, devraient
être utilisés avec précaution chez les patients
transplantés, car ils peuvent causer une détérioration de la fonction rénale chez les
patients recevant la cyclosporine34,38. Les
AINS peuvent également potentialiser la
néphrotoxicité de la cyclosporine en partie
par le biais d’une inhibition des prostaglandines rénales et le même phénomène peut se
produire avec le tacrolimus. Un suivi étroit
de la fonction rénale doit donc être effectué
si cette association s’avérait inévitable en
limitant la durée d’utilisation des AINS.
La colchicine, dont la toxicité est connue,
et l’insuffisance rénale favorisent l’accumulation du médicament, ce qui augmente le
risque de myopathie34. La toxicité musculaire associée à la colchicine pose un problème particulier chez les patients transplantés, car il existe une interaction entre la
colchicine et la cyclosporine. Dans une étude
rétrospective effectuée auprès de transplantés rénaux, 50 % des patients prenant l’association colchicine-cyclosporine ont présenté
une myopathie39. Pour expliquer l’interaction, certains auteurs ont proposé une diminution de la clairance hépatique et rénale de
la colchicine par la cyclosporine par une
inhibition de la glycoprotéine P, la colchicine
étant le substrat et la cyclosporine agissant
comme l’inhibiteur40. On ne rapporte pas de
cas sur l’association colchicine-tacrolimus,
mais la prudence est de mise en l’absence
de données, car le tacrolimus présente des
caractéristiques pharmacocinétiques similaires à la cyclosporine et agit également
comme un inhibiteur de la glycoprotéine P.
Enfin, pour les corticostéroïdes, plusieurs
patients transplantés reçoivent déjà une
dose de maintien et lors d’une crise de
goutte aiguë, cette dose peut être augmentée
temporairement jusqu’à la résolution de la
crise. Ce traitement constitue l’approche la
plus sécuritaire chez les patients transplantés. On procédera ensuite à un retour graduel vers la dose de maintien34.
recommande de diminuer la dose d’azathioprine de 50 % à 75 % avant de débuter l’allopurinol, lui aussi de façon plus graduelle34.
Cette association doit donc être utilisée avec
une extrême prudence. L’option la plus sécuritaire est de remplacer l’azathioprine par le
mycophénolate mofétyl qui n’interagit pas
avec l’allopurinol. De plus, cette option évite
de diminuer l’immunosuppression, ce qui
pourrait prédisposer le patient à un épisode
de rejet34,35.
Le probénécide, quant à lui, ne semble
indiqué que chez les patients transplantés
ne pouvant recevoir l’allopurinol, mais à
éviter chez les insuffisants rénaux. La sulfinpyrazone ne semble pas être une option
sécuritaire, puisque son utilisation chez des
transplantés cardiaques a été associée à une
diminution des taux de cyclosporine et à
des épisodes de rejet41.
Conclusion
Le médicament stabilisateur de l’acide urique
le plus utilisé chez les patients transplantés
demeure l’allopurinol. Cependant, il existe
une interaction majeure entre l’allopurinol
et l’azathioprine qui, dans plusieurs protocoles de transplantation, est maintenant
remplacée par le mofétylmycophénolate
(CellceptMD)34,35. La 6-mercaptopurine constitue le métabolite actif de l’azathioprine.
L’allopurinol, en inhibant la xanthine oxydase, diminue la transformation de la 6-mercaptopurine en métabolite inactif, entraînant
une augmentation des taux du métabolite
actif et une myélotoxicité plus fréquente. On
Nous constatons que le pharmacien occupe
une place importante dans la prise en charge
d’un patient atteint d’arthrite goutteuse. Tout
d’abord, au-delà de l’aspect pharmacologique, les habitudes de vie font partie intégrante du traitement. Que ce soit l’alimentation,
la perte de poids ou la consommation d’alcool, nous sommes aptes à conseiller nos patients pour qu’ils puissent mieux maîtriser
leur taux d’acide urique. Quand la thérapie
médicamenteuse est instaurée, de nombreuses interventions peuvent être réalisées, surtout en considérant que la population atteinte de goutte est souvent plus âgée et avec
plusieurs autres comorbidités. La goutte demeure toujours une pathologie douloureuse
qui doit être maîtrisée lorsqu’elle apparaît,
justifiant la recherche pour découvrir de
nouvelles avenues thérapeutiques plus efficaces et plus sécuritaires. n
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Questions de formation continue
7) Parmi les énoncés suivants,
lequel est faux ?
A. Les crises de goutte surviennent
généralement la nuit.
B. Les symptômes d’une crise de goutte
correspondent à ceux d’une réaction
inflammatoire typique.
C. Parmi les autres signes et symptômes d’une crise, on peut retrouver
de la fièvre, des frissons et une
tachychardie.
D. Une première crise de goutte non
traitée dure un maximum de trois jours.
E. La formation de tophi est un indice
révélateur de la chronicité de la
maladie chez le patient. 8) Parmi les énoncés suivants,
lequel est vrai ?
A. Après la ménopause, plus de
femmes souffrent de la goutte que
d’hommes.
B. La concentration plasmatique d’acide
urique doit être supérieure à la limite
de solubilité pour prévenir la
précipitation des cristaux d’urate.
C. Une consommation quotidienne de
vin augmente le risque de crises de
goutte chez les individus atteints.
D. Plus l’indice de masse corporelle diminue, plus le risque de goutte est accru.
E. Une alimentation riche en produits
laitiers diminue l’incidence des crises
de goutte.
9) Parmi les médicaments suivants,
lequel n’est pas recommandable
chez un patient atteint de goutte
ou d’hyperuricémie ?
A. Furosémide
B. Losartan
C. Mycophénolate mofétyl
D. Indométhacine
E. Metformine
10) Parmi les énoncés suivants pour le
traitement de la goutte aiguë,
lequel est faux ?
A. En l’absence de contre-indications,
les AINS constituent le traitement de
première intention.
B. Un traitement par les inhibiteurs de
la COX-2 est envisageable pour les
patients qui ne tolèrent pas les AINS.
C. La dose de départ de la colchicine
consiste en 1 mg à chaque deux à
quatre heures, jusqu’à un maximum
de 4 mg par jour.
D. La diarrhée qu’entraîne un traitement par la colchicine apparaît
généralement 48 heures après le
début du traitement.
E. Le traitement par les corticostéroïdes
locaux ne devrait être utilisé que si
une seule articulation est atteinte.
11) Parmi les énoncés suivants,
lequel est faux ?
A. La cyclosporine diminue la clairance
rénale de l’acide urique et elle est
considérée comme le facteur de
risque le plus important chez les
patients transplantés.
B. Dans l’interaction colchicinecyclosporine, la colchicine agirait
comme l’inhibiteur et la cyclosporine
agirait comme substrat de la
glycoprotéine P.
C. Il existe une interaction majeure
entre l’allopurinol et l’azathioprine
qui est maintenant remplacée par
le mycophénolate mofétyl.
D. Le probénécide augmente l’excrétion
rénale de l’acide urique et n’est
indiqué que chez les patients
transplantés intolérants à
l’allopurinol.
E. Le tacrolimus peut potentialiser la
néphrotoxicité de la cyclosporine
en partie par une inhibition des
prostaglandines rénales.
Veuillez reporter vos réponses dans le formulaire de la page 74 
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