
2. CONSIDÉRATIONS
PHARMACOCINÉTIQUES DANS LE CHOIX
D’UNE BENZODIAZÉPINE
Les aspects pharmacocinétiques sont parmi les caractéristi-
ques les plus importantes dans le choix d’une benzodiazépine.
La pharmacocinétique s’intéresse au processus de transforma-
tion d’un médicament dans le corps à partir de son absorption
dans la circulation sanguine, ensuite sa distribution à son site
d’action et, finalement, sa biotransformation et son élimination
par le foie et les reins.
2.1. Forme d’administration
La majorité des benzodiazépines peuvent seulement être
administrées par voie orale, mais quelques-unes sont également
disponibles pour administration par voie intramusculaire
et/ou intraveineuse. Le choix de l’une ou l’autre des voies
d’administration relève de considérations cliniques, par
exemple, une urgence thérapeutique commandant un début
d’action rapide, l’incapacité pour un patient de prendre un
médicament par la bouche en raison de nausées importantes ou
d’une perte de conscience, notamment lors d’une crise
épileptique, la nécessité de prendre des doses quotidiennes
multiples, le refus de coopérer, etc.
Les préparations sublinguales (S/L) ont été développées avec
l’idée qu’elles agiraient plus rapidement que les formes orales
standard. On croyait, en effet, qu’elles seraient rapidement
absorbées à travers la muqueuse buccale, malgré une petite
surface d’absorption, et qu’en drainant directement dans la
veine cave supérieure, elles seraient vite acheminées vers leurs
organes cibles. Cependant, les études récentes concernant le
lorazépam et le clonazépam, seules benzodiazépines couram-
ment disponibles sous forme S/L, aucune accélération
significative de la vitesse d’absorption et, conséquemment,
du début d’action n’a pu être mise en évidence par comparaison
aux comprimés standards [16,37]. D’autres études ont tout de
même avancé le contraire [1].
Pour ce qui est de la voie intramusculaire, elle provoque
un pic plasmatique plus rapide et marqué que la voie orale en
raison d’une vitesse et d’un taux d’absorption accru. Il y a
donc un effet clinique plus soudain et intense et cet outil
thérapeutique s’avère très utile et sécuritaire en situation
d’urgence pour calmer rapidement l’agitation ou l’agressivité,
par exemple, chez des patients psychotiques ou en manie qui
manifestent des comportements violents. L’absorption est
cependant plus lente dans le muscle grand-fessier que dans le
deltoïde [10] en raison d’une plus forte proportion de
tissus graisseux faiblement perfusés dans cette partie de
l’anatomie [3]. Cela est encore plus marqué chez les femmes
et les personnes obèses. Pour plusieurs pays occidentaux,
quatre benzodiazépines sont disponibles sous forme intra-
musculaire, soit le midazolam, le lorazépam, le chlordiazé-
poxide et le diazépam. Le midazolam est presque
exclusivement réservé à la préanesthésie. Parmi les trois
autres, seul le lorazépam est absorbé de manière fiable et
rapide ; ce qui expliquerait que les médecins le préfèrent au
diazépam et au chlordiazépoxide pour les injections
intramusculaire [25].
L’usage intraveineuse des benzodiazépines, quoique plus
rare, permet à 100 % de la médication d’être distribuée,
puisqu’elle se retrouve d’emblée dans la circulation sanguine.
L’action commence en quelques secondes à peine, tout au plus
quelques minutes. En effet, une fois injectée, la benzodiazépine
est rapidement acheminée vers les organes les mieux perfusés,
y compris le cœur, le foie, les reins et le cerveau. Son caractère
lipophile lui assure une grande affinité pour le tissu cérébral, où
elle se distribue aisément en diffusant à travers les jonctions
serrées des cellules endothéliales des capillaires cérébraux. Le
midazolam et le diazépam pourraient d’ailleurs avoir un début
d’action plus rapide que le lorazépam, car ils sont davantage
liposolubles et traverseraient donc plus vite la barrière
hématoencéphalique [17,18]. Cette approche est habituelle-
ment réservée pour le traitement de crises convulsives (status
épilepticus) en anesthésie ou chez le patient en delirium.
L’administration d’une benzodiazépine par voie rectale
demeure exceptionnelle mais utile chez des patients aux prises
avec certains problèmes médicaux qui compliquent la prise d’un
médicament par voie orale ou encore chez ceux qui refusent de
prendre une médication. Au Canada, la seule benzodiazépine
disponible sous cette forme est le diazépam. L’absorption par la
muqueuse rectale serait cependant erratique [3]. Tout comme
la voie sublinguale, la voie rectale permet d’éviter en partie
l’effet de premier passage hépatique. Cela est avantageux
puisque, durant le premier passage hépatique, qui a lieu
lorsqu’un médicament est administré par la bouche, une
certaine quantité de médicament est métabolisée par le foie
avant même de se lier aux protéines plasmatiques pour voyager
jusqu’à son site d’action.
L’alprazolam est disponible sous une forme à libération lente
(Xanax TS
1
) qui permet de limiter la prise quotidienne de la
médication à une ou deux prises par jour plutôt que trois ou
quatre, comme c’est le cas avec l’alprazolam régulier. De plus, la
libération de la médication étant plus graduelle, la formulation à
libération lente assure une concentration constante du
médicament pendant plusieurs heures, ce qui évite des pics
ponctuels et associés à des effets indésirables. Il faut informer le
patient de s’abstenir de mastiquer ou de briser le comprimé,
puisque le médicament perdra ses propriétés à libération lente.
2.2. Absorption
Comme règle générale, plus la vitesse et le degré
d’absorption d’une benzodiazépine sont grands, plus la
molécule a un pic plasmatique élevé. Cela se traduit par des
effets thérapeutiques rapides mais aussi par des effets
indésirables qui risquent d’être plus marqués. Une plus grande
rapidité d’absorption risque également de favoriser davantage
une dépendance psychologique en raison d’un soulagement
thérapeutique plus rapide. L’absorption des benzodiazépines,
comme de tout autre médicament, est affectée par plusieurs
variables, parmi lesquelles la voie d’administration, le véhicule
pharmaceutique, les caractéristiques physicochimiques de la
molécule (liposolubilité, degré d’ionisation), la médication
P. Landry et al. / Annales Médico-Psychologiques 166 (2008) 585–594 587