Journées scientifiques de l’InVS 12 Fréquence des dysthyroïdies chez des adultes inclus dans l’étude SU.VI.MAX, France, 1994-1995 P. Valeix1, 2, K. Castetbon2, M. Zarebska1, F. Regnault1, P. Preziosi1, 2, S. Hercberg1, 2 UMR Inserm U557 / INRA U1125, ISTNA, Cnam, Paris – 2USEN, InVS-Cnam, Paris 1 Cette étude a été soutenue financièrement par les laboratoires Lipha-Santé. Introduction En l’absence de données biologiques sur de larges échantillons d’adultes, la fréquence des dysthyroïdies spontanées n’est pas connue en France. Ceci est lié à la méconnaissance des formes asymptomatiques non diagnostiquées, associées à des signes cliniques atypiques bien tolérés, mais difficiles à distinguer de ceux du vieillissement. L’impact des dysthyroïdies franches en termes de Santé Publique semble important, si l’on se réfère à la fréquence des prescriptions d’hormones thyroïdiennes (11 millions de boîtes prescrites), et à leur incidence économique (25,5 millions d’euros remboursés) (Medicam, CNAMTS, 2001). Leur poids risque encore d’augmenter avec le vieillissement de la population et le choix d’attitudes thérapeutiques fondées sur la prévention d’éventuelles complications associées. Le dosage de la thyréostimuline (TSH, thyroid-stimulating hormone) par méthode ultrasensible est le fondement du diagnostic des dysthyroïdies, en association avec la mesure de la concentration plasmatique des hormones thyroïdiennes libres, en particulier de la thyroxine libre (T4L). Nos objectifs étaient : (1) d’estimer la fréquence des dysthyroïdies spontanées ou induites, franches ou asymptomatiques, chez les adultes de l’étude SU.VI.MAX à partir de valeurs-seuils de TSH, et de T4L issues d’un sous-échantillon « sain », et (2) d’identifier des facteurs de modes de vie et d’environnement associés à ces dysthyroïdies. Méthodes Cette étude a été réalisée dans le cadre de la cohorte SU.VI.MAX (SUpplémentation en VItamines et Minéraux AntioXydants). Il s’agit d’un essai randomisé en double aveugle, contre placebo, chez des femmes de 35 à 60 ans et des hommes de 45 à 60 ans répartis dans toute la France, évaluant l’effet d’une supplémentation quotidienne en vitamines et minéraux antioxydants sur l’incidence des cardiopathies ischémiques et des cancers. En 1994-1995, un premier bilan biologique a permis les dosages sériques dupliqués de TSH et de T4L sur automate MAGIA® 8000 (Biotrol Diagnostic Company), et ceux urinaires d’iode et de thiocyanate par méthode automatisée (Technicon AutoAnalyzer II). Un souséchantillon aléatoire de sujets de la cohorte (N = 3 621) a subi en 1995-1996 un examen échographique de la thyroïde réalisé par un échographiste expérimenté travaillant sur un appareil unique (Siemens Sonoline SI-400). Les caractéristiques sociodémographiques et de modes de vie (CSP, tabac, alcool, ménopause et nombre d’enfants pour les femmes) ont été recueillies par auto-questionnaires. Les valeurs-seuils définissant les dysthyroïdies ont été estimées à partir des distributions de TSH et de T4L chez les sujets ayant subi une échographie thyroïdienne, ayant des données disponibles pour leurs antécédents thyroïdiens et les valeurs de TSH et de T4L, après exclusion de toute anomalie biologique ou clinique thyroïdienne antérieure ou détectée le jour de l’examen échographique (goitre défini par un volume thyroïdien supérieur à 18 ml chez les femmes et 25 ml chez les hommes, nodules ≥ 10 mm, goitre Tableau 1 – Distribution des valeurs de TSH (mU/l) et de T4L (ng/l) selon le sexe dans le sous-échantillon de référencea, Etude SU.VI.MAX, 1994-1995 T4Lb TSH Percentiles Hommes n = 1 074 2,5e 0,27 e 5 0,45 0,63 10e e 50 1,63 e 90 3,09 e 3,98 95 97,5e 4,53 Femmes n = 1 442 0,27 0,49 0,78 1,87 3,85 4,85 5,74 Hommes n = 1 024 7,8 8,3 8,8 10,8 12,5 13,1 13,6 Femmes n = 1 372 8,1 8,6 9,1 10,9 12,9 13,4 14,0 a : Voir section méthodes pour sa définition. b : Les distributions de T4L sont établies chez les sujets pour lesquels les valeurs de TSH sont comprises entre les 2,5e et le 97,5e percentiles. Tableau 2 – Fréquences des dysthyroïdies spontanées chez les hommes ne prenant pas de traitement thyroïdien, Etude SU.VI.MAX, 1994-1995 (N = 2 871) 45-50 ans n = 1 209 n % Classes d’âge 50-55 ans n = 855 n % 55-60 ans n = 807 n % Total n = 2 871 n % Hyperthyroïdie Stricte TSH <2,5e et T4L ≥ 97,5e 2 Modérée 2,5e ≤ TSH <5e et T4L ≥ 97,5e 1 0,1 3 0,4 2 0,2 6 0,2 Subclinique TSH <2,5e et T4L <97,5e 2,5e ≤ TSH <5e et T4L <97,5e 95 54 41 7,9 4,5 3,4 65 33 32 7,6 3,9 3,7 57 33 24 7,1 4,1 3,0 217 120 97 7,6 4,2 3,4 997 82,5 717 83,9 661 81,9 2 375 82,7 Euthyroïdie 0,2 2 0,2 4 0,5 8 0,3 Hypothyroïdie Stricte 97,5e ≤ TSH et T4L <2,5e 3 0,2 2 0,2 3 0,4 8 0,3 Modérée 90e ≤ TSH <97,5e et T4L <2,5e 1 0,1 1 0,1 2 0,2 4 0,1 Subclinique 110 90e ≤ TSH <97,5e et T4L ≥ 2,5e 90 97,5e ≤ TSH et T4L ≥ 2,5e 20 9,1 7,4 1,7 65 47 18 7,6 5,5 2,1 78 61 17 9,7 7,6 2,1 253 198 55 8,8 6,9 1,9 multinodulaire, échostructure iso- ou hypoéchogène, concentration d’iode > 60 µg/100ml ou de thiocyanate > 5 mg/100ml). L’échantillon de référence pour la détermination des valeurs-seuils comprenait finalement 2 516 sujets, 1 442 femmes, et 1 074 hommes. Les distributions de TSH et de T4L dans l’échantillon de référence (tableau 1) ont permis, en les combinant, de définir les dysthyroïdies franches ou frustes (tableaux 2 et 3). Les fréquences des dysthyroïdies ont ensuite été estimées chez tous les sujets ayant subi un bilan thyroïdien complet à l’inclusion dans l’étude SU.VI.MAX. Les comparaisons entre les moyennes ont été réalisées par analyse de la variance, et celles entre pourcentages par test du chi-2. Les seuils de signification retenus l’ont été à 5 %. Résultats Les prévalences de dysthyroïdies spontanées par classe d’âge sont présentées séparément pour les hommes (tableau 2) et les femmes (tableau 3). Chez les hommes, 14,3 % des hyperthyroïdiens, 12,8 % des euthyroïdiens, et 11,1 % des hypothyroïdiens étaient des fumeurs actuels; en outre, 59,4 %, 52,3 %, et 47,8 % étaient, respectivement, des anciens fumeurs (vs. non fumeurs : p = 0,02). Une disparité régionale significative a été mise en évidence (hypothyroïdies : Ile-de-France = 11,7 % ; Nord-Est = 10,6 % ; Nord-Ouest = 9,6 % ; Sud-Est = 7,3 % ; Sud-Ouest = 7,1 % ; p = 0,001). Les femmes hypothyroïdiennes (47,9 ans ± 6,8) étaient plus âgées que les euthyroïdiennes (46,7 ans ± 6,4) et les hyperthyroïdiennes (46,8 ans ± 6,7) (p = 0,002). Les mêmes tendances étaient observées concernant le tabagisme que chez les hommes (p = 0,009). Les hypothyroïdiennes étaient plus fréquemment ménopausées (31,8 % vs. 27,1 % chez les hyperthyroïdiennes et 26,5 % chez les euthyroïdiennes, p = 0,06) et plus fréquemment obèses (9,3 % vs. 6,5 % et 5,7 % respectivement, p = 0,02). Enfin, les femmes d’Ile-de-France et du Nord-Ouest étaient plus fréquemment hypothyroïdiennes que celles des autres régions (p = 0,04). Chez les sujets sous traitement hormonal freinateur ou de substitution, les fréquences de dysthyroïdies induites étaient particulièrement élevées : 47,4 % des hommes et 41,1 % des femmes présentaient une hyperthyroïdie essentiellement subclinique. De même, 10,5 % des hommes et 15,4 % des femmes traités pour insuffisance thyroïdienne, présentaient une hypothyroïdie subclinique. Conclusion Ces résultats indiquent que les dysthyroïdies spontanées, strictes ou modérées, restent peu fréquentes dans cette population majoritairement euthyroïdienne. En revanche, les fréquences relativement élevées d’hyper- ou d’hypothyroïdies subcliniques nécessitent une investigation plus poussée sur leur évolution spontanée avec l’âge, et leur association avec la morbidité, en particulier cardiovasculaire. L’hétérogénéité géographique de leurs distributions suggère une association avec des facteurs environnementaux, sans relation évidente néanmoins avec le statut en iode évalué chez les mêmes sujets. Tableau 3 – Fréquences des dysthyroïdies spontanées chez les femmes ne prenant pas de traitement thyroïdien, Etude SU.VI.MAX, 1994-1995, (N = 4 110) Par classe d’âge 35-40 ans n = 716 n % Hyperthyroïdie Stricte (TSH < 2,5e et T4L ≥ 97,5e) Modérée (2,5e ≤ TSH < 5e et T4L ≥ 97,5e) Subclinique TSH < 2,5e et T4L < 97,5e 2,5e ≤ TSH < 5e et T4L < 97,5e Euthyroïdie Hypothyroïdie Stricte (97,5e ≤ TSH et T4L < 2,5e) 45-50 ans n = 1 159 n % 50-55 ans n = 675 n % 0 – 0 – 3 0,3 2 0,3 3 0,4 2 0,2 0 – 0 – 44 6,2 61 6,3 71 6,1 32 24 3,4 27 2,8 35 3,0 20 2,8 34 3,5 36 598 83,5 2 0,3 3 0,3 6 0,1 7 0,7 2 9,5 83 7,5 2,0 Modérée (90e ≤ TSH < 97,5e 1 et T4L < 2,5e) Subclinique 68 90e ≤ TSH < 97,5e 54 et T4L ≥ 2,5e 97,5e ≤ TSH et T4L ≥ 2,5e 40-45 ans n = 977 n % 14 55-60 ans n = 583 n % 0,2 6 0,2 0 – 5 0,1 4,8 39 6,7 247 6,0 18 2,7 24 4,1 128 3,1 3,1 14 2,1 15 2,6 119 2,9 945 81,5 563 83,4 448 76,8 0,5 4 0,6 4 0,7 19 0,5 0,2 4 0,6 1 0,2 15 0,4 8,5 132 11,4 70 10,4 90 15,4 63 6,4 92 7,9 43 6,4 55 9,4 307 7,5 20 2,1 40 3,5 27 4,0 35 6,0 136 3,3 821 84,0 Inserm 1 Total n = 4 110 n % 3 375 82,1 443 10,8