Léon Walras, la concurrence et la rémunération du travail selon la justice : une équation impossible ? CEMI, Université Paul Valéry, B 5043, 34032 Montpellier cedex 1, 04 67 14 23 28, fax 04 67 14 24 85 ttp://alor.univ-montp3.fr/cemi/ Laure Chantrel [email protected] Benoît Prévost [email protected] Introduction La théorie économique et morale de Walras est articulée autour de l’idée qu’il convient de fonder la propriété privée sur la propriété de soi, de son travail et des fruits de son travail. La véritable démocratie, la démocratie réelle, est celle où chacun possède strictement ce qu’il a produit, rien de plus, rien de moins, où chacun possède tout à la fois du travail et du capital, et est obligé de travailler pour vivre. Walras, pour argumenter son propos, démontre que le modèle d'économie idéale qu'il se représente, le modèle de libre concurrence accompagné de la nationalisation des sols, est compatible avec les exigences de la justice. On peut même aller plus loin et dire que la réalisation pratique du modèle de libre concurrence permet d’attribuer à chacun ce qui lui est dû dans le cadre de la division du travail. Il faut pour cela à Walras un modèle où l’échange est neutre du point de vue de la justice, c’est-à-dire ne modifie pas la répartition initiale des ressources (répartition avant l’échange). Tout le travail de définition de la concurrence est organisé autour de cette exigence. Mais le traitement du travail dans le modèle d’équilibre général pose des problèmes complexes. En effet, Walras développe une théorie du droit de propriété absolu fondée sur le respect de la personne morale qui s’accorde avec la rémunération du travail à sa productivité marginale. Mais, parallèlement, certains textes laissent penser qu’il aurait un critère de répartition autre que le simple respect de soi : le mérite. Or, un principe de répartition de type méritocratique, lui, s’accorde mal avec la théorie de l’échange et de la production. La définition de la libre concurrence joue un rôle pivot dans l’articulation de l’économie pure et de l’économie sociale. C’est elle qui assure la neutralité de l’échange par rapport à la répartition. La libre concurrence est définie comme une procédure (enchères montantes et descendantes, prix criés, absence d’échange avant équilibre, individus poursuivant la maximisation, qui de leur profit, qui de leur utilité, multiplicité de vendeurs et d'acheteurs, c'est-à-dire deux ou plus), et comme un état doté de certaines caractéristiques (unité de prix et absence de profit). La procédure permet de comprendre comment se réalise l'état, mais est insuffisante en elle-même pour définir la libre concurrence. Après avoir défini les rapports complexes que la libre concurrence entretient avec la justice, on supposera démontré que l’échange de produits est neutre, pour se centrer exclusivement sur la question du travail abordée à partir des thèmes suivants : Dans un premier temps, nous montrerons que l’attachement de Walras à une théorie du droit de propriété absolu s’inscrit dans le cadre du respect d’un principe de propriété de soi non pas formel, mais substantiel. Cela met Walras à l’abri d’un certain nombre de critique adressées, depuis, au courant libertarien. Toutefois, des problèmes restent irrésolus. En particulier le principe intangible de propriété privée du service des facultés personnelles est difficilement compatible avec la conception sociale de la propriété développée par Walras. D’autre part, le discours de Walras souffre d'une difficulté : comment concilier un marché de libre concurrence dont la principale caractéristique est qu'il échappe à la volonté humaine, les lois économiques ayant le caractère de lois naturelles, avec une théorie de la répartition fondée sur le mérite individuel ? Plus fondamentalement, en faisant abstraction du mérite, le principe de propriété de soi a des exigences difficiles à concilier avec le modèle de la libre concurrence : D’une part, le marché du travail est-il défini, de telle sorte que l’on puisse parler de juste prix du travail ? D’autre part, le marché de libre concurrence assure-t-il le respect de la propriété de soi, et notamment la possibilité pour chacun d’assurer sa subsistance ? I. La libre concurrence et la justice Faisant largement écho aux préoccupations des théories de la justice actuelles1, Walras présente le problème de la coopération sociale comme un problème double ; un problème de répartition et un problème d’efficacité dans la production : “1° Un problème de répartition. Au sein de la division du travail, la répartition sera-t-elle juste comme en dehors ?… 2° Un problème de production. Au sein de la division du travail, la production sera-t-elle convenable, c’est-à-dire à la fois abondante et proportionnée comme en dehors ?”2 Or la libre concurrence, c’est ce que doit démontrer la théorie de l’équilibre général, permet de résoudre ces 1 Rawls écrit “ Je supposerai qu’il y a de nombreuses organisations efficaces de la structure de base. Chacune d’entre elles définit une répartition des avantages issus de la coopération sociale. Le problème est de choisir entre elles, de trouver une conception de la justice qui sélectionne l’une de ces répartitions efficaces comme étant en même temps juste. ” Rawls J. (1997), § 12, p.102. 2 Walras L. (1996), p.467 Version provisoire le 29/08/02 2 deux problèmes : “ Il faut établir que le laisser-faire, laisser-passer les résout complètement l’un et l’autre, quelques compliqués qu’ils deviennent au fur et à mesure que la division du travail s’étend et se développe la succession des divers états économiques. ”3 Si le premier objet de la théorie de l’équilibre général est de démontrer l’efficacité du marché de libre concurrence, cet objectif n’a de sens que sous des conditions qui sont des conditions de justice. Ces conditions, qui sont des conditions institutionnelles établies en amont du marché, sont toutes organisées autour du respect du droit de propriété lui-même fondé sur les principes de la justice. Une fois établies ces conditions, “ … le rôle complètement négatif de la justice vis-à-vis de l’échange consiste à s’abstenir et à respecter la liberté de marché. ”4 Autrement dit, la libre concurrence peut être comprise comme une procédure permettant une répartition équitable de ressources si la répartition initiale est juste. La procédure telle que la définit Walras contient des éléments de justice procédurale pure dans la mesure où elle correspond à l’exercice même de la liberté individuelle. Mais, la concurrence ne suffit pas à définir l’équité du résultat (justice procédurale pure), c’est dans le cadre d’une justice procédurale parfaite qu’il faut comprendre l’exercice de la libre concurrence. Nous verrons ces deux points successivement. 1. La justice procédurale pure Rawls définit ainsi la justice procédurale pure : “ … la justice procédurale pure s’exerce quand il n’y a pas de critère indépendant pour déterminer le résultat correct ; au lieu de cela, c’est une procédure correcte qui détermine si un résultat est également correct ou équitable, quel qu’en soit le contenu, pourvu que la procédure ait été correctement appliquée. ”5 Pour que la procédure soit correctement appliquée, “ il est nécessaire de créer un système d’institutions qui soit juste (just) et de l’administrer impartialement. La juste procédure qui est nécessaire n’existe que si, à l’arrière-plan, la structure de base est elle-même juste, ce qui implique la justice de la constitution politique et la justice des institutions socio-économiques. ”6 La théorie de Walras fait écho à l’ensemble de ces propositions : c'est-à-dire que, selon Walras, c’est bien la libre concurrence qui doit régir la répartition des richesses individuelles mais cela implique que soient réalisées, en amont de la procédure, un grand nombre de conditions. Les institutions principales correspondant à ces conditions sont d’une part le respect des principes de la propriété, et d’autre part le principe de juste égalité des chances. Le respect de ces institutions détermine le caractère correct du 3 Walras L. (1996), p.468 Walras L. (2001a), p.183. 5 Rawls J. (1997), p.118. 6 ibid. 4 Version provisoire le 29/08/02 3 résultat de la procédure de libre concurrence. D’autre part, la procédure de libre concurrence doit ellemême être comprise comme la description d’une institution socio-économique7 dont le respect est indispensable pour arriver à une répartition juste. Il faut distinguer la procédure formelle, telle qu’elle est définie par l’économiste qui construit l’économie pure et a besoin d’une procédure précisant le cadre dans lequel ces résultats sont justes ; et la procédure réelle, c'est-à-dire la procédure concrète que l’on peut observer sur le marché et dont la procédure formelle doit se rapprocher pour que le modèle puisse expliquer le réel. La procédure réelle a un caractère historique, elle n’est pas parfaite bien sûr, mais se rapproche de la perfection dans le temps, notamment grâce aux politiques publiques. La procédure formelle a donc une dimension empirique, c’est une abstraction de faits observables. Et la démonstration selon laquelle elle permet d’atteindre le plus grand bien être, sous des conditions qui sont des conditions de justice, indique bien entendu que le progrès économique et social repose pour une part au moins sur l’amélioration de la procédure réelle. Autrement dit, la procédure formelle dessine l’horizon historique de l’économie de marché, horizon qui d’ailleurs ne pourra jamais être atteint. XXX Tout cela pour dire que Walras tente d’établir un aller-retour permanent entre le fonctionnement du marché qu’il observe et son fonctionnement théorique. Cet aller-retour de nature descriptive (comme dans la mécanique, on fait abstraction des frottements…) indique le chemin à suivre, fonde de façon scientifique une des voies du progrès, ouvre donc le champ de la science normative, celui de l’économie appliquée et de l’économie sociale. Dans le même temps, il donne une dimension concrète à la théorie de la justice de Walras, puisque celle-ci s’appuie sur les institutions existantes, et les mécanismes qui en découlent. Walras pourrait écrire comme Aristote : “ Le présent ouvrage ne se propose pas un but théorique comme les autres ; car notre recherche ne vise pas à déterminer la nature de la vertu, mais le moyen à employer pour devenir vertueux, faute de quoi son utilité serait nulle. ” 8. Revenons à la procédure formelle qui est celle qui permet d’atteindre une situation juste et efficace. La procédure formelle est caractérisée par les enchères montantes pour les demandeurs et descendantes pour 7 Comme le signale André Legris, “ Si la libre concurrence absolue s’analyse comme le mécanisme essentiel qui garantit l’équilibre, son fonctionnement exige l’état de concurrence pur, état alors compris comme une norme dont l’économie réelle risque de s’éloigner de plus en plus (Baranzini R.(1993), pp.406-407). Aussi rentre-t-il dans les ‘obligations morales et rationnelles’ de la puissance publique de réglementer la concurrence effective afin de réduire au mieux l’écart à la norme. ” in Legris A. (1997), p.118 8 Aristote, Ethique à Nicomaque, traduction, préface et notes par Jean Voilquin, GF Flammarion, 1965, p. 46. “ Qui que nous soyons tous, cherchons seulement à nous placer dans de bonnes conditions sociales, et à y déployer énergiquement notre activité individuelle. Il est vraisemblable qu’alors le plus grand nombre d’entre nous seront laborieux et sages , et que trouvant dans le bien-être des facilités pour la vertu, et dans la vertu même une source indirecte de bien-être, ils réaliseront autant que possible l’idéal de leur destinée. ” Walras L. (1990 h), p.84. Version provisoire le 29/08/02 4 les offreurs9, où les prix sont criés10 et où il n'y a aucun échange11 tant que les prix annoncés ne permettent pas d'égaliser l'offre et la demande. La seconde caractéristique de la procédure est qu'il faut une multiplicité d'offreurs et de demandeurs sur le marché12. Cette condition n'est pas identique à la condition d'atomicité, puisque l'existence de syndicats ouvriers, par exemple, na va pas à l'encontre de la libre concurrence. Enfin, troisième caractéristique de la procédure, les consommateurs cherchent à obtenir la plus grande utilité possible, et les entrepreneurs le plus grand profit possible. Cette procédure définit une situation où les différentes libertés qui caractérisent la concurrence et la justice 13 sont respectées (liberté des entreprises, liberté du fermage, liberté du salaire, liberté de l'intérêt ). 2. La justice procédurale parfaite Mais en fait la définition de la procédure n’est pas suffisante pour définir le résultat équitable. Le caractère anonyme de la procédure ne peut suffire à Walras comme définition de la justice. Il lui faut un critère indépendant. Le critère indépendant qui va permettre de définir le résultat équitable est le suivant : “Si chacun de nous produisait tout ce qu’il consomme et ne consommait que ce qu’il produit, non seulement sa production serait réglée en vue de ses besoins de consommation, mais sa consommation aussi serait déterminée par l’étendue de sa production. Eh bien ! il ne faut pas que, grâce à la spécialité des occupations, certains d’entre nous qui auront produit peu, consomment beaucoup, tandis que certains autres, qui auront produit beaucoup, consomment peu.”14 Aussi, la concurrence est-elle définie non seulement comme une procédure, mais également comme un état caractérisé par l’absence de profit et l’unité des prix ; ces deux conditions étant inséparables de l’idée que chacun reçoit son dû15. La libre concurrence n’est pas une procédure de justice pure mais participe à une procédure de justice parfaite. La justice procédurale parfaite est caractérisée par deux traits : 9 Walras L. (1988), p.70. Walras L. (1988), p.200. Sur le rapprochement entre la procédure de libre concurrence et la Bourse, cf. Walker D.A. (2000). Toutefois Walras précise : “ L’enchère à la criée n’est pas absolument nécessaire, bien qu’elle constitue certainement le degré le plus parfait du mécanisme. La concurrence économique peut exister sans elle ; elle existe sur le marché aux légumes… ”, in Walras L. (1996), p.465. 11 cf. Jaffé W. (1967), p.17, Walker D.A. (1987), p.766, Huck E. (1999), p.116. Il est indispensable qu'il n'y ait aucun échange, car s'il y avait des échanges avant que l'égalité de l'offre et de la demande ne soit atteinte, rien ne garantirait qu'on se dirige vers un équilibre. 12 Cf . par exemple Walras (1992b), p.188. 13 Walras L. (1996), p.465. 14 Walras L.( 1988), , p.60. 15 Nous ne voulons bien sur pas dire ici que ces deux conditions ne sont pas aussi des conditions nécessaires à la démonstration de l’équilibre général, et des conséquences du fonctionnement de la procédure. Le modèle positif d’économie pure, et le modèle normatif d’économie sociale se superposent dans les Eléments d’économie politique pure. Sur cette question cf. la critique que Walker adresse à l’hypothèse de normativité des Eléments d’économie politique pure présentée par Jaffé. 10 Version provisoire le 29/08/02 5 “ Tout d’abord, il y a un critère indépendant pour le partage équitable, défini en dehors de la procédure qui doit être suivie et avant elle. En second lieu, on peut trouver une procédure qui donnera à tous les coups le résultat désiré. ”16 Le résultat recherché est la neutralité de la concurrence par rapport à la distribution initiale des ressources17. De ce fait, l'état de libre concurrence se caractérise par deux conditions fondamentales du point de vue de la justice: Première condition, “Sous la libre concurrence, les services producteurs s'échangent suivant la double condition de la satisfaction maxima des besoins et de l'unité de prix”18. La procédure des enchères garantit l'existence d'un seul prix. L'existence d'un seul prix est relative à la justice : dire qu'il n'y a qu'un seul prix pour tous les échangeurs revient à dire que les services sont échangés en proportion de leur rareté19. “Encore une fois, cela est-il juste? Est-il juste par exemple que le ténor, dont les ut de poitrine sont très rares, obtienne en échange de son travail une grande quantité de richesse sociale, tandis que le balayeur des rues dont les aptitudes sont infiniment plus répandues n'obtienne qu'une quantité infiniment moindre ? C'est une question. Cela revient à demander s'il est juste que nous possédions individuellement nos facultés personnelles et leur revenu, et, d'une façon générale comment il est juste que les capitaux producteurs et leurs revenus soient appropriés.”20 L'unité de prix est une condition nécessaire à l'existence d'un principe de répartition fondé sur le résultat. En effet, une multiplicité de prix impliquerait une multiplicité de rémunérations pour le même travail et viderait donc de son sens l'expression “Tout notre dû ; rien de moins, rien de plus”21. En effet si vous vendez un bien et que votre voisin vendant le même bien le vend deux fois plus cher (sous prétexte qu’il est plus beau que vous par exemple), il est clair, dans le cadre de la théorie walrasienne, que l'échange n'est pas neutre. Après avoir vendu le fruit de votre travail, vous possédez moins que votre voisin, alors qu'avant vous possédiez la même chose. Relativement à lui, l'échange vous a été défavorable. L'unité de prix est inséparable de la seconde condition fondamentale de la libre concurrence : l'absence de profit, ie l’égalité du prix de vente et du prix de revient. “La condition que les produits soient fabriqués au meilleur marché possible est, elle aussi, une condition conforme à la justice. Si les consommateurs fabriquaient eux-mêmes les produits, ils auraient le droit de les confectionner de manière à ce qu'ils leur coûtassent le moins cher possible et, par conséquent, d'acheter, aux prix courants, les services producteurs ___________________ Walker D. (1984). 16 Rawls (1997), p.117. 17 Pour bien s’entendre, il faut distinguer deux niveaux de raisonnement de Walras : le premier est dans le cadre de l’idéal social. Dans ce cadre, la procédure ne garantit la réalisation du résultat recherchée qu’à la condition bien sûr d’être conforme à sa définition, et à la condition également que les institutions soient justes. Dans le cadre de la société réelle, la concurrence et les autres institutions doivent être conçues dans le cadre du progrès économique et social, c’est-à-dire comme des institutions imparfaites du point de vue de la justice, mais qui deviennent de plus en plus justes. Ces institutions imparfaites ne peuvent bien sûr garantir la réalisation du résultat juste. L’imperfection des institutions justifie dans certains cas, mais pas dans tous l’intervention de l’Etat dans la sphère privée. Mais c’est là un problème pratique plutôt qu’un problème de justice. 18 Walras L. (1996), p.471. 19 Walras L. (1996), p.471. Pour Walras, la rareté est la synthèse de l'utilité que les consommateurs accordent à un bien et de la quantité disponible de ce bien. 20 Walras L. (1996), p.471. 21 Walras L. (1992 g), p.184. Version provisoire le 29/08/02 6 nécessaires pour cette confection. C'est ce que les entrepreneurs font en leur lieu et place.”22 Donc la libre concurrence se caractérise comme un état où les entreprises ne font ni bénéfice, ni perte, ce qui signifie que les capitaux artificiels sont tous rémunérés au même taux, qui est le taux de l'intérêt. L'entrepreneur n'a d'autres ressources que celles provenant de son travail ou de son capital, fruit de son épargne. Par contre dans le cas du monopole, correspondant à l'existence sur le marché d'un seul vendeur, ou d'un nombre réduit de vendeurs susceptibles de s'entendre, apparaît un profit au-delà de la rémunération normale du capital (le taux d'intérêt). L'apparition de ce revenu ne correspond à la rémunération d'aucun capital, mais à la rémunération d'une situation de monopole. L'apparition de ce revenu se fait au détriment des consommateurs qui payent le produit plus cher. Le bénéficiaire de cette perte des consommateurs est l'entrepreneur23. Et comme l’écrit Walras : “ Qu'il n'y ait, pour les services et pour les produits, qu'un seul prix sur le marché, celui auquel a lieu l'égalité de l'offre et de la demande, et que le prix de vente des produits soit égal à leur prix de revient en services, ces deux conditions n'en font qu'une seule et unique qui est que les services s'échangent les uns contre les autres suivant des proportions communes résultant des dispositions de tous leurs propriétaires; et cette condition est une condition de justice qu'il appartient à l'économie sociale d'établir. ”24 Les deux définitions de la concurrence se complètent. La définition à partir de la procédure est insuffisante. En effet, on ignore à partir de combien d'offreurs et de demandeurs, il n'y aura ni bénéfice, ni perte, autrement dit à partir de quand l'échange sera neutre25. Il est nécessaire de préciser : l'échange est juste lorsqu'il y a suffisamment de vendeurs et d'acheteurs pour qu'il n'y ait ni bénéfice, ni perte. Cette situation correspond à une situation de libre concurrence. En même temps qu’elles sont des conditions de la concurrence, l’unité de prix et l’égalité du prix de vente et du prix de revient en sont des conséquences. Cet apparent raisonnement circulaire s’explique par le fait que Walras adopte un modèle de justice procédurale parfaite. Le critère extérieur est le “ à chacun son dû ” ; son expression dans la définition de la libre concurrence, l’unité de prix et l’égalité du prix de vente et de revient ; sa réalisation grâce aux mécanismes d’ajustement26, l’échange de services en raison de leur rareté respective27 22 Walras L. (1990 g), p.184-185 Walras L. (1988), pp.280-284. 24 Walras L., (1992b). 25 Cela dépend des conditions de production : ainsi deux ou trois entreprises peuvent très bien produire au prix qui annule le profit 26 En particulier dans la pratique, les consommateurs et producteurs ont droit de se déplacer afin de profiter des prix qui les avantagent ce qui a pour effet l'apparition d'un prix unique, in Walras L. (1990 g), p.184-185 27 Walras L. (1996), p.471 23 Version provisoire le 29/08/02 7 Encore faut-il maintenant spécifier les conditions institutionnelles qui permettront en amont de la procédure d’aboutir au résultat juste, et faut-il justifier du point de vue de la justice pourquoi chacun doit être rémunéré en fonction de ses mérites et obtenir son dû, rien de plus, rien de moins.28 C’est là le rôle de la théorie de la propriété. II. La difficile conciliation d’une conception du droit de propriété absolu avec une conception de la production sociale 1. Une conception de la propriété fondée sur l’homme comme personne morale C’est sur la reconnaissance de l’homme comme personne morale que repose la théorie de la propriété de Walras. En cela Walras se rapproche des théories libertariennes qui fondent le respect du droit de propriété sur le droit des gens29. L’homme libre et responsable de sa destinée est une personne morale30, tous les hommes sont donc également des personnes morales, ce qui implique que “ Les rapports de personne à personne doivent être organisées en vue de la coordination des destinées des personnes entre elles ; le bien ou la justice est le principe des mœurs. ”31 Cette conception de la justice fondée sur le respect de l’homme en tant que personne morale s’oppose à l’utilitarisme qui “ asservit la justice à l’intérêt ”32. Elle fonde le droit de propriété sur deux principes, la liberté et l’autorité, ces deux principes étant séparés et régissant des sphères différentes de la coopération sociale. L’ambition de Walras est connue : il s’agit de faire une synthèse entre l’individualisme et le communisme33 ; l’individualisme défendant la prédominance de la liberté dans toutes les sphères de la vie sociale, et le communisme celle de l’autorité. La liberté, bien que fondée sur la volonté, n’est pas le principe fondateur de l’égalité entre les hommes. Même si la liberté est un droit égal de l’ensemble des personnes d’exercer leur volonté, et donc est 28 cf. sur cette question Dockès P. (1996), “3. L'échange et la justice ; “la société n'est pas un pique-nique””, p.116 et suivantes. 29 Cf. par exemple Robert Nozick “ les individus ont des droits, et il y a certaines choses que personne, individu ou collectivité, ne peut leur faire (sans violer leurs droits) (1988, p.IX). Ces droits “ reflètent le principe kantien sous-jacent selon lequel les individus sont des fins et pas seulement des moyens ; on ne peut les sacrifier ou les utiliser pour réaliser d’autres fins sans leur consentement. ” (1988, p.30-31). 30 Walras L. (1996), p.190, “être raisonnable qui se connaît et qui se possède, qui se conçoit une destination, qui se sent obligé de rechercher sa fin et de la poursuivre volontairement.”, Walras L., (2001 b), p.95 31 Walras L. (1996), p.183. 32 Walras L. (1996), p.183. 33 Agathon de Potter s’élève contre la prétention de Walras à l’originalité concernant, d’une part la nationalisation des sols, et d’autre part le projet de faire la synthèse de l’individualisme et du communisme. Il attribue la paternité de ce projet à Colins, Colins JGC, Du pacte social et de la liberté politique considérés comme complément moral à l’homme, Paris, Moutardier, 1835, in Potter A. de, “ Un nouveau partisan de la liberté des sols ”, publié dans Bridel P.(1996), Le chêne et l’architecte, un siècle de comptes-rendus bibliographiques des Eléments d’économie politique pure de Walras, Genève, Paris, Droz, pp.219- Version provisoire le 29/08/02 8 inséparable de l’idée d’égalité34, la théorie de la liberté conduit au principe d’inégalité entre les hommes. “En tant qu'ils accomplissent librement leur destinée d'une manière plus ou moins heureuse ou plus ou moins méritoire, il se révèle chez les hommes des différences d'aptitudes, de talent, d'application, de persévérance, de succès qui les font inégaux ; et cette inégalité est le fait sur qui se fonde la justice distributive, laquelle a pour symbole une couronne...”35 Par contre le principe d’autorité assoit l’égalité. L’égalité est un droit incontestable de l’Etat36. Autrement dit, il existe “ deux types sociaux équivalents ”37 dans la société : l’individu et l’Etat. L’Etat est chargé d’accomplir l’action collective, d’établir les conditions sociales qui doivent être égales pour tous, et les individus l’action individuelle ou action isolée qui diffèrent pour chacun38. “ En effet, il faut appeler Etat l’agent naturel et nécessaire de l’institution des conditions sociales générales ; ainsi défini, l’Etat représentera l’ensemble de toutes les personnes morales envisagées comme accomplissant des destinées solidaires les unes des autres. Et enfin, il faut appeler positions personnelles particulières le résultat naturel et nécessaire de l’activité de l’individu s’exerçant dans le milieu des conditions sociales générales. ”39 Le premier problème de la justice est donc de déterminer le moment où l’individu relève de l’autorité de l’Etat et celui où il lui échappe. Le deuxième problème de la justice est de déterminer la part des ressources qui revient à la collectivité (l’Etat), et celle qui revient à chaque individu. Ces deux problèmes doivent être résolus en s’appuyant sur les principes de la justice commutative et distributive définies assez simplement (pour ne pas dire sommairement) par Walras : “ La justice commutative est celle qui préside aux échanges et qu’on représente tenant une balance ; c’est celle qui veut que dans une course, il soit assigné à tous les coureurs un même point de départ au même moment. La justice distributive est celle qui préside aux concours et qu’on représente une couronne à la main ; c’est celle qui veut que les coureurs soient récompensés en raison de leur agilité, c'est-à-dire dans l’ordre suivant lequel ils ont atteint le but. ”40 L’inégalité de la justice distributive est fondée explicitement, de 1860 au “ Cours ” qui date des années 188041, sur le mérite : “ Il est certain que M. Blanc-Saint-Bonnet a parfaitement raison, quand il déclare qu’il résulte une certaine inégalité de notre liberté, que le mérite est la loi de l’homme. ”42 Le mérite est lui-même lié au respect de la personne morale : “ Mais tout homme, étant une personne morale, est par cela même responsable de l’accomplissement moral ou immoral de sa destinée. Donc c’est une chose essentiellement opposée à la justice distributive que tous les hommes ne jouissent point, comme individu, de positions personnelles correspondant à la différence de leur mérite ou de leur démérite ; car ainsi ni les uns ni les autres ne portent la responsabilité de l’accomplissement de leur destinée.”43 ___________________ 224. 34 Comme le souligne Kymlicka en s’appuyant sur cette citation de Peter Jones : “ préférer une égale liberté à une liberté inégale, c’est préférer l’égalité à l’inégalité plutôt que préférer la liberté à la non-liberté. ”, Jones P., “ Freedom and the Redistribution of Resources ”, Journal of Social Policy, 11/2, 1982, p.217-238, cité par Kymlicka W. (1999), p.156. 35 Walras L. (2001 c), p.171. 36 Walras (1996), p.213. 37 “ … le droit naturel de l’individu vaut le droit de l’Etat. ”, Walras L (1990 b), p. 137. 38 Walras L. (1996), p.220, Walras L. (1990 b), p.134. 39 Walras L. (1990 b), p.134. 40 Walras L. (1996), p.215. 41 Walras L. (1996), p.28. 42 Walras (2001 c), p.172. 43 Walras l. (1996), p.216. Version provisoire le 29/08/02 9 Le mérite s’intègre mal à une théorie du droit de propriété absolu. En effet, ce type de théories affirme que l’on possède non seulement le fruit de ses mérites mais également de ses talents. L’argument du mérite ne peut avoir de sens que du point de vue de l’intérêt puisque la rémunération de chacun selon ses mérites est favorable au développement de l’initiative individuelle, et donc au développement de la production. Mais ce n’est pas sur ce terrain-là que Walras se place. Il se place sur le terrain de la liberté. Sur ce terrain, le travail est tout à la fois un droit et un devoir : “ C’est un droit et un devoir pour l’homme que de subordonner l’accomplissement des destinées aveugles à l’accomplissement de sa destinée libre. Envisagée surtout comme un devoir, cette poursuite s’appelle travail. ”44 Ayant le devoir d’exercer son pouvoir sur les choses, autrement dit de transformer les ressources naturelles, l’homme qui accomplit son devoir est forcément méritant. Pour pouvoir l’accomplir il lui faut, inséparable du devoir, le droit de propriété sur les choses. Ainsi, les facultés personnelles sont, de droit naturel, la propriété de l'individu, car du point de vue économique, “dire que l'homme est une personne morale, ayant le droit et le devoir de poursuivre elle-même sa fin, c'est dire que les facultés personnelles appartiennent à l'individu.”45. La notion de propriété de soi qui sert de fondement à la théorie de la propriété de Walras est inséparable de la notion de propriété de son activité et des fruits de son activité. Trois principes fondent le droit de propriété sur les capitaux et les revenus : 1° “Le propriétaire d'une chose est propriétaire des services de cette chose.”46 2° “Le propriétaire d'une chose est propriétaire du prix de cette chose.”47 3° Il y a deux origines à la richesse : la terre (plus généralement les ressources naturelles) ; et le travail (les facultés personnelles). Celui qui a le droit de consommer une chose a le droit de la vendre. Il sera propriétaire de la chose qu'il aura achetée, ou reçue en retour de celle qu'il aura donnée, “si du moins ce mécanisme ne le favorise pas aux dépens de sa contre-partie. Il faut donc ici démontrer que la libre concurrence ne favorise pas les acheteurs au détriment des vendeurs, ou réciproquement.” 48 Il est pratiquement impossible de raisonner sans faire référence au travail tant la notion de propriété de soi reste vague seule : elle permet tout juste de distinguer l'esclave du non esclave, elle n'est déjà pas suffisante pour distinguer le serf de l'ouvrier, dans la mesure où le seigneur n'a pas acheté le serf. C'est ce qu'exprime assez bien Walras lorsqu'il écrit : “Si, à titre d'homme raisonnable et libre, je suis une personne morale, je m'appartiens à moi-même, et l'esclavage est injuste. Si mes facultés personnelles sont à moi, le service de ces facultés est à moi et le servage est injuste. Si j'ai un droit absolu de propriété individuelle sur mon travail, j'ai le même droit sur mon salaire, et l'impôt mis sur ce salaire est 44 Walras (2001 c), p.226. Walras se réfère explicitement à Locke. Walras, (1990 g), p.186 46 Walras L. (1990 g), p.178. 47 Walras L., (1990 g), p.178. 48 Walras L., (1990 g), p.178-179. 45 Version provisoire le 29/08/02 10 injuste.”49 L'homme est propriétaire de lui-même et de son travail ; s'il peut vendre son travail en échange d'un salaire, il ne peut aliéner sa vie. L'esclavage va à l'encontre de son libre-arbitre. Dans la mesure où le capital est du travail accumulé antérieurement, le prix du profit rémunère lui aussi légitimement le service dépensé et son immobilisation. Pour Walras, une société juste est une société dans laquelle l'accumulation du capital est fondée sur l'épargne prélevée sur les salaires par les individus qui ont le choix entre consommer et épargner. Et le renoncement à la consommation est rémunéré en fonction de la capacité productive du capital. En fait, comme le souligne Kymlicka, la propriété de soi n’entraîne pas nécessairement des droits de propriété absolus50. En effet, pour que cela soit le cas, il faudrait que mes droits n’aient pas d’impact sur les droits d’autrui. Walras a conscience de cette objection : “Non : les destinées humaines ne sont point aussi complètement solidaires. Mais il est certain qu'elles ne sont pas non plus complètement indépendantes, que chacune d'elle n'est point à l'instar d'une monade isolée, ainsi que l'énoncerait l'absolu individualisme...51 C'est donc précisément l'objet le plus direct de la science sociale que de dire au plus juste en quoi les destinées de tous les hommes sont indépendantes, en quoi elles sont solidaires les unes des autres. Toujours est-il que l'idée d'une certaine solidarité déterminable et définissable des destinées humaines constitue l'essence de l'idée de société.”52 Le débat porte d’abord sur l’appropriation des ressources naturelles, dont l’appropriation privée prive une partie de l’humanité. Pour Walras, le fait que l'homme en s'appropriant la terre, s'approprie tout à fait autre chose que son travail prouve que la terre (les ressources naturelles) ne peut pas être l'objet d'appropriation privée53. Plusieurs motifs s'opposent à l'appropriation privée des terres : 1. Les terres produisent un service dont le prix est la rente, contrairement à ce que prétendent les théoriciens de la valeur travail, et ce service est rendu par la terre. Il n'est en aucun cas le fruit d'un travail humain. Il est un produit de la fertilité naturelle des sols ; Walras se réfère aux physiocrates, qui considèrent que l'Etat est copropriétaire des terres et de ce fait peut prélever une part de la rente. Pour Walras, c'est toute la rente qui doit revenir à l'Etat si l'on veut rétablir l'égalité des conditions entre les hommes, puisque la terre leur appartient à tous. La théorie de la valeur et la théorie de la rente fournissent 49 Walras L. (1996), p.201. Kymlicka W. (1999), p.122. Elle est même compatible, si on en croit Godwin, avec un régime communiste, puisque pour Godwin, le premier commandement de la propriété de soi est à chacun selon ses besoins; la propriété fondée sur le travail étant une condition plus faible et correspondant à l'adage “à chacun selon ses moyens.” cf. Halévy E. (1901), T.II, p.98 et suivantes. 51 Il se réfère à Vacherot. Cf Vacherot E. (1858), p.679. 52 Walras L. (2001), p.94. 53 “Nozick n'envisage jamais cette option, mais d'autres auteurs, y compris certains libertariens soutiennent qu'il s'agit de la vision la moins indéfendable de la propriété initiale du monde extérieur. Locke lui-même pensait que le monde extérieur appartenait à l'origine à tout le monde plutôt qu'à personne, car Dieu “a donné aux hommes le monde en propriété commune”.” Kymlicka W. (1999), p.134. 50 Version provisoire le 29/08/02 11 (lorsqu'on admet leur présupposé, c'est-à-dire qu'il n'y a pas que les hommes qui produisent de la richesse, que l'ensemble des facteurs de production rares produisent de la richesse) la justification rationnelle à la théorie de la propriété collective de Walras54. 2. La clause lockéenne55, qui stipule que l’appropriation privée des ressources naturelles est autorisée si nul n’y perd, est un non-sens pour Walras. D'une part parce que, comme nous venons de le voir, l'appropriation privée de la terre ne peut être justifiée. D'autre part, parce qu'il est impossible de comparer la situation des hommes avant et après l'appropriation privée des sols. Walras cite en l'approuvant JeanBaptiste Say : l’impossibilité de construire des instruments de mesure du bien-être interdit de comparer deux époques ou de deux nations différentes.56 La remarque est d'importance. On n'a aucun moyen de connaître l'avantage que les hommes retirent de l'appropriation privée des sols. Il est au demeurant très variable suivant le mode d'appropriation (petite ou grande propriété). L'appropriation des sols remonte à la nuit des temps. De plus aucun intérêt ne peut justifier une pareille atteinte à l'égalité des conditions. Personne ne peut me prendre mon droit à l’usage des ressources naturelles sans me demander mon avis et l’avis des générations précédentes et suivantes. Ce qui est bien sûr impossible, d’autant que Walras réfute l'artifice du contrat social pour établir le lieu d'égalité entre les hommes dans la mesure où le contrat met en scène des individus isolés, égoïstes etc., alors que l’homme poursuit toujours et son intérêt privé et un intérêt collectif. Parce que les hommes sont fondamentalement égaux57, la nature leur appartient en commun, parce qu’ils sont fondamentalement différents, leur travail leur appartient en propre58. La seconde objection qui peut être opposée aux théories du droit de propriété absolu fondées sur la propriété de soi concerne la contradiction entre l’exercice de la liberté qui sert de fondement à la propriété de soi et un droit de propriété de soi purement formel. La pauvreté constitue des chaînes presque aussi terribles que celles de l’esclavage59. Walras a conscience de cette réalité. Il reconnaît le caractère abrutissant et asservissant de la condition d’ouvrier et ne peut l’accepter60. La propriété de soi ne peut être uniquement formelle. Elle doit être substantielle. 54 Il ne souhaite pas pour autant la confiscation des sols, puisque les propriétaires les ont achetées à un prix incluant leur rémunération future (la rente), mais le rachat des terres par l'Etat. 55 La clause lockéenne est développée notamment par Nozick (1988). 56 J.B. Say, Traité d'économie politique, 1803, cité par Walras L. (1988), p.225, note r. 57 Conformément à la justice commutative définie à partir d'une métaphore : c'est celle qui veut que dans une course soit assigné à tous les joueurs le même point de départ au même moment. Walras L. (1996), p.215. 58 De plus, la nationalisation des sols résout le problème fiscal qui n’a de solution ni du point de vue de l’efficacité, ni du point de vue de la justice. Cf. Walras L. (1990 f). 59 cf. notamment Mill J.S. (1967), p.710, Et Walras L. (1990a), p.144. 60 cf. par exemple Walras (2001 c), p. 166. Version provisoire le 29/08/02 12 L’instauration de la propriété assise sur des bases scientifiques, ainsi que grâce à elle, l’établissement de l’égalité des conditions sont les conditions de cette liberté substantielle. Elle est la définition même de l’idéal social. Cet idéal s’appuie sur “la tradition de la Révolution et l'idéal de la démocratie”, où “en tant que citoyens, nous avons tous également le droit d'être dans nos foyers sous la protection de l'Etat, et par conséquent, nous avons tous également le devoir de concourir à la défense de l'Etat et de nos foyers.”61 L’important, c’est que l’Etat n’empiète jamais sur la libre initiative individuelle et que l’individu n’empiète jamais sur le domaine de l’Etat. A ce moment, l’ouvrier trouvera les moyens de vivre décemment grâce au développement des coopératives de production, de consommation et de crédit, et de la division du travail62. 2. Une conception sociale de la production et une répartition individuelle La célèbre phrase de Rawls selon laquelle “Personne ne mérite ses capacités naturelles supérieures ni un point de départ plus favorable dans la société”63 est, nous l’avons vu, totalement opposée au système walrasien. Celui-ci peut être rattaché au système que Rawls appelle le système de l'égalité libérale qui, s'il laisse subsister les inégalités naturelles, suppose que peuvent être corrigées les inégalités sociales de départ (la place que la loterie lui attribue à la naissance dans la société)64. S'il est supérieur au système de la liberté naturelle, il reste, nous dit Rawls, arbitraire du point de vue moral, et donc inférieur au principe d'égalité démocratique, puisque, non seulement personne ne mérite ses avantages naturels, mais aussi, et peut être surtout, parce que “les plus avantagés, quand ils examinent le problème d'un point de vue général, reconnaissent que le bien-être de chacun dépend d'un système de coopération sociale sans lequel personne ne pourrait avoir une vie satisfaisante...”65 Ce point est particulièrement important parce qu'il met en évidence une contradiction du discours de Walras. En effet, Walras ne cesse de le souligner : l'homme en dehors de la société n'est rien. “A ce point de vue déjà il est certain que, pour l'homme, l'état de nature, c'est l'état social, et que quant à l'état d'isolement c'est la misère et la mort.”66 Ou encore, plus loin : 61 Walras L. (1996), p.219. A condition toutefois de ne pas être handicapé ! A ce moment là, il devra compter sur la charité, purement privée. Walras ne peut concevoir que la prise en charge des handicaps relève de la solidarité, et donc du domaine collectif, pas plus qu’il ne saisit le caractère collectif des assurances sociales. Cela évidemment nuit à la cohérence de la réponse qu’il apporte aux libéraux et aux communistes. 63 Rawls J. (1997), p.132. 64 Rawls J. (1997), p.p.104-105. 65 Rawls J. (1997), p.133. 66 Walras L. (1996), p.121. 62 Version provisoire le 29/08/02 13 “ Qu’on supprime toutes les personnes morales et la société disparaît ; mais supprimez la société, et il n’y a plus de personnes morales ; car si chaque personne morale est un élément essentiel de la société, la société est un élément essentiel de toute personne morale. Nous sommes donc dans l’état social comme Saint Paul dit que nous sommes en Dieu : in eo vivimus movemur et sumus ; nous ne vivons, n’agissons et n’existons qu’en lui. L’enfant que sa mère amuse avec une chanson ouvre son âme aux sentiments, aux idées, aux mœurs de tous ceux qui vécurent avant lui, et ce même enfant devenu homme et parvenu au terme de sa carrière, lègue à son tour en mourant le fruit de ses travaux et de ses exemples à l’art, à la science et aux mœurs de ceux qui lui survivent. ”67 Walras va jusqu’à dire que l’individu “ emprunte la moitié de sa valeur à la collectivité dont il n’est qu’un terme. ”68 La production a donc un caractère social. D’ailleurs, le travail de l'homme en dehors de la division du travail ne produit rien ou presque rien, tandis que dans le cadre de la division du travail, il permet le développement de la richesse sociale. Ce que Walras dit de la rente, en reprenant John Stuart Mill, pourrait être dit de l’ensemble de la production sociale. La rente augmente du fait de l’augmentation de la population et non du fait des efforts des propriétaires fonciers69. L’augmentation de la rente est le fait de la collectivité, pourquoi bénéficierait-elle aux propriétaires isolés ? Mais il en va de même lorsque la productivité du travail s’accroît dans une industrie suite à une innovation. Ou encore lorsque l’offre et la demande de services producteurs varient : “ Si, toutes choses restant égales par ailleurs, la quantité d’un service possédée par un ou plusieurs individus augmente ou diminue, l’offre augmentant ou diminuant et, par suite, le prix baissant ou haussant, le prix des produits dans la confection desquels entre ce service diminue ou augmente. ”70 La baisse des prix va permettre d’accroître le bien être de l’ensemble de la population. Le consommateur qui bénéficie d’une baisse du prix d’un bien n’a dû faire aucun effort pour cela. Mais il reste qu’il a acquis ce bien, suivant les conditions du marché, grâce à son travail ou à son épargne. La théorie de la propriété reste donc le fondement de la répartition, quels que soient les mérites des uns et des autres. Toutefois la théorie de la propriété intellectuelle nous montre que les choses ne sont pas si simples. La théorie de la propriété intellectuelle pose un problème spécifique à l’analyse dans la mesure où la production intellectuelle n’obéit pas spontanément au deuxième critère qui permet de définir la richesse sociale, le critère de la rareté (le premier étant l’utilité). “ Ainsi, les idées, en général, ne sont pas rares par elles-mêmes ; au contraire, leur nature immatérielle leur communique presque toujours l’illimitation dans la quantité. Il y en a tout de suite pour tout le monde et pour tout le monde à discrétion ; et en effet c’est le propre des choses immatérielles que de se partager sans s’amoindrir, de se répandre en se multipliant. ”71 Selon Walras, avant de concéder un monopole d’exploitation de leurs idées aux auteurs (en fait un droit de 67 Walras L. (1996), p.208. Walras L. (1990 h), p.136. 69 Walras L. (1993 b), p.201. 70 Walras L. (1988), p.339. 68 Version provisoire le 29/08/02 14 propriété !), il convient de déterminer “ jusqu’à quel point les idées scientifiques, artistiques, industrielles appartiennent bien aux auteurs et inventeurs, jusqu’à quel point nous les devons à eux, et seulement à eux. ”72 Alors même que toute la production sociale est le fruit de la coopération sociale dans le cadre de la division du travail, voilà nos pauvres auteurs obligés de démontrer qu’ils sont les seuls auteurs de leurs idées pour qu’on leur concède un droit de propriété. Il faudrait même presque qu’ils prouvent que personne n’aurait pu avoir leurs idées à leur place73. Toujours est-il que “ nous devons toutes ces idées non seulement à ces auteurs et inventeurs, mais aussi à d’autres artistes, littérateurs, savants et ingénieurs qui les ont précédés. ”74 La conclusion est que “ les idées scientifiques, industrielles, artistiques et littéraires appartiennent pour une part seulement à leurs auteurs et pour une autre part à la société ”75 Le partage s’effectuera en concédant aux auteurs le monopole de leurs idées pendant un certain temps, et en faisant tomber celles-ci ensuite dans le domaine public. Mais en fait, cette solution n’est pas la seule possible. On pourrait aussi établir un impôt correspondant à la part collective de l’invention, par exemple... La solution sera, de toutes manières, empirique dans la mesure où il est impossible de déterminer ce qui provient d’autrui et ce qui provient de l’inventeur. L’argumentation de Walras n’est pas cohérente par rapport à l’idée de propriété de soi, de son travail et des fruits de son travail. Si je suis propriétaire de moi-même, je dois être propriétaire de mes idées et cela de façon atemporelle (ou du moins pendant la durée de ma vie76). Le fait que mes idées soient nourries de celles de mes prédécesseurs n’est pas fondamentalement différent du fait que je vive dans une société où la division du travail a déjà atteint un haut niveau de développement. Le degré de productivité du travail ne dépend pas de moi, mais de la combinaison des forces productives, du niveau du savoir, de la technologie…, c’est-à-dire du niveau de l’accumulation des richesses sociales. On peut dire qu’il n’est pas plus possible dans le cadre de la division du travail de savoir ce qui provient ___________________ 71 Walras L. (1990g), p.217. Walras L. (1990g), p.217. 73 “ La découverte de l’idée scientifique, et aussi de l’idée industrielle, a quelque chose de fatal. Comme la vérité est absolue et universelle, elle est une ; elle doit donc infailliblement se produire telle quelle, tôt ou tard ; l’esprit humain doit la rencontrer un jour ou l’autre sous sa forme nécessaire. ” Par contre l’idée littéraire est plus personnelle : “ Si cette observation est juste, il est certain que nous devons plus les idées artistiques et littéraires aux artistes et littérateurs que nous ne devons les idées scientifiques et industrielles aux savants et aux ingénieurs. ” Walras L. (1990g), p.218. 74 Walras L. (1990g), p.218. 75 Walras L. (1990g), p.218. 76 Après se pose le problème de l’héritage. Mais celui-ci n’est pas traité par Walras car la théorie de la famille et de l’association, qui permettraient de traiter la question de l’intervention de l’Etat dans les donations et les legs, n’existent pas scientifiquement. Walras L. (1992g), p.192. 72 Version provisoire le 29/08/02 15 de mon propre travail et ce qui provient du travail d’autrui, qu’il n’est possible de discerner dans le travail du scientifique ce qu’il doit à autrui, et ce qui provient de lui-même. Il faut donc renoncer à l’idée de propriété absolue fondée sur la propriété de soi, ou renoncer, ce qui paraît difficile, à l’idée de coopération sociale dans le cadre de la division du travail. Aussi lorsque Walras écrit “Si chacun de nous produisait tout ce qu'il consomme et consommait tout ce qu'il produit...” afin de justifier l'objectif de neutralité de l'échange, est-il obligé de se référer à un état primitif des sociétés “un état sauvage, qui est l'état de chasse et de pêche”77 où la propriété de la terre est collective, mais où chacun produit ce qu’il consomme et est propriétaire des fruits de son travail78. “En somme, dans ces états, la richesse est-elle médiocre, mais est-elle répartie de façon rationnelle.”79 Autrement dit, afin de concilier une conception collective de la production de la richesse sociale avec une conception individualiste de sa répartition sans utiliser de critère utilitariste, il est nécessaire de recourir à des fables80. Certes, on pourrait considérer la rémunération du travail à sa productivité marginale non pas comme un moyen de donner à chacun ce qu’il a produit, puisque la production est collective, mais comme une clef de répartition de la richesse sociale entre les individus, au prorata en quelque sorte de leur participation à la production. Mais il n’est plus vraiment possible alors d’affirmer que chacun obtient ce qu’il a produit comme dans l’état sauvage (mais juste). Ce que l’individu gagne, ce n’est pas les fruits de son travail, mais une part de la production sociale proportionnelle à sa participation81. Mais, comment fonder l’idée d’une rémunération proportionnelle plutôt qu’égale à la production de chacun ? Après tout on pourrait imaginer qu’une part de ce qui provient de la collaboration sociale relève d’une logique collective et soit de ce fait la propriété de l’Etat. Ou, autrement dit, que le travailleur jouit non seulement du revenu de ses facultés82, mais également du revenu de la combinaison des facteurs productifs. 77 Walras L. (1990 g), p.189. Walras L. (1996), p. 467. 79 Walras L. (1990 g), p.190. 80 Pierre Dockès insiste sur le fait que pour Walras, c'est l'aptitude à la division du travail qui est inhérente à l'homme ; aux premiers stades de l'humanité, elle reste embryonnaire. Il se réfère à Rebeyrol. Dockès P. (1996), p.93, note 102; Rebeyrol A. (1999), pp.33 et suivantes. La seconde fable étant bien sûr la possibilité d'établir l'égalité des chances dans le cadre d'une société reposant sur la famille. 81 Et comme dans la dernière version des EEPP, les prix des services sont eux mêmes proportionnels à la productivité marginale (Walras L. (1988), p.589), de proportionnalité en proportionnalité, on est loin d’avoir entre les mains ce que l’on a produit. Cf. sur cette question Rebeyrol qui conclut quant à lui à propos de la modification des différentes versions des EEPP concernant les productivités marginales : Le monde “ de Walras est à rendements constants, avec des facteurs qui, s’ils sont substituables, seront choisis par minimisation du coût par l’entrepreneur et seront rémunérés à la productivité marginale lorsque le profit sera nul, à “ l’équilibre de production ”. Rebeyrol (1999), p.63. cf. aussi Legris A. (1997), 82 Walras L. (2001 b), p.119. 78 Version provisoire le 29/08/02 16 3. Quelques mots à propos du mérite C’est le moment où le recours au mérite pourrait trouver toute sa justification. Cette rémunération pourrait être proportionnelle au mérite de chacun. Et finalement ceux qui auraient fait moins d’efforts auraient une part de la richesse sociale moins importante. Ce ne serait que justice ! Mais cela pose plusieurs problèmes : Premièrement, votre rémunération n’est pas seulement proportionnelle à vos efforts, mais aussi à vos talents, éventuellement à la chance, etc. Qu’est-ce qui peut justifier du point de vue du mérite que vous ayez une part plus grande de la production sociale sous prétexte que le ciel vous a doté de dons ? Deuxièmement, votre rémunération dépend certes de votre productivité marginale, mais votre productivité marginale dépend elle même de facteurs aléatoires, puisque le prix du travail est fixé sur le marché par la confrontation de l’offre et de la demande. Lorsque l’offre de travail devient plus abondante, le prix du travail baisse, et l’entrepreneur embauche, en égalisant prix et productivité marginale (décroissante) du travail. La confrontation de l'offre et de la demande fixe les prix sur le marché de façon aveugle. D’autre part, le prix du travail sur le marché du travail est déterminé par l’offre et la demande sur le marché des biens : “ Si, toutes choses restant égales d’ailleurs, l’utilité d’un produit pour un ou plusieurs des consommateurs augmente ou diminue, la demande effective augmentant ou diminuant et par suite, le prix haussant ou baissant, le prix des services qui entrent dans la confection de ce produit augmente ou diminue. ”83 Les circonstances sociales font que votre travail à plus ou moins de valeur suivant qu’il est plus ou moins offert et demandé, et rien ne garantit qu’à aptitudes égales et efforts égaux, la rémunération de deux individus soit identique. En effet, les services personnels ne sont pas tous substituables les uns aux autres, ni instantanément (modèle statique où la quantité de services personnels est donnée), ni même dans le temps où l’aléa concernant l’investissement en formation reste important. L’apprentissage peut être considéré comme le coût de production d’un nouveau capital personnel. Mais, quels sont les éléments qui garantissent que ce coût soit couvert ? Si, à un moment donné, de nombreux individus se tournent vers l’apprentissage d’un métier rare, deux séries d’événements peuvent concourir à faire baisser le prix de ce service en deçà de son prix de revient : d’une part un afflux massif d’offreurs, et d’autre part une diminution de la demande de ce service (soit directement s’il s’agit d’un service consommable, soit indirectement, si c’est un service producteur). Aucun mécanisme ne permet de garantir 83 Walras L. (1988), p.339. Version provisoire le 29/08/02 17 la couverture de ces frais de production inscrits dans une temporalité qui dépasse largement le cadre de la production et de l’échange. Toutes les richesses sociales ne peuvent pas être traitées de la même manière au regard du temps. Sauf à supposer le propriétaire de services personnels omniscient capable de prévoir l’évolution des métiers sur l’ensemble de son cycle de vie, ce que Walras ne fait pas. D’ailleurs, le propriétaire de services personnels ne peut pas prévoir le comportement des autres propriétaires de services producteurs... L’arbitraire s’oppose donc au mérite. Et l’on peut se demander si Walras n’en a pas conscience, dans la mesure où son usage du mérite reste parcimonieux. En fait le caractère arbitraire de la fixation du prix du travail sur le marché du travail est justifié par un principe supérieur, le principe de propriété de soi, de son travail et des fruits (variables suivant les circonstances) de son travail. Les droits de propriété ne naissent pas des devoirs de l’individu (rattachés au mérite). Ils sont un droit inaliénable de l’individu, qui peut décider de louer son service producteur, et devra en tout état de cause se contenter du revenu que lui confère ce droit de propriété. Et en effet, “ Travail et propriété sont (certes) deux faces d’une même idée, comme aussi droit et devoir. A ce point de vue, on peut dire, si l’on veut, que la propriété se fonde sur le travail. Il me semble plus philosophique de remonter plus haut et de voir l’origine et le fondement de toute appropriation naturelle, de possession légitime, de toute propriété dans le fait d’appropriation et de possession des facultés personnelles, physiques, intellectuelles et morales de l’homme par luimême. ”84 La prééminence des droits sur les devoirs, autrement dit la prééminence de la propriété de soi sur les mérites pose d’autres difficultés que nous allons examiner à présent. III. L’impossible définition de la concurrence sur le marché du travail Le principe de la propriété de soi a des exigences qui doivent être respectées par le marché du travail. En premier lieu, il faut que s’établisse un prix unique, garant des principes de justice et d’efficacité ; ensuite, il est indispensable que chacun puisse assurer sa subsistance, autrement dit que le prix du travail ne descende pas en dessous d’un seuil minimal ; enfin, il faut que la procédure d’établissement d’un prix unique soit une procédure juste, c’est-à-dire, comme on l’a vu, qu’elle laisse chacun libre. Nous verrons ici dans quelle mesure ces exigences sont, ou non, respectées par le marché. 1. Le travail insaisissable : la question du prix unique La distinction entre facultés personnelles et services personnels est essentielle du point de vue 84 Walras L. (2001a), p.226. Version provisoire le 29/08/02 18 économique. Il convient donc d’en éclairer les fondements et les conséquences. Dans la théorie de la production85, Walras se demande s’il est légitime ou non de parler “ du prix des travaux et même du prix des personnes ”86. Il entend tenir compte “ de ce principe de morale sociale de plus en plus généralement accepté que les personnes ne doivent ni s’acheter ni se vendre comme les choses et qu’elles ne peuvent pas non plus se fabriquer dans des fermes ou des haras comme du bétail ou des chevaux ”87. Mais l’Economie pure fait abstraction de ce principe moral. Le capital personnel, bien que n’étant pas objet d’achat et de vente, “ peut et doit souvent être au moins évalué ”88.. Walras sous-entend donc que, si d’un point de vue moral les facultés personnelles et leurs services ne sont pas des choses, du moins le sont-elles au regard de l’économie pure. Leur intégration dans la richesse sociale et son analyse est aisée : non seulement capitaux et services personnels sont des choses rares, mais aussi, à la différence de la terre avec qui ils constituent les capitaux naturels, ils sont à la fois “ destructibles ” et reproductibles. “ Leur quantité, bien loin d’être constante, est (…) susceptible de croître indéfiniment ”89. Les capitaux personnels pourraient donc être inclus dans l’échange, si les institutions le permettaient. Toutefois l’hétérogénéité des capitaux personnels et de leurs services pose plusieurs problèmes. D’une part, est-il possible d’estimer la valeur des capitaux personnels hétérogènes ? D’autre part, dans quelle mesure des capitaux hétérogènes peuvent-ils produire des services homogènes, c'est-à-dire des services susceptibles d’avoir un prix unique sur le marché ? Comme on l’a vu, l’hétérogénéités des facultés personnelles est un élément essentiel de la théorie morale de Walras. Chacun a des aptitudes, des qualités, une expérience différentes… et singulières. Dans la théorie de la capitalisation et du crédit, Walras affirme qu’il est possible de connaître le prix des facultés personnelles à partir du revenu net et du taux de revenu net de ces services90. Il n’est donc pas nécessaire d’avoir un marché des capitaux personnels pour en connaître la valeur. Chacun dispose d’un stock de capacités naturelles plus ou moins développées, appréciables d’un point de vue technique (la fonction de production) et d’un point de vue économique, elles ont un coût normal déterminé par 85 86 87 88 89 Walras L (1988), 17ème leçon Walras L (1988), p. 271 Walras L (1988), p. 270 ibid. ibid. Version provisoire le 29/08/02 19 “ la génération reproductive et l’entretien, l’éducation et l’instruction des femmes et des enfants des travailleurs ”91. Le capital personnel est autant affaire d’inné que d’acquis. Mais seule la partie concernant les acquis est susceptible d’une reproduction de type industriel (par une bonne gestion des ressources alimentaires et par l’éducation, on peut reproduire les capitaux personnels à l’infini). Qu’en est-il donc de la partie innée, qui concerne véritablement les talents ? L’ut de poitrine du ténor n’est pas reproductible ! Les capitaux personnels ne sont donc pas parfaitement reproductibles. Alors que Smith avait opté pour une répartition à peu près identique des talents (la division du travail ne faisant qu’accentuer des différentes minimes), Walras oscille entre plusieurs voies92 dont l’une se rapproche de la vision classique héritée des grecs93 où l’inégale répartition des talents s’exprime dans la spécialisation des tâches. La question qui se pose alors est de savoir si le prix des services personnels reflète l’hétérogénéité des capitaux qui les produisent et permet d’en estimer la valeur. Lorsque Walras balaye d’un revers de formule la problématique des salaires développée par les classiques, défendant l’analyse non pas du marché du travail, mais des marchés des services producteurs94, il s’engage dans l’analyse des travaux concrets. Deux personnes fournissant le même type de service doivent recevoir la même rémunération. Mais que signifie fournir deux services identiques du point de vue du travail concret ? Comme l’a montré Marx, le marché fait abstraction des qualités concrètes des travaux, et le salaire est en fait la rémunération d’un travail social moyen, autrement dit d’un travail abstrait … Personne ne fournit le même travail. Le prix unique rémunère des travaux différents : il n’y a donc pas justice dans l’échange. Du coup, l’estimation des capitaux personnels à partir des salaires gomme l’hétérogénéité de ces capitaux. Sauf à supposer une homogénéisation parfaite des services producteurs par l’industrie. La division du travail tend à produire deux effets distincts mais complémentaires : d’une part la simplification des tâches par la segmentation de la production ; d’autre part la mécanisation du geste (qui sert de fondement à la substitution machine/travail humain95). De fait, la simplification des tâches qui résulte de ces deux mécanismes permet la simplification de leur apprentissage : l’hétérogénéité des talents innés perd donc de son importance dans la production du travail industriel. La standardisation des tâches conduit à celle des services producteurs, et à une homogénéisation en accord avec les principes de justice. ___________________ 90 91 92 93 94 95 Walras L (1988), 353 Walras L (1988), p.353. Rebeyrol A. (1999), p. 23 et suiv. Mathiot J. (1990), Méda D. (1995) Walras L (1988), p.643. Schwarz Y. (1988) Version provisoire le 29/08/02 20 Inversement, on peut supposer que pour certains types de travaux, comme celui du ténor, le prix de marché respecte l’hétérogénéité. Mais dans ce cas, il va y avoir autant de marchés, donc autant de prix, que de services personnels : le service du ténor X est différent du service d’un ténor Y, et il est rémunéré différemment. Dans ce cas, la notion de prix unique n’a plus de sens, puisqu’il y a n services de ténor et n prix différents. Le marché de libre concurrence n’est plus défini. Le fait qu’il n’y ait qu’un seul offreur sur les marchés de ce type de services personnels signifie-t-il qu’on est en situation de monopole ? D’un point de vue formel, on peut parler de monopole naturel : il n’y a qu’un seul offreur, et une impossibilité naturelle à ce qu’un offreur identique se présente sur le marché. Mais on ne peut pas pour autant parler de rente de situation, c’est-à-dire d’un profit anormal, puisque le service est rémunéré à sa productivité marginale. Le prix du service est toujours déterminé par son utilité sociale, et il est donc nécessairement un juste prix. Pour qu’il y ait un juste prix il faut qu’il y ait autant de prix que de services personnels, et dans ces conditions, la concurrence telle qu’elle est définie par Walras, à partir de l’unité de prix, n’existe pas sur les marchés des services personnels. 2. Propriété de soi, conservation de soi : le minimum de subsistance D’un point de vue matériel, puisque la productivité du travail est nécessairement accrue par la division des tâches, il est impensable que dans une société industrielle la productivité marginale soit inférieure à un minimum de subsistance que chacun obtenait déjà dans les stades préindustriels du développement économique. Si la croissance des biens de subsistance suit celle de la population, la misère ne peut pas être un phénomène naturel. L’adéquation des rythmes de croissance de l’offre et de la demande de biens agricoles repose sur l’accumulation préalable de capital. La foi dans le progrès conduit Walras à affirmer que la population peut croître indéfiniment, dès lors qu’une épargne suffisante permet de substituer du capital à la terre. La seule limite à la puissance productive de l’homme, c’est la quantité de capital disponible, par habitant, pour la production agricole : “ si une société développe son capital d’abord, elle peut ensuite croître indéfiniment en population ”96. Ainsi conclue-t-il son analyse de la loi de population de Malthus. De fait, la question de la pauvreté est celle de la logique sociale de l’accumulation. Elle nécessite des réformes sociales97. Qu’il soit possible de produire, pour chacun, le minimum de subsistance, n’implique pas que la valeur du 96 Walras L. (1988), p.594 Walras L. (1988), p.594. Et en particulier la nationalisation des sols qui permettra d’affermer les terres aux fermiers les plus efficaces. 97 Version provisoire le 29/08/02 21 service producteur vendu par chacun soit égale ou supérieure à la valeur de ce minimum de subsistance. Dans le modèle statique, la quantité de services qui peuvent être offerts est limitée en quantité, en même tant qu’elle est fixe, puisque les facultés personnelles qui fournissent ces services sont en nombre déterminé98, en fonction de facteurs démographiques (niveau de la population) et sociaux (niveau de formation, etc.). Le processus de tâtonnement permettant de déterminer le niveau des salaires pour chaque service producteur dépend de l’élasticité de l’offre. Pour qu’il y ait des courbes d’offre conformes aux exigences des mécanismes marchands, il est indispensable que l’offre de travail croisse avec le niveau des salaires. Or, des fonctions d’offre décroissantes n’existent qu’à partir du moment où le revenu perçu par le salarié couvre un minimum de subsistance ; en effet, comme cela a été souvent souligné, tant que ce seuil n’est pas atteint, l’offre de travail croît avec la baisse du taux de salaire réel. Faire la théorie de l’équilibre général suppose des courbes d’offre de travail dans un cadre où le minimum de subsistance est nécessairement assuré. Pourtant, aucun mécanisme ne vient garantir que le salaire sera forcément supérieur au minimum de subsistance dans le modèle statique. Au moment du tâtonnement, la qualification de chaque offreur de service est déterminée : comme on l’a déjà dit, toutes les qualifications ne sont pas substituables, ce qui signifie que certains agents n’ont qu’un seul type de service à offrir99. Il est tout à fait possible que la demande de ce service ou des biens fabriqués avec ce service diminue de telle sorte que le salaire tombe en dessous du minimum de subsistance. L’impossibilité pour l’offreur de service de se déplacer sur un autre marché (en offrant un autre service) pour obtenir de la monnaie et couvrir ses besoins le prive de la possibilité de chercher ailleurs une meilleure rémunération de ses efforts. Il devra donc accepter un salaire insuffisant pour subvenir à ses besoins, autrement dit un revenu net négatif100. Et l’on sera néanmoins dans une situation d’équilibre conforme à la Loi de Walras101. En dynamique, cette situation ne devrait pas perdurer : tous les individus gagnant moins que le minimum de subsistance (s’ils survivent) chercheront à obtenir des qualifications pour lesquelles le taux de salaire 98 Walras L. (1988), p.353 Walras L. (1992 e), p.255. 100 Le revenu net du travail est égal au revenu brut (salaire de marché) moins les frais d’amortissement et d’assurance liés au caractère périssable et destructible des capitaux personnels (Walras L. (1988), p.353). William Jaffé développe cette question à partir de la notion de “ consommation productive ” de Marshall (Jaffé W. in Walras L. (1988), pp.847-848). 101 Walras L. (1992 e), p. 255. Walras L (1988), p.323. 99 Version provisoire le 29/08/02 22 est plus élevé. Mais on n’est plus, alors, dans le même modèle d’économie pure102. L’ajustement se fait donc à long terme. Toutefois, le chômage est possible. Les individus éduqués et rationnels de la société idéale contracteront une assurance contre le chômage103. Les imprévoyants, tout comme “ les malades, les infirmes et les paresseux seront placés sous la juridiction de la charité, en dehors du droit économique ”104. Cette assurance est à déduire du salaire pour estimer le revenu net du travail. Plus un type de travail sera abondant, plus les risques de chômage et donc les frais d’assurance seront élevés, plus le revenu net sera faible, d’où une faible valeur des capitaux personnels. Chacun recevra les revenus liés à ses efforts pour se prémunir contre les risques de chômage et pour se qualifier dans des services socialement utiles et demandés. A condition, bien sûr que les institutions d’une société idéale soient établies et que chacun soit effectivement maître de son destin. Ce qui implique, outre la nationalisation des terres, la mise en place d’associations ouvrières aptes à contrecarrer les manœuvres des entrepreneurs pour faire baisser les salaires. Conclusion Par conséquent “ Du point de vue de la société idéale, le mot de pauvre n’a point de sens économique ”105. Toutefois, de façon paradoxale, même si la concurrence n’est plus définie, il existe des cas où il est possible de démontrer que le marché n’est pas concurrentiel au sens où il y a une dissymétrie entre acheteurs et vendeurs (les acheteurs étant organisés en ligues). Walras ne propose pas de détruire la ligue des patrons, mais de constituer des ligues de salariés, autrement dit des syndicats. L’existence des syndicats ouvriers est une condition de l’existence d’un marché de concurrence, et par conséquent d’une juste répartition des revenus : “... les ouvriers ont un avantage, celui du nombre. Qu'ils constituent comme ils le font leurs chambres syndicales, leurs sociétés et caisses de résistance, et ils arriveront à avoir par devers eux, grâce à l'association, la même mise de fonds que les patrons, et même une mise de fonds encore plus considérable. On peut soutenir sans exagération que ce sont eux qui sont ainsi les plus forts. Jamais sans doute ils ne contraindront les entrepreneurs à travailler à perte; mais ils les contraindront à se réduire à l'intérêt normal de leurs capitaux106.” 102 Walker D. A. (1987), p.62. Walras L. (1992 e), p.260. 104 Walras L. (2001b), p.119. 105 Walras L. (2001b), p.118. 106 Walras L. (1996), p.584. 103 Version provisoire le 29/08/02 23 Cette proposition a le mérite d’apporter une vision de la concurrence bien différente de celle que colportent aujourd’hui bien des manuels ; elle a l’inconvénient et l’avantage, introduisant les rapports de pouvoirs au sein des rapports de marché, de laisser indéterminé le niveau du juste salaire. Certes les syndicats ne peuvent pas contraindre les entreprises à travailler durablement à perte. Mais ils peuvent, suivant qu’ils sont plus ou moins puissants, imposés des salaires plus ou moins élevés. A ce moment, Walras dévoile une conception de la démocratie plus participative ; une conception où la condition des ouvriers, leur juste rémunération, dépend non seulement des conditions sociales (institutionnelles) définies par la science, mais également de leur action107 : dans des syndicats, mais aussi dans les associations de coopération, de production et de crédit où ils sont propriétaires collectivement du capital, organisations qui leur permettront de vivre plus libres et plus riches108. Bibliographie Aristote, Ethique à Nicomaque, traduction, préface et notes par Jean Voilquin, GF Flammarion, 1965 Baranzini R.(1993), “ Walras e l’inopportunità dell’opposizione tra economia positive e econoomia normativa. Dal 1869 alla seconda edizione degli Éléments, Economia Politica, 3, pp.381-416. Bridel P.(1996), Le chêne et l’architecte, un siècle de comptes-rendus bibliographiques des Eléments d’économie politique pure de Walras, Genève, Paris, Droz Dockès P. 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