Sevrage de la ventilation 469
VENTILATION NON-INVASIVE POST-EXTUBATION?
C. Girault, Service de Réanimation Médicale, Hôpital Charles Nicolle, Centre Hospita-
lier Universitaire, 76031 Rouen, France.
INTRODUCTION
Afin d’éviter le recours à la ventilation mécanique endotrachéale (VM) et les com-
plications de l’intubation, la ventilation non invasive (VNI) s’est largement développée
depuis plus de 10 ans. Elle constitue une technique d’assistance ventilatoire d’effica-
cité actuellement reconnue dans la prise en charge initiale de différentes formes
d’insuffisance respiratoire aiguë (IRA), en particulier dans l’insuffisance respiratoire
chronique (IRC) par bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) [1]. A l’avenir,
la VNI pourrait représenter, avec les mêmes objectifs, une approche tout aussi intéres-
sante pour réduire la durée d’intubation et faciliter le sevrage de la VM, prévenir la
réintubation en cas d’IRA post-extubation, voire améliorer la prise en charge de
certains patients à risques postopératoires. Ce sont ces trois applications potentielles
qui seront envisagées ici sous l’appellation de «VNI post-extubation».
1. ARGUMENTS PHYSIOLOGIQUES DU RECOURS A LA VNI POST-
EXTUBATION
1.1. SEVRAGE DE LA VM ET IRA POST-EXTUBATION
Le sevrage proprement dit, ou «déventilation », se caractérise par le passage
progressif de la VM à la ventilation spontanée (VS) et doit être clairement distingué de
l’extubation [2], même si le succès du sevrage doit normalement répondre à ces deux
conditions. Les difficultés de sevrage observées dans certaines circonstances (augmen-
tation de la demande ventilatoire, de la charge élastique ou résistive du poumon) et
selon le terrain (BPCO, affections neurologiques, chirurgie, etc…) résultent le plus
souvent d’un déséquilibre entre la capacité des muscles respiratoires à générer des échan-
ges gazeux efficaces et la charge ventilatoire qui leur est imposée conduisant alors à
une altération de leurs performances. L’augmentation de la charge de travail respira-
toire qui en résulte sera le plus souvent responsable de l’échec du sevrage se traduisant
par une altération du mode ventilatoire (augmentation de la fréquence respiratoire et
diminution du volume courant) et des échanges gazeux avec fréquemment hypoventi-
lation alvéolaire [3].
MAPAR 2002470
Paradoxalement, si la notion de «fatigue musculaire» n’a jamais été formellement
objectivée cliniquement en cas d’échec du sevrage, il n’en reste pas moins qu’une VM
inutilement prolongée pourrait générer une atrophie diaphragmatique. La surcharge
d’effort inspiratoire peut encore s’avérer accrue au décours de l’extubation en raison de
l’augmentation des résistances des voies aériennes supérieures, rendant parfois diffici-
lement prévisible la réussite de l’extubation [4]. L’échec du sevrage peut enfin être lié
à la survenue brutale d’une dysfonction ventriculaire gauche lors du passage en VS [5]
ou, chez les patients chirurgicaux, de complications postopératoires mettant en jeu,
directement ou indirectement, la fonction diaphragmatique [6].
La VNI pourrait donc permettre de «précipiter» l’extubation pour raccourcir la
durée d’intubation ou de palier aux difficultés de sevrage, voire aux échecs de l’extuba-
tion. Ceci a pu être suggéré par les effets physiologiques de la VNI observés au cours
de l’IRA hypercapnique (réduction du travail respiratoire, amélioration du mode venti-
latoire et des échanges gazeux) [1]. Un récent travail a d’ailleurs démontré que l’aide
inspiratoire (AI) administrée de façon non invasive était tout aussi efficace que l’AI
invasive sur ces paramètres physiologiques, mais que la VNI était mieux tolérée et
pouvait générer un effort inspiratoire plus efficace chez des patients BPCO extubés
précocément [7]. La VNI semble donc pouvoir répondre aux objectifs physiologiques
de la VM, même chez des patients ne tolérant pas complètement la VS.
1.2. PATIENTS A RISQUES POSTOPERATOIRES
La survenue de complications respiratoires postopératoires précoces ou tardives,
observées dans plus de 4 % des actes chirurgicaux, peut-être liée à la conjonction d’un
ou plusieurs des facteurs suivants : le type et l’extension de la chirurgie (thoracique,
abdominale haute, etc.), le type et la durée de l’anesthésie (générale, locorégionale),
l’état clinique et la fonction respiratoire préopératoires, en particulier l’existence ou
non de co-morbidités (obésité, insuffisance cardiaque, IRC, syndrome d’apnées du som-
meil), et la survenue de complications inhérentes à l’acte chirurgical (atélectasies,
pneumopathie, sepsis, etc…) [6]. Tenant compte des altérations possibles de la fonc-
tion pulmonaire postopératoire (Tableau I) et des arguments physiologiques développés
précédemment, la VNI appliquée préventivement en postopératoire pourrait, en théo-
rie, prévenir ou améliorer selon plusieurs mécanismes le déficit fonctionnel restrictif
qui résulte le plus souvent de l’acte opératoire : diminution du travail respiratoire, amé-
lioration du mode et de la mécanique ventilatoires, amélioration des échanges gazeux
par redistribution des rapports ventilation-perfusion et augmentation du recrutement
alvéolaire.
Tableau I
Altérations possibles de la fonction pulmonaire postopératoire.
Dépression ventilatoire
Augmentation des résistances des voies aériennes
Augmentation de la PEP intrinsèque / hyperinflation dynamique
Réduction de la compliance thoraco-pulmonaire
Augmentation du travail respiratoire
Collapsus des voies aériennes supérieures
Collapsus trachéo-bronchiques
Atélectasies
Pneumopathie
Œdème alvéolaire
Sevrage de la ventilation 471
2.
ARGUMENTS CLINIQUES DU RECOURS A LA VNI POST-EXTUBATION
2.1. SEVRAGE DE LA VM ET IRA POST-EXTUBATION
La VM est associée à la survenue de multiples complications, en particulier infec-
tieuses nosocomiales, dont l’incidence augmente avec la durée de l’intubation. La
réduction de la durée de VM doit donc constituer l’une des préoccupations quotidien-
nes du médecin réanimateur.
La durée de VM va non seulement dépendre du terrain et de la pathologie aiguë
sous-jacente mais aussi de la conduite du sevrage et des autres procédures associées par
le clinicien. De plus, la prédiction de l’issue du sevrage et de l’extubation peut s’avérer
difficile malgré les nombreux critères dont nous disposons. Ainsi, près de 25 % des
patients ventilés mécaniquement en réanimation peuvent présenter des difficultés de
sevrage [8, 9]. Ce sevrage difficile, fonction de la pathologie sous-jacente (IRC, patho-
logie cardiovasculaire ou neurologique, chirurgie thoracique ou abdominale haute), peut
concerner près de 40 % des patients BPCO [10] et représenter jusqu’à 41 % de la durée
totale de VM [11]. Quel que soit le terrain, la durée de VM semble pouvoir actuelle-
ment être réduite, d’une part en fonction de la technique de sevrage utilisée et de ses
modalités d’application [8, 9], d’autre part par l’application de protocoles standardisés,
non seulement pour le sevrage ventilatoire [12] mais aussi pour les modalités de séda-
tion [13] et de désédation [14]. A l’opposé, un sevrage difficile, des difficultés
d’extubation mal appréhendées ou une extubation trop précoce exposent au risque de
réintubation grevée d’une mortalité non négligeable (30 à 40 %) qui apparaît étroite-
ment liée au délai de réintubation [15]. Le risque d’auto-extubation, volontaire ou
accidentelle, chez 3 à 16 % des patients intubé-ventilés de réanimation peut également
nécessiter une réintubation dans 37 % des cas, mais la non-réintubation observée dans
63 % des cas restants traduit aussi certainement un retard d’appréciation du sevrage et
de l’extubation, et donc une prolongation inutile de la VM [16]. Enfin chez les patients
chirurgicaux, il peut apparaître vital d’éviter une intubation prolongée ou une réintuba-
tion en particulier au décours d’une chirurgie thoracique [17].
L’ensemble de ces éléments, directement ou indirectement liées à la VM, consti-
tuent autant de facteurs à prendre en compte pour améliorer le pronostic clinique des
patients et l’impact médico-économique de la VM dans les services de réanimation. Si
le principal objectif de la VNI est d’assurer une ventilation alvéolaire et une oxygéna-
tion efficaces en l’absence de tout dispositif endotrachéal, ce bénéfice clinique est
maintenant reconnu dans la prise en charge initiale de l’IRA notamment hypercapni-
que [1]. Dans cette indication, la VNI permet effectivement non seulement d’améliorer
les échanges gazeux, mais également d’éviter l’intubation dans 60 à 70 % des cas, de
réduire les complications et la durée de VM, et de diminuer la durée d’hospitalisation
chez des patients BPCO sélectionnés [1]. Il apparaît également de mieux en mieux
établi qu’une stratégie de ventilation incluant la VNI, lorsqu’elle est efficace, permet
non seulement de réduire l’incidence des pneumopathies mais aussi celle des autres
infections nosocomiales ainsi que la mortalité des patients [18]. En dehors de l’IRA des
BPCO, l’efficacité clinique de la VNI a également été démontrée au cours de l’œdème
aigu pulmonaire (OAP) cardiogénique dans sa forme hypercapnique, mais reste encore
discutée dans la prise en charge des IRA hypoxémiques pures [1].
Dans ces conditions, il peut apparaître pertinent et potentiellement bénéfique sur un
plan médico-économique de proposer le recours à la VNI, non plus à la phase initiale
de l’IRA, mais au moment du sevrage lorsque la VM s’est imposée afin de réduire la
durée d’intubation tout en délivrant une assistance ventilatoire efficace, ou afin de pré-
venir ou d’éviter la réintubation en cas d’IRA post-extubation.
MAPAR 2002472
2.2. PATIENTS A RISQUES POSTOPERATOIRES
Le rationnel clinique du recours à la VNI chez certains patients en période post-
opératoire relève des arguments cliniques développés plus haut quant aux risques de
l’intubation prolongée ou de la réintubation, et à l’efficacité clinique de la VNI dans les
différentes formes d’IRA. Il convient également de tenir compte des différents facteurs
susceptibles d’interférer sur la sévérité de l’altération de la fonction pulmonaire post-
opératoire (Tableau I), à savoir le type de chirurgie, le type d’anesthésie, le terrain et les
complications postopératoires. Un argument supplémentaire chez ce type de patients
pourrait être représenté par le fait qu’une oxygénation péri-opératoire suboptimale
(FiO2=80%) permettrait de réduire l’incidence des infections du site opératoire com-
parativement à une oxygénation subnormale (FiO2=30%)[19]. Néanmoins, l’impact
clinique réel d’une telle stratégie associée à la VNI reste à démontrer. Enfin, il faut
certainement distinguer chez ces patients, d’une part l’intérêt de la VNI appliquée en
préventif afin de prévenir la survenue postopératoire d’une IRA, ce qui est considéré
ici, et d’autre part l’utilisation de la VNI en curatif pour traiter une IRA postopératoire
déjà installée.
3. RESULTATS DE LA VNI POST-EXTUBATION
3.1. VNI ET SEVRAGE/EXTUBATION DE LA VM
Les premiers travaux publiés, rétrospectifs ou prospectifs non contrôlés, ont permis
de démontrer la faisabilité et l’intérêt clinique de la VNI pour faciliter l’extubation ou
la décanulation de la VM prolongée, principalement en cas d’échec du sevrage avec les
techniques conventionnelles chez des patients IRC (Tableau II) [20-22]. Des résultats
favorables ont aussi été rapportés par la simple application au masque d’une CPAP
après l’extubation ou la décanulation de patients IRC [23,24].
La VNI n’a été que plus récemment évaluée comme technique systématique d’extu-
bation et de sevrage de la VM chez des patients IRC. Dans une étude prospective
randomisée multicentrique, Nava et col. [25] ont comparé l’extubation précoce après
48 heures de VM relayée par la VNI en AI au sevrage conventionnel invasif en AI chez
des patients BPCO intubés-ventilés pour IRA hypercapnique et ayant échoué à une
épreuve de sevrage en VS sur tube en T (VS/T) de 2 heures. Les principaux résultats
sont résumés dans la figure 1 et le tableau III. Nous avons mené une étude prospective
monocentrique similaire chez 33 patients IRC de causes diverses (BPCO, IRC restric-
tive ou mixte) [26]. Nos principaux résultats sont représentés dans la Figure 2 et le
Tableau IV. Ils confirment ceux de Nava et col. [25], à savoir que le sevrage en VNI
permet d’extuber plus précocement les patients IRC sans augmenter le risque d’échecs
ou de complications du sevrage ni aggraver le pronostic à moyen terme, comparative-
ment au sevrage invasif en AI. Par contre dans notre étude, si la VNI permettait de
réduire la durée quotidienne d’assistance ventilatoire (Figure 2b), elle ne diminuait pas
Etudes non Succès Sortie Mortalité
contrôlées (réf) n BPCO du sevrage à domicile
Udwadia [20] 22 9 20 (91 %) 18 (82 %) 2 (9 %)
Laïer-Groeneveld [21] 35 16 33 (94 %) 30 (86 %) 2 (6 %)
Restrick [22] 14 8 13 (93 %) 2 (14 %) 1 (7 %)
Patients
Tableau II
Utilisation de la VNI au cours du sevrage de la ventilation mécanique.
Sevrage de la ventilation 473
la durée totale de VM impartie au sevrage, ni les durées de séjour (Tableau IV). Cette
discordance de résultats pourrait s’expliquer par la façon d’appliquer les deux techni-
ques de sevrage, par les différences de modalités de sortie des services, le type d’IRC
sous-jacente et par le nombre de patients inclus dans chacune des études. De plus, nos
patients étaient susceptibles d’être plus difficiles à sevrer car, pour être inclus, ils de-
vaient échouer à l’épreuve de VS/T mais répondre à des critères simples de sevrage, ce
qui peut correspondre à une population particulière de patients IRC difficiles à
sevrer [26].
En dehors de toute IRC, Gregoretti et col. [27] ont montré, dans une étude clinique
prospective non contrôlée, que la VNI permettait d’extuber précocément avec succès
13/22 (56 %) patients polytraumatisés ne répondant pas aux critères standard de sevra-
ge. Une étude physiologique prospective a récemment démontré l’efficacité de la VNI,
utilisant la CPAP (5 cmH2O) ou l’AI (15 cmH2O), sur l’amélioration des échanges ga-
zeux et du mode ventilatoire, sur la réduction du shunt intra-pulmonaire et du travail
respiratoire sans effet hémodynamique délétère, chez 15 patients non BPCO extubés
Paramètres Groupe VNI-AI
n = 25
Groupe VM-AI
n = 25 p
Durée totale de VM (j) 10,2 ± 6,8 16,6 ± 11,8 0,021
Durée de séjour en réanimation 15,1 ± 5,4 24,0 ± 13,7 0,005
Pneumopathies nosocomiales 0 7 (28 %) -
Succès à 2 mois 22 (88 %) 17 (68 %) 0,002
Mortalité à 2 mois 2 (8 %) 7 (28 %) 0,009
BPCO : bronchopneumopathie chronique obstructive ; VNI : ventilation non invasive ;
VMI : ventilation mécanique invasive (intubation) ; VM : ventilation mécanique (VMI et
VNI) ; AI : aide inspiratoire
Tableau III
Principaux résultats du sevrage invasif (VM) et non invasif (VNI)
chez 50 patients BPCO difficiles à sevrer (d’après Nava S. et col. [25]).
Figure 1 : Probabilité d’échec du sevrage chez 50 patients BPCO selon la technique
invasive (VMI) ou non invasive (VNI) utilisée. Ligne verticale (21 jours) définissant
linsevrabilité (daprès Nava S. et col. [25]).
Patients nayant pu être sevrés
de la ventilation mécanique (%)
10 20 30 40 50 600
groupe VNI-AI n = 25
groupe VMI-AI n = 25
Temps (j)
0,0
0,1
0,2
0,3
0,4
0,5
0,6
0,7
0,9
1,0
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