
Folie `
a deux : actualit´
es d’un concept ancien, `
a propos de deux cas 35
autorise cependant le diagnostic de trouble psychotique
partag´
e.
Il n’existe `
a notre connaissance que peu de donn´
ees
´
epid´
emiologiques. L’incidence serait de 1,7 `
a 2,6 % [34].Le
type des associations est assez mal connu, mais plus de 90 %
des cas seraient issus d’une mˆ
eme famille [3,7,9,14]. Ces
chiffres peuvent apparaˆ
ıtre biais´
es : en effet, ces ´
etudes
ne portent le plus souvent que sur les sujets hospitalis´
es
et le nombre de cas est probablement sous-´
evalu´
e du fait
de nombreux facteurs (´
etude des cas primaires uniquement
sans identification du cas secondaire, tol´
erance familiale).
Certaines caract´
eristiques historiquement admises sont
remises en cause par une revue r´
ecente de la litt´
erature
depuis 1942 [32] : en particulier, elle ne retrouve pas
d’argument pour une intelligence sup´
erieure du sujet actif,
ni de diff´
erence d’ˆ
age ou de sexe entre les deux sujets,
malgr´
e une pr´
edominance f´
eminine. Pour Silveira et See-
man [32], la litt´
erature aurait ´
et´
e biais´
ee par les th´
eories
originales de Las`
egue et Falret, consid´
erant que certains
groupes, enfants, sujets ˆ
ag´
es ou handicap´
es, pauvres et
femmes ´
etaient soumis, simples d’esprit et suggestibles,
ce qui aurait conduit `
a des descriptions s´
electionn´
ees a
priori.
En revanche, les crit`
eres d’isolement social extrˆ
eme sont
´
egalement retrouv´
es dans la revue de Silveira et Seeman,
ainsi que la fr´
equence de l’appartenance `
alam
ˆ
eme famille
nucl´
eaire.
Wehmeier et al. [34] se sont attach´
es `
a retrouver au sein
de la litt´
erature les diff´
erentes caract´
eristiques des d´
elires
partag´
es : il s’agirait en majorit´
e d’id´
ees de pers´
ecution
(51 %), mystiques (27 %), de grandeur (2—13 %), de reven-
dication (2 %) ; le diagnostic du sujet primaire serait celui
de schizophr´
enie pour 60 % des cas, de r´
eaction parano¨
ıde
dans 18 % des cas. Une analyse de 97 cas de folie `
a deux de la
litt´
erature japonaise [17] retrouve des incidences proches.
Facteurs ´
etiologiques et psychopathologiques
Plusieurs auteurs ont contribu´
e`
ad
´
egager des
caract´
eristiques psychopathologiques relatives `
ala«loi
du milieu clos »de Las`
egue et Falret : tout d’abord, la
r´
epartition des profits entraˆ
ıne la coh´
esion, favoris´
ee
par la «division du travail »[6] ;ladur
´
ee d’exposition
au d´
elire est souvent longue, mais ne constitue pas une
condition n´
ecessaire [8] ; il existerait une fixation affective
narcissique [19], une homosexualit´
e latente entre les sujets
[10], ainsi qu’un rapport intime entre eux ; le d´
elire semble
s’organiser autour de la situation du couple, symbolisant
son conflit avec l’ext´
erieur mais ´
egalement ses tensions
internes [23] ; enfin, une question centrale se pose : le
milieu clos est-il la cause du d´
elire ou la cons´
equence de la
structure de ses membres [27] ?
De nombreux auteurs ont ´
egalement insist´
e sur la fonc-
tion du d´
elire pour l’un ou l’autre des deux sujets : le d´
elire
semble par certains ´
egards apparaˆ
ıtre profitable `
a l’un et
l’autre des protagonistes [20,33]. Il permet la conservation
de l’isolement et la coh´
esion du groupe ; le sujet secondaire
pourrait accepter le d´
elire pour maintenir la relation `
a son
cod´
elirant [16] ; il est possible de mettre en ´
evidence des
processus d’identification r´
eciproques entre les deux sujets
ou alors du sujet secondaire envers le sujet primaire [21] ;
l’´
eclosion du d´
elire chez le sujet primaire pourrait ˆ
etre favo-
ris´
ee par le sujet secondaire, cela expliquant en retour la
plus grande facilit´
e de ce dernier `
a adh´
erer au d´
elire [9] ;le
d´
elire apparaˆ
ıtrait cr´
edible pour les sujets, car r´
esolvant un
probl`
eme du groupe [9]. Cette notion de cr´
edibilit´
e apparaˆ
ıt
nettement dans le DSM jusqu’`
a la version IIIR [11], mais
disparaˆ
ıt du DSM-IV [12].
D´
ej`
a´
evoqu´
ee par Las`
egue et Falret, la question de la
pr´
edisposition semble capitale dans l’´
eclosion de la folie `
a
deux. Ainsi, pour certains auteurs [34], son origine pourrait
ˆ
etre au moins en partie g´
en´
etique [30]. Si des cas cliniques
ont pu ˆ
etre rapport´
es dans la litt´
erature, concernant des
jumeaux monozygotes [30,34], avec un taux de g´
emellit´
e
sup´
erieur `
a celui de la population g´
en´
erale am´
ericaine, les
donn´
ees restent controvers´
ees [34] ; elles n’expliquent pas
la raret´
e avec laquelle des patients psychotiques consan-
guins partagent le mˆ
eme syst`
eme d´
elirant [31], laissant
penser que la similarit´
eg
´
en´
etique seule ne permet pas
d’expliquer cette «contagion de la folie ».
Prise en charge
Las`
egue et Falret ont d’embl´
ee propos´
elas
´
eparation
comme pilier du traitement des d´
elires `
a deux, permet-
tant l’amendement du d´
elire chez le sujet secondaire
[20]. Cependant, cet effet ne serait pas toujours obtenu
[6]. Il existe tr`
es peu de donn´
ees r´
ecentes concernant le
traitement des sujets pr´
esentant une folie `
a deux [31]. Tra-
ditionnellement, les patients sont s´
epar´
es et hospitalis´
es
dans deux services diff´
erents s’ils le n´
ecessitent.
Ils sont alors trait´
es par des neuroleptiques, comme des
patients pr´
esentant des pathologies autonomes. Il n’existe
`
a notre connaissance pas de donn´
ee sur le traitement phar-
macologique sp´
ecifique des folies `
a deux.
Les rechutes sont fr´
equentes quand les sujets sont r´
eunis
[31]. Seule une modification de la dynamique interne du
couple d´
elirant pourrait permettre sa gu´
erison, ce qui
n´
ecessiterait une th´
erapie de groupe [23]. Par ailleurs,
l’impact traumatique de la s´
eparation est non n´
egligeable
et conduirait pour certains `
a en discuter l’opportunit´
e[24].
La s´
eparation s’est av´
er´
ee d’un effet diff´
erent sur les
couples de nos deux cas. Elle a permis une critique partielle
rationalis´
ee chez Monsieur P. (cas no1), mais est demeur´
ee
sans effet chez R. (cas no2). La d´
et´
erioration cognitive
d´
ebutante pourrait sans doute ˆ
etre mise en cause chez cette
derni`
ere.
Les d´
elires `
a deux peuvent pr´
esenter des implications
m´
edicol´
egales. Ainsi, de nombreux cas cliniques ont rap-
port´
e une h´
et´
ero-agressivit´
e, parfois meurtri`
ere, de couples
d´
elirants [2,15]. D’autres troubles du comportement pour-
raient ˆ
etre ´
egalement li´
es `
a la folie `
a deux, comme la
conservation pathologique du corps ou des effets person-
nels d’un d´
efunt [26], les meurtres rituels, suicides collectifs
ou pactes suicidaires. La menace de dissolution d’un couple
(par la maladie par exemple) entraˆ
ınerait chez ces sujets
une auto-agressivit´
e, le plus souvent l´
etale. La th´
ematique
mystique serait un crit`
ere de dangerosit´
e[18]. Un fait divers
du d´
ebut du xxesi`
ecle marqu´
e par l’extrˆ
eme violence (yeux
arrach´
es, blessures multiples) et la froideur affective a
beaucoup marqu´
e les esprits, celui des sœurs Papin [13].
Il a ´
et´
e comment´
e par Lacan dans un texte c´
el`
ebre [19].