UNIVERSITE LUMIERE LYON 2 Institut des Sciences et Pratiques d’Education et de Formation Licence des sciences de l’éducation Année universitaire 1999-2000 EXPOSE SUR LE TEXTE : « DECISION DE GROUPE ET CHANGEMENT SOCIAL » de KURT LEWIN extrait de Psychologie sociale Textes fondamentaux anglais et américains Paris, Bordas 1978. Tome 2, de 498 à 519. PSYCHOSOCIOLOGIE DES GROUPES ENSEIGNEMENT 3PA16806 PROFESSEUR :M. MANDERSCHEID Travail corrigé par l’enseignant Jacqueline CABANES Marie-Luce MARTIN PLAN 1- PRESENTATION DE LEWIN ET DE SA THEORIE DU CHAMP. 2- PREMIERE EXPERIENCE AVEC MISE EN EVIDENCE DES CANAUX, DES PORTIERS, ET DES PORTES. 3- LES DECISIONS DE GROUPE : DIVERSES AUTRES EXPERIENCES : a- Comparaison entre exposés et décisions de groupe. b- Comparaison entre conseils individuels et décision de groupe. c- L’équilibre social et la stabilité du changement. 4- ANALYSE-RESUME. 5- CONCLUSION. 1- PRESENTATION DE LEWIN ET DE SA THEORIE DU CHAMP Kurt Lewin est né en Pologne en 1890 et mort à Newton-Ville, Massassuchetts, en 1947. Ce psychosociologue américain a enseigné à l’Université de Berlin et émigre ensuite aux EtatsUnis en 1932 où il enseigne à l’Université de l’Iowa en 1935. Puis ensuite, il fonde en 1944 le centre de recherche de dynamique de groupes à l’Institut de Technologie au Massasuchetts en 1944. Il développera la Théorie du Champ. Il est considéré comme le père de la « recherche-action », ses travaux ont pour cadre les comportements en situation de groupe (1939), le leadership, et l’étude des problèmes sociaux. Plusieurs théories de psychosociologie Elles sont à l’origine des concepts qui alimentent les travaux actuels. - La Théorie du renforcement (ou des apprentissages) - La Théorie du rôle (ensemble de concepts qui analyse le comportement social) - La Cognition Sociale (elle trouve son origine dans la psychologie cognitive qui étudie les processus mentaux) On en arrive à la Théorie de Kurt Lewin qui est la Théorie du Champ. Pour étudier le comportement humain, il insiste sur la nécessité de prendre en compte les différents facteurs du comportement ainsi que l’interaction entre ces facteurs. Il met l’accent sur les objets. L’individu doit ainsi être étudié dans le groupe. Avant d’aborder plus particulièrement le texte de Lewin, il importe de situer le contexte des expériences qu’il a effectuées. Pendant la seconde guerre mondiale, une pénurie alimentaire est apparue. Le gouvernement américain a constaté que les morceaux de viande qualifiés de « bas morceaux » (les abats) étaient peu consommés. Il a donc incité les ménagères à les acheter mais sans succès. Kurt Lewin qui s’est intéressé à ce phénomène, a développé deux axes de recherche : - un centré sur l’effet du leadership sur les habitudes alimentaires, - un autre centré sur le type de leadership. 2- RESUME DE LA PREMIERE EXPERIENCE. CANAUXPORTES-PORTIERS. La première expérience de groupe portait sur les habitudes alimentaires dont l’objectif principal était la comparaison de groupes ethniques et économiques dans une ville de l’ouest des Etats-Unis. Elle cherchait à étudier : - quel était l’aliment préféré de la famille ? - quel aliment était considéré comme essentiel ? - quel cadre de référence principale et quelles valeurs orientaient la pensée de ces groupes en ce qui concerne la nourriture ? - quelles autorités étaient perçues derrière ces normes et ces valeurs ? - pour modifier efficacement l’idéologie d’un groupe et son comportement devrait-on avoir recours à la radio ? - devrait-on s’adresser à la population totale hommes femmes et enfants ? - serait-il suffisant de concentrer ses efforts sur une partie plus stratégique de la population ? CONCLUSIONS De toute évidence la ménagère joue un rôle particulier dans les habitudes alimentaires. Comme nous sommes en période de pénurie alimentaire, il faut se dire que les aliments servis à table ont toute chance d’être consommés puisqu’on en jette peu Pour étudier les méthodes propres à changer les habitudes alimentaires d’une famille, il faut se poser les questions suivantes que nous avons organisées dans le schéma ci-dessous : CANAL : PORTE : Comment les aliments arrivent à la table ? Quelles sont les forces qui décident de l’entrée des aliments ? a) forces conduisant à l’achat b) forces contraires et de leur traitement direction de l’aliment. Oh, non, tu n’achètes pas des abats, j’ai horreur de ça ! PORTIER : J’ai envie de manger un bon rôti !… Qui achète et traite l’aliment ? C’est dans la situation d’achat qu’est prise la décision de faire pénétrer ou non l’aliment dans le canal qui mène à la table. Des forces contraires peuvent s’exercer et provoquer un conflit intérieur. Attrait positif de l’aliment Prix peu élevé Prix élevé Attrait négatif de l’aliment PETIT CONFLIT CONFLIT La force conduisant à l’achat peut être aussi la résultante d’autres composantes : - L’attrait et la connaissance de l’aliment par l’acheteur. - Préférence et aversion de la famille. - Conception des aliments qui paraissent essentiels. - Le temps de préparation. On achète un aliment si la force totale conduisant à l’achat est supérieure aux forces contraires. Toutes les constellations sociales sont caractérisées par l’existence d’un canal, d’une porte, et d’un portier. La discrimination à l’égard de la minorité continuera à exister tant que les forces qui déterminent les décisions du portier ne seront pas modifiées. Ceci dépend en particulier de leur cadre de référence idéologique, c’est à dire leur système de valeur et de croyance qui déterminent ce qu’ils considèrent comme « bon » ou comme « mauvais » et en partie d’après la façon dont ils perçoivent la situation spécifique. Exemple : Les organisations qui exercent une discrimination à l’égard d’un groupe minoritaire donne souvent comme argument qu’elles ne sont pas disposées à accepter des individus auxquels il ne serait pas possible d’assurer une promotion suffisante. 3- DECISION DE GROUPE L’expérience réalisée en 1943 sur la modification des habitudes alimentaires illustre la conception de LEWIN sur la théorie du champ. LEWIN et ses collaborateurs ont voulu inciter les ménagères américaines à consommer des abats. Des groupes d’environ 15 personnes sont constitués. A certains, une ménagère expérimentée expose les intérêts d’acheter tels morceaux de viande, les autres participantes se contentent d’écouter. D’autres groupes fonctionnent sur le mode de la discussion libre. Les échanges de points de vue mettent à jour des préjugés, obstacles au changement. Les ménagères participant à ce type de dynamique modifient beaucoup plus leurs habitudes que les autres. Le constat fait par les expérimentateurs est qu’il est plus facile de modifier les positions d’individus constitués en groupe que de changer les positions d’individus isolés. Un contrôle fait par la suite montra que seulement 3 % des femmes qui avaient assisté aux exposés servirent une des viandes qu’elles n'avaient jamais essayées auparavant. A l’opposé, 32 % de celles ayant participé aux discussions de groupe servirent une de ces viandes. Pour comprendre ces résultats il faut considérer plusieurs facteurs : 1) Le degré d’implication L’exposé est passif. La discussion est active. 2) Les motivation et décision En psychologie, la théorie admise suppose que l’action est le résultat direct de la motivation. Pour qu’il y ait décision, il faut qu’une des alternatives soit réduite à zéro et l’autre dominante. On en arrive à savoir après discussion s’il faut servir ou ne pas servir l’aliment. 3) Les individus du groupe Plusieurs expériences (formations aux commandements et dans de nombreux domaines de rééducation d’alcooliques et de délinquants) montrent qu’il est plus facile de modifier l’idéologie et le comportement social d’un petit nombre de personnes en groupe que celui d’individus isolés car : * L’individu est peu disposé à trop s’écarter des normes du groupe. * L’exposé atteint l’individu de façon plus individuelle que la discussion de groupe. Si un changement dans l’état d’esprit du groupe devient apparent au cours de la discussion l’individu sera plus prêt à le suivre. 4) Les attentes Croire en ses aptitudes qui dépendent du système de valeurs personnelles. 5) La personnalité du meneur. Les différences dans l’efficacité tiennent peut-être à des différences dans la personnalité des meneurs. a- Comparaison entre exposés et décisions de groupes. Dana KLISURICH, sous la direction de Marian RADKE, a procédé à des expériences dans 6 groupes de ménagères composés de 6 à 9 participants. Elle a comparé les effets d’un exposé à ceux d’une décision de groupe. Cette expérience a conduit aux conclusions suivantes : 1) L’efficacité plus grande de la décision de groupe dans la première expérience n’est pas due simplement à la personnalité ou à la formation du meneur. 2) La différence d’efficacité entre les deux procédés n’est pas limitée au cas des aliments considérés dans la première expérience. 3) La décision de groupe est plus efficace car plus stable. Elle a pu être observée non seulement après une semaine, mais également après 2 et 4 semaines. 4) Ceci montre que la décision dans une situation de groupe semble être efficace même si le groupe n’est pas constitué en organisation permanente. b- Comparaison entre conseils individuels et décision de groupe. Depuis un certain nombre d’années, l’hôpital d’Etat de IOWA CITY donnait des conseils aux mères pour nourrir leurs bébés. Dans le cadre de ce programme, les mères de milieu paysan bénéficiaient, après la naissance de leur premier enfant à l’hôpital, d’un entretien de 20 à 25 minutes avec un diététicien à propos de la nutrition. La mère recevait un imprimé donnant des conseils sur la composition des repas et on lui expliquait l’importance du jus d’orange et de l’huile de foie de morue. Il était apparu que le programme de nutrition ne donnait pas des résultats très satisfaisants. Les conseils individuels furent employés avec certaines mères. Les autres mères furent réparties en groupes de 6 pour des cours et des discussions concernant l’alimentation du nourrisson. Le temps passé avec le groupe de 6 mères fut égal au temps passé en situation individuelle. Deux semaines après, puis quatre, on procéda à un contrôle afin d’évaluer les comportements de chacune des mères après les conseils relatifs à l’huile de foie de morue et au jus d’orange. Après quatre semaines, chacune des mères qui avait pris part à la décision de groupe suivait exactement le régime prescrit en ce qui concerne le jus d’orange. Les résultats suivants peuvent être indiqués : 1) L’efficacité supérieure de la décision de groupe dans cette expérience est significative. 2) La décision n’était pas limitée au groupe bien constitué. La plupart des mères ne se connaissaient pas et n’eurent pas de contact pendant quatre semaines. 3) Les évaluations à deux semaines des diverses expériences après la décision de groupe ont montré que le pourcentage de ménagères qui servaient des rognons, des cœurs de bœuf et des tripes étaient relativement semblable au pourcentage de ménagères qui augmentèrent la consommation de lait frais ou de lait en poudre, ou de mères qui suivaient complètement le régime d’huile de foie de morue pour leurs bébés. Ces pourcentages varient entre 32 et 50 %. Concernant le jus d’orange pour le bébé, le pourcentage est nettement plus élevé : 85 %. Ceci était peu-être expliqué par l’aversion des mamans pour l’huile de foie de morue, ainsi que par un niveau de vie élevé permettant d’acheter autre chose que des abats. 4) Le changement après les exposés fut plus faible qu’après une décision de groupe ; le classement reste toutefois le même : Lait en poudre(famille) Jus d’orange(bébé) Huile de foie de morue Lait frais Abats c- Equilibre social quasi-stationnaire et problème de la stabilité du changement 1) Objectif du changement. Ils peuvent se rapporter aux normes nutritives de la consommation. Il faut que la norme sociale qui est l’objet de changement ne soit pas le caractère d’un chose mais d’un processus. Une norme de consommation signifie que : - Une action donnée se produit avec une fréquence donnée dans une période de temps donnée. - Dans un groupe, certaines actions et réactions amicales et hostiles présentant tel degré de gravité se produisent entre les membres de 2 groupes. « Le niveau » de consommation, d’amitié ou de productivité doit être caractérisé comme un aspect d’un processus social en cours. 2) Conditions d’un équilibre quasi-stationnaire stable. Il se peut que la réussite de la décision de groupe et la stabilité de son effet soient dues en partie au fait que l’on a essayé de faciliter une décision favorable en éliminant les forces antagonistes intérieures des individus plutôt qu’en appliquant des pressions extérieures. On peut ajouter des forces dans la direction souhaitée ou diminuer les forces antagonistes. 3) Habitudes sociales et normes de groupes. L’idée d’une habitude semble impliquer que malgré l’application d’une force le niveau du processus social ne sera pas modifié en raison d’une force intérieure de résistance au changement. Pour vaincre cette résistance intérieure, il faut une force additionnelle suffisante pour vaincre l’habitude. Un grand nombre d’habitudes sociales concernent les relations entre individus et certaines normes de groupes. 4) Procédures individuelles et procédures de groupes pour obtenir un changement. Si la résistance au changement dépend partiellement de la valeur qu’a la norme de groupe pour l’individu, cette résistance doit diminuer : - lorsque l’on diminue la valeur de cette norme de groupe ou - lorsque l’on modifie le niveau de conduite que l’individu perçoit comme ayant une valeur sociale. On s’attendrait peut-être à ce que des individus isolés soient plus malléables que des groupes composés d’individus pensant de la même façon. Toutefois, les expériences sur des problèmes de formation au commandement, et de changement d’habitudes alimentaires, de production, de criminalité, d’alcoolisme, de préjugés, indiquent toutes qu’il est plus facile de changer des individus constitués en groupe que de changer l’un d’entre eux séparément. Tant que la norme de groupe est inchangée, l’individu résiste au changement avec d’autant plus de force qu’il serait amené à s’écarter davantage de la norme de groupe. Si la norme de groupe est elle-même modifiée, la résistance qui est due à la relation entre l’individu et la norme de groupe se trouve éliminée. 5) Le changement comme un processus en 3 étapes : décristallisation déplacement et cristallisation Un changement réussi comprend trois aspects : a) La décristallisation (infreezing) du niveau initial : équilibre rompu. informer – expliquer – sensibiliser. b) Déplacement (moving) à un nouveau niveau déplacer les résistances – réduire les tensions. c) Cristallisation (freezing) : création d’une nouvelle norme de groupe. créer un nouvel état d’équilibre satisfaisant pour les membres du groupe. 4- TABLEAU RESUMANT LE PROCESSUS DE CHANGEMENT EXPERIMENTE PAR LEWIN CHAMP DYNAMIQUE DE GROUPES PROCESSUS DE CHANGEMENT PORTIER Iindividu leader 1 DECRISTALLISATION Information-explication discussion PORTES forces =Champ de forces 2 DEPLACEMENT des résistances CANAUX =Champ perceptif CRISTALLISATION nouvel équilibre 3 NORMES DE GROUPE COMMENTAIRES PERSONNELS EXPLICATIFS DU TABLEAU. Dans un premier temps, on considère donc qu’il y a un individu : le portier qui a une psychologie propre, près de qui on effectue une information, on échange, on discute, ainsi on opère une décristallisation. Ensuite, cette décristallisation peut nous amener aux portes où s’affrontent différentes forces ayant trouvé leur origine dans les valeurs. Grâce à la motivation, nous pouvons parvenir à déplacer les résistances, à faire bouger les habitudes, afin d’arriver à un nouvel équilibre qui permette le changement des normes de groupe. Alors, les canaux peuvent être modifiés, des actions différentes s’opèrent et de nouvelles portes« s’ouvrent »: On élimine par exemple la force économique pour privilégier la force gustative. Pour finir le portier influencé par tout ce processus de changement adoptera de nouvelles attitudes et entraînera d’autres personnes dans ce changement. 5- CONCLUSION La décision de groupe est un processus d’administration sociale ou d’auto-administration des groupes. Elle dépend de canaux sociaux, de portes et de portiers ; elle est liée à des problèmes de perception sociale et de planification, et à des problèmes de relation entre motivation et action, et entre l’individu et le groupe. Les expériences rapportées montrent que certaines méthodes de décision de groupe donnent de meilleurs résultats que les exposés et les approches individuelles, comme moyen d’amener un changement de conduite sociale. L’effet de la décision de groupe est probablement mieux compris si on le rattache à la théorie de l’équilibre social quasi-stationnaire, aux habitudes sociales, à la résistance au changement et aux divers problèmes de décristallisation, déplacement et cristallisation des niveaux de comportements sociaux. Ce principe développé par LEWIN débouche sur l’analyse systémique et la dynamique de groupe.