Le SCRO d'ENRIQUE PICHON-RIVIERE : un outil pour la formation 1. Introduction Utilisant depuis plusieurs années les apports puissants d'E. PICHON-RIVIERE dans le domaine de la formation (praxis, dialectique, interscience, cône inversé, grupo operativo, etc.), j'ai remarqué que j'avais longtemps tenu à distance son concept de « SCRO ». Ce sont les membres d'un groupe de formation qui m'ont permis d'en prendre conscience « mais enfin, comment peux-tu parler du cône inversé sans utiliser le SCRO !». Pourtant, quand je les interrogeais sur l'évidence du concept de SCRO dans le modèle pichonien, leurs réponses du style : « le SCRO… ben… c'est le SCRO quand même !» n'ont pas dissipé mes doutes. Ces interrogations m'ont conduit à tenter de répondre à deux questions : a) pourquoi cette mise à distance du SCRO et b) le SCRO, précisément c'est…? 1.1 Représentations, conceptions, Vorstellung, idées, images mentales, etc… Ce n'est qu'après avoir répondu à la seconde question que la réponse à la première me parut évidente. Si je n'ai pas investi immédiatement le SCRO, c'est que je disposais d'un jeu de concepts proches (représentation, conception, « image » mentale, idée, etc.), lesquels forment le « fond de commerce » de tout formateur en science de l'éducation. De plus, l'utilisation de ces concepts, loin de former un ensemble dont la praxis favorise la résolution des problèmes posés par la formation, constitue en elle même un problème ! Si l'on se penche sur le mot « représentation », on trouve autant de sens que d'auteurs. Sans même remonter à PLATON et sa caverne, si l'on s'intéresse à SCHOPENHAUER (Le Monde comme volonté et comme représentation) ou FREUD (aspect « évocation » vs aspect « pulsion ») ou encore BACHELARD (La formation de l'esprit scientifique) avec sa réinterprétation freudo-jungienne de la psychanalyse, on voit qu'il est difficile de se faire une idée relativement claire et simple de la notion de « représentation », sans même envisager les conceptions de J. PIAGET, M. KLEIN, W. R. BION, etc ! Pour tout arranger, le mot « représentation » n'a qu'un rapport relativement lointain avec « Vorstellung », utilisé par SCHOPENHAUER et FREUD, ce qui oblige les traducteurs à de multiples contorsions sémantiques ! Pour tenter de palier ces difficultés, A. GIORDAN a développé la notion de « conception », dont le domaine de validité est volontairement limité au cadre scolaire et, en particulier, à l'enseignement scientifique. Il l'envisage comme une fonction reliant problème – cadre de référence – opérations mentales – réseau sémantique – signifiants, fonction en partie inconsciente (inconscient cognitif piagétien) (A. GIORDAN, G. DE VECCHI, 1987). Plus tard, il ajoutera : « La conception d'un apprenant n'est pas « juste » ou « fausse ». Ni « conforme » ou « inadéquate ». Elle est seulement « opératoire » ou « inefficiente ». Plus loin, il ajoute que : «…l'idée de conception a besoin d'être relativisée, sous peine de rassir en dogme stérile. » (A. GIORDAN, 1998). 1.2 Un SCRO complexe En effet, il est vain de chercher, chez un quelconque de ces auteurs, quelque chose comme : la (représentation – conception – etc.) c'est… suivi d'une définition concise, exacte, précise et définitive. GLADYS ADAMSON dans son article Epistemología del ECRO de Enrique Pichon Riviere (Epistémologie du SCRO d'Enrique Pichon-Rivière) souligne que le SCRO fait définitivement partie de ces notions qu'une épistémologie contemporaine qualifie comme appartenant au champ de la « complexité ». Elle ajoute que «…les épistémologues ne nient pas que le but de toute science soit une recherche causale et l'obtention de prévisions sur les phénomènes mais à partir d'une 1 épistémologie contemporaine qui souligne que la science est avant tout un savoir critique, conscient de son caractère provisoire et qui doit renoncer à toute idée de certitude.». Un concept « complexe » est assez semblable à ces belles images de structures fractales qui, vue de loin, laissent penser qu'il est possible de les décrire facilement, comme le SCRO quand PICHON le définit en ces quelques mots : « Le SCRO est un ensemble organisé de notions et de concepts généraux, théoriques, se rapportant à un secteur du réel, à un univers du discours, qui permet une approche instrumentale de l'objet particulier concret. Ce SCRO, ainsi que la didactique qui le véhicule, sont fondés sur la méthode dialectique. » (PICHON-RIVIERE, 2004) ou encore plus simplement : « le schéma référentiel comme ensemble d’expériences, de connaissances et d’affects, avec lequel l’individu pense et agit » (PICHON-RIVIERE in JAITIN R. (2002)). Dans ce même article, se basant sur un texte de PICHON (2004) : Une théorie de la maladie, l'auteure en fait même une base de la pensée scientifique : «…le SCRO devient le système d’idées avec lequel un scientifique se dispose à affronter une tâche, dans le cadre de sa discipline ou de n’importe quelle autre discipline. Ainsi, l’accent est mis sur le traitement de la tâche, élément manifeste pour pouvoir mettre en œuvre un processus où l’affectif se lie à ce qui est pensé, puis est verbalisé et mis en acte. ». Si l'on « s'approche » du concept, pour l'observer plus précisément, il se produit le phénomène que l'on peut constater en regardant de près les images de figures « complexes », le détail contient autant d'information que la vue générale et ceci, sans fin… Cette particularité se nomme « invariance d'échelle ». Il faut donc renoncer à donner une explication exhaustive d'une « conception », d'une « représentation » mais aussi bien du SCRO ! Dans Apprendre !, A. GIORDAN, pour surmonter ce dilemme, propose plutôt de dresser le « portrait » d'une conception. Nous allons donc tenter de dresser le portrait du SCRO pichonien. 2. Portrait du SCRO 2.1 Technique du portrait Pour aborder un élément complexe comme celui-ci, la technique choisie consiste à choisir un certain nombre de propositions types sur le SCRO, puis à analyser plus en profondeur, « en zoom avant », les éléments qui les composent. 2.2 Le S.C.R.O. c'est… D'abord, en observant l'objet d'assez loin, étudions en simplement la dénomination. Le S.C.R.O. (ECRO, en espagnol) est l'acronyme de Schéma Conceptuel Référentiel et Opérationnel*. Que nous dit le dictionnaire Robert® pour les éléments de cet acronyme ? Schéma : Description ou représentation mentale; structure du déroulement (d'un processus). Abrégé, canevas, ébauche, esquisse, pattern, schème… Conceptuel : Qui procède par concepts. Et pour concept : Acte de pensée aboutissant à une représentation générale et abstraite. Référentiel : nous choisirons la définition que le Robert® propose pour son usage en didactique : Système de référence servant de « médiation entre les horizons de la subjectivité et ceux de l'objectivité » (Gonseth). Opérationnel : (ou opératif selon les traductions) : qui sont à l'origine des actes. Cette observation en « grand angle » nous montre quand même le SCRO comme quelque chose qui part des « représentations mentales », passe par des « actes de pensée », se poursuit par une sorte de dialectique entre subjectivité et objectivité et, ce qui fait son originalité, se termine par des actes ! 2 2.3 Que disent les auteurs pour S.C.R.O. ? Schéma : « Ainsi que nous l'avons dit, S désigne « schéma », qu'il faut comprendre comme un ensemble articulé de connaissances. Nous entendons par schéma conceptuel un système d'idées qui présentent un haut niveau de généralisation. Il s'agit de synthèses plus ou moins générales, de propositions qui établissent les conditions de relations des phénomènes empiriques. C'est un ensemble de connaissances qui propose des lignes de travail et d'investigation. L'investigation psychologique, comme n'importe quel type de tâche scientifique, serait, sans un système conceptuel adéquat, aveugle et infructueuse.» (PICHON-RIVIERE, 2004). Il ajoute : « Le mot « schéma » a une fâcheuse connotation, celle d'être rigide, « schématiser » vient de « fixer ». Le schéma est le produit d'une abstraction, il évoque le squelette d'une connaissance ou d'un modèle de conduite quelconque. Lorsque ce schéma est mal utilisé, il peut se transformer en quelque chose de rigide. » (PICHON-RIVIERE, 2004b). Dans le même ouvrage : « Lorsque nous approchons un patient, nous le faisons avec un schéma de référence au moyen duquel nous essayons de comprendre ce qui se passe en lui, mais il faut pour cela que ce schéma soit dynamique. ». ROSA JAITIN (2002) ajoute : « En tant que « squelette de la connaissance », le « schéma » renvoie à l’ensemble des connaissances utilisées pour une opération déterminée, et les interactions entre les participants au sein du « groupe de travail » permettent à chacun de prendre conscience des autres schémas existants pour lire la réalité et modifier le sien. Le « schéma » est aussi une construction commune aux membres du groupe. ». Donc, il existe un SCRO groupal comme un SCRO individuel. Conceptuel : Pour PICHON, le schéma «…est conceptuel, au sens où il inclut tous les concepts contenus dans une structure qui présente un aspect conscient et un aspect inconscient, qui va se modifier avec le cours du temps et avec l'avancée des connaissances et de l'expérience. Nous devons adjoindre à la théorie de la connaissance une position dialectique, au sens où ce qui est appréhendé à un moment donné par quelqu'un qui a une expérience préalable, va modifier la dite expérience et s'intégrer ensuite de telle façon que, dans l'expérience suivante, l'expérience antérieure enrichit l'expérience ultérieure. ». Concernant l'aspect conceptuel du sujet, il ajoute : « Tout schéma conceptuel, référentiel et opératoire présente un aspect superstructural et un aspect infrastructural. Le « superstructural » est constitué par les éléments conceptuels et 1'« infrastructural » par les éléments émotionnels, motivationnels (ce que nous appellerions la « verticalité » du sujet), ces éléments provenant de sa propre expérience de vie et déterminant sa façon d'aborder la réalité » (PICHON-RIVIERE, 2004b). Ce que ROSA JAITIN (2002) complète, concernant l'aspect groupal par : « Le « conceptuel » désigne l’ensemble des concepts élaborés en groupe pour devenir ensuite des concepts opérationnels et fonctionnels. ». GLADYS ADAMSON insiste sur l'aspect « interscience » (cf. cidessous) du SCRO : « Le SCRO pichonien s'appuie sur trois grands champs disciplinaires qui sont les Sciences Sociales, la Psychanalyse et la Psychologie Sociale. Ces trois disciplines en constituent les fondements macro conceptuels ». Il est nécessaire de préciser le sens pichonien de « Psychologie Sociale » : « La psychologie sociale que nous visons s'inscrit dans une critique de la vie quotidienne. Ce que nous abordons c'est l'homme immergé dans ses relations quotidiennes. Notre conscience de ces relations perd son caractère trivial dans la mesure où l'instrument théorique et sa méthodologie nous permettent de rechercher la genèse des faits sociaux. » et : « La psychologie sociale, comme discipline et comme outillage technique, fournit les instruments nécessaires à l'approche, à la recherche, au diagnostic, à la planification et à l'opération dans les différents domaines où se déroulent des processus d'interaction. Ces domaines - groupal, institutionnel et communautaire - peuvent être abordés à partir d'un schéma conceptuel commun, mais ils présentent des variables spécifiques qui requièrent un maniement technique différencié. » (PICHON-RIVIERE, 2004). ROSA JAITIN, citant PICHON, insiste sur l'aspect « interscience » de sa psychologie sociale : « Le problème pour lui, c’est la dispersion des sciences de l’homme dans des voies méthodologiques et conceptuelles les plus diverses. Dans sa préoccupation de faire converger en un 3 seul champ ces divergences, il dit : « La psychologie sociale que nous préconisons tend vers une vision intégrative de l’homme en situation, objet d’une science unique ou interscience, placée dans un contexte historique et social déterminé. On atteint une telle vision par une épistémologie convergente dans laquelle toutes les sciences de l’homme fonctionnent comme une unité opérationnelle, enrichissant autant l’objet de la connaissance que les techniques destinées à l’aborder. »» (JAITIN, 2002). La psychologie sociale pichonienne s'est instituée dans la Primera Escuela Privada de psicologia social fondée par PICHON-RIVIERE et qui existe toujours à Buenos Aires. A ce sujet, on peut lire avec intérêt le chapitre Contributions à la didactique de la psychologie sociale du Processus groupal (PICHON-RIVIERE, 2004) ainsi que l'article de ROSA JAITIN (2002). Référentiel : Le schéma «…est référentiel au sens où nous l'utilisons pour faire porter une discrimination sur quelque chose par rapport au schéma intérieur, en même temps sur le schéma référentiel lui-même. Nous devons toujours soumettre à discrimination l'objet de connaissance et le schéma de connaissance antérieur avec lequel nous avons considéré cette connaissance, c'est-à-dire la connaissance actuelle. Ce serait là le processus permanent de la psyché relativement à quelque problème que ce soit. ». (PICHON-RIVIERE, 2004b). Nous trouvons ici aspect primordial du SCRO pichonien : la dialectique constante et inévitable entre l'univers des représentations mentales et le monde réel… Le caractère référentiel de ce schéma est particulièrement important pour PICHON. Il se méfie des connaissances acquises, souvent dans le but inconscient de se constituer un rempart de connaissances théoriques non référentielles et non opératives, pour se protéger du contact avec la réalité, facilitant ainsi une vigoureuse résistance au changement ! Un des aspects les plus innovants de la pensée de PICHON est constitué par l'utilisation de ce qu'il nomme une « interscience » concept que nous avons déjà rencontré ci-dessus. Pour aborder un problème, une situation, il n'hésite pas à faire appel à des approches scientifiques multiples et parfois contradictoires (psychanalyse, diverses formes de psychologie, sociologie, art militaire, etc.). Cette approche permet de « débloquer » bien des situations qu'une approche unilatérale tendrait à montrer comme étant irrésoluble ou incompréhensible. Pour que cette approche se montre efficace, et ne se dissolve pas en « n'importe quoi », il est nécessaire de savoir, à un instant donné, la nature exacte du schéma conceptuel utilisé. Imaginons que nous utilisons simultanément une approche de psychologie expérimentale et une approche de psychologie analytique : « Nous pouvons appliquer aux […] situations une quantité de connaissances acquises dans les deux champs. Et faire que ces deux champs, même s'ils présentent des différences, aient aussi des analogies. Et que les informations recueillies dans l'un puissent être mises à profit dans le champ de l'autre, en veillant à ce que la réduction d'un champ à l'autre ne soit pas automatique mais référentielle. Autrement dit, ce qu'un champ nous dit devient comme un contenu manifeste pour le contenu latent de l'autre, jusqu'à ce que la psychologie expérimentale et la psychologie analytique soient tellement proches que le langage de l'un et le langage de l'autre ne fassent plus qu'un. ». (PICHON-RIVIERE, 2004b). ROSA JAITIN insiste sur l'aspect groupal du « référentiel » : « Le « référentiel » renvoie au « schéma de référence » de chaque sujet créé par son appartenance à d’autres groupes. » (JAITIN, 2002). Opérationnel : « L’« opérationnel » correspond à l’ensemble des actes comme moyens nécessaires pour obtenir un résultat. » (JAITIN, 2002). G. ADAMSON (2) insiste sur l'aspect planifié de ces actes : « Le critère d'opérativité est conçu comme une production planifiée de changements en relation avec les objectifs attendus. ». A ce niveau, nous rencontrons le modèle du cône inversé (spirale dialectique) de PICHONRIVIERE que nous ne traiterons pas dans ce texte mais que l'on peut étudier avec profit chez PICHON (2004, 2004b) ou JAITIN (2002). Dans ce modèle, la fin du processus de changement (apprentissage, soin, etc.) se remarque par l'existence de craintes fondamentales maximales (peur de la perte et peur 4 de l'attaque) ainsi que par l'apparition d'un projet se caractérisant par une planification impliquant logistique, stratégie, tactique et technique. « Nous nous sommes toujours efforcés de montrer que, d'une certaine façon, en psychanalyse, la théorie et la pratique sont unies dans une interaction permanente, par l'effet d'un processus en spirale dialectique. C'est-à-dire que théorie et pratique vont se fondre dans le champ de l'investigation, quelle qu'elle soit, dans le temps même du travail opérationnel. » (PICHONRIVIERE, 2004b). En résumé, l'aspect « opératif » (operativo) revendiqué par Pichon constitue la caractéristique la plus révolutionnaire du SCRO pour un formateur. Lors d’un apprentissage opératif, l'apprenant (le groupe) est modifié par ce qu'il a appris et il est capable de modifier son environnement. Mais, pour le formateur, les aspects conceptuels et référentiels sont tout aussi fondamentaux : « La systématisation conceptuelle du SCRO, sa construction logique, le rend compréhensible et transmissible. Sans une telle systématisation, il ne répondrait pas aux exigences de base de toute discipline scientifique. Cette exigence : être fondé et pouvoir être vérifié dans la réalité, E. PICHON-RIVIERE la conçoit comme un critère d'opérativité. Le critère de vérité est l'opérativité : « nous ne nous intéressons pas seulement au fait que l'interprétation soit exacte, mais nous sommes surtout préoccupés par son adéquation en termes d'action. » (ADAMSON 2). JOSE BLEGER nous précise ce que l'on peut entendre par apprentissage opératif : « L'apprentissage est la modification des schémas plus ou moins stables des modèles de comportement, ce qui signifie tous les changements de comportement des êtres humains, en entendant par comportement : toutes les modifications de l'être humain, quel que soit le domaine où elles apparaissent. Dans ce sens, l'apprentissage peut se produire même sans formulation intellectuelle de celui-ci. On peut également avoir une compréhension intellectuelle, comme une formule, mais quand cela se réduit à cela, dans ce cas, il se produit une dissociation dans l'apprentissage, résultat très commun dans ce genre de procédures d'apprentissage. La technique opérative implique, par conséquent, une véritable conception de l'ensemble du processus, cette conception est instrumentalisée par la technique qui, à son tour, est enrichie par les résultats de la mise en œuvre de cette dernière. Nous tendons à ce que toute information soit incorporée ou assimilée comme outil pour changer l'apprentissage, devenir créatif et résoudre les problèmes du domaine scientifique que l'on traite. » (BLEGER J., 1986). 3. Le SCRO, un système ouvert… ou l'« implacable inter-jeu de l'homme et du monde…» (Pichon-Rivière) « E. PICHON RIVIERE a conçu son SCRO comme un système ouvert qui produit, au travers de la praxis, un possible processus de ratification et de rectification du schéma conceptuel. A partir de cette praxis, il se produit, « une continuelle réalimentation de la théorie au travers de sa confrontation avec la pratique ». Il nomme cela « attitude autocritique », laquelle implique une possibilité de réflexivité comme attitude scientifique. » (ADAMSON, 2). Plus, c'est le sujet lui-même qui est, lorsqu'il fonctionne normalement dans le monde, un système ouvert : « Selon PICHON RIVIERE, le sujet est le résultat de l’interaction entre le monde interne (intrasystémique) et le monde extérieur (intersystémique). » (JAITIN,2002). Mais plus encore : « Quand E. PICHON-RIVIERE pense le sujet, c'est en termes de « système ouvert » (en toute rigueur, il n'y a rien qui ne soit pensé par lui autrement qu'en termes de système ouvert : l'individu, les groupes, les institutions, la société, le SCRO). En ce qui concerne le sujet, il ne le traite pas comme un système autonome en soi, mais comme un système incomplet « qui fait système avec le monde.» (ADAMSON, 1). Dans un système ouvert complexe, qu'ADAMSON compare aux structures dissipatives, d'ILLYA PRIGOGINE, tout changement, par exemple dû à un apprentissage, se traduit par une autoréorganisation dont le résultat n'est pas ou très difficilement prévisible. Pour le formateur, cela se traduit par une grande difficulté à prévoir si les changements apportés au SCRO, à tous les niveaux, conscients ou inconscients, rationnels ou irrationnels, sont bien ceux qu'il prévoyait y apporter. 5 Cette constatation implique qu'une formation doit elle aussi être considérée comme un système ouvert, sujet à de multiples rétroactions et corrections. PICHON-RIVIERE avait, en partie, résolu cette difficulté avec son processus de formation en spirale dialectique, que l'on peut grossièrement résumer par la séquence : Formation → changement → (évaluation) groupe opératif → formation tenant compte des observations faites lors du groupe opératif → changement → etc. et ceci jusqu'à l'obtention d'un changement maximal souhaité par le formateur et tolérable par le groupe (consulter JAITIN R., 2002). 3.1 Un modèle ? « Nous pouvons dire que le SCRO est un modèle. Le modèle scientifique a été défini comme une simplification - ou approximation - des faits naturels étudiés, qui, par sa construction logique, enrichit la compréhension de ces faits ; le modèle est donc un instrument qui, par analogie, nous permet de comprendre certaines réalités. Autrement dit, le modèle est un instrument d'appréhension de la réalité. » (PICHON-RIVIERE, 2004). 3.2 Praxis « D'où sa valorisation de la praxis. La praxis est ce qui permet à son SCRO de rester un système ouvert à des ratifications et rectifications progressives. La praxis est ce qui valide le modèle théorique. Il soutient que la praxis est ce qui permet d'ajuster le modèle théorique, le cadre conceptuel à la réalité. E. PICHON-RIVIERE dit : la praxis « introduit l'intelligibilité dialectique dans les relations sociales et rétablit la coïncidence entre représentations et réalité. ». (ADAMSON,1). « E. PICHON RIVIERE a conçu son SCRO comme un système ouvert qui produit, au travers de la praxis, un possible processus de ratification et de rectification du schéma conceptuel. A partir de cette praxis, il se produit, « une continuelle réalimentation de la théorie au travers de sa confrontation avec la pratique ». Il nomme cela « attitude autocritique », laquelle implique une possibilité de réflexivité comme attitude scientifique. » (ADAMSON, 2). La praxis est un outil fondamental pour le formateur. Quel formateur peut affirmer ne pas avoir rencontré dans ses groupes ou entre lui et ses groupes, la guerre éternelle entre « ces ☠ de ☹! de ✞ foutu coupeur de cheveux en quatre !!! » (théorie) et « ces ☠ de ☹! de ✞ gros nuls à front bas !!! » (pratique). Si l'on parvient à faire comprendre que chaque camp a sa légitimité laquelle ne diffère que par le critère de vérité utilisé et qu'il existe une troisième voie entre poièsis et pratique, empruntant à l'une et à l'autre : la praxis. Elle doit être vue comme une pratique judicieusement théorisée telle que : son utilisateur sait faire et il sait pourquoi il le fait. Il sait s’appuyer sur des éléments théoriques judicieusement choisis pour leur efficacité. Avec comme critère de vérité :…est-ce que ça marche ? Alors l'éternel conflit se dissipe comme par magie ! Tout le travail du formateur devrait consister à réussir à faire accéder ses apprenants à la praxis sans tomber dans le piège du « tu fais comme ça ! » ou la noyade dans une théorie inaccessible. Cependant, il faut savoir qu'élaborer une didactique centrée sur la praxis peut prendre énormément de temps, souvent autant qu'il en a fallu pour arriver à une « bonne pratique » ou pour élaborer une théorie qui tienne la route. 6 3.3 Craintes fondamentales… « E. PICHON-RIVIERE montre que la peur de la perte du savoir déjà acquis provoque un clivage et l’échec du schéma référentiel dans la résolution des questions posées par les nouvelles informations reçues. Cette perte des repères entraîne un trouble identitaire chez le sujet épistémique. Dans ces conditions, l’objet épistémique est vécu comme menaçant, provoque un sentiment d’étrangeté et une crainte d’être attaqué. » (JAITIN, 2002). Si l'obstacle épistémologique (travail sur les représentations ou conceptions initiales) est connu, l'obstacle épistémophilique l'est moins. Ce trouble au « rapport au savoir » peut remonter à des causes situées dans la petite enfance du sujet, sa culture, sa famille, jusqu'au transgénérationnel. 3.4 Dialectique L'approche dialectique de la réalité est essentielle pour PICHON-RIVIERE et va jusqu'à définir la santé mentale elle-même. Comme le dit R. JAITIN : « Le sujet est sain dans la mesure où il a une relation dialectique au milieu et non pas une relation passive, rigide et stéréotypée. La santé mentale est un apprentissage de la réalité par l’intermédiaire de l’affrontement, du maniement et de la résolution intégrative des conflits. » (JAITIN, 2002). Pour le formateur, la dialectique est souvent comprise comme forme de dialogue, illustrée avec de vieux souvenirs de « dissertation ». Pourtant, l'approche dialectique classique est fondamentalement différente de la critique rationnelle prônée par ARISTOTE, aujourd'hui hégémonique dans notre société moderne. Pour ARISTOTE, l'un a raison, l'autre a tort, « tertio non datur », il n'y a pas de troisième terme. Il n'y a pas de dialogue non plus, l'un sait, l'autre ne sait pas. C'est l'approche de BACHELARD quand il veut « jeter au dehors » les représentations non scientifiques. Se rendre compte que ses représentations mentales sont inadéquates peut être vécu comme une attaque ou comme une défaite. Il y a un gagnant et un perdant. En appliquant les règles de la dialectique, ce n'est que lorsqu'un des adversaires (car c'est bien d'un combat entre intelligences dont il s'agit) se prend à défendre les arguments de l'autre qu'il est amené à reconnaître avoir tort. Il est enrichi par sa défaite. Mais, plus encore, lorsque les deux adversaires en viennent à transcender le problème et à construire ensemble une solution de niveau supérieur, les deux sont enrichis. Bref, comme on dit en novlangue : win-win. 3.5 Evaluation Il est nécessaire d'évaluer la modification du SCRO après un apprentissage opératif. PICHON RIVIERE, dit « La construction d'un SCRO nous oblige à définir le champ d'action et la méthodologie ainsi qu'à une évaluation de l'opération.». Les critères d'évaluation doivent êtres établis en fonction de la réalisation des objectifs proposés, en relation avec la possibilité de réaliser une adaptation vue comme : « la possibilité de promouvoir une modification créative et une adaptation active à la réalité. » (ADAMSON, 2). « L'aspect créatif du groupe est un facteur d'évaluation qui ne doit pas être négligé, puisque nous le considérons comme l'indice le plus significatif de l'opérativité du groupe. Celle-ci existe dans la mesure où s'affrontent des tâches nouvelles, avec des techniques nouvelles, le groupe devenant plastique (non stéréotypé), cohérent et opérationnel. Le fait que le groupe opère avec une pensée créative montre qu'il est devenu fonctionnel. Il apparaît alors comme un fait objectif que la tâche menée en commun est d'un rendement supérieur. La productivité prend les caractéristiques d'une progression géométrique et non plus arithmétique. » (PICHON-RIVIERE, 2004). Le problème d'une évaluation opérative des modifications du SCRO tant individuel que groupal reste entier, PICHON la pratiquait surtout à l'aide de « grupo opérativo » sans négliger les évaluations sommatives et normatives institutionnelles. Une piste a été ouverte dans les années 80 avec les recherches sur l'évaluation « formatrice » (NUNZIATI G., 1990), mais il me semble que la praxis d'une telle évaluation reste à construire (quelques éléments de cette praxis dans Zimmermann-Asta, 2015). 7 3.6 En résumé, les principales caractéristiques du SCRO Le SCRO est un modèle de la façon dont l'être humain en situation pense et agit. Ce modèle est un modèle systémique (système ouvert assimilable à une « structure dissipative »). Cela signifie qu'utilisant la richesse de ses structures internes et soumis aux flux d'information et d'énergie de l'extérieur, l'être humain, son SCRO, le groupe son SCRO, etc. va s'auto-organiser, va construire un ordre à partir de désordre et d'énergie. Si un tel système est perturbé, de l'intérieur et/ou de l'extérieur, par exemple par une formation, il va s'auto-réorganiser d'une façon plus ou moins prévisible. 4. Le SCRO, outil pour le formateur Tenir compte du SCRO pour construire une formation implique d'envisager trois phases : a) avant la formation, préparer la tâche explicite de formation à partir du SCRO du formateur ou du groupe de formateur. b) Pendant la formation, connaître et prendre en compte le SCRO des participants ou du groupe de façon à pouvoir le transformer. c) Après la formation, évaluer la transformation du SCRO, aussi bien celui de l'apprenant (du groupe d'apprenant) que celui du formateur (du groupe de formateurs). a) Avant la formation Construire une formation n'est pas « transmettre » un savoir neutre et objectif. Le « savoir » va contenir toute la « verticalité » du formateur (ou des membres du groupe de formateurs). Par verticalité, PICHON-RIVIERE entend sa personnalité, son histoire bref, sa vie. Même si la tâche explicite consiste à proposer un savoir aussi peu « passionnel » que « les techniques stérilisation en milieu hospitalier » ou la comptabilité, ce savoir correspond à une part du SCRO du formateur. Interroger le SCRO consiste à savoir précisément et consciemment ce qui va être proposé aux apprenants. En premier lieu, quel schéma conceptuel personnel sous-tend précisément les notions à présenter. Ce schéma conceptuel est-il compatible avec les attentes des diverses institutions qui sont parties prenantes à la formation ? Est-il en adéquation avec les dernières règles de l'art, avec les connaissances scientifiques ? Les possibles différences constatées sont-elles assumées par le formateur ? Quelles sont les références qui sous-tendent ce schéma ? Sont-elles accessibles ? Faut-il les fournir aux apprenants ? En prenant le mot « référentiel » dans une autre acception, parmi les notions que je me propose de présenter aux apprenants lesquelles constituent vraiment une référence pour moi ? Et parmi les autres, celles qui ne constituent pas une référence pour moi, pourquoi avoir choisi de les présenter ? Enfin, pour moi, parmi les notions proposées, lesquelles sont vraiment opérationnelles ? Et les autres, pourquoi ne le sont-elles pas ? Etc… Est-ce tout ? Non, il faut aussi s'interroger sur le SCRO des apprenants qui me sont confiés… Pas toujours facile, la liste des participants, leurs diplômes, leur situation sociale, leur institution professionnelle, etc. est susceptible de fournir quelques informations. Pour une formation courte, il s'agit souvent des seules informations disponibles. Pour une formation plus longue, il est possible d'envisager, à l'avance, un dispositif susceptible de donner au formateur les indications nécessaires sur le SCRO des participants, sur les craintes plus ou moins inconscientes qu'ils apportent au dispositif de formation. (Cf. modèle de la spirale dialectique de PICHON-RIVIERE). Il sera donc nécessaire de « penser » et de préparer ces dispositifs (rencontre préalable, questionnaire, « mise en commun », « grupo operativo », tour de table, etc.). Ce n'est qu'à partir de ces hypothèses sur le SCRO des participants et sur les modifications opératives que la formation est censée opérer qu'il est possible de réfléchir à la didactique à utiliser. Quel type de dialectique envisager, quelle praxis construire pour modifier les SCRO des participants comme celui du groupe, de façon opérative, en minorant les angoisses que provoquent toujours les changements ? 8 Ce n'est qu'une fois toutes ces interrogations terminées, qu'il sera vraiment possible de s'attaquer à la réalisation technique de la formation et des supports de cours… b) Pendant la formation… Pendant la formation, qu'elle soit courte ou longue, l'attention doit aussi se porter sur les modifications du S. du C. du R. et du O. des participants. Trop de formations se contentent de créer, sans trop de douleurs, un schéma conceptuel relativement adéquat, suffisant toutefois pour passer des examens ! D'autres formations sont opératives, les participants « savent faire », mais sans disposer de schéma conceptuel et référentiel approprié, se privant ainsi de précieux outils pour agir sur la réalité. Les outils cités au paragraphe suivant peuvent permettre, si la durée de la formation l'autorise, d'observer les changements en cours. c) Après la formation… Après la formation, il reste à vérifier les modifications effectives du SCRO des apprenants. PICHON-RIVIERE a donné quelques pistes pour évaluer le résultat d'une transformation, on peut les rappeler ici bien que cela ne puisse remplacer un dispositif d'évaluation plus sophistiqué, par exemple une « évaluation formatrice » ou une « évaluation autonomisante » (Zimmermann-Asta, 2015) Un processus de changement réussi voit le groupe construire des projets, développer sa créativité à partir des éléments de la formation. Les tâches sont conduites de façon rationnelle en développant une planification impliquant logistique, stratégie, tactique et technique. Un élément à ne pas négliger : quels sont les changements produits dans le SCRO du formateur (de l'équipe de formation) ? Quel effet ces changements peuvent-ils produire dans les formations futures ? Est-il possible de conceptualiser ces changements ? 5. Conclusion Le SCRO nous semble un outil précieux pour les formateurs, mais aujourd'hui, il demande encore à être pensé et expérimenté. Il est évident que la praxis du SCRO pour la formation n'a pas encore été suffisamment développée et, comme je l'ai affirmé au dessus, penser et produire une praxis prend beaucoup de temps. CEFRA 2015 Jean-Luc Zimmermann * Toutes les italiques sont du rédacteur de ce texte. Bibliographie ADAMSON G., (1) El ECRO de Enrique Pichón Riviere, (2) Epistemología del ECRO de Enrique Pichon Riviere, Copyright © 2004 - 2010 . Escuela de Psicología Social del Sur. Disponible sur : http://www.psicosocialdelsur.com.ar/2010/pages/textos_gladys_adamson.html BLEGER, J., (1986), Grupos operativos en la enseñanza, Temas de Psicología (Entrevista y grupos), Nueva Visión, Buenos Aires. 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