SCRO outil pour la formation 2015

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Le SCRO d'ENRIQUE PICHON-RIVIERE :
un outil pour la formation
1. Introduction
Utilisant depuis plusieurs années les apports puissants d'E. PICHON-RIVIERE dans le domaine
de la formation (praxis, dialectique, interscience, cône inversé, grupo operativo, etc.), j'ai remarqué
que j'avais longtemps tenu à distance son concept de « SCRO ». Ce sont les membres d'un groupe
de formation qui m'ont permis d'en prendre conscience « mais enfin, comment peux-tu parler du
cône inversé sans utiliser le SCRO !». Pourtant, quand je les interrogeais sur l'évidence du concept
de SCRO dans le modèle pichonien, leurs réponses du style : « le SCRO… ben… c'est le SCRO
quand même !» n'ont pas dissipé mes doutes.
Ces interrogations m'ont conduit à tenter de répondre à deux questions : a) pourquoi cette
mise à distance du SCRO et b) le SCRO, précisément c'est…?
1.1 Représentations, conceptions, Vorstellung, idées,
images mentales, etc…
Ce n'est qu'après avoir répondu à la seconde question que la réponse à la première me parut
évidente. Si je n'ai pas investi immédiatement le SCRO, c'est que je disposais d'un jeu de concepts
proches (représentation, conception, « image » mentale, idée, etc.), lesquels forment le « fond de
commerce » de tout formateur en science de l'éducation. De plus, l'utilisation de ces concepts, loin
de former un ensemble dont la praxis favorise la résolution des problèmes posés par la formation,
constitue en elle même un problème !
Si l'on se penche sur le mot « représentation », on trouve autant de sens que d'auteurs. Sans
même remonter à PLATON et sa caverne, si l'on s'intéresse à SCHOPENHAUER (Le Monde comme
volonté et comme représentation) ou FREUD (aspect « évocation » vs aspect « pulsion ») ou encore
BACHELARD (La formation de l'esprit scientifique) avec sa réinterprétation freudo-jungienne de la
psychanalyse, on voit qu'il est difficile de se faire une idée relativement claire et simple de la notion
de « représentation », sans même envisager les conceptions de J. PIAGET, M. KLEIN, W. R. BION,
etc ! Pour tout arranger, le mot « représentation » n'a qu'un rapport relativement lointain avec
« Vorstellung », utilisé par SCHOPENHAUER et FREUD, ce qui oblige les traducteurs à de multiples
contorsions sémantiques !
Pour tenter de palier ces difficultés, A. GIORDAN a développé la notion de « conception »,
dont le domaine de validité est volontairement limité au cadre scolaire et, en particulier, à
l'enseignement scientifique. Il l'envisage comme une fonction reliant problème – cadre de référence
– opérations mentales – réseau sémantique – signifiants, fonction en partie inconsciente
(inconscient cognitif piagétien) (A. GIORDAN, G. DE VECCHI, 1987).
Plus tard, il ajoutera : « La conception d'un apprenant n'est pas « juste » ou « fausse ». Ni
« conforme » ou « inadéquate ». Elle est seulement « opératoire » ou « inefficiente ». Plus loin, il
ajoute que : «…l'idée de conception a besoin d'être relativisée, sous peine de rassir en dogme
stérile. » (A. GIORDAN, 1998).
1.2 Un SCRO complexe
En effet, il est vain de chercher, chez un quelconque de ces auteurs, quelque chose comme :
la (représentation – conception – etc.) c'est… suivi d'une définition concise, exacte, précise et
définitive. GLADYS ADAMSON dans son article Epistemología del ECRO de Enrique Pichon Riviere
(Epistémologie du SCRO d'Enrique Pichon-Rivière) souligne que le SCRO fait définitivement
partie de ces notions qu'une épistémologie contemporaine qualifie comme appartenant au champ de
la « complexité ». Elle ajoute que «…les épistémologues ne nient pas que le but de toute science
soit une recherche causale et l'obtention de prévisions sur les phénomènes mais à partir d'une
1
épistémologie contemporaine qui souligne que la science est avant tout un savoir critique, conscient
de son caractère provisoire et qui doit renoncer à toute idée de certitude.».
Un concept « complexe » est assez semblable à ces belles images de structures fractales qui,
vue de loin, laissent penser qu'il est possible de les décrire facilement, comme le SCRO quand
PICHON le définit en ces quelques mots : « Le SCRO est un ensemble organisé de notions et de
concepts généraux, théoriques, se rapportant à un secteur du réel, à un univers du discours, qui
permet une approche instrumentale de l'objet particulier concret. Ce SCRO, ainsi que la didactique
qui le véhicule, sont fondés sur la méthode dialectique. » (PICHON-RIVIERE, 2004) ou encore plus
simplement : « le schéma référentiel comme ensemble d’expériences, de connaissances et d’affects,
avec lequel l’individu pense et agit » (PICHON-RIVIERE in JAITIN R. (2002)). Dans ce même article,
se basant sur un texte de PICHON (2004) : Une théorie de la maladie, l'auteure en fait même une
base de la pensée scientifique : «…le SCRO devient le système d’idées avec lequel un scientifique
se dispose à affronter une tâche, dans le cadre de sa discipline ou de n’importe quelle autre
discipline. Ainsi, l’accent est mis sur le traitement de la tâche, élément manifeste pour pouvoir
mettre en œuvre un processus où l’affectif se lie à ce qui est pensé, puis est verbalisé et mis en
acte. ».
Si l'on « s'approche » du concept, pour l'observer plus précisément, il se produit le
phénomène que l'on peut constater en regardant de près les images de figures « complexes », le
détail contient autant d'information que la vue générale et ceci, sans fin… Cette particularité se
nomme « invariance d'échelle ». Il faut donc renoncer à donner une explication exhaustive d'une
« conception », d'une « représentation » mais aussi bien du SCRO !
Dans Apprendre !, A. GIORDAN, pour surmonter ce dilemme, propose plutôt de dresser le
« portrait » d'une conception. Nous allons donc tenter de dresser le portrait du SCRO pichonien.
2. Portrait du SCRO
2.1 Technique du portrait
Pour aborder un élément complexe comme celui-ci, la technique choisie consiste à choisir
un certain nombre de propositions types sur le SCRO, puis à analyser plus en profondeur, « en
zoom avant », les éléments qui les composent.
2.2 Le S.C.R.O. c'est…
D'abord, en observant l'objet d'assez loin, étudions en simplement la dénomination. Le
S.C.R.O. (ECRO, en espagnol) est l'acronyme de Schéma Conceptuel Référentiel et Opérationnel*.
Que nous dit le dictionnaire Robert® pour les éléments de cet acronyme ?
Schéma : Description ou représentation mentale; structure du déroulement (d'un processus).
Abrégé, canevas, ébauche, esquisse, pattern, schème…
Conceptuel : Qui procède par concepts. Et pour concept : Acte de pensée aboutissant à une
représentation générale et abstraite.
Référentiel : nous choisirons la définition que le Robert® propose pour son usage en didactique :
Système de référence servant de « médiation entre les horizons de la subjectivité et ceux de
l'objectivité » (Gonseth).
Opérationnel : (ou opératif selon les traductions) : qui sont à l'origine des actes.
Cette observation en « grand angle » nous montre quand même le SCRO comme quelque
chose qui part des « représentations mentales », passe par des « actes de pensée », se poursuit par
une sorte de dialectique entre subjectivité et objectivité et, ce qui fait son originalité, se termine par
des actes !
2
2.3 Que disent les auteurs pour S.C.R.O. ?
Schéma : « Ainsi que nous l'avons dit, S désigne « schéma », qu'il faut comprendre
comme un ensemble articulé de connaissances. Nous entendons par schéma conceptuel un système
d'idées qui présentent un haut niveau de généralisation. Il s'agit de synthèses plus ou moins
générales, de propositions qui établissent les conditions de relations des phénomènes empiriques.
C'est un ensemble de connaissances qui propose des lignes de travail et d'investigation.
L'investigation psychologique, comme n'importe quel type de tâche scientifique, serait, sans un
système conceptuel adéquat, aveugle et infructueuse.» (PICHON-RIVIERE, 2004). Il ajoute : « Le mot
« schéma » a une fâcheuse connotation, celle d'être rigide, « schématiser » vient de « fixer ». Le
schéma est le produit d'une abstraction, il évoque le squelette d'une connaissance ou d'un modèle de
conduite quelconque. Lorsque ce schéma est mal utilisé, il peut se transformer en quelque chose de
rigide. » (PICHON-RIVIERE, 2004b). Dans le même ouvrage : « Lorsque nous approchons un patient,
nous le faisons avec un schéma de référence au moyen duquel nous essayons de comprendre ce qui
se passe en lui, mais il faut pour cela que ce schéma soit dynamique. ». ROSA JAITIN (2002) ajoute :
« En tant que « squelette de la connaissance », le « schéma » renvoie à l’ensemble des
connaissances utilisées pour une opération déterminée, et les interactions entre les participants au
sein du « groupe de travail » permettent à chacun de prendre conscience des autres schémas
existants pour lire la réalité et modifier le sien. Le « schéma » est aussi une construction commune
aux membres du groupe. ». Donc, il existe un SCRO groupal comme un SCRO individuel.
Conceptuel : Pour PICHON, le schéma «…est conceptuel, au sens où il inclut tous les
concepts contenus dans une structure qui présente un aspect conscient et un aspect inconscient, qui
va se modifier avec le cours du temps et avec l'avancée des connaissances et de l'expérience. Nous
devons adjoindre à la théorie de la connaissance une position dialectique, au sens où ce qui est
appréhendé à un moment donné par quelqu'un qui a une expérience préalable, va modifier la dite
expérience et s'intégrer ensuite de telle façon que, dans l'expérience suivante, l'expérience antérieure
enrichit l'expérience ultérieure. ». Concernant l'aspect conceptuel du sujet, il ajoute : « Tout schéma
conceptuel, référentiel et opératoire présente un aspect superstructural et un aspect infrastructural.
Le « superstructural » est constitué par les éléments conceptuels et 1'« infrastructural » par les
éléments émotionnels, motivationnels (ce que nous appellerions la « verticalité » du sujet), ces
éléments provenant de sa propre expérience de vie et déterminant sa façon d'aborder la réalité »
(PICHON-RIVIERE, 2004b).
Ce que ROSA JAITIN (2002) complète, concernant l'aspect groupal par : « Le « conceptuel »
désigne l’ensemble des concepts élaborés en groupe pour devenir ensuite des concepts
opérationnels et fonctionnels. ». GLADYS ADAMSON insiste sur l'aspect « interscience » (cf. cidessous) du SCRO : « Le SCRO pichonien s'appuie sur trois grands champs disciplinaires qui sont
les Sciences Sociales, la Psychanalyse et la Psychologie Sociale. Ces trois disciplines en constituent
les fondements macro conceptuels ».
Il est nécessaire de préciser le sens pichonien de « Psychologie Sociale » : « La psychologie
sociale que nous visons s'inscrit dans une critique de la vie quotidienne. Ce que nous abordons c'est
l'homme immergé dans ses relations quotidiennes. Notre conscience de ces relations perd son
caractère trivial dans la mesure où l'instrument théorique et sa méthodologie nous permettent de
rechercher la genèse des faits sociaux. » et : « La psychologie sociale, comme discipline et comme
outillage technique, fournit les instruments nécessaires à l'approche, à la recherche, au diagnostic, à
la planification et à l'opération dans les différents domaines où se déroulent des processus
d'interaction. Ces domaines - groupal, institutionnel et communautaire - peuvent être abordés à
partir d'un schéma conceptuel commun, mais ils présentent des variables spécifiques qui requièrent
un maniement technique différencié. » (PICHON-RIVIERE, 2004).
ROSA JAITIN, citant PICHON, insiste sur l'aspect « interscience » de sa psychologie sociale :
« Le problème pour lui, c’est la dispersion des sciences de l’homme dans des voies
méthodologiques et conceptuelles les plus diverses. Dans sa préoccupation de faire converger en un
3
seul champ ces divergences, il dit : « La psychologie sociale que nous préconisons tend vers une
vision intégrative de l’homme en situation, objet d’une science unique ou interscience, placée dans
un contexte historique et social déterminé. On atteint une telle vision par une épistémologie
convergente dans laquelle toutes les sciences de l’homme fonctionnent comme une unité
opérationnelle, enrichissant autant l’objet de la connaissance que les techniques destinées à
l’aborder. »» (JAITIN, 2002).
La psychologie sociale pichonienne s'est instituée dans la Primera Escuela Privada de
psicologia social fondée par PICHON-RIVIERE et qui existe toujours à Buenos Aires. A ce sujet, on
peut lire avec intérêt le chapitre Contributions à la didactique de la psychologie sociale du
Processus groupal (PICHON-RIVIERE, 2004) ainsi que l'article de ROSA JAITIN (2002).
Référentiel : Le schéma «…est référentiel au sens où nous l'utilisons pour faire porter
une discrimination sur quelque chose par rapport au schéma intérieur, en même temps sur le schéma
référentiel lui-même. Nous devons toujours soumettre à discrimination l'objet de connaissance et le
schéma de connaissance antérieur avec lequel nous avons considéré cette connaissance, c'est-à-dire
la connaissance actuelle. Ce serait là le processus permanent de la psyché relativement à quelque
problème que ce soit. ». (PICHON-RIVIERE, 2004b). Nous trouvons ici aspect primordial du SCRO
pichonien : la dialectique constante et inévitable entre l'univers des représentations mentales et le
monde réel…
Le caractère référentiel de ce schéma est particulièrement important pour PICHON. Il se
méfie des connaissances acquises, souvent dans le but inconscient de se constituer un rempart de
connaissances théoriques non référentielles et non opératives, pour se protéger du contact avec la
réalité, facilitant ainsi une vigoureuse résistance au changement !
Un des aspects les plus innovants de la pensée de PICHON est constitué par l'utilisation de ce
qu'il nomme une « interscience » concept que nous avons déjà rencontré ci-dessus. Pour aborder un
problème, une situation, il n'hésite pas à faire appel à des approches scientifiques multiples et
parfois contradictoires (psychanalyse, diverses formes de psychologie, sociologie, art militaire,
etc.). Cette approche permet de « débloquer » bien des situations qu'une approche unilatérale
tendrait à montrer comme étant irrésoluble ou incompréhensible. Pour que cette approche se montre
efficace, et ne se dissolve pas en « n'importe quoi », il est nécessaire de savoir, à un instant donné,
la nature exacte du schéma conceptuel utilisé. Imaginons que nous utilisons simultanément une
approche de psychologie expérimentale et une approche de psychologie analytique : « Nous
pouvons appliquer aux […] situations une quantité de connaissances acquises dans les deux
champs. Et faire que ces deux champs, même s'ils présentent des différences, aient aussi des
analogies. Et que les informations recueillies dans l'un puissent être mises à profit dans le champ de
l'autre, en veillant à ce que la réduction d'un champ à l'autre ne soit pas automatique mais
référentielle. Autrement dit, ce qu'un champ nous dit devient comme un contenu manifeste pour le
contenu latent de l'autre, jusqu'à ce que la psychologie expérimentale et la psychologie analytique
soient tellement proches que le langage de l'un et le langage de l'autre ne fassent plus qu'un. ».
(PICHON-RIVIERE, 2004b).
ROSA JAITIN insiste sur l'aspect groupal du « référentiel » : « Le « référentiel » renvoie au
« schéma de référence » de chaque sujet créé par son appartenance à d’autres groupes. » (JAITIN,
2002).
Opérationnel : « L’« opérationnel » correspond à l’ensemble des actes comme moyens
nécessaires pour obtenir un résultat. » (JAITIN, 2002). G. ADAMSON (2) insiste sur l'aspect planifié
de ces actes : « Le critère d'opérativité est conçu comme une production planifiée de changements
en relation avec les objectifs attendus. ».
A ce niveau, nous rencontrons le modèle du cône inversé (spirale dialectique) de PICHONRIVIERE que nous ne traiterons pas dans ce texte mais que l'on peut étudier avec profit chez PICHON
(2004, 2004b) ou JAITIN (2002). Dans ce modèle, la fin du processus de changement (apprentissage,
soin, etc.) se remarque par l'existence de craintes fondamentales maximales (peur de la perte et peur
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de l'attaque) ainsi que par l'apparition d'un projet se caractérisant par une planification impliquant
logistique, stratégie, tactique et technique.
« Nous nous sommes toujours efforcés de montrer que, d'une certaine façon, en
psychanalyse, la théorie et la pratique sont unies dans une interaction permanente, par l'effet d'un
processus en spirale dialectique. C'est-à-dire que théorie et pratique vont se fondre dans le champ
de l'investigation, quelle qu'elle soit, dans le temps même du travail opérationnel. » (PICHONRIVIERE, 2004b).
En résumé, l'aspect « opératif » (operativo) revendiqué par Pichon constitue la
caractéristique la plus révolutionnaire du SCRO pour un formateur. Lors d’un apprentissage
opératif, l'apprenant (le groupe) est modifié par ce qu'il a appris et il est capable de modifier son
environnement. Mais, pour le formateur, les aspects conceptuels et référentiels sont tout aussi
fondamentaux : « La systématisation conceptuelle du SCRO, sa construction logique, le rend
compréhensible et transmissible. Sans une telle systématisation, il ne répondrait pas aux exigences
de base de toute discipline scientifique. Cette exigence : être fondé et pouvoir être vérifié dans la
réalité, E. PICHON-RIVIERE la conçoit comme un critère d'opérativité. Le critère de vérité est
l'opérativité : « nous ne nous intéressons pas seulement au fait que l'interprétation soit exacte, mais
nous sommes surtout préoccupés par son adéquation en termes d'action. » (ADAMSON 2).
JOSE BLEGER nous précise ce que l'on peut entendre par apprentissage opératif :
« L'apprentissage est la modification des schémas plus ou moins stables des modèles de
comportement, ce qui signifie tous les changements de comportement des êtres humains, en
entendant par comportement : toutes les modifications de l'être humain, quel que soit le domaine où
elles apparaissent. Dans ce sens, l'apprentissage peut se produire même sans formulation
intellectuelle de celui-ci. On peut également avoir une compréhension intellectuelle, comme une
formule, mais quand cela se réduit à cela, dans ce cas, il se produit une dissociation dans
l'apprentissage, résultat très commun dans ce genre de procédures d'apprentissage. La technique
opérative implique, par conséquent, une véritable conception de l'ensemble du processus, cette
conception est instrumentalisée par la technique qui, à son tour, est enrichie par les résultats de la
mise en œuvre de cette dernière. Nous tendons à ce que toute information soit incorporée ou
assimilée comme outil pour changer l'apprentissage, devenir créatif et résoudre les problèmes du
domaine scientifique que l'on traite. » (BLEGER J., 1986).
3. Le SCRO, un système ouvert… ou l'« implacable
inter-jeu de l'homme et du monde…» (Pichon-Rivière)
« E. PICHON RIVIERE a conçu son SCRO comme un système ouvert qui produit, au travers de
la praxis, un possible processus de ratification et de rectification du schéma conceptuel. A partir de
cette praxis, il se produit, « une continuelle réalimentation de la théorie au travers de sa
confrontation avec la pratique ». Il nomme cela « attitude autocritique », laquelle implique une
possibilité de réflexivité comme attitude scientifique. » (ADAMSON, 2). Plus, c'est le sujet lui-même
qui est, lorsqu'il fonctionne normalement dans le monde, un système ouvert : « Selon PICHON
RIVIERE, le sujet est le résultat de l’interaction entre le monde interne (intrasystémique) et le monde
extérieur (intersystémique). » (JAITIN,2002). Mais plus encore : « Quand E. PICHON-RIVIERE pense
le sujet, c'est en termes de « système ouvert » (en toute rigueur, il n'y a rien qui ne soit pensé par lui
autrement qu'en termes de système ouvert : l'individu, les groupes, les institutions, la société, le
SCRO). En ce qui concerne le sujet, il ne le traite pas comme un système autonome en soi, mais
comme un système incomplet « qui fait système avec le monde.» (ADAMSON, 1).
Dans un système ouvert complexe, qu'ADAMSON compare aux structures dissipatives, d'ILLYA
PRIGOGINE, tout changement, par exemple dû à un apprentissage, se traduit par une autoréorganisation dont le résultat n'est pas ou très difficilement prévisible. Pour le formateur, cela se
traduit par une grande difficulté à prévoir si les changements apportés au SCRO, à tous les niveaux,
conscients ou inconscients, rationnels ou irrationnels, sont bien ceux qu'il prévoyait y apporter.
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Cette constatation implique qu'une formation doit elle aussi être considérée comme un système
ouvert, sujet à de multiples rétroactions et corrections. PICHON-RIVIERE avait, en partie, résolu cette
difficulté avec son processus de formation en spirale dialectique, que l'on peut grossièrement
résumer par la séquence :
Formation → changement → (évaluation) groupe opératif → formation tenant compte des
observations faites lors du groupe opératif → changement → etc.
et ceci jusqu'à l'obtention d'un changement maximal souhaité par le formateur et tolérable par le
groupe (consulter JAITIN R., 2002).
3.1 Un modèle ?
« Nous pouvons dire que le SCRO est un modèle. Le modèle scientifique a été défini comme
une simplification - ou approximation - des faits naturels étudiés, qui, par sa construction logique,
enrichit la compréhension de ces faits ; le modèle est donc un instrument qui, par analogie, nous
permet de comprendre certaines réalités. Autrement dit, le modèle est un instrument d'appréhension
de la réalité. » (PICHON-RIVIERE, 2004).
3.2 Praxis
« D'où sa valorisation de la praxis. La praxis est ce qui permet à son SCRO de rester un
système ouvert à des ratifications et rectifications progressives. La praxis est ce qui valide le
modèle théorique. Il soutient que la praxis est ce qui permet d'ajuster le modèle théorique, le cadre
conceptuel à la réalité. E. PICHON-RIVIERE dit : la praxis « introduit l'intelligibilité dialectique dans
les relations sociales et rétablit la coïncidence entre représentations et réalité. ». (ADAMSON,1).
« E. PICHON RIVIERE a conçu son SCRO comme un système ouvert qui produit, au travers
de la praxis, un possible processus de ratification et de rectification du schéma conceptuel. A partir
de cette praxis, il se produit, « une continuelle réalimentation de la théorie au travers de sa
confrontation avec la pratique ». Il nomme cela « attitude autocritique », laquelle implique une
possibilité de réflexivité comme attitude scientifique. » (ADAMSON, 2).
La praxis est un outil fondamental pour le formateur. Quel formateur peut affirmer ne pas
avoir rencontré dans ses groupes ou entre lui et ses groupes, la guerre éternelle entre « ces
☠ de ☹! de ✞ foutu coupeur de cheveux en quatre !!! » (théorie) et « ces ☠ de ☹! de ✞
gros nuls à front bas !!! » (pratique). Si l'on parvient à faire comprendre que chaque camp a sa
légitimité laquelle ne diffère que par le critère de vérité utilisé et qu'il existe une troisième voie
entre poièsis et pratique, empruntant à l'une et à l'autre : la praxis. Elle doit être vue comme une
pratique judicieusement théorisée telle que : son utilisateur sait faire et il sait pourquoi il le fait. Il
sait s’appuyer sur des éléments théoriques judicieusement choisis pour leur efficacité. Avec comme
critère de vérité :…est-ce que ça marche ? Alors l'éternel conflit se dissipe comme par magie !
Tout le travail du formateur devrait consister à réussir à faire accéder ses apprenants à la
praxis sans tomber dans le piège du « tu fais comme ça ! » ou la noyade dans une théorie
inaccessible. Cependant, il faut savoir qu'élaborer une didactique centrée sur la praxis peut prendre
énormément de temps, souvent autant qu'il en a fallu pour arriver à une « bonne pratique » ou pour
élaborer une théorie qui tienne la route.
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3.3 Craintes fondamentales…
« E. PICHON-RIVIERE montre que la peur de la perte du savoir déjà acquis provoque un
clivage et l’échec du schéma référentiel dans la résolution des questions posées par les nouvelles
informations reçues. Cette perte des repères entraîne un trouble identitaire chez le sujet épistémique.
Dans ces conditions, l’objet épistémique est vécu comme menaçant, provoque un sentiment
d’étrangeté et une crainte d’être attaqué. » (JAITIN, 2002).
Si l'obstacle épistémologique (travail sur les représentations ou conceptions initiales) est
connu, l'obstacle épistémophilique l'est moins. Ce trouble au « rapport au savoir » peut remonter à
des causes situées dans la petite enfance du sujet, sa culture, sa famille, jusqu'au transgénérationnel.
3.4 Dialectique
L'approche dialectique de la réalité est essentielle pour PICHON-RIVIERE et va jusqu'à définir
la santé mentale elle-même. Comme le dit R. JAITIN : « Le sujet est sain dans la mesure où il a une
relation dialectique au milieu et non pas une relation passive, rigide et stéréotypée. La santé mentale
est un apprentissage de la réalité par l’intermédiaire de l’affrontement, du maniement et de la
résolution intégrative des conflits. » (JAITIN, 2002).
Pour le formateur, la dialectique est souvent comprise comme forme de dialogue, illustrée
avec de vieux souvenirs de « dissertation ». Pourtant, l'approche dialectique classique est
fondamentalement différente de la critique rationnelle prônée par ARISTOTE, aujourd'hui
hégémonique dans notre société moderne. Pour ARISTOTE, l'un a raison, l'autre a tort, « tertio non
datur », il n'y a pas de troisième terme. Il n'y a pas de dialogue non plus, l'un sait, l'autre ne sait pas.
C'est l'approche de BACHELARD quand il veut « jeter au dehors » les représentations non
scientifiques. Se rendre compte que ses représentations mentales sont inadéquates peut être vécu
comme une attaque ou comme une défaite. Il y a un gagnant et un perdant.
En appliquant les règles de la dialectique, ce n'est que lorsqu'un des adversaires (car c'est
bien d'un combat entre intelligences dont il s'agit) se prend à défendre les arguments de l'autre qu'il
est amené à reconnaître avoir tort. Il est enrichi par sa défaite. Mais, plus encore, lorsque les deux
adversaires en viennent à transcender le problème et à construire ensemble une solution de niveau
supérieur, les deux sont enrichis. Bref, comme on dit en novlangue : win-win.
3.5 Evaluation
Il est nécessaire d'évaluer la modification du SCRO après un apprentissage opératif. PICHON
RIVIERE, dit « La construction d'un SCRO nous oblige à définir le champ d'action et la
méthodologie ainsi qu'à une évaluation de l'opération.». Les critères d'évaluation doivent êtres
établis en fonction de la réalisation des objectifs proposés, en relation avec la possibilité de réaliser
une adaptation vue comme : « la possibilité de promouvoir une modification créative et une
adaptation active à la réalité. » (ADAMSON, 2).
« L'aspect créatif du groupe est un facteur d'évaluation qui ne doit pas être négligé, puisque
nous le considérons comme l'indice le plus significatif de l'opérativité du groupe. Celle-ci existe
dans la mesure où s'affrontent des tâches nouvelles, avec des techniques nouvelles, le groupe
devenant plastique (non stéréotypé), cohérent et opérationnel. Le fait que le groupe opère avec une
pensée créative montre qu'il est devenu fonctionnel. Il apparaît alors comme un fait objectif que la
tâche menée en commun est d'un rendement supérieur. La productivité prend les caractéristiques
d'une progression géométrique et non plus arithmétique. » (PICHON-RIVIERE, 2004).
Le problème d'une évaluation opérative des modifications du SCRO tant individuel que
groupal reste entier, PICHON la pratiquait surtout à l'aide de « grupo opérativo » sans négliger les
évaluations sommatives et normatives institutionnelles. Une piste a été ouverte dans les années 80
avec les recherches sur l'évaluation « formatrice » (NUNZIATI G., 1990), mais il me semble que la
praxis d'une telle évaluation reste à construire (quelques éléments de cette praxis dans
Zimmermann-Asta, 2015).
7
3.6 En résumé, les principales caractéristiques du SCRO
Le SCRO est un modèle de la façon dont l'être humain en situation pense et agit.
Ce modèle est un modèle systémique (système ouvert assimilable à une « structure
dissipative »). Cela signifie qu'utilisant la richesse de ses structures internes et soumis aux flux
d'information et d'énergie de l'extérieur, l'être humain, son SCRO, le groupe son SCRO, etc. va
s'auto-organiser, va construire un ordre à partir de désordre et d'énergie. Si un tel système est
perturbé, de l'intérieur et/ou de l'extérieur, par exemple par une formation, il va s'auto-réorganiser
d'une façon plus ou moins prévisible.
4. Le SCRO, outil pour le formateur
Tenir compte du SCRO pour construire une formation implique d'envisager trois phases : a)
avant la formation, préparer la tâche explicite de formation à partir du SCRO du formateur ou du
groupe de formateur. b) Pendant la formation, connaître et prendre en compte le SCRO des
participants ou du groupe de façon à pouvoir le transformer. c) Après la formation, évaluer la
transformation du SCRO, aussi bien celui de l'apprenant (du groupe d'apprenant) que celui du
formateur (du groupe de formateurs).
a) Avant la formation
Construire une formation n'est pas « transmettre » un savoir neutre et objectif. Le « savoir »
va contenir toute la « verticalité » du formateur (ou des membres du groupe de formateurs). Par
verticalité, PICHON-RIVIERE entend sa personnalité, son histoire bref, sa vie.
Même si la tâche explicite consiste à proposer un savoir aussi peu « passionnel » que « les
techniques stérilisation en milieu hospitalier » ou la comptabilité, ce savoir correspond à une part du
SCRO du formateur. Interroger le SCRO consiste à savoir précisément et consciemment ce qui va
être proposé aux apprenants. En premier lieu, quel schéma conceptuel personnel sous-tend
précisément les notions à présenter. Ce schéma conceptuel est-il compatible avec les attentes des
diverses institutions qui sont parties prenantes à la formation ? Est-il en adéquation avec les
dernières règles de l'art, avec les connaissances scientifiques ? Les possibles différences constatées
sont-elles assumées par le formateur ?
Quelles sont les références qui sous-tendent ce schéma ? Sont-elles accessibles ? Faut-il les
fournir aux apprenants ? En prenant le mot « référentiel » dans une autre acception, parmi les
notions que je me propose de présenter aux apprenants lesquelles constituent vraiment une
référence pour moi ? Et parmi les autres, celles qui ne constituent pas une référence pour moi,
pourquoi avoir choisi de les présenter ?
Enfin, pour moi, parmi les notions proposées, lesquelles sont vraiment opérationnelles ? Et
les autres, pourquoi ne le sont-elles pas ? Etc…
Est-ce tout ? Non, il faut aussi s'interroger sur le SCRO des apprenants qui me sont
confiés… Pas toujours facile, la liste des participants, leurs diplômes, leur situation sociale, leur
institution professionnelle, etc. est susceptible de fournir quelques informations. Pour une formation
courte, il s'agit souvent des seules informations disponibles. Pour une formation plus longue, il est
possible d'envisager, à l'avance, un dispositif susceptible de donner au formateur les indications
nécessaires sur le SCRO des participants, sur les craintes plus ou moins inconscientes qu'ils
apportent au dispositif de formation. (Cf. modèle de la spirale dialectique de PICHON-RIVIERE). Il
sera donc nécessaire de « penser » et de préparer ces dispositifs (rencontre préalable, questionnaire,
« mise en commun », « grupo operativo », tour de table, etc.).
Ce n'est qu'à partir de ces hypothèses sur le SCRO des participants et sur les modifications
opératives que la formation est censée opérer qu'il est possible de réfléchir à la didactique à utiliser.
Quel type de dialectique envisager, quelle praxis construire pour modifier les SCRO des
participants comme celui du groupe, de façon opérative, en minorant les angoisses que provoquent
toujours les changements ?
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Ce n'est qu'une fois toutes ces interrogations terminées, qu'il sera vraiment possible de
s'attaquer à la réalisation technique de la formation et des supports de cours…
b) Pendant la formation…
Pendant la formation, qu'elle soit courte ou longue, l'attention doit aussi se porter sur les
modifications du S. du C. du R. et du O. des participants. Trop de formations se contentent de créer,
sans trop de douleurs, un schéma conceptuel relativement adéquat, suffisant toutefois pour passer
des examens ! D'autres formations sont opératives, les participants « savent faire », mais sans
disposer de schéma conceptuel et référentiel approprié, se privant ainsi de précieux outils pour agir
sur la réalité.
Les outils cités au paragraphe suivant peuvent permettre, si la durée de la formation
l'autorise, d'observer les changements en cours.
c) Après la formation…
Après la formation, il reste à vérifier les modifications effectives du SCRO des apprenants.
PICHON-RIVIERE a donné quelques pistes pour évaluer le résultat d'une transformation, on peut les
rappeler ici bien que cela ne puisse remplacer un dispositif d'évaluation plus sophistiqué, par
exemple une « évaluation formatrice » ou une « évaluation autonomisante » (Zimmermann-Asta,
2015)
Un processus de changement réussi voit le groupe construire des projets, développer sa
créativité à partir des éléments de la formation. Les tâches sont conduites de façon rationnelle en
développant une planification impliquant logistique, stratégie, tactique et technique.
Un élément à ne pas négliger : quels sont les changements produits dans le SCRO du
formateur (de l'équipe de formation) ? Quel effet ces changements peuvent-ils produire dans les
formations futures ? Est-il possible de conceptualiser ces changements ?
5. Conclusion
Le SCRO nous semble un outil précieux pour les formateurs, mais aujourd'hui, il demande
encore à être pensé et expérimenté. Il est évident que la praxis du SCRO pour la formation n'a pas
encore été suffisamment développée et, comme je l'ai affirmé au dessus, penser et produire une
praxis prend beaucoup de temps.
CEFRA 2015 Jean-Luc Zimmermann
* Toutes les italiques sont du rédacteur de ce texte.
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