Revue Médicale Suisse
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5 mars 2014 567
Nous avons voulu illustrer ce débat par une vignette cli-
nique d’une prise en charge qui nous a permis de nous
questionner sur le rôle d’un centre de crise dans l’accom-
pagnement d’une situation de perte d’un être cher et de
faciliter le travail de deuil.
l’histoire clinique de mme g.
Mme G. est une patiente de 64 ans d’origine italienne,
mariée depuis 38 ans. Le couple a un fils. Ce dernier est
marié et a une petite fille en bas âge. La patiente a de
bons rapports avec son fils. Le réseau social de Mme G.
est cependant pauvre. La patiente a une formation de
couturière mais s’est surtout occupée de sa famille. Elle
rapporte que son mari a présenté des signes de dépres-
sion depuis sa mise à la retraite, il y a une dizaine d’an-
nées. Il abuserait de benzodiazépines et d’alcool. Mme G.
a le sentiment de devoir surveiller continuellement son
mari et redoute des chutes et des accidents domesti-
ques ; cette situation perturbe la dynamique de couple.
Un soir, Mme G. inquiète de l’absence prolongée de son
mari, contacte les urgences de l’hôpital pour avoir des
informations à son sujet. Au téléphone, Mme G. est prise
d’une attaque de panique, situation qui a abouti à son
admission aux urgences. Elle est alors examinée par le
psychiatre de garde : la patiente est bien orientée dans
le temps et dans l’espace. Mme G. ne présente pas de
trouble de la vigilance. Son discours est cohérent et in-
formatif. Aucun trouble du cours ou du contenu de la
pensée n’est décelé. Mme G. décrit une thymie fluctuante
depuis plusieurs mois en réaction avec les difficultés
que traverse le couple, une légère asthénie et des diffi-
cultés à l’endormissement. Mme G. est inquiète pour son
mari et ressent un sentiment de culpabilité concernant
l’état de ce dernier. Devant ce tableau clinique, le psy-
chiatre des urgences décide d’adresser la patiente dans
un centre de crise pour une nuit d’observation. Le len-
demain matin, Mme G. retourne à son domicile. Elle est
toujours sans nouvelles de son mari. Elle décide de se
rendre avec son fils à la cave. Sur place, ils retrouvent le
corps de M. G., suicidé par balle. Mme G. est raccompa-
gnée dans le centre de crise. De retour dans le centre,
la patiente semble calme et détachée. Dans les jours
qui suivent, Mme G. ressent un gros besoin de partager
son vécu avec les soignants. Elle exprime beaucoup de
colère envers son mari et nous fait part de son incom-
préhension face à ce geste. Au cours des semaines, néan-
moins, la patiente nous explique la souffrance que ce
dernier exprimait depuis sa retraite. Mme G. exprime une
angoisse et une peur de rentrer dormir seule à domicile.
Plusieurs nuits consécutives sont donc organisées au
centre. Mme G. retrouve cependant rapidement un som-
meil jugé réparateur, dans un premier temps grâce à un
traitement de trazodone 50 mg/jour. Progressivement,
nous souhaitons aider la patiente à réintégrer son lieu
de vie ; nous programmons donc une alternance de nuit
au centre et au domicile de la patiente. Face à l’absence
d’épisode dépressif identifié, nous ne jugeons pas né-
cessaire de mettre en place un traitement antidépres-
seur. Mme G. a un tissu social pauvre et ressent, dans ce
contexte de crise, un grand besoin d’interactions socia-
les. Pour cette raison, nous lui proposons de prendre part
aux groupes de parole proposés par le centre ainsi que
des ateliers d’ergothérapie. La patiente se montre régu-
lière et assidue. En quelques semaines, l’évolution est
favorable et nous observons une reprise de l’élan vital
de la patiente, une amélioration de son sommeil et une
atténuation du souvenir douloureux de la perte de son
époux. Nous n’observons pas d’élément qui pourrait nous
faire craindre la survenue d’un deuil pathologique. La
patiente est adressée à son médecin traitant.
le cas de mme g. du recours de la
psychiatrie ?
Dans les heures qui ont précédé le décès de son époux,
la patiente était triste, avec un état de stress aigu lié à l’ab-
sence du mari. La patiente exprimait son désespoir par
rapport à sa situation de couple depuis plusieurs années,
avec une péjoration ces derniers mois. Mme G. avait un score
de 14 points au MADRS (Montgomery-Asberg depression
rating scale). Nous pouvons évoquer plusieurs diagnostics.
Les symptômes décrits plus haut sont évocateurs d’un état
de stress aigu contextuel, voire d’une dépression légère.
Les plaintes d’une humeur fluctuante, non franchement
anhédonique de la patiente antérieure à son deuil, étaient
principalement liées à sa relation avec son mari, son épui-
sement et son sentiment de désespoir face à la situation.
Bien que la patiente ait exprimé de l’anxiété en lien avec
sa situation présente et passée, la symptomatologie dé-
pressive décrite, à savoir une thymie triste depuis des mois
avec asthénie, ne pouvait pas entrer dans le cadre d’un
épisode dépressif majeur. Nous avons exclu le diag nostic
de deuil compliqué tel qu’il est proposé dans le DSM-5. La
patiente n’a présenté aucun des symptômes décrits dans
le tableau 1. A la fin de notre suivi, un mois après le décès
du mari, nous avons observé un score de 4 points au
MADRS. La patiente était revenue à un niveau de fonction-
nement personnel et social habituel. La problématique du
deuil s’est cependant avérée beaucoup plus centrale dans
le suivi. Mme G. est passée par plusieurs phases suite au
décès de son mari : d’abord un sentiment de sidération
puis d’incompréhension concernant le geste de son mari,
puis de colère et de sentiment de culpabilité vis-à-vis de
son époux. Au cours de ce bref suivi, la patiente a réussi
progressivement à se projeter dans l’avenir, à pren dre de
la distance par rapport à ces idées de culpabilité et s’est
surtout décidée à construire des projets tels qu’être doré-
navant plus disponible pour sa petite-fille.
conclusion
Nous pensons que les débats autour de l’évolution ca-
tégorielle de la définition du deuil, qui persiste dans la
nouvelle version du DSM-5, et sur la prise en charge de
Mme G. sont en réalité beaucoup plus liés. Au-delà d’une
question de diagnostic, une grande partie de la controverse
qui a lieu actuellement autour de la façon dont le deuil est