Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie Diplôme Inter Universitaire de Pédagogie Médicale *********** FORMATION DES ORTHOPTISTES DANS LE CADRE DE LA DELEGATION DE TACHES, DANS UN SERVICE HOSPITALIER d’OPHTALMOLOGIE. *********** Médecin en Chef Jean Marie Giraud Service d’Ophtalmologie du Pr. J.P. Renard Hôpital d’Instruction des Armées du Val de Grâce Paris *********** 13 octobre 2011 2 La légitimité de la délégation viendra de la compétence et donc de la formation. Pr. Yvon Berland 3 Formation des orthoptistes dans le cadre de la délégation de tâches, dans un service hospitalier d’ophtalmologie. Médecin en Chef Jean Marie Giraud Service d’Ophtalmologie du Pr. J.P. Renard Hôpital d’Instruction des Armées du Val de Grâce Paris RESUME La saturation actuelle des services et cabinets d’ophtalmologie face à l’accroissement de la demande de soins et les perspectives de décroissance forte de la population des ophtalmologistes au cours des prochaines années ont amené à la publication en 2007 d’un nouveau décret de compétence des orthoptistes, autorisant ces paramédicaux à effectuer par délégation du médecin, de nombreux actes d’examen fonctionnel et d’imagerie oculaire. A ces nouvelles compétences doivent répondre de nouvelles formations pratiques dispensées au sein des terrains de stages hospitaliers des élèves orthoptistes. Ce mémoire expose la réflexion de l’équipe de l’Hôpital du Val de Grâce sur l’organisation d’une formation attractive des élèves orthoptiste en stage dans le service. MOTS CLEF Orthoptiste, ophtalmologiste, délégation de tâche, pré-consultation, formation 4 INTRODUCTION Depuis près d’une décennie, plusieurs réflexions, rapports et expérimentations ont milité pour qu’une catégorie de personnels paramédicaux, les orthoptistes, puissent réaliser par délégation des tâches antérieurement réservées aux médecins ophtalmologistes. Fin 2007, une nouvelle rédaction du décret de compétence des orthoptistes est venue officialiser l’autorisation de nombreuses délégations de tâches dans les domaines de l’examen de la réfraction (recherche de la correction optique la mieux adaptée), des examens paracliniques de la fonction visuelle et enfin de l’imagerie oculaire (en pleine expansion). Les cours théoriques du diplôme d’orthoptiste ont pris en compte ces nouvelles possibilités. Parallèlement, dans les services hospitaliers comme le nôtre qui accueillent des stagiaires élèves orthoptistes, il nous est apparu que la formation à ces nouvelles taches, en grande partie pratiques, méritait une meilleure organisation et un encadrement impliquant davantage les médecins aux côtés des orthoptistes titulaires. Tel a été l’objet de la réflexion exposée dans ce mémoire. CONTEXTE ET ENJEUX 1- Enjeux démographiques Le transfert de compétences des ophtalmologistes en direction des orthoptistes a été envisagé et finalement organisé devant la double perspective : a. D’une décroissance forte de la population des médecins ophtalmologistes (démographie en diminution attendue d’un tiers au cours des 15 prochaines années, en dépit du record d’âge tardif de départ en retraite de la profession). Les ophtalmologistes sont actuellement 5300. Le DES en forme 80 par an contre 450 à l’époque du CES. b. D’un accroissement attendu de la consommation de consultations et d’examens ophtalmologiques, lié d’une part au vieillissement de la population (avec augmentation de l’incidence de la cataracte et de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (pathologie fréquente qui touche 20% de la population après 80 ans) et que l’on sait depuis peu stabiliser au prix d’un suivi pratiquement mensuel), d’autre part à un resserrement du suivi des patients glaucomateux (consultations semestrielles avec examen du champ visuel et examen annuel d’imagerie du nerf optique) et des malades diabétiques. A ces perspectives s’ajoute l’engorgement des consultations d’ophtalmologie, tant libérales qu’hospitalières dans de nombreuses régions, avec des délais de rendezvous de près de 6 mois sur la plus grande partie du territoire, voire de 12 mois dans le nord de la France. 5 2- Les Orthoptistes Selon la DREES, fin décembre 2009, il y avait 3151 orthoptistes exerçant en métropole et dans les DOM TOM ; dont 1828 orthoptistes libéraux (58%) et 1323 orthoptistes salariés (42%). 91% sont des femmes. Les orthoptistes ont une formation universitaire et hospitalière en 3 ans (cycle LMD) avec en général des stages pratiques hospitaliers le matin et des cours théoriques l’après-midi. Les activités traditionnelles des orthoptistes sont les bilans oculomoteurs et la rééducation. Le champ de leurs activités, par délégation des ophtalmologistes, s’est étendu avec les décrets de compétence de 2001 et de 2007. 3- Historique – Grandes étapes a. Le décret de compétence du 2 juillet 2001 permet une extension des activités des orthoptistes vers les examens complémentaires de la fonction visuelle et la mesure de l’acuité visuelle. b. Le Rapport sur la Situation Actuelle de la Profession d’Ophtalmologiste (présenté par le Pr. Henry Hamard devant l’Académie de Médecine, adopté le 29 avril 2003) alerte sur les perspectives démographiques des ophtalmologistes. Il propose en conclusion : - « Habiliter des collaborateurs ayant une formation médicale à effectuer des actes techniques de la spécialité après avoir précisé quels sont ceux qui sont susceptibles d’être délégués et ce sous la responsabilité des ophtalmologistes… » - « Amplifier le recrutement des orthoptistes, collaborateurs naturels des ophtalmologistes, dans le cadre législatif en place et sous condition de compléments de formation contrôlés ». c. Le Rapport « Cinq Expérimentations de coopération et de délégation de tâches entre professions de santé » du doyen Yvon Berland relate l’expérimentation ophtalmologiste/orthoptiste menée en cabinet de ville dans la Sarthe, chez les Docteurs J.B. Rottier (Président du Syndicat National des Ophtalmologistes de France) et P. Fillon. Ce rapport détaille le fonctionnement et les bénéfices de cette coopération. Il envisage les compléments de formation nécessaire ainsi que les élargissements requis du décret de compétence des orthoptistes qui seront repris en 2007. 6 d. Le décret de compétence 2007-1671 du 27 novembre 2007 élargit notablement et précise les nouvelles compétences des orthoptistes : - Art. 4342-7 : Sur prescription médicale, les orthoptistes sont habilités à déterminer l’acuité visuelle et la réfraction en dehors de tout bilan oculomoteur. - Art. 4342-5 : Les orthoptistes sont habilités à effectuer les actes suivants sur prescription médicale : Examen du champ visuel (périmètrie – campimètrie). Exploration de la vision des couleurs. Etude de la vision des contrastes, de la vision nocturne. Rétinographie non mydriatique. - Art. 4342-6 : Sur prescription médicale et sous la responsabilité d’un médecin à même de contrôler l’exécution et d’intervenir immédiatement, les orthoptistes peuvent pratiquer : Rétinographie mydriatique. Electrophysiologie oculaire. - Art. 4342-8 : Sur prescription médicale et sous la responsabilité d’un médecin ophtalmologiste, les orthoptistes sont habilités à réaliser les actes suivants : Pachymétrie sans contact. Tonométrie sans contact. Tomographie en cohérence optique (OCT). Topographie cornéenne. Angiographie rétinienne (à l’exception de l’injection qui doit être pratiquée par un personnel de santé habilité). Biométrie oculaire préopératoire. Pose de lentilles. L’article 51 de la Loi HPST du 21 juillet 2009 portant réforme de l’Hôpital et relative aux Patients, à la Santé, aux Territoires. Il stipule que les professionnels de santé peuvent s’engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération ayant pour objet d’opérer entre eux des transferts d’activité ou d’actes de soins ou de réorganiser leurs modes d’intervention auprès du patient. Ils interviennent dans les limites de leurs connaissances et de leur expérience ainsi que dans le cadre de protocoles définis aux articles L. 4011-2 et L. 4011-3. (Protocoles à soumettre par les professionnels de santé à l’ARS, qui les soumet ensuite à l’HAS) e. 7 f. Le 18 septembre 2010, 1ère Journée du Syndicat National des Ophtalmologistes de France consacrée à la Délégation de Taches en Ophtalmologie. Journée introduite par Mme A. Podeur, Directrice Générale de la DGOS (Direction Générale de l’Offre de Soins). Cette journée se veut un encouragement fort à l’ensemble des professionnels orthoptistes et ophtalmologistes à renforcer leurs coopérations, dans le but d’améliorer la qualité de la prise en charge des patients et de diminuer la saturation des consultations d’ophtalmologie. . ORGANISATION DU SERVICE Le service d’ophtalmologie de l’Hôpital du Val de Grâce est organisé autour d’une équipe de 4 chirurgiens ophtalmologistes, 2 internes et 5 orthoptistes diplômés d’état. Il accueille pour des stages de 12 mois (d’octobre à septembre) 4 à 5 élèves orthoptistes de niveaux variés car indifféremment issus de 1ère, 2ème ou 3ème année. Les dernières promotions, prises en charge de façon presque exclusive par les orthoptistes « senior », travaillent pour la très grande partie des taches en binôme avec l’un d’eux. Il s’agit d’une formation par compagnonnage, conviviale et assez personnalisée étant donné le ratio très favorable d’un senior pour un élève. Les stagiaires apprennent ainsi autant les taches traditionnelles de bilan oculomoteur et de rééducation, que la manipulation de nombreux appareils d’imagerie et d’examen fonctionnel visuel. Enfin ils apprennent la mesure de l’acuité visuelle et la réfraction, ce qui leur permet, après environ 2 mois, d’effectuer seul cet examen dans le cadre de la pré-consultation d’un des médecins du service. Cette organisation nous est apparue cependant pouvoir être mieux encadrée, et impliquer davantage les médecins du service, tout particulièrement sur les taches qui relèvent des nouvelles compétences déléguées aux orthoptistes. HYPOTHESE DE TRAVAIL La réflexion s’est structurée autour de la classique spirale de l’éducation : 1- Définition des Besoins Le besoin premier est de former des orthoptistes, collaborateurs fiables des ophtalmologistes dans les examens que ceux-ci leurs délèguent. - Dans le domaine de la réfraction, l’examen de la vue et de la correction optique adaptée avec recherche de la meilleure acuité visuelle corrigée effectué par un orthoptiste dans le cadre d’une 8 « pré-consultation » doit fournir à l’ophtalmologiste qui prend ensuite en charge le patient plusieurs informations : Existe-t-il une baisse d’acuité visuelle subjective rapportée par le patient, accompagnée de quels signes cliniques (interrogatoire sur les motifs de consultation) ? A combien de dixièmes se chiffre la meilleure acuité visuelle corrigée de chaque œil ? Cette acuité a-t-elle changé par rapport aux consultations précédentes ? La formule optique a-t-elle changé ? Pour que la pré-consultation apporte un véritable gain de temps et de rendement à l’ophtalmologiste, la fiabilité des mesures de l’orthoptiste doit permettre sans nouvelle vérification, la prescription de l’ordonnance de lunettes du patient. - La mesure de la pression intra-oculaire au tonomètre non contact (par jet d’air) fait également partie de la « préconsultation ». L’utilisation de l’appareil et la connaissance des facteurs de mauvaise mesure doit être maîtrisée. Une tension sortant des normes doit être repérée et peut être signalée à l’attention du médecin par le stagiaire. - La réalisation des champs visuels « manuels », dit de Goldman est un art demandant beaucoup de soin pour assurer des examens reproductibles. La réalisation des examens du champ visuel automatisé nécessite une parfaite connaissance des protocoles d’examen et une expérience des facteurs humains qui peuvent en perturber le déroulement. L’opérateur doit savoir repérer et informer le médecin des biais éventuels dont la survenue importe pour l’interprétation des résultats. - Les examens d’imagerie, dominés par tomographie par cohérence optique (OCT) prennent aujourd’hui une place considérable dans le bilan clinique des patients. La maîtrise du maniement de ces appareils, protocole de mise en marche, qualité du placement du patient afin d’optimiser la qualité de l’examen est fondamentale. La connaissance des grands types de présentations séméiologiques est également utile au dialogue avec le praticien demandeur et à la réalisation d’un examen mieux ciblé sur la pathologie suspectée. 2- Objectifs : 1- Connaître les bases théoriques et pratiques de la mesure de l’acuité visuelle est de la réfraction. 2- Connaître les bases de l’interrogatoire d’un consultant d’ophtalmologie. 3- Maîtriser la mesure de la pression intra-oculaire par tonométrie non contact. 9 4- Maîtriser l’installation du patient et la réalisation des examens du champ visuel. Connaître les base des atteintes du champ visuel. 5- Apprendre progressivement les intérêts, les protocoles d’utilisation et les bases séméiologiques des appareils d’imagerie OCT, rétinographe, etc. 3- Moyens à mettre en oeuvre Cours théoriques Sans vouloir concurrencer le programme de cours universitaires, quelques cours brefs, mises au point ponctuelles en prise directe avec les acquisition pratiques, d’une durée n’excédent pas 30 minutes, paraissent pouvoir recueillir une attention peut être plus forte que lors de cours magistraux. Ces cours seront faits majoritairement par des médecins. Les sujets traités pourraient être. Accueil et interrogatoire du patient en préconsultation. Bases pratiques de l’examen de la réfraction. Mesure de la tension oculaire non contact. Installation et surveillance d’un patient lors de la réalisation d’un champ visuel automatisé. Pièges lors de la réalisation des OCT. Images, grandes pathologies oculaires en OCT, autres imageries. … Enseignement en Binôme : Médecin + Elève orthoptiste ou Orthoptiste senior + Elève : Au boxe de consultation : premières préconsultations (interrogatoire + réfraction ) par l’élève, puis par l’ophtalmologiste. Examens du champ visuel : binôme orthoptiste senior et élèves Examens OCT, rétinophotographies, tonomètre à air : Elève avec senior médecin ou orthoptiste Protocoles : Rédaction de protocoles illustrés sur fiche plastifiée pour guider pas à pas la mise en route et la réalisation d’examens d’imagerie. Un protocole pour chaque appareil. La première fois, lecture et commentaire du protocole par un senior devant la machine utilisée, puis la fiche doit rester toujours un aide-mémoire disponible à côté de l’appareil. 10 4- Evaluation : - En consultation, l’ophtalmologiste refait la mesure de l’acuité visuelle et de la réfraction. Les éventuelles divergences avec les mesures de l’élève sont analysées et commentées avec lui. - Vérification de la qualité des images OCT ou autre faites par l’élève. Vérification des indicateurs de fiabilité de l’examen qui sont calculés par l’appareil et affichés sur le compte-rendu. Analyse avec l’élève des difficultés rencontrées pour faire l’examen. - Vérification des indices de fiabilité du champ visuel portés sur les relevés campimètriques. Discussion avec l’élève. DISCUSSION. 1. Intérêt. La mise en place de cette formation, nous paraît utile pour motiver les élèves sur ces nouveaux aspects de leur profession. L’implication accrue des ophtalmologistes paraît indispensable puisque la plupart de ces nouvelles tâches seront effectuées par délégation des médecins. Leur participation à l’enseignement, le partage de notions cliniques lors de l’interprétation des résultats valorisent les examens réalisés et les opérateurs qui les ont effectués. Ainsi, cette coopération médecin - orthoptistes débouche sur une plus value en terme de motivation, elle même source de qualité. Compétence accrue des opérateurs mieux formés et motivation plus forte par sentiment de participer à l’acte soignant amènent à des examens plus fiables et mieux réalisés. Parallèlement, le gain de temps offert par la pré-consultation permet un triple bénéfice : - Moins de pression sur le médecin, générant plus de disponibilité et d’écoute du patient, source de qualité de prise en charge. - Accroissement de productivité possible (en veillant à la limiter pour ne pas retrouver le niveau de saturation antérieur), plus grande facilité à intercaler une urgence au milieu des rendezvous programmés. - Une partie du temps dégagé permet l’enseignement, les commentaires sur les examens réalisés par le stagiaire. 11 2. Faisabilité. La mise en place de ce programme de formation paraît réalisable sans grande difficulté, même s’il nécessite motivation et disponibilité. L’évaluation de la qualité de cette formation paraît plus difficile à réaliser scientifiquement. Cependant, l’étude des indices de fiabilité générés par les appareils eux-mêmes à la fin de l’examen (champ visuel automatisé, OCT) peut permettre une évaluation du niveau atteint par l’opérateur. De la même façon, la confrontation de la correction optique trouvée par un élève et par un praticien peut constituer un indicateur de qualité de l’examen de la réfraction réalisé CONCLUSION. La décroissance des effectifs d’ophtalmologistes dans un contexte d’augmentation des demandes de consultations a fait évoluer le cadre législatif vers une participation de plus en plus étroite des orthoptistes aux taches médicales de la spécialité. Ces nouvelles fonctions requièrent une formation spécifique des élèves orthoptistes dont nous avons étudié quelques aspects et que nous allons mettre en œuvre au profit de la nouvelle promotion de stagiaires dès cet automne. Notre espoir est de susciter intérêt et motivation renforcée pour ces nouvelles facettes de la profession d’ortrhoptiste.