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sur le droit. Ce cas exemplaire présente toutefois un défaut majeur : il s’agit aussi d’une
exception. Son engagement social-démocrate en faisait déjà un outsider parmi les juristes
weimariens, mais son profil scientifique de philosophe du droit et de pénaliste ainsi que son
parcours politique – il fut avec Landsberg le seul ministre de la justice social-démocrate sous
Weimar – en font aussi une exception au sein de la minorité de juristes politiquement engagés
à gauche. Ce profil particulier est pour beaucoup dans la place seulement marginale dévolue à
Radbruch dans les études générales sur les débats juridiques weimariens, mais il présente par
ailleurs de grands avantages. Il permet notamment d’élargir le champ d’investigation au-delà
du droit public, sur lequel se concentre la littérature existante, et d’aborder à travers le
domaine du droit pénal des problématiques décisives pour les juristes de gauche, comme la
conception sociale du droit et le rapport au libéralisme. Il jette en outre un éclairage plus
qu’intéressant sur le problème qui est au cœur de la notion de « juriste de gauche » et par
conséquent de notre travail : l’articulation entre théorie juridique et engagement politique.
Le décalage chronologique entre la carrière scientifique de Radbruch, initiée bien
avant Weimar, et son parcours politique entamé en 1918 place d’emblée la question de la
cohérence entre théorie et engagement politique sous un angle problématique : il semble en
effet difficile d’affirmer qu’il existe un lien entre son engagement socialiste et sa philosophie
du droit, dont les fondements sont établis dès 1914. Son engagement politique a par ailleurs
pris au cours de la République de Weimar diverses formes, ce qui permet d’aborder la relation
entre théorie et pratique sous différents aspects. Il s’inscrit également dans un contexte de
profondes mutations – celui de l’émergence et en même temps de la critique de
« l’intellectuel » moderne, caractérisé par la disjonction entre son statut social et son
positionnement politique. Or, sous la République de Weimar, concilier appartenance
sociologique au corps des professeurs de droit et appartenance politique sociale-démocrate ne
relevait pas de l’évidence. Plus encore, Radbruch a lui-même problématisé le rapport entre
théorie et pratique en expliquant son abandon de la carrière politique par l’impossibilité de
concilier la politique et la science. Il faut par conséquent s’interroger sur les tensions, voire
les contradictions éventuelles entre le discours théorique et le discours politique de Radbruch
et déterminer si celles-ci s’expliquent par des facteurs d’ordre individuel ou si elles sont en
rapport avec son statut de « juriste de gauche ». L’objectif est d’établir s’il pouvait y avoir une
cohérence entre théorie et pratique non seulement pour ce cas particulier, mais pour un
« juriste de gauche » sous Weimar. Cette question plutôt négligée dans la littérature
secondaire sur Radbruch est pourtant capitale : car ce qui était finalement en jeu pour un
juriste engagé à gauche sous Weimar, c’était la capacité à proposer une alternative cohérente,