le Bulletin scientique de l’arapi - numéro 25 - printemps 2010 47
10ème Université d'automne
Aujourd’hui encore, nous
avons une classication
catégorielle pour évaluer un
continuum. Il est difcile
de décrire un spectre.
« Le cerveau social » :
hier, aujourd’hui et demain
Synthèse de la conférence de Peter Tanguay21
Hier
Le syndrome autistique a été décrit pour la pre-
mière fois, en 1943 par Léo Kanner. À la n de
sa carrière, Kanner disait qu’il avait travaillé sur
beaucoup de sujets différents mais qu’il était seulement
reconnu pour sa description de l’autisme. En 1944, Hans
Asperger décrit de nouveau l’autisme mais avec beau-
coup plus de détails.
Les premières tentatives d'explications de l’autisme sont
apparues dans les années 50 et 60 avec ce qu’on appelle
la théorie des « mères réfrigérateurs ». Selon cette hypo-
thèse, l’enfant souffrait d’autisme car il n’était pas désiré
par sa mère. Les parents étaient considérés comme des
« emprisonneurs ».
Avant 1985, il existait plusieurs formes de critères dia-
gnostiques qui donnaient des scores très différents les
uns des autres. Les chercheurs ont donc émis le souhait
de créer une liste de critères de diagnostic sur lesquels
tout le monde pourrait s’appuyer.
L’autisme de Kanner est un peu différent de celui qui
gure dans la classication du DSM-III de 1980. Pour
Kanner, la personne autiste ignore les autres et montre
une absence de relation sociale. Il avait remarqué aussi
une absence ou un retard de langage avec la présence de
certaines anomalies linguistiques (écholalie, inversion
pronominale…), et avait mis en évidence une excellente
mémoire par cœur. Néanmoins, il est difcile de géné-
raliser ces critères du fait des 11 patients seulement sur
lesquels il s’est appuyé. Ces sujets montraient un fort be-
soin d’immuabilité ainsi qu’un bon potentiel intellectuel.
Aujourd’hui, on sait que ces critères ne sont pas obser-
vables chez tous les sujets atteints d’autisme : tous les
enfants autistes ne montrent pas un bon potentiel intellec-
tuel. Pour Kanner, « Le trouble fondamental le plus frap-
pant, pathognomonique, est l’incapacité de ces enfants à
établir des relations de façon normale avec les personnes
et les situations, dès le début de leur vie. »
Dans le DSM-III (1980) les critères posés par Kanner ont
été modiés. On dénit trois catégories : la communi-
cation sociale, la communication verbale et non-verbale
et les comportements restrictifs, répétitifs, stéréotypés.
Des signes appartenant aux trois catégories doivent être
présentes pour un dia-
gnostic d’autisme. Il
s’agit d’un diagnos-
tic « tout ou rien ».
Le défaut majeur du
DSM-III est l’absence
d’un moyen précis de
classier l’autisme en
termes de sévérité.
Aujourd’hui
On parle aujourd’hui plus volontiers de l’autisme en ter-
mes de spectre. Mais il reste difcile d’évaluer les trois
critères de diagnostic en termes de sévérité de troubles.
Aujourd’hui encore, nous avons une classication caté-
gorielle pour évaluer un continuum. Il est difcile de dé-
crire un spectre. Nous n’avons pas encore de tests ables
pour évaluer la sévérité de l’autisme.
Dès 1985, un changement s’est opéré dans la manière de
regarder l’autisme. Plusieurs recherches ont permis d’ap-
préhender la communication sociale. Avant cette date, il
n’existait pas de technologie pertinente pour l'évaluer.
Mais il est devenu possible d'observer nement ce qui
se passe entre la mère et l’enfant de manière très précise,
21 Professeur émérite de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à la chaire Spafford Ackerly à l’Ecole de Médecine
de l’Université de Louisville dans le Kentucky
Conférence résumée par Nadège Foudon et Francesc Cuxart
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48 le Bulletin scientique de l’arapi - numéro 25 - printemps 2010
10ème Université d'automne
La théorie de l’esprit implique
la conscience explicite
du fait que les autres ont
des idées, des croyances
et des sentiments différents
des nôtres qui peuvent
enrichir des relations
interpersonnelles.
notamment grâce aux vidéos familiales. Cela a permis
de comparer la façon dont la communication sociale
s’établit entre un enfant au développement typique et
son entourage et entre un enfant autiste et sa mère. On
commence ainsi à voir l’autisme comme un problème de
communication sociale.
La communication sociale comprend, notamment :
- L’expression faciale (signaux permettant de montrer
ses émotions, ses idées), cela apparaît très tôt dans la
petite enfance.
- La prosodie, il s’agit de la mélodie de la parole : chan-
gement de vitesse, d’emphase, d’intonation. Elle per-
met aussi de faire passer des émotions par le signal et
est très importante dans la communication.
- Les gestes instrumentaux, sociaux (liés à la culture) et
émotionnels.
Les enfants autistes montrent beaucoup de difcultés avec
la communication sociale. De plus, les enfants autistes
sont terriblement décitaires au niveau de la pragmatique
et de la théorie de l’esprit. C’est une capacité que l’enfant
au développement typique acquiert entre l’âge de 3 et 6
ans. Il devient capable d’inférer les pensées, les croyan-
ces et les sentiments de l’autre an de pouvoir adapter
son comportement en conséquence. Il s’agit en quelque
sorte de la mémoire de la communication sociale.
La pragmatique est une capacité très importante pour la
communication sociale. Elle concerne :
- la connaissance des règles sociales et de la communi-
cation,
- la capacité implicite d’inférer les pensées et les inten-
tions d’autrui appelée théorie de l’esprit.
Si cette capacité est décitaire, il est très difcile d’entrer
en interaction avec le monde qui nous entoure. Ces dé-
cits ne sont pas particuliers à l’autisme. Le signe le plus
précoce semble être l’absence du jeu symbolique ou du
faire-semblant.
La communication sociale se développe dès la nais-
sance et jusqu’à l’adolescence. Dès la première semaine
de vie, les nourrissons sont capables de reconnaître la
voix et le visage de
leur mère. Ils répon-
dent différemment
lorsqu’ils voient le
visage de leur mère
que lorsqu’ils voient
le visage d’autres
personnes. Ils regar-
dent aussi les stimuli
visuels complexes. Ils
regardent avec préci-
sion ce qui se passe
dans leur champ visuel pour comprendre le monde dans
lequel ils vivent. Les bébés sont aussi capables, très tôt,
d’imiter les mouvements faciaux. Plusieurs expériences
ont montré que les bébés voyant une personne qui sourit
ou qui tire la langue, sourient ou tirent la lange après une
quinzaine de secondes.
Dans les six premiers mois de vie, les enfants développent
le contact visuel et le sourire social. Les enfants intera-
gissent préférentiellement avec les personnes employant
ce qu’on appelle le motherese. Ce phénomène est om-
niprésent, on le retrouve dans toutes les langues et dans
toutes les cultures. Il apparaît spontanément. La mère ou
une personne s’occupant de l’enfant joue avec le bébé en
utilisant un ton de voix exagéré, des gestes exagérés et
des expressions faciales exagérées. L’enfant commence
à apprendre comment utiliser tous ces indices. Si le pa-
rent s’arrête brutalement de jouer, alors l’enfant cherche
des indices an adapter son comportement en fonction de
arrêt. Il comprend les signaux importants de la communi-
cation sociale, c’est-à-dire la réciprocité affective.
Entre l’âge de 9 et 12 mois, les enfants commencent à
vouloir communiquer quelque chose à autrui. Ils com-
mencent à utiliser les gestes de pointage proto-impératif
(pour demander quelque chose) avant les gestes proto-
déclaratifs (pour partager son intérêt). Il s’agit des pré-
misses de l’attention conjointe et plus tard de la théorie
de l’esprit qui faciliteraient le langage. Ainsi, le CHAT
(Checklist for Autism in Toddlers - Baron-Cohen, 1992,
1996) s'appuie particulièrement sur la capacité de poin-
tage des enfants pour le dépistage précoce de l’autisme.
La théorie de l’esprit implique la conscience explicite
du fait que les autres ont des idées, des croyances et des
sentiments différents des nôtres qui peuvent enrichir des
relations interpersonnelles. Si nous pouvons comprendre
ce qui se passe chez les autres personnes, cela nous four-
nit des informations sociales très importantes pour adap-
ter notre comportement.
Les signes les plus précoces de la théorie de l’esprit sont
mis en évidence par le test de la « falaise visuelle ».
L’expérience consiste à mettre une plaque de plexiglas
transparente au-dessus d’un trou. L’enfant a l’impression
d’être au bord d’une falaise. Jusqu’à l’âge de 6 mois, les
enfants ignorent la falaise et la traverse sans aucune ap-
préhension. À partir de 6 mois, une fois que les enfants
marchent à 4 pattes, ils commencent à percevoir le dan-
ger lorsqu’ils se trouvent face à la falaise. Ils vont donc
regarder leur mère qui va leur donner des signaux faciaux
leur permettant d’évaluer le danger. Lors de l’expérience,
la mère va montrer soit un visage apeuré soit un visage
encourageant. L’enfant traverse la plaque de plexiglas
seulement lorsque la mère montre une expression faciale
souriante.
Un autre signe précoce de la théorie de l’esprit est la ca-
pacité de jouer à faire semblant. Le jeu imaginatif seul
ou avec les autres enfants est un bon indicateur. Le jeu a
plusieurs fonctions dans le développement de l’enfant. Il
permet de développer la motricité ne et globale, de re-
chercher la maîtrise des jeux sociaux (jouer avec d’autres
enfants), de rejouer des événements traumatiques. Mais
la fonction la plus importante du jeu pour la plupart des
enfants est de faire semblant de tenir des rôles sociaux et
de vivre des interactions. Les enfants jouent en reprodui-
sant ce qui les entoure. Les enfants autistes ne jouent pas
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Dans l’avenir, il serait
important de développer un
système an de pouvoir
différencier et de pouvoir
établir des groupes
en fonction de la capacité
de communication sociale.
de cette façon. Ils peuvent faire des tours avec des cubes
en bois, recopier avec précision un dessin, mais ils ne
jouent pas à faire semblant d'agir comme les autres.
Quel est le trouble fondamental le plus frappant, « patho-
gnomonique » dans l’autisme ?
Peter Tanguay suggère que la communication sociale est
le critère déterminant pour un diagnostic d’autisme. Le
développement du langage est aussi un critère impor-
tant. Néanmoins, il faut aussi prendre en compte d’autres
critères pour le diagnostic même s’ils ne sont pas pré-
valents dans l’autisme comme la capacité intellectuelle,
les hypersensibilités sensorielles (auditives, tactiles et
globales), la motricité ne et globale, ainsi que tous les
troubles co-morbides (TOC, anxiété et dépression). Ces
derniers signes sont importants mais pas des signes abso-
lus pour le diagnostic de l’autisme.
En ce qui concerne le développement du langage, les as-
pects pragmatiques en particuliers devraient représenter
un critère diagnostique. En effet, les items du langage sont
rarement anormaux chez les personnes avec des formes
légères d’autisme (écholalie immédiate 6 %, écholalie
différée et phrases stéréotypées 11 %, inversion pronomi-
nale 3 % et néologismes 4 %). Certains comportements
sont plus fréquemment observables chez les personnes
autistes avec un QI supérieur à 70 comme l’hypersensi-
bilité au bruit (40 %), des anomalies de motricité globale
(38 %), des anomalies de motricité ne (34 %) et de l’hy-
peractivité (28 %). Néanmoins, il ne faut pas prendre en
compte ces comportements pour établir le diagnostic.
Ronald et al. (2006) ont montré qu’il existe peu de liens
entre la génétique et les critères de diagnostic de la triade
autistique du DSM-IV.
Demain
Dans l’avenir, il serait important de développer un sys-
tème an de pouvoir différencier et de pouvoir établir
des groupes en fonction de la capacité de communication
sociale. Le fait de pouvoir établir un score numérique de
gravité de l’autisme montrerait plusieurs avantages. Cela
permettrait d’identier clairement la sévérité de l’autis-
me : en quoi les autistes légers, modérés ou sévères dif-
fèrent. Cela permettrait aussi d’aider la recherche généti-
que et neurobiologique en leur fournissant une meilleure
caractérisation des sujets. Enn, cela permettrait d’avoir
des données plus précises an de mieux dénir les be-
soins d'interventions médicales ou éducatives.
Lorsqu’on étudie l’évolution du syndrome, les études ont
montré que le langage pouvait s’améliorer entre l’enfan-
ce et l’âge adulte. De même, le QI peut progresser de 20-
25 points entre l’âge de 3 et 7 ans. La réciprocité affec-
tive et l’attention émotionnelle conjointe peuvent aussi
s’améliorer surtout chez les sujets légèrement atteints. En
revanche, les aspects pragmatiques de la communication
et de la cognition sociale sont les moins susceptibles de
progresser. Tout au long de leur vie, il reste très difcile
pour les personnes autistes d’avoir une compréhension
intuitive de ce que pensent les autres et de savoir com-
ment se comporter dans les situations sociales. Même
avec un apprentissage explicite de la façon de procéder,
le comportement ne se généralise pas chez ces person-
nes.
On peut se demander s’il existe un lien entre la récipro-
cité affective (l’attention conjointe) et la difculté à ap-
prendre plus tard à mentaliser (comprendre intuitivement
les situations sociales).
On sait qu’il existe
un « cerveau social »
dont on ne sait pas
grand-chose. Les si-
gnaux sociaux que
le cerveau reçoit et
traite deviennent de
plus en plus comple-
xes au fur et à mesure
que l’on accède à une
compréhension sociale complète. On pourrait donc faire
l'hypothèse que ce « cerveau social » ne se développe pas
chez un enfant qui n'a pas dès le plus jeune âge la capa-
cité de percevoir facilement cette multitude de signaux
complexes.
Ainsi il est absolument nécessaire de pouvoir diagnos-
tiquer très précocement les enfants en danger de déve-
lopper un autisme an de trouver les moyens de leur ap-
prendre à percevoir et à émettre des signaux sociaux pour
développer la réciprocité. Il faudrait s’intéresser particu-
lièrement à la neurobiologie et aux aspects génétiques de
la communication sociale an de pouvoir identier très
tôt ces enfants à risque.
Références
Baron-Cohen, S., Allen, J. & Gillberg, C., (1992). Can autism
be detected at 18 months? The needle, the haystack, and the
CHAT. British Journal of Psychiatry, 161, 839-843.
Baron-Cohen, S., Cox, A., Baird, G., Swettenham, J., Drew,
A., Nightingale, N., Morgan, K. & Charman, T. (1996).
Psychological markers of autism at 18 months of age in a large
population. British Journal of Psychiatry, 168, 158-163.
Ronald, A., Happé, F., Bolton, P., Butcher, L.M., Price, T.S.,
Wheelwright, S., Baron-Cohen, S. & Plomin, R.. (2006). Genetic
heterogeneity between the three components of the autism spec-
trum: a twin study. Journal of the American Academy of Child
and Adolescent Psychiatry, Jun;45(6):691-9.
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