cp54_p066073_moit_oubli_cerv_fields_ben.qxp 16/10/12 14:59 Page 66 Neurobiologie Les cellules oubliées du cerveau Les neurones attirent toute l’attention. Pourtant, d’autres cellules cérébrales, formant la glie, participent au fonctionnement du cerveau. Elles sont aussi impliquées dans diverses pathologies. Douglas FIELDS dirige la Section Plasticité et développement du système nerveux à l’Institut national pour la santé, aux États-Unis. E n 1999, à l’Institut américain pour la santé (NIH), Beth Steves et moimême nous préparions à envoyer un faible courant électrique dans des neurones fœtaux de souris en culture cellulaire. Nous utilisions une nouvelle technique de microscopie qui devait nous permettre de voir l’activité électrique de ces neurones sous forme d’une lumière fluorescente émise par un colorant ajouté à la culture. Nous espérions voir si un autre type de cellules du système nerveux – des cellules de Schwann, qui fabriquent la couche d’isolant, la myéline, entourant les neurones – réagirait aussi. Nous ne pensions pas que ce serait le cas, car ces cellules sont incapables de communiquer électriquement. Les neurones se sont alors immédiatement « allumés ». Mais les cellules de Schwann aussi ! Elles réagissaient à la stimulation électrique. En Bref • Les neurones ne représentent qu’environ 15 pour cent des cellules cérébrales. Les autres sont des cellules gliales. • Ces cellules peuvent contrôler la communication entre neurones et participent à l’apprentissage ; pourtant, pendant des décennies, on les a considérées comme de simples cellules de soutien. • De nombreuses maladies neurologiques et psychiatriques impliquent la glie : de nouveaux traitements ciblent ces cellules. 66 De nombreux dogmes bien ancrés sur le fonctionnement cérébral tombent les uns après les autres. À l’instar des astronomes médiévaux qui eurent du mal à accepter que la Terre ne soit pas au centre de l’Univers, les neuroscientifiques sont aujourd’hui confrontés à des découvertes concernant le système nerveux tout aussi déstabilisantes. Plusieurs types de cellules gliales Jusqu’à récemment, les neurobiologistes pensaient que toute l’information nerveuse était transmise sous forme d’impulsions électriques qui se propagent dans des réseaux de neurones, les synapses assurant la liaison entre deux neurones. Mais ce principe n’est pas tout à fait vrai : des résultats récents montrent qu’une partie de l’information n’implique pas les neurones et circule sans impulsions électriques dans des réseaux de cellules qui ne sont pas des neurones, mais que l’on nomme cellules gliales, qui forment la glie. Ces études bousculent notre compréhension du fonctionnement cérébral, sain et pathologique, et permettent d’élucider d’anciennes énigmes concernant la mémoire et l’apprentissage. Les cellules gliales interagissent avec les neurones, les contrôlent et coopèrent avec eux ; leurs fonctions sont innombrables. Les astrocytes, en forme d’étoiles, transportent les neurotransmetteurs (les molécules de la © Cerveau & Psycho - n° 54 novembre - décembre 2012 cp54_p066073_moit_oubli_cerv_fields_ben.qxp 16/10/12 Page 67 s’atrophient avec le vieillissement, et leur défaillance est impliquée dans les démences. Ces résultats permettent aux neuroscientifiques non seulement de mieux comprendre comment le cerveau fonctionne, mais aussi de développer de nouveaux traitements. Pourtant, on a considéré pendant plus de 100 ans ces cellules gliales comme une simple « glu ». Au XIXe siècle, les pionniers de la recherche furent stupéfaits de découvrir, sous leur microscope, que la substance grise contient une cellule qui ne ressemble à aucune autre dans l’organisme : le neurone. À une extrémité de cette cellule se trouve une structure longue ressemblant à un câble et nommée axone ; elle transporte des impulsions électriques vers un ensemble de terminaisons. À l’autre extrémité du neurone, des dendrites, semblables à des racines, reçoivent 1. Les cellules gliales (en rouge) sont neuf fois plus nombreuses que les neurones dans l’ensemble du système nerveux. © Jeff Johnson / Hybrid Medical Animation communication entre neurones), les nutriments et les déchets. Les oligodendrocytes ressemblant à des pieuvres et les cellules de Schwann entourent les prolongements neuronaux de myéline, laquelle augmente la vitesse de transmission des signaux électriques. La microglie, une petite cellule plus ou moins ramifiée, est la première cellule cérébrale à réagir en cas de lésion et de maladie : elle détruit les cellules pathogènes qui apparaissent dans le cerveau et déclenche les processus de réparation (voir la figure 2). Les recherches récentes montrent que la glie joue un rôle central dans le traitement de l’information, ainsi que dans la lutte contre les maladies du cerveau. Certaines cellules gliales accélèrent le transfert de l’information entre des régions cérébrales éloignées, ce qui améliore les fonctions cognitives. D’autres 14:59 © Cerveau & Psycho - n° 54 novembre - décembre 2012 67 cp54_p066073_moit_oubli_cerv_fields_ben.qxp 16/10/12 14:59 Page 68 Neurobiologie les signaux transmis par les axones d’autres neurones, via les espaces les séparant, les synapses. La transmission des signaux par les synapses met en œuvre des molécules nommées neurotransmetteurs. Les premiers neuroanatomistes constatèrent que les neurones sont répartis dans tout le cerveau, mais, à cette époque, personne n’examina le « ciment » blanc où baignaient les neurones. Les scientifiques négligeaient alors le fait que ces neurones ne représentent que 15 pour cent des cellules cérébrales. Le reste n’était considéré que comme un simple matériel d’enrobage. Aussi, le pathologiste allemand Rudolf Virchow, l’un des premiers à étudier la glie, compara cette substance cérébrale à un tissu conjonctif et la nomma Nervenkitt, ce qui signifie colle neuronale, soit en français « neuroglie ». Peu de neuroscientifiques étudient la glie. On ne dispose toujours pas de description précise équivalente à celle des neurones pour reconnaître les diverses cellules gliales. Virchow distinguait à peine les différents types de glie. Et aucune de ces cellules ne présente une seule des caractéristiques essentielles à la communication neuronale, à savoir des axones, des dendrites ou des synapses. De sorte que les chercheurs n’avaient aucune raison de penser que les cellules gliales communiquent. Les neurones utilisent à la fois l’électricité et la chimie pour communiquer : l’électricité transmet des influx nerveux le long des axones et les molécules chimiques transportent ces signaux à travers la synapse jusqu’au neurone voisin. Ce neurone receveur (postsynaptique) émet alors un influx électrique, relayant ainsi le signal au neurone suivant. Depuis quelques années, les scientifiques ont montré qu’un type de cellules gliales, les astrocytes, contrôle la communication synapCellule microgliale Interneurone Globule rouge Gaine de myéline Neurone Globule blanc Macrophage Vaisseau sanguin Astrocyte 2. La glie est l’ensemble des cellules cérébrales, qui ne sont pas des neurones. Considérée auparavant comme du simple matériel de soutien, la glie représente 85 pour cent des cellules du cerveau et l’on sait aujourd’hui qu’elle contrôle de nombreuses fonctions cérébrales. Les astrocytes transportent des nutriments et des déchets, et participent à la 68 communication neuronale. Les oligodendrocytes enveloppent les axones d’une gaine de myéline isolante, ce qui accélère la transmission des signaux électriques. La microglie lutte contre les agents pathogènes et stimule la réparation des régions endommagées. Quand ces cellules microgliales sont défaillantes, le cerveau fonctionne mal. © Cerveau & Psycho - n° 54 novembre - décembre 2012 Andrii Muzika / Shutterstock - Raphael Queruel Oligodendrocyte cp54_p066073_moit_oubli_cerv_fields_ben.qxp 16/10/12 14:59 Page 69 Les cellules oubliées du cerveau tique. Les premiers anatomistes les ont nommés ainsi parce que ces cellules ressemblent à des étoiles. On pensait qu’elles n’assuraient que des tâches ménagères, tels le transport des nutriments du sang aux neurones et l’évacuation des déchets des neurones vers le sang. En effet, on a observé que de nombreux astrocytes sont ancrés aux vaisseaux sanguins par certains de leurs prolongements, et qu’ils agrippent les neurones et leurs synapses avec d’autres de ces prolongements (voir la figure 3). Puis les scientifiques ont montré que les neurones dépendent de la glie pour émettre leurs potentiels d’action et transmettre des messages dans les synapses. Ils ont découvert que les cellules gliales portent les mêmes récepteurs des neurotransmetteurs que les neurones. Ces récepteurs permettent aux cellules gliales d’« écouter » les neurones et de communiquer entre elles sans utiliser l’électricité. Le réseau glial utilise-t-il cette information récupérée dans les synapses pour contrôler l’activité d’autres synapses dans des régions cérébrales éloignées ? Si tel est le cas, la glie pourrait jouer un rôle central dans le traite3. Les « bras » ment de l’information. Des recherches récendes astrocytes tes semblent confirmer cette hypothèse. En 2011, en utilisant un laser pour provo- s’ancrent aux vaisseaux quer l’entrée d’ions calcium dans un astro- sanguins et aux neurones. Ils apportent ainsi cyte situé près d’un neurone, l’équipe du neules nutriments robiologiste Norio Matsuki, de l’Université aux neurones de Tokyo, a montré que les neurotransmetet en éliminent teurs libérés par l’astrocyte augmentent la les déchets, rejetés puissance de l’impulsion électrique dans dans le sang. l’axone. En 2005, l’équipe du neurobiologiste Les astrocytes assurent Philip Haydon, de l’Université Tufts, a aussi la transmission confirmé que les astrocytes fournissent un des signaux mode de communication non électrique d’un neurone à l’autre entre synapses dans une région cérébrale pardans les synapses. La glie contrôle la discussion entre neurones Neurone © Hybrid Medical Animation Pour ce faire, il a fallu attendre l’invention de nouvelles techniques permettant aux scientifiques de suivre l’activité électrique sous forme de lumière. En général, on utilise des microélectrodes avec les neurones, mais elles ne détectent pas la communication gliale. C’est grâce à la vidéo et aux microscopes laser, développés dans les années 1980 et 1990, que les chercheurs ont suivi les décharges neuronales en ajoutant des « traceurs» colorés dans les cellules. Ces colorants brillent quand des ions, tel le calcium, entrent dans les neurones, preuve que leurs axones transmettent un signal. En utilisant cette méthode, on a observé que quand on stimule un neurone pour lui faire émettre un potentiel d’action, les astrocytes réagissent aussi. Ils détectent l’activité électrique des neurones et des ions calcium entrent dans les cellules gliales. En outre, cette technique a permis de montrer que les astrocytes communiquent entre eux. Lorsque les neurotransmetteurs issus des neurones activent les récepteurs des cellules gliales, ces dernières libèrent aussi des neurotransmetteurs. Et cette sécrétion active une réaction en chaîne, le message étant transmis à d’autres cellules gliales. La communication gliale est visible sous forme d’une lumière fluorescente qui se propage d’une cellule à une autre dès qu’un neurone actif libère un neurotransmetteur. Synapse Vaisseau sanguin Astrocyte ticipant à la mémoire, l’hippocampe. En effet, les astrocytes réagissent à un neurotransmetteur, le glutamate, sécrété dans les synapses, et libèrent un autre neurotransmetteur, l’adénosine. Ce dernier augmente l’activité du neurone voisin et celle de synapses éloignées. Ainsi, en contrôlant l’information transmise dans les synapses, la glie participe au traitement des données visuelles, mnésiques, à la contraction musculaire et à des fonctions cérébrales inconscientes telles que le sommeil. La vitesse et l’étendue de la communication gliale renforcent le rôle de la glie dans le traitement de l’information. Contrairement aux neurones qui communiquent de proche en proche, de synapse en synapse, la glie diffuse ses signaux sur de grandes distances. © Cerveau & Psycho - n° 54 novembre - décembre 2012 69 cp54_p066073_moit_oubli_cerv_fields_ben.qxp 16/10/12 14:59 Page 70 Neurobiologie 5. Les astrocytes régulent le flux sanguin selon la demande des neurones. Sur cette photo, ils sont regroupés autour d’un vaisseau sanguin cérébral (flèche rouge). 70 secondes ou quelques dixièmes de seconde. Certaines fonctions cérébrales, par exemple les mouvements réflexes après un stimulus douloureux, nécessitent une réaction rapide, mais de nombreux processus cérébraux se produisent sur des périodes plus longues. L’apprentissage en est un exemple. Grâce aux techniques d’imagerie cérébrale, on a montré chez l’homme que l’apprentissage d’un instrument de musique ou de la lecture modifie la structure de certaines régions cérébrales. Or ces changements sont observés dans des régions où il n’y a pas de neurones entiers : ce sont des zones de substance blanche, formées de faisceaux d’axones entourés de myéline blanche. Avant ces observations, les théories de l’apprentissage affirmaient que le cerveau incorporait de nouvelles informations en renforçant les connexions synaptiques. Mais il y a peu de synapses dans la substance blanche. D’autres mécanismes sont donc à l’œuvre. M. Simard et al., J. of Neuro., vol.23(27), 2003 4. Les bras d’un oligodendrocyte (en vert) agrippent des axones (en rouge) et commencent à les entourer de couches d’isolant. Les premières étapes de la formation de cette myéline sont visibles sur cette micrographie de neurones de rats. Varsha Shukla National Institute of Health L’information électrique circulant entre neurones est rapide, se propageant dans le réseau neuronal en quelques millièmes de seconde. En revanche, la communication chimique de la glie est lente, se répandant comme un raz de marée dans le tissu nerveux en quelques Dans mon laboratoire, depuis dix ans, nous avons obtenu des résultats intéressants concernant deux types de cellules gliales qui s’accrochent aux axones et les enrobent d’une gaine isolante de myéline : les oligodendrocytes dans le cerveau et les cellules de Schwann dans le reste de l’organisme. Comme une pieuvre, un oligodendrocyte agrippe un segment d’axone avec ses tentacules, qui s’enroulent en formant jusqu’à 150 couches compactes (voir la figure 4). Cette isolation augmente la vitesse de propagation des potentiels d’action dans l’axone, qui sont jusqu’à 50 fois plus rapides que sans myéline. La glie fixe les neurotransmetteurs Ces cellules gliales formant la myéline peuvent aussi détecter les impulsions transmises le long des axones. Nous ignorions comment elles font, car ces cellules sont loin des synapses, sites de libération des neurotransmetteurs. Mais nous avons découvert que les neurones libèrent aussi des neurotransmetteurs le long des axones via des canaux membranaires qui s’ouvrent au passage des potentiels d’action. J’ai vu la libération de l’un de ces neurotransmetteurs – l’adénosine triphosphate ou ATP – en équipant mon microscope d’un amplificateur capable de détecter des photons uniques. Dans cette expérience, j’ai utilisé la réaction chimique responsable de l’émission de la lumière verte caractéristique des lucioles. J’ai inséré la protéine fluorescente et une enzyme de luciole dans des cultures de neurones de souris. Ces protéines de la luciole ont besoin d’une molécule supplémentaire pour briller : l’ATP, normalement fourni par les cellules de la luciole. Quand j’ai stimulé électriquement les axones des neurones de souris, ils ont libéré de l’ATP, provoquant l’émission d’une rafale de photons. La formation de myéline dépendrait donc de certains stimulus neuronaux (voir la figure 6), ce qui signifie que les stimulations neuronales du début de la vie participent au développement de la myéline. En augmentant la vitesse du transfert d’information entre différentes régions cérébrales impliquées dans des tâches cognitives complexes, ces cellules gliales participent à l’apprentissage. Qui plus est, les cellules gliales apparaissent aujourd’hui comme des acteurs majeurs d’un © Cerveau & Psycho - n° 54 novembre - décembre 2012 cp54_p066073_moit_oubli_cerv_fields_ben.qxp 16/10/12 14:59 Page 71 Les cellules oubliées du cerveau grand nombre de maladies neurologiques et psychiatriques, telles que l’épilepsie, la douleur chronique et la dépression. En effet, on a montré que de nombreuses pathologies sont en fait des troubles de la glie, en particulier d’une classe de cellules dites microgliales (voir la figure 7). La microglie représente le système cérébral de défense contre les pathogènes et les maladies. Ses agents détectent et détruisent les envahisseurs et favorisent la récupération après une lésion, en éliminant le tissu mort et en libérant des molécules de cicatrisation. Les cellules gliales participeraient aussi aux douleurs chroniques qui persistent, voire s’aggravent, après la guérison d’une blessure. Les médecins prescrivent de puissants narcotiques, tels la morphine et d’autres opiacés, pour atténuer la douleur de ces patients. Toutefois, l’efficacité de ces molécules dimi- Neurone La microglie vieillit, le cerveau fait de même Oligodendrocyte Axone Couche de myéline Delphine Bailly Ainsi, pour certains scientifiques, la maladie d’Alzheimer résulterait du fait que les cellules microgliales ne sont plus capables d’éliminer les déchets. Aloïs Alzheimer (18641915) – qui, le premier, a décrit la maladie qui porte son nom – avait déjà remarqué que la microglie entoure les plaques amyloïdes, des dépôts caractéristiques de la maladie. En général, la microglie digère les protéines toxiques qui forment ces plaques. Mais récemment, l’équipe du neuroscientifique Wolfgang Streit, de la Faculté de médecine de l’Université de Floride, et d’autres laboratoires ont montré que la microglie s’affaiblit avec l’âge et dégénère. Cette atrophie est visible au microscope : la microglie sénescente se fragmente et perd un grand nombre de ses prolongements (voir la figure 8). La façon dont la maladie d’Alzheimer se propage dans le cerveau est un autre signe de l’implication de la microglie. Les lésions tissulaires s’étendent selon un schéma prédéterminé qui débute près de l’hippocampe et atteint le cortex frontal. W. Streit et ses collègues montrent que la dégénérescence de la microglie suit le même schéma, et ce, avant que la dégénérescence neuronale ne commence. Ils suggèrent donc que la sénescence de la microglie est une cause de la maladie d’Alzheimer, et non une conséquence des lésions neuronales, comme l’avaient proposé Alzheimer et, après lui, la plupart des scientifiques. Ces résultats pourraient aboutir à de nouveaux traitements contre cette maladie. Mais il faut d’abord que les chercheurs déterminent pourquoi la microglie « vieillit » chez certaines personnes et pas chez d’autres. nue avec le temps, de sorte que des doses de plus en plus élevées sont nécessaires pour obtenir les mêmes effets antalgiques. Et cela peut aboutir à une dépendance. Nous savons aujourd’hui que des dysfonctionnements des cellules gliales seraient responsables à la fois de la persistance de la douleur et de la perte d’efficacité de certains analgésiques. Plusieurs équipes internationales ont montré que les cellules microgliales et les astrocytes réagissent à l’hyperactivité des circuits de la douleur consécutive à une blessure en libérant des composés qui déclenchent le processus de guérison. Ces substances stimulent aussi les neurones. Juste après la blessure, cette augmentation de sensibilité est bénéfique, parce que la douleur nous oblige à nous protéger contre une nouvelle attaque. Mais dans le cas d’une douleur chronique, les cellules microgliales n’arrêtent jamais de libérer ces substances, même après guérison. Récemment, des chercheurs © Cerveau & Psycho - n° 54 novembre - décembre 2012 6. Les oligodendrocytes déposent de multiples couches de myéline autour des axones, ce qui multiplie la vitesse de propagation du signal électrique par un facteur pouvant atteindre 50. Les influx nerveux stimuleraient la myélinisation. 71 cp54_p066073_moit_oubli_cerv_fields_ben.qxp 16/10/12 14:59 Page 72 Neurobiologie Les astrocytes et les cellules microgliales sont les premiers à réagir face à une lésion, et, en cas de « réparation » insuffisante, des maladies neurologiques peuvent survenir. 72 les, et les ont transplantées chez les souris dont le gène Hoxb8 est muté. Ces dernières ont guéri de leur comportement de toilettage compulsif. Les cytokines libérées par les cellules microgliales activeraient les circuits cérébraux responsables de la formation des habitudes. L’analyse post mortem du tissu cérébral humain a aussi montré que les oligodendrocytes et les astrocytes participent à la dépression et à la schizophrénie. Ces cellules sont en effet moins nombreuses dans le cerveau de ces malades. Et des études en imagerie cérébrale fonctionnelle de personnes schizophrènes ont mis en évidence des anomalies dans des régions sous-corticales de la substance blanche. Les maladies psychiatriques également concernées W. Spielmeyer, Julius Springer, 1922 ont réussi à réduire la douleur chronique d’animaux de laboratoire en bloquant soit les signaux émis par les neurones vers les cellules gliales, soit ceux libérés par ces mêmes cellules gliales. Les scientifiques développent actuellement des analgésiques qui ciblent les cellules gliales plutôt que les neurones. En outre, les cellules gliales sont responsables du fait que des lésions de la moelle épinière provoquent souvent une paralysie. Martin Schwab, de l’Université de Zurich, et d’autres scientifiques ont découvert que des protéines de la couche de myéline, fabriquée par les oligodendrocytes et qui entoure les axones, empêchent les axones lésés de se réparer. Dans un modèle animal de lésion médullaire, bloquer les protéines des cellules gliales permet aux axones de se régénérer. Des essais cliniques chez des patients paralysés sont en cours. Ainsi, les astrocytes et les cellules microgliales sont les premiers à réagir face à une lésion, et, en cas de « réparation » insuffisante, des maladies neurologiques peuvent survenir. De même, on sait depuis longtemps que les maladies démyélinisantes telle la sclérose en plaques, où la myéline entourant les axones dégénère progressivement, provoquent de graves handicaps. Mais on a aussi récemment découvert que les cellules gliales sont impliquées dans les maladies psychiatriques. Par exemple, il existe un lien entre des molécules nommées cytokines, libérées par des cellules du système immunitaire et les cellules microgliales, et les troubles obsessionnels compulsifs. En 2002, le généticien Mario Capecchi et ses collègues, du Département de génétique humaine de l’Université de l’Utah, ont montré que des souris porteuses d’une mutation du gène Hoxb8 présentent un comportement compulsif de toilettage et s’arrachent les poils. Or les seules cellules cérébrales exprimant ce gène sont les cellules microgliales. Puis, en 2010, les scientifiques ont prélevé chez des souris « normales» des cellules immunitaires immatures, précurseurs des cellules microglia- 7. Cellules microgliales, dessinées en 1922 par le neuropathologiste allemand Walther Spielmeyer (1879-1935). Bien que de multiples facteurs soient probablement impliqués dans les maladies psychiatriques, la schizophrénie et d’autres maladies ont une composante génétique. Si une personne souffre de schizophrénie, son « vrai » jumeau a une probabilité égale à 50 pour cent de développer la maladie. Or certains des gènes impliqués dans ces maladies psychiatriques ne sont présents que dans les oligodendrocytes ; d’autres contrôlent le développement des cellules gliales formant la myéline. Yaron Hakak et ses collègues, de l’Institut de génomique de la Fondation de recherche Novartis à San Diego, ont analysé 6 000 gènes dans du tissu provenant du cortex préfrontal de personnes schizophrènes. Ils y ont trouvé 89 gènes anormaux, 35 étant impliqués dans la myélinisation. On suppose que ces anomalies génétiques modifient le fonctionnement synaptique et la qualité de la gaine de myéline, de sorte que l’information se propagerait moins bien dans les circuits cognitifs. En outre, les neuroscientifiques tentent de comprendre pourquoi les cellules gliales peuvent provoquer des dysfonctionnements synaptiques. En effet, la plupart des maladies psychiatriques résultent d’un déséquilibre des © Cerveau & Psycho - n° 54 novembre - décembre 2012 cp54_p066073_moit_oubli_cerv_fields_ben.qxp 16/10/12 14:59 Page 73 © Wolfgang J. Streit Les cellules oubliées du cerveau neurotransmetteurs dans des circuits contrôlant la perception, les émotions et la pensée. Tous les médicaments utilisés pour traiter ces maladies, et d’autres pathologies neurologiques, régulent l’équilibre des neurotransmetteurs. Par exemple, les inhibiteurs sélectifs de la recapture de sérotonine sont prescrits contre la dépression et de nombreux troubles psychiatriques : ils bloquent l’élimination de la sérotonine et de la dopamine de la synapse, de sorte que ces neurotransmetteurs s’accumulent et amplifient le signal. De même, toutes les drogues hallucinogènes, tel le LSD, produisent leurs effets psychotropes en modifiant les concentrations de neurotransmetteurs dans des circuits neuronaux spécifiques. Or réguler la concentration des neurotransmetteurs dans les synapses est justement une des fonctions des astrocytes. De nouveaux traitements En théorie, les astrocytes pourraient donc contrôler ce fragile équilibre entre santé mentale et « folie ». D’ailleurs, c’est la glie qui a inspiré l’hypothèse initialement audacieuse selon laquelle les maladies psychiatriques ont une cause biologique et peuvent être traitées. Dans les années 1930, le psychopathologiste hongrois Ladislas von Meduna a remarqué lors des autopsies qu’il pratiquait que le nombre d’astrocytes est anormalement faible dans le cortex cérébral de personnes ayant souffert de dépression ou de schizophrénie. En examinant du tissu cérébral obtenu par biopsie, von Meduna et d’autres pathologistes avaient aussi constaté que le nombre d’astrocytes augmente après une crise d’épilepsie, probablement pour réguler l’activité électrique quand elle s’emballe. Von Meduna a aussi noté que les personnes épileptiques souffrent rarement de schi- zophrénie. Selon lui, un déficit en astrocytes serait la cause biologique de la schizophrénie et de la dépression. En provoquant une crise d’épilepsie chez les patients souffrant de ces maladies, il a corrigé le déséquilibre en astrocytes et guéri des patients. Il écrivit dans son autobiographie : « J’ai publié ce travail en 1932 sans savoir qu’il donnerait naissance au traitement par électrochocs. » On ignore encore les mécanismes mis en œuvre, mais la thérapie par électrochocs reste le traitement le plus efficace contre la dépression pour les patients qui ne réagissent à aucun médicament. En conséquence, la glie, dans son ensemble, participe au fonctionnement cérébral : des médicaments ciblant les cellules gliales pourraient soulager des maladies psychiatriques et neurologiques. Selon P. Haydon, l’épilepsie pourrait bénéficier des traitements visant les anomalies des cellules gliales. En effet, plusieurs équipes ont montré que quand l’activité neuronale est augmentée, la glie libère des neurotransmetteurs qui peuvent soit renforcer la crise, soit la supprimer. D’autres travaux suggèrent une implication de la glie dans les troubles du sommeil. Par exemple, P. Haydon a montré que des souris génétiquement modifiées pour que leurs astrocytes ne libèrent plus de neurotransmetteurs présentent de tels troubles. Nous avons trop longtemps ignoré plus de la moitié du cerveau et l’avons exclue de nos travaux. Nous savons aujourd’hui que le cerveau glial et le cerveau neuronal travaillent différemment, mais de concert ; c’est d’ailleurs cette association qui explique les capacités étonnantes du cerveau. Les neurones sont des cellules spécialisées dans le traitement de l’information. Mais ils seraient bien moins efficaces et moins fiables sans... I les cellules gliales. © Cerveau & Psycho - n° 54 novembre - décembre 2012 8. De nombreuses maladies du système nerveux sont dues à des anomalies des cellules gliales. Comparée à une cellule microgliale normale (à gauche), la cellule microgliale âgée (à droite) a des branches recroquevillées, ce qui représente un marqueur de démence. Bibliographie D. Fields, The other brain, Simon and Schuster, 2011. T. Sasaki et al., Action-potential modulation during axonal conduction, in Nature, vol. 331, pp. 599-601, 4 février 2011. D. Fields, Change in the brain’s white matter, in Nature, vol. 330, pp. 768-769, 5 novembre 2010. D. Fields et al., Nonsynaptic communication through ATP release from volume-activated anion channels in axons, in Science Signaling, vol. 3, ra73, 5 octobre 2010. J. Scholz et al., Training incudes changes in white matter architecture, in Nature Neuroscience, vol. 12, pp. 1370-1371, novembre 2009. 73