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L’Orthodontie Bioprogressive - Vol. 23 - juin 2015
Choukroun M.G.
a étudié les implications psychologiques de son art.
Malheureusement, la faculté est encore très timide
sur cet enseignement et il m’a fallu fréquenter les
deux universités (médicale et psychologique) pour
acquérir cette compétence. Il ne faut pas s’étonner
que certaines personnes, faute de cumuler ces deux
diplômes, puissent par ignorance verser dans des
sciences douteuses, parfois ésotériques. Le traite-
ment peut être simple et biochimique ou biophy-
sique mais méfi ons-nous de jouer une complicité au
mensonge que le patient se fait à lui-même dans le
vécu de certaines douleurs.
Exemples cliniques
Un jeune patient se présente à ma consultation, se plaignant de douleurs consécutivement à la pose
d’une orthèse. Je lui prescris du paracétamol. Les jours suivants, le patient ne se plaint plus. L’interpréta-
tion médicale est simple : il s’agit d’un effet biochimique. Pourtant l’approche clinique agrémentée des
recherches en sciences humaines engendre plusieurs questions :
Est-ce le paracétamol qui a traité la douleur ? Est-ce la bienveillance du praticien qui a agit ? Est-ce l’effet
placebo du comprimé ?
Une autre patiente se présente en consultation se plaignant d’une fêlure dentaire très douloureuse. Son
odontologiste lui a proposé un traitement par pulpectomie. L’interrogatoire révèle que cette douleur
s’est déclarée lors d’une escapade à la campagne. Abandonnant ses enfants et son mari pour s’occuper de
son potager, la patiente déclare que la lésion est sans relation avec un traumatisme actuel ou antécédent.
Je lui explique que la fêlure n’est pas pathologique, que seule la douleur peut justifi er un acte thérapeu-
tique, je lui fais prendre conscience de la culpabilité qu’elle a éprouvée dans cette « escapade » et qu’elle
traduit sur son corps. Elle revient une semaine plus tard et déclare qu’elle a bien compris le sens de cette
douleur, et qu’elle ne ressent plus rien. La douleur était-elle réelle ? Pourquoi une pulpectomie aurait-elle
aussi répondu à la plainte ? Sur quoi exactement aurait agit l’acte médical ?
Une patiente se présente en consultation suite à une action très rapide sur un déplacement dentaire.
Elle désire anticiper sur la fi n de la correction et maintenir cette position obtenue. Je lui demande si elle
a souffert. Elle confi rme une douleur importante, mais me rassure en déclarant que celle-ci ne l’a pas
dérangée et qu’elle est contente du résultat.
Voici donc trois situations qui doivent nous interroger sur la nature de la douleur et de son traitement.
La douleur
et son champ sémantique
Les ouvrages médicaux que nous avons l’habitude de
parcourir n’exposent qu’un phénomène particulier
de la douleur. Ils analysent les éléments de la percep-
tion et de la sensation douloureuse, ainsi que les
circuits neurologiques, périphériques et centraux et
les médiateurs chimiques. Toute cette étude désor-
mais nous l’appellerons « l’algie » en relation avec
la réponse pharmacologique, qui lui correspond :
les antalgiques, les analgésiques, les anesthésiques
et de ce fait nous devons utiliser un terme pour le
traitement correspondant : « l’algothérapie ». Ces
innovations linguistiques nous permettent d’indi-
quer que la douleur n’est pas un terme scientifi que,
la parole reste le terme du patient. Nous devons le
conserver pour exprimer bien plus que ne le font
certains cliniciens qui réduisent cette clinique à la
partie objective de la douleur.
Pourquoi s’accorde-t-on à écrire qu’il existe une
partie subjective de la douleur et tenter avec insis-
tance de ne gérer que la partie objective ?
Pourquoi existe-il des échelles de la douleur comme
s’il fallait absolument objectiver le subjectif, sans
parallèlement subjectiver la réalité du patient ?
Pourquoi reconnaît-on l’effet placebo comme un
évènement affi rmé et positif, sans en chercher les
causes et les paramètres qui peuvent l’infl uencer ?
Humainement, le phénomène algique n’est pas
le seul qui affecte l’individu. C’est pourquoi nous
devons envisager le bouleversement psychique qui
accompagne la nociception et que nous nommerons
la douleur proprement dite. Au-delà de la douleur,
l’individu commotionné développe des réactions
d’adaptation, que nous pouvons regrouper sous le
terme de souffrance (Selon JD NASIO).