S’il n’est pas inutile, encore aujourd’hui, de rappeler que le théâtre de
Fo est aussi en partie un théâtre Fo-Rame, la réhabilitation de Franca
Rame n’est plus à faire et elle ne sera pas l’objet de notre propos. Notre
étude s’intéressera au théâtre de Rame et Fo, à une œuvre unique écrite à
deux : à deux mains, à deux corps, jouée sur mille scènes ; la question de
la part respective des deux auteurs au sein de cette création a été
largement étudiée4 et Fo et Rame se sont maintes fois exprimés sur leur
façon de composer à deux, Fo jetant, le plus souvent, la première
version sur le papier, Rame réélaborant le texte par des lectures
successives, avant de le porter sur scène où il connaîtra encore d’autres
transformations5.
Les auteurs tiennent à cette double signature : chaque édition des
monologues pour femme, depuis 1978 – c’est-à-dire depuis que Franca
Rame a porté sur scène le premier monologue écrit par elle seule, Lo
stupro [Le viol], qui marque un tournant décisif de la part al femminile de
l’œuvre, désormais co-signée – a porté le nom des deux auteurs. Que
l’on considère à ce propos l’édition 2000 du théâtre de Dario Fo, signée
du seul nom de Fo en couverture, et qui rappelle à l’intérieur, pour
chaque monologue la signature duelle par un sous-titre (« Monologue de
Franca Rame et Dario Fo6 »). Les monologues féminins – même ceux
dont la motivation d’écriture n’appartient qu’à l’un ou à l’autre – sont
présentés comme le produit d’une collaboration, et cette double
signature consacre bien un processus de composition de l’œuvre
théâtrale, au sein duquel le texte est une étape: il enregistre un état du
canevas originel transformé et réécrit sur scène et avec le public; il
propose aux lecteurs et metteurs en scène un point de départ pour des
Coppia d’arte Dario Fo e Franca Rame con dipinti, testimonianze e dichiarazioni inedite, a cura di
Concetta D’Angeli e Simone Soriani, Pisa, Edizioni Plus, 2006.
4 Nous renvoyons à l’ouvrage de D’Arcangeli, Luciana, I personaggi femminili nel teatro di Dario Fo e Franca
Rame, Franco Cesati Editore, Firenze, 2009, sans doute le plus exhaustif sur la question.
5 Un chose surprend lorsqu’on lit une bonne part de la critique sur le théâtre de Fo, c’est
l’immanquable référence biographique (qui fait écrire par exemple à Paolo Puppa dans « L’albero Fo »,
in La voce solitaria. Monologhi d’attore nella scena italiana tra vecchio e nuovo millenio, Bulzoni, Roma, 2010, p.
45 : « Oggi inevitabilmente, Fo è cambiato » [Aujourd’hui, c’est inévitable, Fo a changé], ou encore
« Dai grandi numeri Fo ormai si ritira » [Désormais Dario Fo se retire de la cour des grands]) et son
corollaire : l’inévitable tentative de distribuer les œuvres entre celles de Fo d’un côté et celles de Rame
de l’autre. Sans doute parce qu’ils jouent les textes qu’ils écrivent, on est tenté de confondre acteurs et
auteurs, et parce qu’ils revendiquent un art politique, on confond spontanément à leur tour auteur et
acteur avec l’artiste engagé… Dario Fo et Franca Rame prêtent leur visage et leur personne à chaque
étape de la création artistique, mais est-ce une raison pour si souvent assimiler les auteurs à leur
oeuvre, au risque d’effacer le texte et sa représentation, de le réduire à la personne de son auteur,
renouant ainsi avec une critique biographique stérile et anachronique ? Cette assimilation explique
d’ailleurs que le féminisme des auteurs soit parfois mal appréhendé. Quant à la difficulté à accepter
une double signature (les romans de Fruttero et Lucentini ont-ils jamais posé un problème
autographe ?), elle nous semble en partie due au fait que ce sont principalement les études féministes,
dans le sillage des gender studies, qui se sont intéressées aux comédies et monologues pour femme du
couple.
6Et par une sobre allusion, entre parenthèses, dans la courte préface de Franca Rame: « Questo
volume del teatro di Dario (… e anche un po’ mio. Ecco perché la seconda parte è tutta al
femminile) » [Ce volume du théâtre de Dario (… qui est aussi un peu le mien. C’est pourquoi la
seconde partie est toute au féminin], Franca Rame, « Introduzione », in Dario Fo, Teatro, Einaudi,
2000, p. VIII.