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D O SS IE R
A
u cours de ces 10 dernières années, les
t r avaux sur la plainte mnésique se sont
multipliés. Ils ont été suscités par la place
p a rticulre qu'a pris la mémoire dans notre
société mais surtout par la fquence de cette
plainte chez les sujets âgés avec la crainte
qu'elle ne témoigne d'une maladie d'Alzhei-
mer (MA), débutante. Un préalable est
cessaire. Le terme de plainte mnésique
recouvre, en fait, des réalités diff é r e n t e s
selon :
que le sujet exprime spontanément sa
plainte (plainte exprie) au cours d'un
entretien motivé ou non par cette plainte ou
qu'il est interr o au moyen de simples ques-
tions ou de questionnaires élaborés qui lui
demandent d'apprécier le fonctionnement de
sa mémoire (plainte ressentie) ;
le caractère de la plainte exprimée. La
diminution des faculs mnésiques peut être
exprie par le sujet qui consulte spontané-
ment ou par l'entourage qui est à l'origine de
la consultation ;
le caractère des plaintes ressenties selon
que l'évaluation porte sur le fonctionnement
actuel de la mémoire du sujet ou sur la com-
paraison du fonctionnement actuel à un
fonctionnement antérieur qui se re tantôt
aux années précédentes tantôt à la période
scolaire ;
le type des questionnaires ou autoques-
tionnaires utilisés pour l'évaluation. On en
distingue deux principaux types. Les ques-
tionnaires de plaintes dans lesquels il est
demandé au sujet d'évaluer la fréquence ave c
laquelle il rencontre un certain nombre de
d i fficultés, mnésiques ou cog n i t ives, dans la
vie quotidienne et les questionnaires dits de
métamémoire qui demandent de préciser,
non seulement ce que le sujet pense de sa
moire mais également ses connaissances
sur le fonctionnement mnésique en général ;
– la nature de l'étude. Les études épidémio-
l ogiques peuvent, seules, donner une idée de
la fréquence et des corrélats de la plainte
dans la population générale. Toutefois l'ex-
ploration du fonctionnement mnésique, dans
ces études, se limite habituellement à
quelques questions simples. Les études cli-
Mémoire et vieillissement
La plainte mnésique :
é p i d é m i o l o gie et démarche diagnostique
C. Derouesné, L. Lacombl e z
Service d'Urgences cérébrovasculaires (CD),
D é p a r tement de Pharmacologie (LL), Départe m e n t
de Neurologie, Hôpital de la Salpêtrière, Pa r i s .
Correspondance : C. Derouesné, Service d'Urgences céré-
brovasculaires, Hôpital de la Salpêtrière, 47, bd de l'Hôpital,
F 756 51 Paris Cedex 13 .
Tel : 01 42 16 18 12. Fax : 01 44 24 52 46.
Reçu le 8 avril 19 9 9; accepté le 14 septembre 19 9 9 .
L’ E SS E N T I E L
Chez le sujet âgé : La plainte d'une
diminution des capacités mnésiques dans la
vie quotidienne est fréquente à tout âge,
mais prend toute son importance chez le
sujet âgé du fait de la crainte qu'elle ne tra-
duise le début d'une maladie d'Alzheimer
(MA). Deux grands types de plainte peuvent
être opposés.
La plainte suspecte de révéler une
MA : Elle traduit un trouble de la mémorisa-
tion : les difficuls ne portent que sur le
passé cent, elles retentissent rapidement
sur la vie quotidienne et s'accompagnent de
modifications du comportement qui amènent
l'entourage à demander la consultation. Un
examen rapide de la mémoire met en évi-
dence un trouble du rappel qui n'est pas
améliopar les procédures de facilitation
( i n d i ç a g e ) .
La plainte «nigne » : Elle témoigne
d'un trouble du rappel : elle porte aussi bien
sur le passé ancien que récent, ne s'accom-
pagne pas de modifications du comport e-
ment ou de diminution des activités de la vie
quotidienne. La gêne est essentiellement
subjective et le sujet vient seul consulter.
L'examen montre une disparition des difficul-
tés de rappel par l'indiçage. Cette plainte est
essentiellement corrélée à des phénomènes
psychoaffectifs et ne constitue pas un risque
p a rticulier d'évolution vers la démence.
Presse Med 20 0 0 ; 29 : 8 58 - 6 2
© 2000, Masson, Pa r i s
M A I N POIN T S
In the elderly: Complaints of poor
memory for everyday activities are common
in the young as well as in the elderly. Howe-
v e r, in the elderly, memory complaints are
especially of interest on account of their fre-
quency and the fear of being related to early
Alzheimer’s disease. Two types of memory
complaints should distinguished.
Encoding/storage defects: M e m o r y
difficulties related to early Alzheimer’s disease
are mainly related to a deficit in encoding
and / or storage. They are restricted to the
recent past and rapidly associated with tem-
poral disorientation, limitation in everyday
activities and behavioral modifications alert i n g
the family responsible for seeking medical
advice in most cases. Short examination of
memory performance shows a free recall
deficit which is not improved by cued recall.
Benign difficulties: Memory difficulties
of benign type are due to a pure recall deficit:
they are experienced as well for ancient as for
recent past and the difficulty in recall is tran-
sient. There are no behavioral modifications or
limitation in everyday activities: the disorder is
purely subjective. At examination, the deficit in
free recall is corrected by cueing. Benign type
of memory complaints is mostly related to
psychoaffective disturbances and subjects
experiencing this type of memory difficulties
are not at high risk for developing dementia.
C .D e rouesné, L. L a c o m bl e z
Complaints of poor memory
22 - 29 avril 2000 / 29 / n° 15 La Presse Médicale 8 5 9
niques, à l'inverse, utilisent des question-
naires qui pcisent la sémiologie de la
plainte, mais ces études portent sur des
populations sélectionnées ;
le lieu du recueil de la plainte qui condi-
tionne l'expérience du clinicien et sa fa ç o n
d'appréhender la nature de la plainte. Pour ne
citer que les consultations de mémoire, la
fréquence relative des plaintes « bénignes »
et des plaintes moignant d'une aff e c t i o n
o r ganique cérébrale varie beaucoup selon le
mode de fonctionnement du centre consi-
déré, en part i c u l i e r , si ce centre n'accepte les
sujets que par le canal des généralistes ou
fonctionne de façon ouve rte [1]. Les corr é-
lats de la plainte et son interprétation va r i e n t
é galement selon qu'ils reposent entièrement
sur le dépouillement de questionnaires ou
sur un entretien.
Ces difrentes évaluations de la plainte
mnésique expliquent, dans une large mesure,
les difrences observées dans sa fréquence
et surtout dans sa signification diagnostique
et pronostique.
Données épidémiologi q u e s
La plainte mnésique est fréquente à tout âge
comme le montrent les études épidémiolo-
giques effectuées dans la population géné-
rale. Ainsi, une plainte mnésique a été
recueillie chez 22 % des 810 sujets âgés de
18 à 85 ans étuds par Bassett et Folstein [2]
aux Etats-Unis. Aux Pays-Bas, la fquence
de la plainte était de 40 % chez 1971 sujets
âgés de 24 à 86 ans [3]. Dans une étude por-
tant sur 260 sujets cog n i t ivement intacts qui
staient psens à une consultation de
mémoire sur une période d'un an, 30 %
avaient moins de 50 ans [4].
Les corrélats de la plainte mnésique
Les corrélats démographiques
Toutes les études concordent pour souligner
l ' é l é v ation de la fréquence de la plainte mné-
sique avec l'âge. Dans ltude de Maastricht
[3], la fquence de la plainte passait de
29 % chez les sujets d'âge moyen de 3
4,0 ans à 52 % chez les sujets de 77±
5,2 ans. Cutler et Grams [5] ont montré, sur
plus de 1000 sujets, d'âge supérieur à 55 ans,
que 23 % des sujets âges de 85 ans et plus
se plaignaient de difficultés fréquentes
contre 10 % des sujets entre 55 et 59 ans.
Dans une étude portant sur 1628 sujets non-
déments examinés chez les médecins né-
ralistes, nous avons également observé une
augmentation régulière du score global d'une
échelle de difficultés cog n i t ives en fonction
de l'âge [6].
L'étude de Ponds [3] a montré que le
jugement d'un clin du fonctionnement
mnésique commençait à 50 ans et que sa fré-
quence augmentait gulièrement avec l'âge.
Toutefois, il n'y avait pas d'effet de l'âge lors-
qu'on demandait aux sujets de comparer le
fonctionnement de leur mémoire à celle des
sujets de même âge. En revanche, il ex i s t a i t
un effet âge marqué lorsqu'on demandait aux
sujets de comparer leur fonctionnement
actuel au fonctionnement de 5 à 10 ans
a u p a r avant ou à l'âge de 25 ans. Il ex i s t a i t
é galement un effet de lge sur la gêne et l'in-
quiétude que généraient les troubles de
mémoire [3].
Les données des questionnaires ont mon-
tré qu'il n'existait pas de caractère sémiolo-
gique spécifique de la plainte des sujets âgés
par rapport à celles des sujets jeunes. La fré-
quence absolue et la fréquence relative des
d i fférents items des questionnaires utilisés
sont identiques chez les sujets jeunes et âgés
[3, 4].
Dans la plupart des études, la fréquence
de la plainte est plus élevée chez les sujets
de fa i b le niveau d'éducation et chez les
femmes [2, 3, 6].
Les corlats de santé générale
L'étude de Cutler et Grams [5] avait montré
une plus grande fréquence de la plainte chez
les sujets ayant une appréciationga t ive sur
leur état de santé nérale, une arthrose de
hanche, des difficuls visuelles ou auditive s .
Nous avons montré la plus grande sévéri
de la plainte chez les sujets ayant un diabète
et une hy p e rtension artérielle [6]. Ponds [3]
a trouvé la corrélation entre la plainte
et l'appréciation subjective de la santé
générale.
Plainte et performances cognitives
La très grande majorité des études n'a pas
montré de relation entre la plainte mnésique
et la performance des sujets aux tests de
mémoire, d'intelligence ou d'attention. Lors-
qu'une liaison a éobservée, cette liaison
était toujours fa i ble.
En fait, les rapports entre la plainte et les
scores de performance ne sont pas simples.
En effet, plusieurs études ont montré que les
sujets atteints de maladie d'Alzheimer débu-
tante, bien que sous-estimant leurs diffi c u l-
s par rapport aux difficuls rappores par
leur famille, avaient des scores supérieurs à
ceux des sujets normaux dans les question-
naires de difficultés cog n i t i ves [7]. To u t e f o i s ,
chez ces patients, la plainte mnésique
diminue lorsque le ficit mnésique pro-
gresse et que la méconnaissance des défi c i t s
s'accentue.
Plainte et corrélats psychoaffectifs
De très nombreuses études ont montré que
les principaux corrélats de la plainte mné-
sique étaient des facteurs psychoaffectifs :
scores aux échelles de dépression, d'anxiété,
de bien-être [2, 3, 8, 9], traits de personna-
lité [10, 11], sensation d'isolement [8],
d é faut de support social et la façon dont le
sujet appréhende ses difficuls (style de
« coping ») [3].
Les difficultés mnésiques sont éga l e m e n t
perçues différemment par les sujets jeunes et
âgés [3]. Les sujets jeunes mettent leurs dif-
ficultés sur le compte d'une tension psycho-
l ogique, du stress et les considèrent comme
potentiellement réve r s i bles. Les sujets âgés
les mettent sur le compte de l'âge et, de ce
fait, pensent n'avoir aucune possibilité d'ac-
tion sur elles (ex t e rnalisation du lieu de
contrôle).
Conclusion : la plainte mnésique apparaît
comme un sympme multifactoriel. Les dif-
férents facteurs liés à la plainte contribuent à
diminuer l'estime de soi et la confiance que
le sujet porte à sa mémoire (self-effi c a cy). Il
en résulte une attitude néga t ive qui le conduit
à éviter les tâches mnésiques et à ne pas s'en-
gager dans les stratégies cessaires pour les
a c c o m p l i r, ce qui peut retentir sur les perfor-
mances. Un déficit des performances n'en-
traîne pas automatiquement une plainte mné-
sique, comme cela est bien montré chez les
patients atteints d'une MA débutante. To u t e -
fois, la diminution des performances peut
c o n t r i buer à la baisse de l'estime de
● ● ●
C .Derouesné, L.L a c o m b l ez
8 6 0 La Presse Médicale 22 - 29 avril 2000 / 29 /15
D O SS IE R Mémoire et vieillissement
soi et de la confiance qu'a le sujet dans sa
mémoire, provoquant un cercle vicieux.
Le devenir des sujets qui présentent
une plainte mnésique
La très grande majorité des études montre
qu'une plainte purement subjective, sans
diminution des performances ni retentisse-
ment sur l'activité quotidienne, est bénigne et
que ce groupe de sujets (stade 2 de la Global
Deterioration Scale, GDS, de Reisberg et al.
[12]) ne présente pas un risque plus élev é
d ' é voluer vers la démence que les sujets qui
ne se plaignent pas de leurmoire (stade 1
de la GDS). Certaines études ontanmoins
considéré la plainte comme un facteur pré-
dictif de démence [13-15]). L'analyse de ces
études montre, en réalité, que la plainte n'est
p r é d i c t i ve que lorsqu'elle s'accompagne d'une
diminution de performances aux tests [13,
15]. Toutefois, dans l'étude de Dartigues e t
a l . [13], il persiste un risque relatif plus élev é
lorsque les performances sont normales mais
l ' i n t e rvalle de confiance de ce risque (1.0-
10.8) conduit à relativiser ce résultat, d'autant
que la plainte était appréciée par 3 questions
dont une explorait une activité non habituel-
lement perturbée dans les plaintes
«b é n i g n e s » (difficultés à trouver les mots
ou à reconnaître les objets). Nous adhérons
néanmoins à la conclusion de ce travail : une
plainte mnésique doit toujours être considé-
e avec rieux lorsqu'il s'agit d'une plainte
exprimée. La sémiologie de la plainte ex p r i -
mée est essentielle pour orienter le diagnos-
tic. En revanche, ni le score global, ni l'ana-
lyse des items d'un questionnaire comme
l'Echelle de Difficultés Cog n i t ives de Mac
Nair et Khan [6] (plainte ressentie) ne per-
mettent de différencier les sujets norm a u x
des sujets pathologiques.
La comparaison de la fréquence de la
plainte mnésique avec celle de la MA et des
autres démences chez les sujets âgés montre
que la grande majorité des sujets qui se plai-
gnent de leur mémoire n'ont pas d'aff e c t i o n
o rganique cérébrale. En pratique, le pro-
blème est donc double :
comment reconntre une plainte mnésique
s u s c e p t i ble de traduire le début d'une aff e c t i o n
o rganique cérébrale, tout particulièrement d'une
MA débutante puisque le trouble de moire
est le mode d'entrée habituel de la seule MA ;
– quelle est la signification de la plainte qui
n'est pas en rapport avec une affection orga-
nique cérébrale ?
Comment reconnaître une plainte
mnésique révélatrice d'une
affection cérébrale organique ?
La mémorisation d'une information repose
sur 3 processus : l'encodage de l'inform a t i o n ,
le stockage, la restitution. La clé du diagnos-
tic entre plainte suspecte de révéler un débu t
de MA et plainte « bénigne » repose sur le
fait que le trouble principal, dans la MA, est
un trouble de la mémorisation (encodage,
stockage) alors que la difficulté à la base de
la plainte « bénigne » traduit un trouble de
la restitution d'une information qui a été
mémorisée. Cette distinction explique les
d i f férences entre les caractères de ces
plaintes, leur retentissement sur l'activ i t é
quotidienne et la nature des déficits mné-
siques observés à l'ex a m e n .
La miologie de la plainte
m n é s i q u e
La plainte mnésique « bénigne » témoignant
d'un trouble du rappel porte aussi bien sur le
passé ancien que récent. Les inform a t i o n s
recherchées (noms propres, détails d'événe-
ments) qui ne sont pas disponibles à un
moment précis reviennent en mémoire
quelques instants plus tard spontanément ou
après une procédure de recherche. Le sujet
est ts conscient de ses difficuls et en
s o u ffre mais cette gêne est purement subjec-
t i ve, elle ne diminue pas les possibilités d'ac-
complissement de tâches de la vie quoti-
dienne. Le sujet cherche ses affaires, mais il
les retrouve à un autre moment. Du fait du
caractère essentiellement subjectif des
t r o u bles, le sujet consulte seul. Pendant l'en-
tretien, il existe un contraste entre l'intensité
de la plainte et la précision de l'anamnèse.
La plainte suspecte traduit un trouble de
la mémorisation : elle ne porte donc que sur
le pasrécent. Très rapidement, ce troubl e
conduit à des difficultés d'orientation tem-
porelle et retentit sur l'activité quotidienne :
le sujet ne retrouve pas ses affaires, répète
les questions de telle sorte que l'entourage
s'en aperçoit et qu'il est, le plus souvent, à
l'origine de la consultation car le sujet ne
s'aperçoit pas qu'il oublie. L'orientation spa-
tiale n'est que plus tardivement touchée car
de nature moins épisodique. Le fait que le
sujet méconnaisse ses difficultés ou en mini-
mise ses conséquences introduit un contraste
entre le fa i b le niveau de la plainte et l'impré-
cision de l'anamnèse mais également entre
le fa i ble retentissement sur l'activité quoti-
dienne reconnu par le patient et les diffi c u l-
s rapportées par l'entourage.
Les symptômes d'accompagnement
La plainte mnésique « bénigne » peut s'ac-
compagner de manifestations psychoaff e c-
t ives, mais n'affecte pas le comport e m e n t .
Dans la MA, très précocement, la plainte
s'accompagne d'une modification du com-
p o rtement qui frappe l'entourage : le patient
présente une baisse de motivation, un repli
sur soi, le plus souvent accompagnés d'une
moindre réactivité émotionnelle aussi bien
pour les stimuli à valence positive que néga-
t i ve. Cette modification (apathie) est souve n t
prise, à tort, pour une dépression. Elle s'en
distingue par certains traits sémiolog i q u e s
comme l'absence d'humeur dépressive et de
t r o u bles végétatifs de la dépression [16].
Les caractères duficit mnésique
La distinction entre trouble de morisation
et trouble du rappel repose sur ltude de l'ef-
fet des procédures de facilitation du rappel.
Il existe plusieurs types de restitution de l'in-
f o rmation : dans le rappel libreredonnez-
- moi les mots que je vous ai présentés tout à
l'heure »), le sujet doit retrouver l'inform a-
tion à partir d'indices internes. Le rappel est
facililorsqu'on fournit au sujet des indices
ex t e rnes sous forme de l'information elle-
même (procédure de reconnaissance :
« Pa rmi les mots que vous voyez, quels sont
ceux que vous avez vus tout à l'heure ? ») ou
d'indices fournis au moment de l'encodage
(rappel indicé : par exemple au moment de
l'acquisition, on demande au sujet de dési-
gner le mot à apprendre à partir de sa caté-
gorie : « montrez-moi le nom du poisson. »
Au moment du rappel, on lui demande
« quel était le nom du poisson ? »).
En pratique, il est facile de recourir à
cette procédure en demandant au sujet de
retenir 3 à 5 mots, puis en lui faisant ex é c u-
22 - 29 avril 2000 / 29 / n° 15 La Presse Médicale 8 6 1
ter une che interférente (comme compter à
l ' e n vers pendant 5 soustractions de 3 en 3 ou
de 7 en 7) et en lui demandant de restituer
les mots (rappel libre). On redonne alors au
sujet les mots non restitués en rappel libre en
lui demandant de définir la catégorie à
laquelle ils appartiennent (« un citron appar-
tient à quelle catégorie de choses ? »). A p r è s
quelques minutes d'entretien, on demande au
sujet de redonner la liste de mots (rappel
libre différé) en lui fournissant la catégorie
pour les mots non rappelés spontanément
( « quel était le nom du fru i t ? » = rappel
i n d i c é ) .
L'absence d'amélioration de la restitution
par le rappel indicé signe un trouble de la
mémorisation donc une atteinte hippocam-
pique liée à une MA [17]. À l'inverse, la dis-
parition du trouble du rappel libre par l'indi-
çage signe un trouble du rappel, donc est très
en faveur d'une plainte « bénigne ». To u t e-
fois, dans les atteintes hippocampiques très
d é butantes, le rappel indicé peut améliorer
les performances. La présence d'un
e ffet bénéfique de l'indiçage n'a donc pas
la même valeur diagnostique que son
absence.
Il est important de noter que la procédure
habituelle de passation du Mini-Mental State
Examination [18, 19] ne permet pas de fa i r e
cette distinction essentielle. En revanche, il
est facile d'appliquer la procédure d'indiçage
au rappel des 3 mots pour les mots non res-
titués en rappel libre et de vérifi e r , à la fi n
du MMSE, l'influence de l'indiçage. A u
moindre doute, un examen neurosycholo-
gique est nécessaire. Le test considéré
actuellement comme le plus perform a n t
dans l'analyse des troubles mnésiques est le
test de Grober et Buschke [20] qui consiste
dans l'apprentissage d'une liste de 16 mots
appris 4 par 4 après vérification de l'enco-
dage et qui permet une comparaison entre
rappel libre, immédiat et différé, rappel
indiet reconnaissance.
En conclusion, une plainte est suspecte
si elle est présentée par l'entourage ou
qu'elle est plus importante pour l'entourage
que pour le sujet, si elle retentit sur l'acti-
vité quotidienne du sujet, si elle s'accom-
pagne de modifications du comportement à
type d'apathie et d'une absence de facilita-
tion de l'indiçage à l'examen. Une plainte
de ce type nécessite une consultation spé-
cialisée et, en part i c u l i e r, un examen neu-
r o p s y c h o l ogique. Cet examen est néces-
saire pour confi r mer la nature du défi c i t
mnésique et pour préciser d'éventuels défi-
cits d'autres fonctions supérieures. Il est
nécessaire de rappeler que le diagnostic de
MA probable, selon les critères internatio-
naux actuellement utilisés, nécessite la pré-
sence d'une démence définie par l'associa-
tion au déficit mnésique du déficit d'au
moins une autre fonction supérieure (lan-
gage, praxies, fonctions ex é c u t ives...) et
d'un retentissement sur les activités régu-
lières de la vie quotidienne. Bien souve n t
aujourd'hui, il est possible de dépister les
sujets à un stade précoce lorsque les
troubles de mémoire sont encore isolés ou
que le retentissement sur la vie quotidienne
n ' a ffecte que les activités complexes (ges-
tion des finances, déplacements dans des
lieux inconnus...). On désigne aujourd'hui
ce stade sous le terme non spécifique de «
Mild Cog n i t ive Impairment » (Défi c i t
Cognitif Léger, terme équivalent à celui de
mence, c'est-à-dire désignant les sujets
présentant un déficit pathologique relevant
d'étiologies diverses et à haut risque d'évo-
luer vers la démence dans les anes qui
s u ivent) ou, plus spécifiquement, de MA au
stade prédémentiel.
Quelle est la signification
de la plainte «nigne » ?
Le vieillissement s'accompagne de modifi-
cations cog n i t ives, en particulier de diminu-
tion des performances dans les tests de
mémoire. Un certain nombre d'auteurs ont
consi la plainte mnésique comme le
reflet subjectif de cette diminution des per-
f o rmances et ont voulu isoler un syndrome
clinique part i c u l i e r, l'« A g e - a s s o c i a t e d
m e m o ry impairment » [21] caractérisé par
une plainte mnésique et une diminution des
p e r f o rmances par rapport aux perform a n c e s
des sujets jeunes. La réalité de ce syndrome
est très discutable de même qu'il n'est pas
p o s s i ble de réduire la plainte à la diminution
des performances aux tests. Nous avons vu
l'absence de corrélation de la plainte ave c
les performances aux tests et l'import a n c e
des corrélats psychoaffectifs dans les études
cliniques et épidémiologiques. L'âge, en soi,
peut difficilement être considéré comme
une va r i a ble ex p l i c a t ive. Il s'agit, en réalité,
d'une dimension sur laquelle s'inscrivent un
c e r tain nombre de facteurs orga n i q u e s
(vieillissement du cerveau, patholog i e s
cérébrales, dégénératives, vasculaires, trau-
matiques associées mais aussi vieillissement
des autres organes, endocriniens...), psycho-
l ogiques (modifications de l'image corp o-
relle, de la sexuali..) et sociales
● ● ●
Figure 1. Les principaux corrélats de la plainte mnésique et de la diminution des perf o r m a n c e s
aux tests de mémoire.
C .Derouesné, L.L a c o m b l ez
8 6 2 La Presse dicale 22 - 29 avril 2000 / 29 / n° 15
D O SS I E R Mémoire et vieillissement
( m o d i fications de rôle, de statut...) aboutis-
sant à des modifications d'identité et d'es-
time de soi. Certains sujets s'adaptent à ces
changements et trouvent des stratégies de
compensation, d'autres non. La plainte de
mémoire a pris, dans nos sociétés, le statut
d'un symptôme traduisant un mal-être dont
l'origine est bien souvent multifa c t o r i e l l e
(fi g. 1) mais dans laquelle l'importance des
facteurs varie selon les individus. Le rôle du
médecin est alors d'explorer les diff é r e n t s
facteurs et de vo i r, pour chaque indiv i d u ,
quelle est la signification de la plainte pour
e s s ayer d'adapter sa réponse thérapeutique.
Celle-ci ne saurait se limiter à la prescrip-
tion d'un dicament réputé promnésiant
ou de ances de stimulation cog n i t ive. C'est
l ' a n a lyse du symptôme qui permet, seule, de
répondre correctement à une plainte qui,
me si elle est « nigne, » traduit tou-
jours une souff r a n c e .
[ R é f é r e n c e s ]
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