8 6 0 ➞La Presse Médicale 22 - 29 avril 2000 / 29 / n° 15
D O SS IE R Mémoire et vieillissement
soi et de la confiance qu'a le sujet dans sa
mémoire, provoquant un cercle vicieux.
Le devenir des sujets qui présentent
une plainte mnésique
La très grande majorité des études montre
qu'une plainte purement subjective, sans
diminution des performances ni retentisse-
ment sur l'activité quotidienne, est bénigne et
que ce groupe de sujets (stade 2 de la Global
Deterioration Scale, GDS, de Reisberg et al.
[12]) ne présente pas un risque plus élev é
d ' é voluer vers la démence que les sujets qui
ne se plaignent pas de leur mémoire (stade 1
de la GDS). Certaines études ont néanmoins
considéré la plainte comme un facteur pré-
dictif de démence [13-15]). L'analyse de ces
études montre, en réalité, que la plainte n'est
p r é d i c t i ve que lorsqu'elle s'accompagne d'une
diminution de performances aux tests [13,
15]. Toutefois, dans l'étude de Dartigues e t
a l . [13], il persiste un risque relatif plus élev é
lorsque les performances sont normales mais
l ' i n t e rvalle de confiance de ce risque (1.0-
10.8) conduit à relativiser ce résultat, d'autant
que la plainte était appréciée par 3 questions
dont une explorait une activité non habituel-
lement perturbée dans les plaintes
«b é n i g n e s » (difficultés à trouver les mots
ou à reconnaître les objets). Nous adhérons
néanmoins à la conclusion de ce travail : une
plainte mnésique doit toujours être considé-
rée avec sérieux lorsqu'il s'agit d'une plainte
exprimée. La sémiologie de la plainte ex p r i -
mée est essentielle pour orienter le diagnos-
tic. En revanche, ni le score global, ni l'ana-
lyse des items d'un questionnaire comme
l'Echelle de Difficultés Cog n i t ives de Mac
Nair et Khan [6] (plainte ressentie) ne per-
mettent de différencier les sujets norm a u x
des sujets pathologiques.
La comparaison de la fréquence de la
plainte mnésique avec celle de la MA et des
autres démences chez les sujets âgés montre
que la grande majorité des sujets qui se plai-
gnent de leur mémoire n'ont pas d'aff e c t i o n
o rganique cérébrale. En pratique, le pro-
blème est donc double :
– comment reconnaître une plainte mnésique
s u s c e p t i ble de traduire le début d'une aff e c t i o n
o rganique cérébrale, tout particulièrement d'une
MA débutante puisque le trouble de mémoire
est le mode d'entrée habituel de la seule MA ;
– quelle est la signification de la plainte qui
n'est pas en rapport avec une affection orga-
nique cérébrale ?
Comment reconnaître une plainte
mnésique révélatrice d'une
affection cérébrale organique ?
La mémorisation d'une information repose
sur 3 processus : l'encodage de l'inform a t i o n ,
le stockage, la restitution. La clé du diagnos-
tic entre plainte suspecte de révéler un débu t
de MA et plainte « bénigne » repose sur le
fait que le trouble principal, dans la MA, est
un trouble de la mémorisation (encodage,
stockage) alors que la difficulté à la base de
la plainte « bénigne » traduit un trouble de
la restitution d'une information qui a été
mémorisée. Cette distinction explique les
d i f férences entre les caractères de ces
plaintes, leur retentissement sur l'activ i t é
quotidienne et la nature des déficits mné-
siques observés à l'ex a m e n .
La sémiologie de la plainte
m n é s i q u e
La plainte mnésique « bénigne » témoignant
d'un trouble du rappel porte aussi bien sur le
passé ancien que récent. Les inform a t i o n s
recherchées (noms propres, détails d'événe-
ments) qui ne sont pas disponibles à un
moment précis reviennent en mémoire
quelques instants plus tard spontanément ou
après une procédure de recherche. Le sujet
est très conscient de ses difficultés et en
s o u ffre mais cette gêne est purement subjec-
t i ve, elle ne diminue pas les possibilités d'ac-
complissement de tâches de la vie quoti-
dienne. Le sujet cherche ses affaires, mais il
les retrouve à un autre moment. Du fait du
caractère essentiellement subjectif des
t r o u bles, le sujet consulte seul. Pendant l'en-
tretien, il existe un contraste entre l'intensité
de la plainte et la précision de l'anamnèse.
La plainte suspecte traduit un trouble de
la mémorisation : elle ne porte donc que sur
le passé récent. Très rapidement, ce troubl e
conduit à des difficultés d'orientation tem-
porelle et retentit sur l'activité quotidienne :
le sujet ne retrouve pas ses affaires, répète
les questions de telle sorte que l'entourage
s'en aperçoit et qu'il est, le plus souvent, à
l'origine de la consultation car le sujet ne
s'aperçoit pas qu'il oublie. L'orientation spa-
tiale n'est que plus tardivement touchée car
de nature moins épisodique. Le fait que le
sujet méconnaisse ses difficultés ou en mini-
mise ses conséquences introduit un contraste
entre le fa i b le niveau de la plainte et l'impré-
cision de l'anamnèse mais également entre
le fa i ble retentissement sur l'activité quoti-
dienne reconnu par le patient et les diffi c u l-
tés rapportées par l'entourage.
Les symptômes d'accompagnement
La plainte mnésique « bénigne » peut s'ac-
compagner de manifestations psychoaff e c-
t ives, mais n'affecte pas le comport e m e n t .
Dans la MA, très précocement, la plainte
s'accompagne d'une modification du com-
p o rtement qui frappe l'entourage : le patient
présente une baisse de motivation, un repli
sur soi, le plus souvent accompagnés d'une
moindre réactivité émotionnelle aussi bien
pour les stimuli à valence positive que néga-
t i ve. Cette modification (apathie) est souve n t
prise, à tort, pour une dépression. Elle s'en
distingue par certains traits sémiolog i q u e s
comme l'absence d'humeur dépressive et de
t r o u bles végétatifs de la dépression [16].
Les caractères du déficit mnésique
La distinction entre trouble de mémorisation
et trouble du rappel repose sur l'étude de l'ef-
fet des procédures de facilitation du rappel.
Il existe plusieurs types de restitution de l'in-
f o rmation : dans le rappel libre (« redonnez-
- moi les mots que je vous ai présentés tout à
l'heure »), le sujet doit retrouver l'inform a-
tion à partir d'indices internes. Le rappel est
facilité lorsqu'on fournit au sujet des indices
ex t e rnes sous forme de l'information elle-
même (procédure de reconnaissance :
« Pa rmi les mots que vous voyez, quels sont
ceux que vous avez vus tout à l'heure ? ») ou
d'indices fournis au moment de l'encodage
(rappel indicé : par exemple au moment de
l'acquisition, on demande au sujet de dési-
gner le mot à apprendre à partir de sa caté-
gorie : « montrez-moi le nom du poisson. »
Au moment du rappel, on lui demande
« quel était le nom du poisson ? »).
En pratique, il est facile de recourir à
cette procédure en demandant au sujet de
retenir 3 à 5 mots, puis en lui faisant ex é c u-