Génétique des cancers de l’ovaire & digestifs Dr Olivier Caron Gustave Roussy Février 2015 Objectifs : - Savoir reconnaître les indications de consultation de génétique en pathologie digestive et gynécologique - Connaître les modalités de prise en charge des personnes porteuses de mutation BRCA1 ou 2, MLH1, MSH2, MSH6, PMS2, APC, MUTYH. - Connaître l’impact d’une mutation constitutionnelle de BRCA1/2 sur la prise en charge thérapeutique Les prédispositions aux tumeurs digestives Le syndrome de Lynch Ancien nom : HNPCC pour Hereditary Non Polyposis Colorectal Cancer • • C’est la plus fréquente des prédispositions aux tumeurs digestives, responsable d’environ 2% de l’ensemble des cancers du colon. Syndrome causé par une mutation constitutionnelle de l’un des gènes du système de réparation des mésappariements postréplicatifs de l’ADN (MMR) : MLH1, MSH2, MSH6, PMS2. Environ 1 personne sur 500 serait porteuse d’une mutation de l’un de ces gènes. La transmission est autosomique dominante. o o o Spectre tumoral Le colon ou le rectum (préférentiellement le colon proximal) : risque cumulé spontané de 25 à 70% L’endomètre : risque cumulé de 40% Dans une moindre mesure : Ovaire : jusqu’à 20% Estomac : <10% Intestin grêle : <5% Voies urinaires : 5 à 10% Les tumeurs du syndrome de Lynch ont une instabilité des marqueurs microsatellites tumoraux et une perte d’expression d’une des protéines MMR. Fréquemment, deux protéines d’un même dimère MLH1/PMS2 ou MSH2/MSH6 sont absentes. Quand y penser ? Les Critères d'Amsterdam II préconisent l'orientation directe vers une consultation d'oncogénétique : - au moins trois cas de cancers colorectaux ou de cancers du spectre du syndrome de Lynch, - chez des apparentés au premier degré, - sur au moins deux générations successives, - dont au moins un cas diagnostiqué avant 50 ans, - une polypose adénomateuse familiale ayant été exclue En amont de la consultation de génétique, les Critères de Bethesda révisés préconisent la mise en œuvre préalable d'un pré-criblage somatique par test d’instabilité (ou MSI ou anciennement RER) et immunohistochimie dirigée contre les protéines MMR: - cancer colorectal diagnostiqué avant 50 ans, - cancer colorectal diagnostiqué entre 50 ans et 60 ans, avec histologie évocatrice, - cancers multiples (synchrones ou métachrones) du spectre du syndrome de Lynch chez un même patient, quel que soit son âge, - cancer colorectal chez un patient avec antécédents familiaux de cancer(s) du spectre du syndrome de Lynch (chez au moins un apparenté au premier degré diagnostiqué avant 50 ans ou chez au moins deux apparentés, au premier ou second degré, quels que soient les âges). 1 Dans certains cas, des lésions cutanées peuvent orienter : kératoacanthome, adénome sébacé… cette variante phénotypique porte le nom de Syndrome de Muir Torre. Le précriblage peut également être réalisée en cas de tumeur du spectre non-colique en situation évocatrice (âge jeune < 50 ans ou antécédents personnels / familiaux). Attention, toutes les tumeurs avec précriblage positif ne sont pas en lien systématique avec le syndrome de Lynch. Notamment, environ 15% des cancers du colon ont une instabilité des marqueurs microsatellites. De meilleur pronostic, leur incidence augmente avec l’âge. La plupart est expliquée par un mécanisme épigénétique : l’hyperméthylation du promoteur du gène MLH1. En cas de doute, cette dernière peut être recherchée dans la tumeur. Quelle prise en charge ? • Surveillance digestive : chromocoloscopie dès l’âge de 20-25 ans tous les deux ans au maximum. Pas d’indication à la colectomie prophylactique. • Surveillance gynécologique : échographie pelvienne endovaginale / 2 ans dès 30 ans +/biopsie pipelle. Discuter hystérectomie totale après 45 ans. • Autres organes : o Chercher et éradiquer H. pylori o Décision RCP en fonction de l’histoire familiale (surveillance du grêle…) La polypose adénomateuse familiale Quand y penser ? • Rare, son diagnostic phénotypique ne pose pas de problème en général, devant la découverte à la coloscopie de centaines voire de milliers de polypes adénomateux. Il existe toutefois des formes atténuées, parfois plus tardives. • Les adénomes apparaissent le plus souvent dès la puberté. La pénétrance du cancer du colon est de plus de 90% à 35 ans. • Les adénomes duodénaux sont également très fréquents, mais surviennent en général dans e e la 3 ou 4 décade. • Les autres manifestations (polypose glandulokystique fundique, ostéomes, dents surnuméraires, hypertrophie congénitale de l’épithélium pigmenté rétinien) ne nécessitent pas de prise en charge mais peuvent orienter le diagnostic de prédisposition. • Pour certaines mutations, il existe un risque de tumeur desmoïde, non maligne, mais sans traitement réellement efficace. Fréquemment récurrente, sa gravité peut être importante en fonction de sa localisation, notamment abdominale. Quelle prise en charge ? • • • • La surveillance repose sur la coloscopie annuelle dès l’âge de 12 ans jusqu’à indication de colectomie prophylactique, qui est recommandée dès que le nombre de polypes n’est plus contrôlable. Le type d’anastomose est à discuter au cas par cas en RCP. Il en découle qu’en cas de mutation APC identifiée, les tests présymptomatiques sont exceptionnellement proposés aux mineurs, dès l’âge de 10-12 ans. Le duodénum est surveillé par latéroscopie, avec un rythme basé sur le score de Spigelman. La surveillance et le traitement des tumeurs desmoïdes sont discutées collégialement au cas par cas. 2 La polypose associée aux mutations de MUTYH (MAP) • • Elle est causée par des mutations bialléliques du gène MUTYH. Il s’agit de l’une des rares prédispositions avec transmission autosomique récessive. Elle provoque une polypose adénomateuse colique atténuée en général, de l’ordre de quelques dizaines d’adénomes jusqu’à des milliers. Quand y penser ? Lorsque le nombre d’adénomes coliques est : • supérieur ou égal à 15 quel que soit l’âge • compris entre 10 à 14 avant l’âge de 60 ans • compris entre 5 à 9, si les analyses somatiques ne sont pas en faveur d’un syndrome de Lynch et si au moins un critère additionnel est associé (polypes adénomateux survenus avant 40 ans, cancer colorectal associé avant 60 ans, au moins 5 des polypes sont « avancés », manifestations dermatologiques associées (hyperplasies / adénomes sébacés) avant 50 ans, adénomes duodénaux associés). Une consanguinité peut être un élément orientant. • • • • Prise en charge en cas de mutation biallélique de MUTYH : A 20 ans : surveillance colorectale par coloscopie avec chromoendoscopie pancolique à l’indigo carmin. En cas de normalité, l’examen doit être renouvelé à 25 ans et à 30 ans, puis au minimum tous les 2 ans à partir de cet âge. une surveillance gastrique et duodénale à partir de 25 ans. En cas de normalité, cette surveillance est à renouveler à 30 ans, puis au minimum tous les 2 ans, à l’occasion des coloscopies de surveillance. En cas de polypose duodénale, le rythme de surveillance doit être adapté en fonction du degré de sévérité, selon le score de Spigelman la chirurgie colorectale est réservée aux cas de polypose dégénérée ou de polypose non dégénérée si celle-ci n’est pas « contrôlable » en endoscopie • Il n’y a pas de tests présymptomatiques à proposer aux mineurs. • Pour les apparentés porteurs d’une seule des 2 mutations, les coloscopies doivent être réalisées tous les 5 ans à partir de l’âge de 45 ans. Les prédispositions aux tumeurs gynécologiques Le syndrome de Lynch • • • • • • Cf supra Environ 2% des cancers de l’endomètre surviendraient dans ce cadre et jusque 10% pour les cas diagnostiqués avant 50 ans. Il est important de diagnostiquer la prédisposition pour orienter la prise en charge ultérieure et des apparentés, notamment sur le plan colique. Quels cancers de l’endomètre ? Forme endométrioïde le plus souvent Le pronostic serait moins bon que pour les cancers non Lynch. Quels cancers de l’ovaire Formes non-séreuse essentiellement (endométrioïdes, mucineuses ou à cellules claires) Quelle prise en charge des personnes porteuses ? • La surveillance n’a pas fait preuve de son efficacité pour les ovaires, ce qui mène à la proposition de chirurgie prophylactique après 45 ans. 3 BRCA1 et BRCA2 Quand y penser ? • • • • • A ne considérer qu’en cas de cancers épithéliaux séreux, essentiellement de haut grade. Les formes endométrïoide, à cellules claires sont plus rarement associées. Il n’y a pas de lien avec les formes mucineuses. Il n’y a pas de lien avec les cancers de l’endomètre. Environ 15% des cancers de l’ovaire séreux de haut grade surviennent dans le cadre d’une mutation BRCA1 ou BRCA2 Dans les familles à deux cas de cancer de l’ovaire, la probabilité de mutation BRCA1 ou 2 est de 40%. Les cancers de l’ovaire avec mutation de BRCA auraient un meilleur pronostic à 5 ans et une meilleure sensibilité aux sels de platine. Indication de consultation de génétique pour analyse des gènes BRCA1 et BRCA2 : o Toute association chez une même personne ou des apparentés proches d’un cancer de l’ovaire et d’un cancer du sein, quels que soient les âges. o Tout adénocarcinome séreux de haut grade diagnostiqué avant 70 ans, même sans antécédents. Quel spectre ? Risque de cancer à 70 ans : Sein Ovaire BRCA1 60% 20-40% BRCA2 50% 10-20% Quelle prise en charge ? • Surveillance mammaire o Examen clinique semestriel dès 20 ans o Imagerie IRM mammaire, mammographie annuelle dès 30 ans (échographie optionnelle) o Mastectomie prophylactique optionnelle • Prise en charge du risque ovarien o Echographie pelvienne annuelle dès 35 ans, mais efficacité très limitée en dépistage o Recommandation d’annexectomie prophylactique à la quarantaine. Un gain en survie globale a été prouvé. • Implication dans la prise en charge thérapeutique d’un cancer de l’ovaire o La présence d’une mutation de BRCA1 ou BRCA2 entraîne une sensibilité particulière aux inhibiteurs de PARP. De nombreux essais avec différentes molécules sont actuellement en cours en 2015. Une AMM est attendue courant 2015, dans le traitement d’entretien des rechutes de cancer de l’ovaire platine sensible, avec mutation BRCA1 ou BRCA2. o Ceci implique que le statut BRCA devra être connu pour la plupart des cancers de l’ovaire. Quelques références : 1. Vasen, H.F., et al., Revised guidelines for the clinical management of Lynch syndrome (HNPCC): recommendations by a group of European experts. Gut, 2013. 62(6): p. 812-23. 2. Vasen, H.F., et al., Guidelines for the clinical management of familial adenomatous polyposis (FAP). Gut, 2008. 57(5): p. 704-13. 4 3. Buecher, B., et al., French experts report on MUTYH-associated polyposis (MAP). 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