Faculté de Psychologie
et des Sciences de l’Education
Service des Prof. Pourtois et Desmet
Place du Parc, 18
7000 Mons
tél. 065 373110
Une méthodologie de l’évaluation
de l’état de danger
(Dans le cadre du Décret de la Communauté Française de Belgique
relatif à l’Aide à la Jeunesse, mars 1991)
RAPPORT DE RECHERCHE
Directeurs de recherche : Prof. J.-P. Pourtois et H. Desmet
Chercheur : V. Braconnier
Collaborateurs scientifiques : B. Humbeeck, Prof. B. Terrisse
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1. OBJET ET MTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
1.1 Objet de la recherche
L’objectif poursuivi dans le présent travail de recherche-action-participante consiste à
construire, en collaboration avec les professionnels du secteur de l’Aide à la Jeunesse, un
cadre conceptuel d’interprétation susceptible de favoriser la mise en place d’instruments
d’investigation adaptés à la fois aux praxis des travailleurs sociaux attachés aux Services
d’Aide et de Protection, ainsi qu’aux réalités vécues par les familles qui font l’objet de ces
suivis.
La problématique de l’évaluation opérationnelle de l’état de danger vécu par l’enfant
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au
sein de sa famille confronte d’emblée le chercheur à un triple enjeu épistémologique :
- un enjeu juridique ;
- un enjeu praxéologique ;
- un enjeu éthique.
(1) L’enjeu juridique
Le contexte d’évaluation de l’état de danger dont il est question dans le présent rapport
s’inscrit dans le cadre du Décret du 4 mars 1991 de la Communauté Française de Belgique
visant notamment à garantir le droit à l’aide spécialisée pour « tout enfant dont la santé ou la
sécurité est en danger ou dont les conditions d’éducation sont compromises par son
comportement, celui de sa famille ou de ses familiers » (art.2.2). Le Décret s’applique
également « aux jeunes en difficulté ainsi qu’aux personnes qui éprouvent de graves
difficultés dans l’exécution de leurs obligations parentales » (art.2.1).
L’objectif fixé par le cadre légal suppose ainsi, dans un premier temps, de se donner les
moyens de diagnostiquer l’état de danger, d’évaluer la qualité des conditions éducatives et
d’envisager le contexte d’obligation parentale dans lequel ils se manifestent.
Le Décret prévoit en outre que l’aide apportée au jeune doit tendre à lui permettre de se
développer dans des conditions d’égalité de chances, en vue de son accession à une vie
conforme à la dignité humaine (art. 3). Il pose également que les mesures et les décisions
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Nous employons les termes « enfant » ou « jeune » selon les contextes, mais ceux-ci revoient à la même notion
juridique de « mineur ».
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prises par le Conseiller ou par le Directeur de l’Aide à la Jeunesse envisagent prioritairement
à favoriser l’épanouissement du jeune dans son milieu familial de vie (art.9).
Définie dans un tel cadre légal, la procédure d’évaluation doit donc nécessairement
contenir une dimension téléologique et proposer, une fois posé le diagnostic, des stratégies de
régulation qui y sont adaptées. La démarche d’évaluation formative qui sous-tend ce
processus doit, en outre, être prioritairement réalisée au sein même de la famille explicitement
considérée comme le lieu privilégié d’épanouissement de l’enfant..
L’ensemble du cret entend également favoriser la déjudiciarisation et la
désinstitutionnalisation de l’aide à l’enfance et à sa famille. Dans un tel paradigme, les
notions d’aide acceptée et d’aide négociée autour desquelles s’articule l’action des S.A.J.
(Services d’Aide à la Jeunesse) sont considérées comme autant de préalables aux mécanismes
d’aide contrainte qui peuvent être stimulés dans le contexte des S.P.J. (Services de Protection
Judiciaire). Cette manière de procéder suppose d’associer d’emblée la famille à l’ensemble
des évaluations qui la concernent.
Ci-après sera développé le cadre conceptuel à partir duquel sont envisagées les réalités du
vécu familial et les outils d’évaluation qui y sont associés. Ceux-ci prennent en compte le
contexte juridique particulier qui, à travers le Décret du 4 mars 1991 relatif à l’Aide à la
Jeunesse, donne à la démarche diagnostique sa nécessaire dimension d’évaluation formative.
C’est pour cette raison, notamment, que seront privilégiés les instruments dynamiques qui
prennent en compte l’évolution des familles dans le temps au détriment des outils statiques
qui permettent une évaluation sommative, mais ne prennent pas en considération la dimension
temporelle et fixent l’évaluation du vécu familial dans un moment donné. C’est aussi pour
répondre aux exigences du Décret que sera adapté le cadre conceptuel en privilégiant,
notamment, les notions de conscience pédagogique, de réflexivité individuelle et de
trajectoire, à travers lesquelles chaque membre du groupe familial est amené à participer au
travail d’évaluation qui le concerne.
En privilégiant la mise en œuvre des procédures de concertation dans le domaine de l’aide
à l’enfance, l’intervenant social est inévitablement amené à adapter ses pratiques en tenant
compte à la fois de la profonde complexités des situations et de leur caractère idiosyncratique.
(2) L’enjeu praxéologique
De nombreux auteurs (Darguenave, Garnier, 2003 ; Castel, 1995 ; Bilodeau, 2005)
dénoncent la « crise » de sens qui, d’une manière générale, affecte le travail social,
notamment lorsqu’il met en jeu des procédures d’évaluation. Cette «crise » paraît notamment
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liée à l’hétérogénéité des savoirs auxquels le travailleur social doit se référer pour rendre
compte d’une situation vécue par un sujet et/ou sa famille en tenant compte de l’ensemble des
dimensions qui en fondent la complexité. Cette difficulté se manifeste notamment chaque fois
qu’il est amené à réduire cette hétérogénéité épistémologique pour rendre compte d’une
identité individuelle, rapporter une situation particulière ou mettre en évidence la singularité
d’une réalité observée.
Les savoirs généraux, hétérogènes et pluriréférentiels acquis au cours de la formation du
travailleur social tendent ainsi à fonder un corpus de connaissance individuel qui ne lui
permet pas toujours de rendre compte des situations idiosyncratiques auxquelles il est
confronté dans sa pratique professionnelle et de communiquer efficacement à ce propos. C’est
particulièrement vrai dans le domaine de l’Aide à la Jeunesse. La fonction des délégués
(S.A.J, S.P.J) consiste en effet, dans un premier temps, essentiellement, à coordonner
l’observation rigoureuse du fonctionnement familial, à vérifier son effet sur l’enfant et à
rassembler les données de façon à en rendre compte au Conseiller - S.A.J.- ou au Directeur -
S.P.J.- qui procèderont à leur examen approfondi. L’observation et la transmission des
informations constituent donc deux aspects fondamentaux de la mission du travailleur social
en protection de l’enfance dont les implications sur le devenir des enfants et de leurs familles
apparaissent particulièrement lourdes de sens.
Pour cette raison, la présente recherche-action-participante a rapidement permis de mettre
en évidence l’urgence pour les délégués de disposer d’un référentiel commun à partir duquel
il devient possible d’identifier la situation de danger vécue par l’enfant au sein de sa famille et
d’en rapporter les différentes composantes. Les instruments d’investigation qui seront
transmis dans le présent rapport doivent donc être envisagés en fonction de ce cadre
conceptuel commun qui permet à la fois d’organiser une observation rigoureuse et d’en
faciliter la communication entre les différents intervenants. L’outil référentiel, accompagné
d’un glossaire, vise ainsi à faciliter une prise en considération syncrétique des phénomènes
observés, une compréhension synthétique des données recueillies et une analyse approfondie
du fonctionnement familial qui soit suffisamment sensible à la complexité des réalités
vécues. A cet endroit, cet instrument pragmatique et heuristique a été conçu comme un outil à
la fois pluridisciplinaire et pluriréférentiel. Il permet ainsi d’envisager chaque perspective
théorique comme un point de vue différent, mais non contradictoire, à partir duquel le
phénomène peut être observé. Il favorise aussi l’intégration de l’ensemble des données
recueillies dans un champ sémantique au sein duquel le point de vue de chaque professionnel
garde sa spécificité tout en s’intégrant dans un langage commun…
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Les implications praxéologiques de ce paradigme éclectique apparaissent ainsi d’une
importance fondamentale. En outre, elles se font également sentir au niveau éthique.
(3) L’enjeu éthique
Faute d’un référentiel commun, les repères théoriques souvent implicites qui balisent le
point de vue des différents travailleurs sociaux impliqués dans la situation ne reposent,
comme il a été précédemment expliqué, ni sur les mêmes définitions de l’objet d’étude, ni sur
les mêmes fondements théoriques. L’argumentation spécifique, la méthode d’investigation
propre à chaque champ disciplinaire étayent alors le point de vue subjectif à partir duquel
chacun peut être amené à envisager le phénomène maltraitant.
La définition, l’observation, l’analyse et la compréhension des faits de maltraitance
touchent, en effet, généralement, des affects personnels par rapport auxquels il reste difficile
de prendre des distances. La subjectivité de l’observateur devient alors un refuge émotionnel
dont les implications sur le traitement de l’information recueillie se font sentir avec d’autant
plus d’acuité qu’elles s’appuient sur un schéma d’interprétation réducteur et/ou incohérent.
Dans un contexte au sein duquel les critères de l’état de danger ne sont pas définis
explicitement, la méthodologie qui guide leur évaluation se base essentiellement sur les
compétences, l’expérience, la personnalité, (éventuellement l’idéologie) de chacun des
intervenants ainsi que sur la pratique et les procédures internes à chaque service. Ainsi
envisagé, le processus d’évaluation apparaît contaminé à la fois par la subjectivité des
observateurs et le contexte institutionnel spécifique dans lequel ils sont amenés à recevoir et à
transmettre ces informations. La procédure d’évaluation montre ainsi non seulement une
importante perméabilité aux contenus émotionnels, mais impose également un traitement
différencié des informations d’un service à l’autre. Cette hétérogénéité dans le recueil,
l’analyse et le traitement des données explique sans doute pourquoi un nombre important de
parents - mais aussi d’intervenants - considèrent, d’après les observations réalisées au cours
de cette recherche-action-participante, les décisions prises par les S.A.J. et S.P.J. comme
partiellement arbitraires et basées sur des critères essentiellement subjectifs.
Notre recherche a, par ailleurs, également mis en évidence le malaise ressenti par certains
professionnels des S.A.J. et des S.P.J. concernant ce travail d’évaluation. Ils expliquent,
notamment, l’aspect anxiogène de leur fonction en relevant l’impact de leur subjectivité
personnelle dans le processus de prise de décisions qui concerne le devenir de jeunes et de
familles en souffrance. Ils mettent également en évidence les difficultés qu’ils éprouvent à
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