Les origines historiques de l’exception australe
Séculairement l’Afrique australe a été tout à la fois un prolongement de l’écono-
mie occidentale et un ensemble régional intégré.
La longue période d’insertion simultanée à la région et au monde
Dès la fin du XIXesiècle, l’Afrique australe connaissait un cercle vertueux d’insertion
à l’économie mondiale. Ses exportations de produits primaires (mines et agricultu-
re) étaient compétitives. La rentabilité, notamment des mines, était suffisante pour
attirer les capitaux. Et les rentrées de devises étaient suffisantes pour financer les
transferts des revenus de capitaux, rassurer les investisseurs et financer les im-
portations d’équipement nécessaires à une reproduction élargie3.
Simultanément, l’Afrique du Sud et la Rhodésie du Sud réussissaient une inté-
gration régionale du secteur moderne (alors que l’intégration régionale du reste de
l’Afrique s’est faite surtout par le biais du secteur informel) : construction de réseaux
de transport régionaux, migrations transfrontalières de centaines de milliers de tra-
vailleurs vers l’Afrique du Sud et la Rhodésie du Sud, commerce régional de biens
de consommation agro-alimentaires, puis industriels, transferts locaux et transferts
interafricains de revenus de migrants représentant une part important du PIB des
pays pauvres (par exemple du Lesotho). Enfin le secteur moderne a vu des mou-
vements de capitaux sans commune mesure avec les flux que connaissaient les
autres sous-régions de l’Afrique.
Cette intégration régionale était largement une intégration privée. En particulier la
compagnie à charte dirigée par Cecil Rhodes a joué un rôle décisif. Les groupes pri-
vés ont, en coopération étroite mais parfois très conflictuelle avec les pouvoirs po-
litiques, repéré les lieux possibles d’expansion coloniale, poussé aux expropriations
qui s’avéraient utiles aux mines et à l’agriculture commerciale, financé les investis-
sements régionaux, assuré les infrastructures, construit le réseau ferroviaire, fixé le
chiffre et organisé le recrutement des travailleurs migrants, pris en charge une par-
tie de leurs logements...
L’intégration régionale privée a même parfois préexisté aux institutions régionales
et aux délimitations politiques au sein de la région. Des institutions régionales n’en
sont pas moins apparues progressivement. La SACU date de 1910 ; la Zone Rand,
devenue Zone monétaire commune (créée en 1910, modifiée en 1974), a été une
extension naturelle du domaine de la Banque de Réserve de la RSA; les deux Rho-
désies et le Malawi ont constitué la Fédération d’Afrique centrale de 1953 à 1963 ;
3Cette compétitivité et cette capacité d'attirer des capitaux reposaient, on le sait, sur le dualisme
d'une société volontairement non intégrée. D'une part l'immigration européenne (qui a continué en
Rhodésie du Sud jusqu'après la Seconde Guerre mondiale) apportait, outre les capitaux, des techniques
avancées, un savoir-faire et des modes de consommation reliant à l'économie occidentale. D'autre part,
la compétitivité et la rentabilité reposaient sur l'expropriation des Africains et aussi, au tournant du
siècle, sur l'exode des Afrikaners, sur les bas salaires du travail non qualifié africain, sur la non-prise
en compte des coûts sociaux de l'accumulation. Cette utilisation du travail sans couverture des coûts
sociaux culminera avec l'apartheid, qui séparera les travailleurs de leurs familles, dissociera systématiquement
lieu de travail et habitation, découpera le temps pour que le travail et le mode de vie ne soient pas en
contact.
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Les Etudes du CERI - n ° 10 - décembre 1995