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GERER LES RESPONSABILITES SOCIALES DES
ENTREPRISES ENVERS LEURS PARTIES PRENANTES
Amandine Perrinjaquet
Anciennement Université de Lausanne
Pepijn Vos
Netherlands Organization for Applied Research, Delft
Olivier Furrer
Nijmegen School of Management, Radboud University Nijmegen
Carolyn Egri
Management & Organization Studies, Faculty of Business Administration, Simon Fraser Univerity
>Différents groupes de parties prenantes attendent des entreprises qu’elles jouent un rôle
plus important dans la résolution des problèmes sociaux et environnementaux actuels. Gérer
leurs responsabilités et leurs relations avec les groupes de parties prenantes est de plus en plus
important pour les entreprises. Cependant, les études existantes ne donnent que des réponses
limitées quant à la façon dont ces entreprises peuvent gérer leurs relations avec leurs parties
prenantes. «Quelles pratiques responsables devraient être adoptées par les entreprises et est-
ce que ces pratiques permettent d’améliorer leur performance sociale?» et «Y a-t-il des cultures
organisationnelles permettant aux entreprises de mettre en place des pratiques responsables
avec plus de succès?» sont des questions qui restent encore en suspend. Afin de répondre à ces
questions, nous avons développé une enquête et recueilli des données auprès de 244 entrepri-
ses basées en Suisse.
INTRODUCTION
Les parties prenantes des entreprises, comme les clients, les employés, les investisseurs et les
collectivités locales, attendent des entreprises qu’elles jouent un rôle social plus important et
contribuent à résoudre les problèmes sociaux et environnementaux actuels, comme les chan-
gements climatiques, la pénurie d’énergie, la diversité sociale et les risques sanitaires. Ces
attentes entraînent des responsabilités sociales (RS) pour les entreprises mais ouvrent égale-
ment de nouvelles opportunités pour ces entreprises d’améliorer leur performance (Freeman
et McVea, 2001). Les entreprises qui sont socialement et environnementalement responsa-
bles bénéficient en effet généralement d’une meilleure image qui leur permet d’améliorer
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leur performance financière (Cetindamar et Husoy, 2007). En accordant plus d’attention
aux problèmes sociaux et environnementaux, les entreprises peuvent de plus créer un climat
de travail plus favorable et ainsi améliorer l’implication de leurs employés et diminuer leur
absentéisme. En Suisse, toutefois, malgré le fait que la plupart des chefs d’entreprises soient
conscients des responsabilités sociales et environnementales de leurs entreprises, l’adoption
des pratiques responsables est encore relativement limitée. En effet, selon le classement 2007
de Covalence, une société genevoise qui traque l’évolution de la réputation éthique des 200
plus grandes entreprises mondiales (Covalence, 2008), les grandes entreprises suisses ne
brillent pas par leur éthique. En termes de responsabilités sociales, aucune multinationale
helvétique ne figure dans le peloton de tête du classement. Les entreprises suisses les mieux
classées, Novartis et Roche, ne figurent respectivement qu’aux 35ème et 38ème rangs.
L’objectif de cet article est d’offrir une meilleure compréhension de l’adoption par les en-
treprises suisses de pratiques responsables vis-à-vis de leurs parties prenantes et visant à
améliorer leur performance financière et sociale. En nous basant sur la théorie des parties
prenantes (stakeholder theory) en termes de RS (Freeman, 1984; Maignan et Ferrell, 2003),
nous présentons différentes pratiques responsables vis-à-vis des parties prenantes (c.-à-d.,
les clients, les employés, les investisseurs, les fournisseurs, les collectivités locales et l’envi-
ronnement). De plus, nous mesurons quatre dimensions de la performance sociale des en-
treprises: la performance financière, la réputation de l’entreprise, l’implication des employés
et l’impact environnemental. Les résultats de l’enquête auprès de 244 cadres d’entreprises
localisées en Suisse offrent une meilleure compréhension de la relation entre la performance
sociale et l’adoption des pratiques de RS vis-à-vis des parties prenantes. De plus, afin de
mettre en place avec succès des pratiques en matière de RS, il est nécessaire de savoir quels
sont les facteurs organisationnels qui permettent ou freinent l’adoption de telles pratiques.
Les données recueillies permettent de mettre en évidence les cultures organisationnelles per-
mettant le mieux aux entreprises d’implanter les pratiques de RS qu’elles ont choisies.
MÉTHODOLOGIE
Afin de mieux comprendre la relation entre la culture organisationnelle, l’adoption des pra-
tiques en matière de RS envers les parties prenantes et la performance sociale des entreprises,
nous avons conduit une enquête par questionnaire auprès d’entreprises situées en Suisse.
Le questionnaire a été envoyé à un échantillon aléatoire de 1437 entreprises sélectionnées
parmi celles localisées en Suisse et ayant plus de 50 employés, figurant dans la base de don-
nées de «Dun & Bradstreet». Le questionnaire a été envoyé aux cadres les plus élevés de
l’entreprise (p. ex., président du conseil d’administration, directeur général) avec une lettre
d’introduction et une enveloppe-réponse affranchie. Les répondants intéressés à recevoir un
résumé des résultats étaient priés d’envoyer leur carte de visite dans une enveloppe séparée
afin de maintenir l’anonymat de leur réponse. Un rappel a été envoyé à toutes les entreprises
après trois semaines. Au total, notre échantillon est composé de 244 entreprises; le taux de
réponse est donc de 17%, ce qui est satisfaisant pour ce type d’enquêtes.
Les entreprises qui ont participé à cette étude ont les caractéristiques suivantes: 49 % sont
actives dans le secteur industriel, 38% sont actives dans les services et 13% ont une activité
du secteur primaire. 42% ont moins de 100 employés, 40% ont entre 100 et 999 employés
et 18% ont plus de 1000 employés. 72% sont des entreprises privées non cotées en bourse,
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16% sont cotées en bourse et 12% ont d’autres formes de propriété. Finalement, 52% sont
actives internationalement et 48% ont des activités uniquement en Suisse.
Cette étude faisant partie d’une recherche internationale plus vaste conduite par l’«University
Fellows International Research Consortium» (http://ufirc.ou.edu) et financée par le «Social
Sciences and Humanities Research Council of Canada Standard Research Grants Program»,
le questionnaire a été initialement développé en anglais et des procédures de «translation-
back-translation» ont été utilisées pour développer une version française et une version
allemande pour la Suisse. Le questionnaire a été ensuite pré-testé auprès d’un échantillon
de managers suisses afin d’assurer sa validité pour le contexte helvétique. Le questionnaire
demandait aux managers de répondre à des questions sur la culture organisationnelle de leur
entreprise, le degré selon lequel leur entreprise a adopté des pratiques responsables envers les
parties prenantes et la performance sociale de leur entreprise. Afin d’améliorer la fiabilité de
la mesure de chacun de ces concepts, un ensemble d’indicateurs a été développé sur la base
d’échelles existantes:
> La performance sociale de l’entreprise. Les indicateurs pour mesurer la performance
de l’entreprise sont liés à sa performance financière, sa réputation, l’implication de
ses employés et son bilan environnemental. Pour chaque indicateur, un ensemble
d’affirmations a été développé et les répondants devaient indiquer sur une échelle de
Likert à 9 positions à quel point chaque phrase reflétait la situation de leur entreprise.
Par exemple, une des affirmations pour la réputation de l’entreprise était «En général,
notre entreprise a une bonne réputation».
> Les pratiques en RS adoptées vis-à-vis des parties prenantes. Les indicateurs pour
mesurer l’adoption des pratiques de RS se rapportent à chaque groupe de parties
prenantes (p. ex., les clients, les employés, les investisseurs, les fournisseurs et les
collectivités locales) et ont été identifiés sur la base de mesures existantes (Clarkson,
1995; Maignan et Ferrell, 2003; Maignan et al., 1999). Une liste de pratiques en RS
vis-à-vis de l’environnement a été développée sur la base de diverses échelles existan-
tes de pratiques environnementales (Branzei et Vertinsky, 2002; Sharma, 2000). Les
répondants devaient indiquer sur une échelle de Likert à 9 positions à quel point leur
entreprise mettait systématiquement en place chaque pratique.
> La culture organisationnelle. Pour mesurer la culture organisationnelle, nous avons
utilisé le «Cadre des valeurs en concurrence» (Competing Value Framework) qui est
communément utilisé et a souvent été validé (Cameron et Quinn, 2006). L’échelle
consiste en un ensemble d’affirmations sur différents aspects de la culture organisa-
tionnelle tels que les caractéristiques dominantes de l’entreprise, le style de gestion,
ce qui unit les employés au sein de l’organisation, les orientations stratégiques et les
critères de succès. Les répondants devaient indiquer sur une échelle de Likert à 9
positions à quel point les déclarations décrivaient la situation de leur entreprise.
Afin de s’assurer que les relations entre la culture organisationnelle, l’adoption des pratiques
en RS envers les parties prenantes et la performance sociale n’étaient pas dues à des carac-
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téristiques organisationnelles, nous avons aussi demandé aux répondants d’indiquer un cer-
tain nombre de ces caractéristiques, telles que la localisation des opérations de l’entreprise
(un ou plusieurs pays), la forme de propriété, la taille de l’entreprise et son industrie.
RESPONSABILITÉS SOCIALES DES ENTREPRISES
Le concept de responsabilités sociales des entreprises est bien établi dans la littérature en ma-
nagement (voir Caroll, 1999; Jamali et Mirshak, 2007; Michael, 2003; Moir, 2001; Wood,
1991). Même si les auteurs qui se sont intéressés à ces responsabilités ont utilisé différents
termes pour les qualifier – Caroll (1999), par exemple, parle de «responsabilités sociales»,
Wartick et Cochran (1985) utilisent le terme de «responsabilité publique» et De Graaf et
Herkströter (2007) celui de «performance sociale» ces termes recouvrent des concepts qui
sont très proches et sont souvent utilisés de manière interchangeable. De manière générale,
deux courants de recherche ont étudié la nature des responsabilités des entreprises (Barnett,
2007; Maignan et Ferrell, 2003).
Le premier courant s’intéresse principalement à la question: «De quoi une entreprise est-elle
responsable?» En d’autres termes, quels types de problèmes sociaux une entreprise doit-elle
prendre en compte quand elle prend des décisions stratégiques ou marketing (Bird et al.,
2007; Maignan et Ralston, 2002; Maignan et al., 2005). Caroll (1999) a identifié quatre
types de responsabilités sociales. D’après lui, les entreprises ont une responsabilité écono-
mique – c.-à-d. qu’elles doivent développer des produits et services demandés par la société
et les vendre à profit; une responsabilité légale c.-à-d. qu’elles doivent remplir leur mission
économique tout en respectant la loi; une responsabilité éthique c.-à-d. qu’elles doivent
suivre des codes de conduite moralement justes; et finalement, une responsabilité discrétion-
naire ou philanthropique c.-à-d. qu’elles doivent également être activement impliquées
dans l’amélioration de la société au-delà des responsabilités économique, légale et éthique.
Le deuxième courant s’intéresse principalement à la question «Envers qui les entreprises
sont-elles responsables?» Dans ce courant, les auteurs affirment que les entreprises ne sont
pas uniquement responsables envers leurs actionnaires mais aussi envers un plus grand éven-
tail de parties prenantes (Freeman, 1984; Freeman et McVea, 2001; Maignan et al., 1999).
Ces parties prenantes sont définies comme étant «tout groupe d’individus qui peut affecter
ou qui est affecté par l’accomplissement des objectifs d’une entreprise» (Freeman, 1984:
46). Dans ce courant de recherche, les chercheurs ont essayé de comprendre quelles sont
les attentes de chaque groupe de parties prenantes concernant les responsabilités sociales et
environnementales des entreprises afin que les managers puissent mieux les satisfaire (Miles
et al., 2006). De plus, les actionnaires, les employés et les clients sont les groupes les plus
importants (Agle et al., 1999; Clarkson, 1995).
Dans cette étude, afin d’intégrer les deux courants, nous définissons les RS comme les res-
ponsabilités des entreprises qui englobent les responsabilités économique, légale, éthique et
philanthropique, ainsi que les responsabilités environnementales qui sont attendues par les
différentes parties prenantes des entreprises. Ces RS se manifestent à travers des pratiques
organisationnelles qui résultent dans le maintien ou l’amélioration de la performance sociale
des entreprises.
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PERFORMANCE SOCIALE DES ENTREPRISES
La performance sociale des entreprises est définie de manière générale comme les résultats
des activités sociales et environnementales des entreprises (Orlitzky et al., 2003; Wood,
1991). Dans la littérature, les auteurs utilisent différents indicateurs pour mesurer la per-
formance sociale des entreprises. Par exemple, Waddock et Graves (1997) distinguent la
performance financière, mesurée par le retour sur actifs (ROA), le retour sur fonds propres
(ROE) et le retour sur les ventes (ROS), de la performance sociale, mesurée par des indica-
teurs comme la qualité des relations avec les employés, l’adaptation des produits et services
de l’entreprise aux besoins des clients, la qualité des relations avec les collectivités locales,
l’impact environnemental et le traitement des femmes et des minorités. De même, Agle et
al. (1999) intègrent dans leur mesure de la performance sociale des indicateurs comme la
profitabilité, la qualité des relations avec les employés, l’adaptation des produits aux besoins
des clients, le bilan environnemental et les relations avec les collectivités locales. Se basant
sur les travaux de ces auteurs, nous utilisons plusieurs indicateurs pour mesurer la perfor-
mance sociale d’une entreprise: sa performance financière, sa réputation, l’implication de
ses employés et son impact environnemental. Cette variété d’indicateurs permet de couvrir
les attentes de l’ensemble des parties prenantes. Voici décrit chacun de ces indicateurs de la
performance sociale.
> La performance financière permet d’évaluer si une entreprise fait mieux que ses
concurrents les plus sérieux par rapport à des indicateurs tels que le retour sur inves-
tissement, la croissance du profit, la croissance des ventes, le retour sur actifs et la
croissance de la part de marché.
> La réputation de l’entreprise permet d’évaluer si une entreprise fait mieux que ses
concurrents les plus sérieux par rapport à différents indicateurs tels que la qualité
de ses produits et services, la fiabilité, être vu comme bien géré et une bonne réputa-
tion.
> Limplication des employés permet d’évaluer si une entreprise fait mieux que ses
concurrents les plus sérieux par rapport à différents indicateurs tels que le degré
auquel les employés sont fiers, le degré auquel les employés vont plus loin que la
réceptivité habituelle et le lien entre les employés.
> Limpact environnemental permet d’évaluer si une entreprise fait mieux que ses
concurrents les plus sérieux par rapport à différents indicateurs en termes d’impact
environnemental.
Pour améliorer leur performance sociale, les entreprises doivent mettre en place des prati-
ques en RS spécifiques afin de maximiser leurs impacts positifs et de minimiser leurs impacts
négatifs sur les perceptions des différents groupes de parties prenantes. Mais avant d’évaluer
l’impact de ces pratiques envers les parties prenantes sur la performance sociale des entre-
prises, il est important d’identifier les parties prenantes qui ont le plus d’influence sur les
activités des entreprises et qui sont donc perçues comme plus importantes.
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