gerer les responsabilites sociales des entreprises

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GERER LES RESPONSABILITES SOCIALES DES
ENTREPRISES ENVERS LEURS PARTIES PRENANTES
Amandine Perrinjaquet
Anciennement Université de Lausanne
[email protected]
Pepijn Vos
Netherlands Organization for Applied Research, Delft
[email protected]
Olivier Furrer
Nijmegen School of Management, Radboud University Nijmegen
[email protected]
Carolyn Egri
Management & Organization Studies, Faculty of Business Administration, Simon Fraser Univerity
[email protected]
>
Différents groupes de parties prenantes attendent des entreprises qu’elles jouent un rôle
plus important dans la résolution des problèmes sociaux et environnementaux actuels. Gérer
leurs responsabilités et leurs relations avec les groupes de parties prenantes est de plus en plus
important pour les entreprises. Cependant, les études existantes ne donnent que des réponses
limitées quant à la façon dont ces entreprises peuvent gérer leurs relations avec leurs parties
prenantes. «Quelles pratiques responsables devraient être adoptées par les entreprises et estce que ces pratiques permettent d’améliorer leur performance sociale?» et «Y a-t-il des cultures
organisationnelles permettant aux entreprises de mettre en place des pratiques responsables
avec plus de succès?» sont des questions qui restent encore en suspend. Afin de répondre à ces
questions, nous avons développé une enquête et recueilli des données auprès de 244 entreprises basées en Suisse.
Introduction
Les parties prenantes des entreprises, comme les clients, les employés, les investisseurs et les
collectivités locales, attendent des entreprises qu’elles jouent un rôle social plus important et
contribuent à résoudre les problèmes sociaux et environnementaux actuels, comme les changements climatiques, la pénurie d’énergie, la diversité sociale et les risques sanitaires. Ces
attentes entraînent des responsabilités sociales (RS) pour les entreprises mais ouvrent également de nouvelles opportunités pour ces entreprises d’améliorer leur performance (Freeman
et McVea, 2001). Les entreprises qui sont socialement et environnementalement responsables bénéficient en effet généralement d’une meilleure image qui leur permet d’améliorer
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> numéro 1mars 2008
leur performance financière (Cetindamar et Husoy, 2007). En accordant plus d’attention
aux problèmes sociaux et environnementaux, les entreprises peuvent de plus créer un climat
de travail plus favorable et ainsi améliorer l’implication de leurs employés et diminuer leur
absentéisme. En Suisse, toutefois, malgré le fait que la plupart des chefs d’entreprises soient
conscients des responsabilités sociales et environnementales de leurs entreprises, l’adoption
des pratiques responsables est encore relativement limitée. En effet, selon le classement 2007
de Covalence, une société genevoise qui traque l’évolution de la réputation éthique des 200
plus grandes entreprises mondiales (Covalence, 2008), les grandes entreprises suisses ne
brillent pas par leur éthique. En termes de responsabilités sociales, aucune multinationale
helvétique ne figure dans le peloton de tête du classement. Les entreprises suisses les mieux
classées, Novartis et Roche, ne figurent respectivement qu’aux 35ème et 38ème rangs.
L’objectif de cet article est d’offrir une meilleure compréhension de l’adoption par les entreprises suisses de pratiques responsables vis-à-vis de leurs parties prenantes et visant à
améliorer leur performance financière et sociale. En nous basant sur la théorie des parties
prenantes (stakeholder theory) en termes de RS (Freeman, 1984; Maignan et Ferrell, 2003),
nous présentons différentes pratiques responsables vis-à-vis des parties prenantes (c.-à-d.,
les clients, les employés, les investisseurs, les fournisseurs, les collectivités locales et l’environnement). De plus, nous mesurons quatre dimensions de la performance sociale des entreprises: la performance financière, la réputation de l’entreprise, l’implication des employés
et l’impact environnemental. Les résultats de l’enquête auprès de 244 cadres d’entreprises
localisées en Suisse offrent une meilleure compréhension de la relation entre la performance
sociale et l’adoption des pratiques de RS vis-à-vis des parties prenantes. De plus, afin de
mettre en place avec succès des pratiques en matière de RS, il est nécessaire de savoir quels
sont les facteurs organisationnels qui permettent ou freinent l’adoption de telles pratiques.
Les données recueillies permettent de mettre en évidence les cultures organisationnelles permettant le mieux aux entreprises d’implanter les pratiques de RS qu’elles ont choisies.
Méthodologie
Afin de mieux comprendre la relation entre la culture organisationnelle, l’adoption des pratiques en matière de RS envers les parties prenantes et la performance sociale des entreprises,
nous avons conduit une enquête par questionnaire auprès d’entreprises situées en Suisse.
Le questionnaire a été envoyé à un échantillon aléatoire de 1437 entreprises sélectionnées
parmi celles localisées en Suisse et ayant plus de 50 employés, figurant dans la base de données de «Dun & Bradstreet». Le questionnaire a été envoyé aux cadres les plus élevés de
l’entreprise (p. ex., président du conseil d’administration, directeur général) avec une lettre
d’introduction et une enveloppe-réponse affranchie. Les répondants intéressés à recevoir un
résumé des résultats étaient priés d’envoyer leur carte de visite dans une enveloppe séparée
afin de maintenir l’anonymat de leur réponse. Un rappel a été envoyé à toutes les entreprises
après trois semaines. Au total, notre échantillon est composé de 244 entreprises; le taux de
réponse est donc de 17%, ce qui est satisfaisant pour ce type d’enquêtes.
Les entreprises qui ont participé à cette étude ont les caractéristiques suivantes: 49 % sont
actives dans le secteur industriel, 38% sont actives dans les services et 13% ont une activité
du secteur primaire. 42% ont moins de 100 employés, 40% ont entre 100 et 999 employés
et 18% ont plus de 1000 employés. 72% sont des entreprises privées non cotées en bourse,
SEES / RES > Article
16% sont cotées en bourse et 12% ont d’autres formes de propriété. Finalement, 52% sont
actives internationalement et 48% ont des activités uniquement en Suisse.
Cette étude faisant partie d’une recherche internationale plus vaste conduite par l’«University
Fellows International Research Consortium» (http://ufirc.ou.edu) et financée par le «Social
Sciences and Humanities Research Council of Canada Standard Research Grants Program»,
le questionnaire a été initialement développé en anglais et des procédures de «translationback-translation» ont été utilisées pour développer une version française et une version
allemande pour la Suisse. Le questionnaire a été ensuite pré-testé auprès d’un échantillon
de managers suisses afin d’assurer sa validité pour le contexte helvétique. Le questionnaire
demandait aux managers de répondre à des questions sur la culture organisationnelle de leur
entreprise, le degré selon lequel leur entreprise a adopté des pratiques responsables envers les
parties prenantes et la performance sociale de leur entreprise. Afin d’améliorer la fiabilité de
la mesure de chacun de ces concepts, un ensemble d’indicateurs a été développé sur la base
d’échelles existantes:
> La performance sociale de l’entreprise. Les indicateurs pour mesurer la performance
de l’entreprise sont liés à sa performance financière, sa réputation, l’implication de
ses employés et son bilan environnemental. Pour chaque indicateur, un ensemble
d’affirmations a été développé et les répondants devaient indiquer sur une échelle de
Likert à 9 positions à quel point chaque phrase reflétait la situation de leur entreprise.
Par exemple, une des affirmations pour la réputation de l’entreprise était «En général,
notre entreprise a une bonne réputation».
> Les pratiques en RS adoptées vis-à-vis des parties prenantes. Les indicateurs pour
mesurer l’adoption des pratiques de RS se rapportent à chaque groupe de parties
prenantes (p. ex., les clients, les employés, les investisseurs, les fournisseurs et les
collectivités locales) et ont été identifiés sur la base de mesures existantes (Clarkson,
1995; Maignan et Ferrell, 2003; Maignan et al., 1999). Une liste de pratiques en RS
vis-à-vis de l’environnement a été développée sur la base de diverses échelles existantes de pratiques environnementales (Branzei et Vertinsky, 2002; Sharma, 2000). Les
répondants devaient indiquer sur une échelle de Likert à 9 positions à quel point leur
entreprise mettait systématiquement en place chaque pratique.
> La culture organisationnelle. Pour mesurer la culture organisationnelle, nous avons
utilisé le «Cadre des valeurs en concurrence» (Competing Value Framework) qui est
communément utilisé et a souvent été validé (Cameron et Quinn, 2006). L’échelle
consiste en un ensemble d’affirmations sur différents aspects de la culture organisationnelle tels que les caractéristiques dominantes de l’entreprise, le style de gestion,
ce qui unit les employés au sein de l’organisation, les orientations stratégiques et les
critères de succès. Les répondants devaient indiquer sur une échelle de Likert à 9
positions à quel point les déclarations décrivaient la situation de leur entreprise.
Afin de s’assurer que les relations entre la culture organisationnelle, l’adoption des pratiques
en RS envers les parties prenantes et la performance sociale n’étaient pas dues à des carac-
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> numéro 1mars 2008
téristiques organisationnelles, nous avons aussi demandé aux répondants d’indiquer un certain nombre de ces caractéristiques, telles que la localisation des opérations de l’entreprise
(un ou plusieurs pays), la forme de propriété, la taille de l’entreprise et son industrie.
Responsabilités sociales des entreprises
Le concept de responsabilités sociales des entreprises est bien établi dans la littérature en management (voir Caroll, 1999; Jamali et Mirshak, 2007; Michael, 2003; Moir, 2001; Wood,
1991). Même si les auteurs qui se sont intéressés à ces responsabilités ont utilisé différents
termes pour les qualifier – Caroll (1999), par exemple, parle de «responsabilités sociales»,
Wartick et Cochran (1985) utilisent le terme de «responsabilité publique» et De Graaf et
Herkströter (2007) celui de «performance sociale» – ces termes recouvrent des concepts qui
sont très proches et sont souvent utilisés de manière interchangeable. De manière générale,
deux courants de recherche ont étudié la nature des responsabilités des entreprises (Barnett,
2007; Maignan et Ferrell, 2003).
Le premier courant s’intéresse principalement à la question: «De quoi une entreprise est-elle
responsable?» En d’autres termes, quels types de problèmes sociaux une entreprise doit-elle
prendre en compte quand elle prend des décisions stratégiques ou marketing (Bird et al.,
2007; Maignan et Ralston, 2002; Maignan et al., 2005). Caroll (1999) a identifié quatre
types de responsabilités sociales. D’après lui, les entreprises ont une responsabilité économique – c.-à-d. qu’elles doivent développer des produits et services demandés par la société
et les vendre à profit; une responsabilité légale – c.-à-d. qu’elles doivent remplir leur mission
économique tout en respectant la loi; une responsabilité éthique – c.-à-d. qu’elles doivent
suivre des codes de conduite moralement justes; et finalement, une responsabilité discrétionnaire ou philanthropique – c.-à-d. qu’elles doivent également être activement impliquées
dans l’amélioration de la société au-delà des responsabilités économique, légale et éthique.
Le deuxième courant s’intéresse principalement à la question «Envers qui les entreprises
sont-elles responsables?» Dans ce courant, les auteurs affirment que les entreprises ne sont
pas uniquement responsables envers leurs actionnaires mais aussi envers un plus grand éventail de parties prenantes (Freeman, 1984; Freeman et McVea, 2001; Maignan et al., 1999).
Ces parties prenantes sont définies comme étant «tout groupe d’individus qui peut affecter
ou qui est affecté par l’accomplissement des objectifs d’une entreprise» (Freeman, 1984:
46). Dans ce courant de recherche, les chercheurs ont essayé de comprendre quelles sont
les attentes de chaque groupe de parties prenantes concernant les responsabilités sociales et
environnementales des entreprises afin que les managers puissent mieux les satisfaire (Miles
et al., 2006). De plus, les actionnaires, les employés et les clients sont les groupes les plus
importants (Agle et al., 1999; Clarkson, 1995).
Dans cette étude, afin d’intégrer les deux courants, nous définissons les RS comme les responsabilités des entreprises qui englobent les responsabilités économique, légale, éthique et
philanthropique, ainsi que les responsabilités environnementales qui sont attendues par les
différentes parties prenantes des entreprises. Ces RS se manifestent à travers des pratiques
organisationnelles qui résultent dans le maintien ou l’amélioration de la performance sociale
des entreprises.
SEES / RES > Article
Performance sociale des entreprises
La performance sociale des entreprises est définie de manière générale comme les résultats
des activités sociales et environnementales des entreprises (Orlitzky et al., 2003; Wood,
1991). Dans la littérature, les auteurs utilisent différents indicateurs pour mesurer la performance sociale des entreprises. Par exemple, Waddock et Graves (1997) distinguent la
performance financière, mesurée par le retour sur actifs (ROA), le retour sur fonds propres
(ROE) et le retour sur les ventes (ROS), de la performance sociale, mesurée par des indicateurs comme la qualité des relations avec les employés, l’adaptation des produits et services
de l’entreprise aux besoins des clients, la qualité des relations avec les collectivités locales,
l’impact environnemental et le traitement des femmes et des minorités. De même, Agle et
al. (1999) intègrent dans leur mesure de la performance sociale des indicateurs comme la
profitabilité, la qualité des relations avec les employés, l’adaptation des produits aux besoins
des clients, le bilan environnemental et les relations avec les collectivités locales. Se basant
sur les travaux de ces auteurs, nous utilisons plusieurs indicateurs pour mesurer la performance sociale d’une entreprise: sa performance financière, sa réputation, l’implication de
ses employés et son impact environnemental. Cette variété d’indicateurs permet de couvrir
les attentes de l’ensemble des parties prenantes. Voici décrit chacun de ces indicateurs de la
performance sociale.
> La performance financière permet d’évaluer si une entreprise fait mieux que ses
concurrents les plus sérieux par rapport à des indicateurs tels que le retour sur investissement, la croissance du profit, la croissance des ventes, le retour sur actifs et la
croissance de la part de marché.
> La réputation de l’entreprise permet d’évaluer si une entreprise fait mieux que ses
concurrents les plus sérieux par rapport à différents indicateurs tels que la qualité
de ses produits et services, la fiabilité, être vu comme bien géré et une bonne réputation.
> L’implication des employés permet d’évaluer si une entreprise fait mieux que ses
concurrents les plus sérieux par rapport à différents indicateurs tels que le degré
auquel les employés sont fiers, le degré auquel les employés vont plus loin que la
réceptivité habituelle et le lien entre les employés.
> L’impact environnemental permet d’évaluer si une entreprise fait mieux que ses
concurrents les plus sérieux par rapport à différents indicateurs en termes d’impact
environnemental.
Pour améliorer leur performance sociale, les entreprises doivent mettre en place des pratiques en RS spécifiques afin de maximiser leurs impacts positifs et de minimiser leurs impacts
négatifs sur les perceptions des différents groupes de parties prenantes. Mais avant d’évaluer
l’impact de ces pratiques envers les parties prenantes sur la performance sociale des entreprises, il est important d’identifier les parties prenantes qui ont le plus d’influence sur les
activités des entreprises et qui sont donc perçues comme plus importantes.
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> numéro 1mars 2008
Les pressions des parties prenantes sur les entreprises
Comme mentionné ci-dessus, les parties prenantes sont définies comme «chaque groupe
d’individus qui peut affecter ou qui est affecté par l’accomplissement des objectifs d’une entreprise» Freeman (1984: 46). Cette définition offre un large éventail de possibilités concernant qui ou ce que sont réellement les parties prenantes des entreprises. Malgré le fait que les
auteurs utilisent différentes définitions (Clarkson, 1995; Mitchell et al., 1997), il n’y a pas de
désaccords fondamentaux entre eux concernant la nature des parties prenantes. De manière
générale, une partie prenante réfère à toute personne, groupe, voisin, entreprise, institution,
société et même l’environnement naturel lié, à une entreprise d’une manière ou d’une autre.
Ces parties prenantes peuvent cependant être catégorisées de différentes manières. Voici
différents exemples de catégorisation des parties prenantes.
> Clarkson (1995) a réuni les parties prenantes ayant des intérêts, des requêtes ou des
droits similaires pour former deux groupes selon leur importance: le groupe des parties prenantes principales et le groupe des parties prenantes secondaires. Les parties
prenantes principales sont celles sans lesquelles l’entreprise ne peut pas continuer ses
activités. Ce type de parties prenantes est typiquement composé des actionnaires et
des investisseurs, des employés, des clients, des fournisseurs, du gouvernement et des
collectivités qui fournissent l’infrastructure et le marché (aussi appelé groupe de parties prenantes publiques). Les parties prenantes secondaires sont définies comme celles
qui influencent ou affectent ou sont influencées ou affectées par l’entreprise mais qui
ne sont pas engagées dans des transactions avec l’entreprise et ne sont pas essentielles
à sa survie. Des exemples de ce type de parties prenantes sont les médias et un large
éventail de groupes d’intérêts.
> Harrison et St. John (1996) ont identifié les sept groupes de parties prenantes suivants: les clients, les fournisseurs, les concurrents, les administrations, les collectivités
locales, les groupes activistes et les syndicats.
> Mitchell et al. (1997) ont développé une typologie des parties prenantes et de leur
importance relative. Cette importance relative est basée sur leur possession d’un ou
plusieurs des trois attributs relationnels suivants: le pouvoir des parties prenantes
d’influencer l’entreprise, la légitimité de la relation des parties prenantes avec l’entreprise et l’urgence des requêtes des parties prenantes envers l’entreprise. Ils ont identifié
huit types de parties prenantes: dormant, discrétionnaire, demandant, dominant,
dangereux, dépendent, définitif et non partie prenante.
> Agle et al. (1999) ont identifié les cinq groupes de parties prenantes suivants: les
actionnaires, les employés, les clients, le gouvernement et les collectivités locales.
Dans leur étude concernant la relation entre le pouvoir, la légitimité et la saillance
des parties prenantes (en tant que degré auquel les managers accordent la priorité
aux requêtes discordantes des parties prenantes), ils ont trouvé que les actionnaires,
les employés et les clients avaient la plus haute priorité, suivis par le gouvernement,
SEES / RES > Article
tandis que les collectivités locales ont la plus faible priorité en comparaison avec les
autres parties prenantes.
> Maignan et Ferrell (2003) se sont focalisés sur les responsabilités des entreprises
envers quatre groupes de parties prenantes: les collectivités, les clients, les employés
et les actionnaires.
La nature exacte et le nombre précis des parties prenantes qui ont de l’influence varient
d’une entreprise à une autre. Les entreprises peuvent classifier leurs parties prenantes de
manière différente et décider quel groupe doit avoir la priorité. Par exemple, Novartis classifie ses différentes responsabilités sociales en responsabilité économique, sociétale, éthique
et environnementale qui sont regroupées dans ce qu’elle appelle la citoyenneté d’entreprise
(www.novartis.ch). Du point de vue des RS, les parties prenantes ayant le plus d’attentes
concernant les RS doivent être identifiées et gérées par les entreprises afin de pouvoir améliorer leur performance sociale.
Nous avons identifié 12 groupes de parties prenantes pouvant avoir une influence significative sur les activités des entreprises et leur performance sociale. Afin d’identifier les sources
de pression sociale exercées par ces différents groupes de parties prenantes sur les entreprises
pour qu’elles prennent en compte les questions sociales et environnementales, nous avons
demandé aux managers d’évaluer l’importance relative accordée aux 12 groupes de parties
prenantes identifiés. Le tableau 2 présente les résultats globaux pour les entreprises suisses
(5 = très haute importance tandis que 1 = très faible importance).
Classement
1
2
3
4
5
Score moyen*
3.9
3.8
3.6
3.3
3.2
6
7
2.6
2.5
8
9
10
2.4
2.3
2.0
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
Parties prenantes
Clients
Top management
Employés
Actionnaires
Concurrents
Gouvernement
Collectivités locales
Fournisseurs
Associations professionnelles
Institutions financières
Médias
ONG/Groupes d’intérêts
*
5 = très haute importance, 1 = très faible importance
Tableau 2: Les pressions exercées par les parties prenantes en matière de responsabilités sociales
De manière générale, pour les entreprises suisses, les parties prenantes influençant le plus
l’adoption de pratiques sociales et environnementales sont les clients et le top management,
suivies par ordre d’importance des employés, des actionnaires, des concurrents et du gouvernement. Les collectivités locales, les associations professionnelles, les fournisseurs et les
SEES / REVUE ECONOMIQUE ET SOCIALE
> numéro 1mars 2008
institutions financières sont perçus comme ayant moins d’influence de même que les médias
et les organisations non gouvernementales (ONG) et autres groupes d’intérêt.
De plus, l’importance accordée aux parties prenantes varie en fonction des caractéristiques
propres des entreprises. Les entreprises les plus grandes attribuent plus d’importance au
gouvernement et aux ONG que les plus petites. Les collectivités locales sont également perçues comme étant plus importantes par les entreprises n’ayant que des activités en Suisse par
rapport à celles qui ont des activités internationales. Le secteur de l’industrie est également
un facteur déterminant dans l’importance accordée aux différentes parties prenantes. Plus
d’importance a été attribuée aux collectivités locales par les répondants des entreprises du
secteur primaire que par celles du secteur des services. Plus d’importance a été attribuée aux
associations professionnelles par les répondants des entreprises industrielles que par celles
du secteur des services.
Afin de satisfaire les attentes et les demandes des parties prenantes concernant les responsabilités économique, légale, éthique, philanthropique et environnementale des entreprises,
celles-ci doivent mettre en place des pratiques responsables vis-à-vis de chacune de ces différentes parties prenantes.
Mise en place de pratiques responsables envers les parties prenantes
et leur effet sur la performance sociale
Les pratiques organisationnelles réfèrent aux initiatives, actions, décisions et comportements entrepris par une entreprise. Par conséquent, les pratiques en responsabilités sociales
sont des initiatives, actions, décisions et comportements entrepris par une entreprise afin
de maximiser son impact positif et de minimiser son impact négatif sur les questions sociales et environnementales qui sont perçues comme importantes par les parties prenantes.
L’importance relative des questions sociales et environnementales est évaluée de manière
différente par les différents groupes de parties prenantes. Dans cette étude, nous nous sommes principalement intéressés à six types de pratiques en RS envers les parties prenantes:
celles qui sont liées aux attentes des clients, des employés, des investisseurs, des fournisseurs,
des collectivités locales et de l’environnement naturel. Le tableau 3 présente les pratiques en
RS liées à chaque groupe de parties prenantes et le degré selon lequel les entreprises suisses
ont adopté ces pratiques (1 = pratiques pas du tout adoptées et 9 = pratiques adoptées et
appliquées systématiquement).
De manière générale, un haut niveau de pratiques en RS envers les parties prenantes a été
reporté par les entreprises suisses (‘5’ étant le point central neutre de l’échelle). Cependant,
les pratiques en RS envers les clients prévalent, suivies par les pratiques envers les employés
et ensuite les investisseurs. Un niveau moyen de prévalence a été trouvé pour les pratiques
envers les fournisseurs et les collectivités locales et finalement pour les pratiques environnementales.
Nous avons également examiné s’il y avait des différences en ce qui concerne l’importance
des différentes pratiques qui puissent être attribuées à des caractéristiques organisationnelles. Les résultats obtenus montrent que les entreprises les plus grandes sont celles qui sont
les plus susceptibles d’avoir mis en place des pratiques responsables envers les employés, les
investisseurs et l’environnement. En ce qui concerne le secteur d’activité, la seule différence
significative concerne la plus forte prévalence des pratiques environnementales dans les
SEES / RES > Article
entreprises du secteur primaire que dans les industries de production et de service. Les entreprises multinationales suisses ont également reporté une incidence plus élevée des pratiques
responsables envers les investisseurs que les entreprises ayant des activités uniquement en
Suisse.
Classement
Parties
prenantes
Client
Pratiques en RS
Adoption*
• Fournir un service de haute qualité qui inclut de
7.6
l’information complète
• Répondre aux plaintes des clients
• Adapter des produits et des services pour améliorer la
satisfaction des clients
2
Employés
• Une sélection des employés, des promotions et des
7.2
pratiques de compensation équitables
• Soutenir le développement en formation des employés
• Aider les employés à atteindre un équilibre entre la vie
professionnelle et la vie de famille
3
Investisseurs
• Faire participer les investisseurs aux décisions
6.1
stratégiques
• Répondre aux besoins et aux requêtes des investisseurs
• Donner à tous les investisseurs un retour sur leur
investissement concurrentiel
4
Collectivités
• Donner des ressources aux œuvres de charité locales
5.1
locales
• Sponsoriser les programmes culturels, sportifs et
éducatifs
Fournisseurs
• Développer des relations collaboratives avec les
5.1
fournisseurs à long terme basées sur une communication
ouverte et un partage de l’information
• Choix des objectifs et prise de décision coopératifs
• Offrir aux fournisseurs des garanties de prix dans le
futur
5
Environnement
• Développer des objectifs de performance
4.6
environnementale
• Mesurer la performance environnementale
• Soutenir financièrement les initiatives
environnementales
*
1 signifie que la pratique n’est pas adoptée du tout et 9 signifie que les pratiques sont adoptées et appliquées
systématiquement
1
Tableau 3: Les pratiques de RS organisées par groupes de parties prenantes
Nous avons aussi étudié la relation entre l’adoption de pratiques en RS et la performance
sociale des entreprises et nous avons trouvé qu’en général l’adoption de pratiques envers les
parties prenantes améliore la performance de l’entreprise. Toutefois, cette influence varie
selon le type de pratiques envers les parties prenantes considérées. Le tableau 4 présente les
résultats concernant les effets des pratiques envers les différentes parties prenantes (après
avoir contrôlé pour les différences organisationnelles). Les résultats indiquent que, pour les
entreprises suisses, la mise en œuvre des pratiques envers les clients, telles que l’adaptation
des produits et des services afin d’améliorer la satisfaction des clients, améliore significativement la performance de l’entreprise pour la majorité des indicateurs sociaux mais pas
SEES / REVUE ECONOMIQUE ET SOCIALE
> numéro 1mars 2008
la performance financière. Les pratiques de responsabilités sociales envers les employés
améliorent le niveau d’implication des employés et le bilan environnemental des entreprises.
De plus, les pratiques de responsabilités sociales envers les fournisseurs sont positivement
liées à la réputation de l’entreprise, les responsabilités sociales envers les investisseurs sont
liées à la performance financière, les responsabilités sociales envers l’environnement sont
liées au bilan environnemental. Les résultats montrent que la force de la relation entre les
pratiques des RS et la performance sociale ne dépend pas de différences dans les caractéristiques organisationnelles.
Dimensions de la performance sociale
Pratiques en RS
envers les parties
prenantes
Clients
Employés
Investisseurs
Fournisseurs
Environnement
Réputation de
l’entreprise
X
Implication des
employés
X
X
Performance
financière
Bilan
environnemental
X
X
X
X
X
Tableau 4: Performance sociale et pratiques responsables envers les parties prenantes
Différents facteurs organisationnels permettent aussi à une entreprise de mettre en place
avec succès des pratiques en RS. Parmi ces facteurs organisationnels, la culture d’entreprise
joue un rôle particulièrement important lors de la mise en place de pratiques responsables.
La culture organisationnelle a en effet été identifiée depuis longtemps comme un des facteurs
les plus importants dans l’adoption des stratégies d’entreprise (p. ex., Cameron et Quinn,
2006), l’implantation des nouveaux comportements et pratiques organisationnels (Detert
Flexibilité/Latitude
et al., 2000) et des pratiques en RS
(Maignan et al., 1999). En d’autres termes, la culture
organisationnelle peut renforcer ou ralentir l’adoption et la mise en place des pratiques en
CLAN
ADHOCRACIE
RS. Afin d’évaluer si un changement de culture est requis pour une implantation réussie des
pratique en RS, il est nécessaire de mieux comprendre les relations qui peuvent exister entre
culture Cible
organisationnelle et pratiques responsables envers les parties prenantes.
Cible externe/
interne/
Intégration
Différentiation
Culture organisationnelle et adoption de pratiques responsables
La culture organisationnelle est «un ensemble de valeurs fondamentales, inventées, découHIERARCHIE
MARCHE
vertes ou développées
par un groupe cherchant à faire face à des
problèmes d’adaptation externe ou d’intégration interne, qui ont largement été vérifiées pour être considérées comme
Stabilité/Contrôle
valides et ainsi perçues comme des façons correctes de penser ou de se comporter face à des
problèmes» (Schein, 1992, p. 12). La culture organisationnelle d’une entreprise est reflétée
par ce qui est valorisé dans l’entreprise, le style dominant de leadership, la langue et les symboles utilisés, les routines et procédures, la façon dont le succès est défini et tout ce qui rend
l’entreprise unique (Cameron et Quinn, 2006; Fernández et al., 2007). Dans la littérature,
plusieurs modèles de culture organisationnelle ont été développés pour décrire les différentes
cultures organisationnelles (voir Deshpandé et Webster, 1989; Ouchi et Wilkins, 1985 pour
une revue de cette littérature). Dans cette étude, nous avons utilisé le «cadre des valeurs en
concurrence» (Competing Values Framework ou CVF) (Cameron et Quinn, 2006) qui est un
10
SEES / RES > Article
modèle fiable et valide. De plus, il s’agit Dimensions
d’une échelle
mesure quantitative
qui est facile à
de lade
performance
sociale
Pratiques enpar
RS questionnaire (p.ex., Cooper et Quinn, 1993; Goodman et al., 2001).
administrer
envers les parties
de
Implication des
Performance
Bilan
Le prenantes
CVF décrit quatreRéputation
types principaux
de
cultures organisationnelles.
La culture
organil’entreprise
employés
financière
environnemental
sationnelle
d’une entreprise
attributs
Clients
X est composée des
X croyances partagées concernant les X
Employés
X
organisationnels
dominants, les styles de leadership,
ce qui unit les employés auX sein de
Investisseurs
X
l’entreprise
et les orientations stratégiques. Les quatre types principaux
de cultures organiFournisseurs
X
sationnelles
peuvent
être
organisés
le
long
de
deux
dimensions
se
rapportant
à l’efficacité
orEnvironnement
X
ganisationnelle. La dimension verticale décrit un continuum allant des processus organiques
aux processus mécanistiques, c’est-à-dire est-ce que l’entreprise met l’accent sur la flexibilité,
la spontanéité et l’individualité ou sur le contrôle, la stabilité et l’ordre. La dimension horizontale décrit l’orientation de la politique de l’entreprise: interne ou externe. L’orientation
interne souligne les activités de facilitation et d’intégration des activités de l’entreprise, tandis que l’orientation externe met l’accent sur la concurrence et les différentiations vis-à-vis
de ces concurrents (Cameron et Quinn, 2006). La figure 1 présente les différents types de
cultures organisationnelles classifiés en fonction de ces deux dimensions.
Flexibilité/Latitude
CLAN
ADHOCRACIE
Cible
interne/
Intégration
Cible externe/
Différentiation
HIERARCHIE
MARCHE
Stabilité/Contrôle
Figure 1: Quatre types de cultures organisationnelles
Sur ces deux dimensions, quatre types de culture organisationnelle peuvent être identifiés:
le clan, l’adhocracie, la hiérarchie et le marché, avec leurs caractéristiques propres (voir
ci-après).
> La culture de clan est caractérisée par sa flexibilité et sa spontanéité ainsi que son
orientation interne. En d’autres termes, l’entreprise est un lieu très agréable pour travailler où les gens partagent beaucoup – c’est comme une grande famille. L’entreprise
accorde de l’importance au travail en équipe, à la participation et au consensus. Les
employés sont unis au sein de l’entreprise par la loyauté et la tradition ; l’implication
des employés y est forte. L’entreprise met l’accent sur les bénéfices à long terme dans
le développement de ses ressources humaines et attache beaucoup d’importance à
la cohésion sociale, à l’éthique et au moral des employés. Le succès de l’entreprise
se mesure en fonction de satisfaction des clients et de l’intérêt qui est porté aux
employés.
11
> La culture adhocratique est aussi caractérisée par sa flexibilité et sa spontanéité
mais à comparer de la culture de clan, elle est plus orientée sur la concurrence et la
différentiation par rapport aux concurrents. En d’autres termes, l’entreprise est un
environnement de travail dynamique, entrepreneurial et créatif dans lequel l’initiative individuelle, la prise de risque et la liberté sont encouragées. Les employés de
l’entreprise sont unis par leur implication envers l’expérimentation et l’innovation.
L’entreprise vise la croissance à long terme et l’acquisition de nouvelles ressources. Le
succès signifie être à la pointe en termes des produits et des services offerts.
> La culture de marché est aussi caractérisée par son orientation sur la concurrence et
la différentiation mais à comparer de la culture adhocratique elle est plus focalisée sur
le contrôle, l’ordre et la stabilité des processus. En d’autres termes, une telle culture
caractérise une entreprise orientée vers les résultats dont le principal souci est que le
travail qui est à faire soit fait. Le style organisationnel est caractérisé par des objectifs centrés sur la compétitivité avec des employés concurrentiels et orientés vers les
objectifs de l’entreprise. Ce qui cimente les employés de l’entreprise est l’importance
de gagner et de remporter des victoires ensemble. La vision de l’entreprise est orientée
vers le long terme, les actions concurrentielles ainsi que l’accomplissement d’objectifs
et de cibles mesurables. Le succès est défini en termes de domination du marché ou de
l’industrie de l’entreprise.
> La culture hiérarchique est aussi orientée vers le contrôle, l’ordre et la stabilité.
Comme la culture de clan, elle est focalisée sur l’intégration des activités. L’entreprise
est un lieu de travail très formalisé et structuré dans lequel les procédures gouvernent
ce que font les gens. La gestion des employés est orientée vers l’emploi sûr et la prévisibilité avec des règles et des pratiques formelles qui cimentent l’entreprise. Maintenir
une entreprise bien rodée est ce qui est le plus important. Le souci principal est la
stabilité à long terme et la performance avec des opérations efficaces. Le succès est
défini en termes de fiabilité des livraisons, du respect de la planification et des coûts
bas.
Bien que le CVF identifie quatre cultures-types dominantes, les pressions contradictoires
exercées par l’environnement organisationnel conduisent souvent dans les faits une entreprise à avoir une ou plusieurs orientations culturelles dominantes. Dans le temps, toutefois,
un type de culture émerge généralement.
Pour les entreprises suisses, l’orientation culturelle de type clan est la plus forte, l’orientation
adhocratique est la deuxième plus forte, suivie par l’orientation de marché et finalement par
Figure 2.hiérarchique
Suisse : Profil
de culture
organisationnelle des
l’orientation culturelle
(voir
figure 2).
entreprises
Clan
Adhocracie
Marché
Hiérarchie
1
3
5
7
9
Figure 2. Suisse: Profil de culture organisationnelle des entreprises
En Suisse, les entreprises les plus grandes ont une orientation de marché plus forte que les
plus petites. De plus, les entreprises multinationales ont une orientation adhocratique plus
forte que les entreprises domestiques. Il n’y a pas de différence significative entre les secteurs
de l’industrie par rapport aux orientations de la culture organisationnelle.
Les résultats montrent également qu’il y a un lien entre l’orientation de la culture organisationnelle et l’adoption des pratiques en RS envers les différentes parties prenantes (Figure
3). De plus, ces résultats ne varient pas en fonction des caractéristiques organisationnelles
des entreprises.
Flexibilité/Latitude
CLAN
Cible
interne/
Intégration
ADHOCRACIE
RS envers les clients (+)
RS envers les employés (+)
Cible externe/
Différentiation
RS env. l’environnement (+)
RS env. les fournisseurs (–)
RS env. les fournisseurs (+)
HIERARCHIE
MARCHE
Stabilité/Contrôle
Figure 3: Les types de cultures organisationnelles et les pratiques en responsabilité sociale envers les parties prenantes en Suisse
Les résultats indiquent que l’implantation des pratiques de responsabilités sociales envers
les clients et les employés est associée à une orientation de culture organisationnelle clan
(flexibilité et cible interne). Au contraire, les pratiques de responsabilités sociales envers les
fournisseurs sont associées à l’orientation de marché (stabilité et cible externe) et sont incompatibles avec l’orientation hiérarchique (stabilité et cible interne). Quant aux pratiques
de responsabilités sociales envers l’environnement, elles sont associées à une orientation de
culture hiérarchique. Une forte orientation de culture organisationnelle n’est cependant pas
associée à l’implantation de pratiques des responsabilités sociales des entreprises envers les
collectivités locales ou les investisseurs pour les entreprises suisses.
Globalement, ces résultats suggèrent que les entreprises cherchant à être des citoyens exemplaires doivent développer une capacité à équilibrer les demandes contradictoires de différents groupes de parties prenantes. Tandis qu’une forte orientation culturelle peut conduire
à une efficacité élevée à répondre à un groupe de parties prenantes particulier, ceci peut
13
SEES / REVUE ECONOMIQUE ET SOCIALE
> numéro 1mars 2008
cependant limiter la capacité de l’entreprise à répondre efficacement aux autres types de
parties prenantes. Ce sont des questions difficiles qui ont besoin d’être posées par le management des entreprises en créant des programmes de responsabilités sociales qui répondent
effectivement aux demandes des parties prenantes.
Implications Managériales
Les résultats de notre étude montrent que gérer leurs responsabilités est important pour
les entreprises. Cela signifie qu’elles doivent prendre en compte les attentes économiques,
légales, éthiques, philanthropiques et environnementales de leurs différentes parties prenantes. La gestion des RS se manifeste par les pratiques organisationnelles, qui une fois mises
en place améliorent la performance sociale de l’entreprise (sa performance financière, sa
réputation, l’implication de ses employés et son impact environnemental). En comparant la
performance sociale actuelle d’une entreprise et sa performance sociale désirée selon ces différentes dimensions, les managers peuvent évaluer à quel degré et sur quelle(s) dimension(s)
la performance sociale est problématique et devrait être améliorée.
Différents groupes de parties prenantes exercent une pression sur les entreprises afin qu’elles
remplissent leurs responsabilités sociales et environnementales. En se basant sur les résultats
de notre étude, les groupes de parties prenantes les plus importants exerçant une pression sur
les entreprises en Suisse sont les clients, le top management, les employés, les actionnaires,
le gouvernement et les concurrents. Ces résultats impliquent qu’il est important pour les
entreprises de satisfaire au moins les attentes liées aux RS vis-à-vis de ces groupes de parties
prenantes.
Différentes pratiques en RS sont adoptées par les entreprises suisses afin d’améliorer leur
performance sociale et environnementale. Les entreprises qui veulent améliorer leur réputation devraient implanter au moins des pratiques de RS envers les clients et les fournisseurs.
Afin d’améliorer l’implication des employés, les entreprises doivent au moins adopter des
pratiques de RS envers les clients et les employés. En adoptant des pratiques de RS envers
les investisseurs, la performance financière d’une entreprise est susceptible d’être améliorée.
Pour améliorer le bilan environnemental, les entreprises devraient au moins adopter des
pratiques de RS envers les clients, les employés et l’environnement. De plus, les entreprises
du secteur primaire devraient en plus prendre en compte les attentes des collectivités locales.
Pour quelques exemples, voir ci-après.
> Clients
Au cours de l’année 1941, le fondateur de Migros, Gottlieb Duttweiler, céda ses
entreprises, jusqu’alors sociétés anonymes régionales, à ses clientes et clients. De ce
fait, ceux-ci devinrent des coopérateurs copropriétaires de leur entreprise. Par cet acte
unique en son genre, Duttweiler donnait à Migros une assise démocratique, faisant
d’elle une entreprise du peuple pour le peuple, qui regroupe aujourd’hui près de 2
millions de coopérateurs. En tant que coopérative, Migros s’oblige à produire ce que
l’on appelle la «stakeholder value». Autrement dit, une valeur ajoutée qui profite à la
clientèle, au personnel et à la collectivité. Le bénéfice n’est pas distribué aux actionnaires sous forme de dividendes mais reste à disposition de l’entreprise. Du total de
cette valeur ajoutée réalisée par le groupe Migros, c’est le personnel qui en reçoit la
14
SEES / RES > Article
plus grande part (www.migros.ch).
> Employés
A côté de ses clients et de la société, les collaborateurs sont pour Migros un interlocuteur important et estimé. La preuve en est qu’ils sont représentés dans le conseil
d’administration de toutes les entreprises Migros (www.migros.ch).
> Investisseurs
Chez Richemont, leur code d’éthique sert d’indication fondamentale pour toutes leurs
relations d’affaires et comprend les domaines de l’intégrité commerciale, le respect
et la considération des partenaires (clients, employés et collectivités dans lesquelles
le groupe opère) et l’environnement, les fournisseurs, les partenaires d’affaires et les
actionnaires. Leur code de conduite indique les responsabilités pour chaque marque
dans différents domaines, entre autres, les principes de gouvernance commerciale,
de transparence dans les rapports financiers, une politique pro-active d’informations
envers les investisseurs et un code de conduite pour les transactions sur actions (www.
richemont.com).
> Collectivités locales
En Suisse, Nestlé s’implique à long terme et contribue à soutenir des projets dans des
domaines aussi variés que la musique, les sports, les loisirs ou les questions sociales.
Ce soutien se manifeste sous forme de dons ou de parrainages, en étroite collaboration avec le siège international de l’entreprise à Vevey. Nestlé a par exemple conclu
un accord avec le Mouvement Scout de Suisse pour la mise à disposition de produits
Thomy lors des camps scouts (www.nestle.ch).
> Fournisseurs
Migros collabore avec plus de 3’000 fournisseurs. Au-delà de ses intérêts économiques, Migros attache une grande importance à traiter équitablement ses partenaires
commerciaux, en particulier parce que Migros est consciente de la portée existentielle
que peuvent avoir ses décisions pour certains fournisseurs (www.migros.ch).
> Environnement
La protection de l’environnement est, depuis longtemps, une priorité de Nestlé Suisse
pour qui le développement durable est la meilleure façon de répondre aux besoins
actuels sans compromettre les intérêts des générations futures. En 1991, Nestlé Suisse
s’est fixé pour objectif de réduire de 10% le poids de ses emballages à l’horizon 2000.
Outre le fait que cet objectif a été réalisé, la réduction s’est poursuivie pour atteindre 11.3% en 2002. L’impact sur l’environnement est l’un des critères déterminants
lors de l’approbation d’un nouvel emballage ou d’une modification importante d’un
emballage existant. Cet impact est mesuré à l’aide d’un écobilan réalisé par les spécialistes de Nestlé Suisse (www.nestle.ch).
Les résultats de l’étude montrent aussi que le type de culture organisationnelle adopté par
15
SEES / REVUE ECONOMIQUE ET SOCIALE
> numéro 1mars 2008
une entreprise facilite ou au contraire freine la mise en place de certaines pratiques en RS.
L’orientation culturelle d’une entreprise varie en termes de l’importance relative des types
clan, adhocracie, marché et hiérarchie. Les résultats indiquent que les entreprises qui veulent
adopter des pratiques responsables envers les clients et les employés pour améliorer leur
performance sociale doivent être conscientes que la culture organisationnelle dominante
de type clan rend l’adoption de ces pratiques plus facile. En d’autres termes, si elles n’ont
pas une orientation de clan dominante, elles devraient s’attendre à plus de problèmes dans
l’implantation de ces pratiques. Pour créer une culture plus orientée clan, les entreprises peuvent par exemple 1) impliquer plus leurs employés dans toutes les phases de la planification
stratégique, 2) créer un plan de développement de carrière qui met l’accent sur la mobilité
interne et qui contribuera à la communication interfonctionnelle et 3) améliorer l’efficacité
du système de suggestion des employés. Si les entreprises veulent mettre en place des pratiques responsables envers l’environnement afin d’améliorer leur bilan environnemental, une
culture hiérarchique est mieux adaptée. Pour créer une telle orientation culturelle, elles peuvent par exemple: 1) développer des systèmes qui encouragent, mesurent et récompensent le
respect des règles et procédures, 2) développer des systèmes de contrôle qui assurent la stabilité et l’intégration des activités de l’entreprise et 3) encourager une focalisation plus forte
sur la maîtrise du futur. Si les entreprises veulent adopter des pratiques responsables envers
les fournisseurs afin d’améliorer leur réputation, une culture de type marché convient mieux.
Pour créer une telle orientation culturelle, les entreprises peuvent par exemple 1) développer
des systèmes qui encouragent, mesurent et récompensent les comportements orientés vers les
résultats avec comme principal souci que le travail qui est à faire soit fait, 2) développer des
systèmes visibles de récompense pour la prise de risques et les comportements concurrentiels
et 3) encourager la performance à long terme et la domination du marché.
Gérer les pratiques en RS est une tâche cruciale pour les entreprises afin d’améliorer leur
performance sociale et environnementale. Elles doivent choisir et implanter des pratiques
adaptées à leurs objectifs de performance sociale et environnementale et correspondant aux
attentes des parties prenantes qu’elles perçoivent comme les plus influentes sur leurs activités. Finalement, pour que la mise en place de ces pratiques en RS se fasse plus aisément, les
entreprises doivent développer une culture organisationnelle adaptée.
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