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motricité comme la maladie de Parkinson), qu’il y avait bien une raison – certes moins
scientifique, mais tout aussi solidement ancrée dans la pratique – pour considérer la liai-
son entre parkinsonisme et effets antipsychotiques comme évidente ; et cette raison était
que les cliniciens et praticiens de terrain observaient tous les jours, dans le quotidien de
leur pratique, la liaison entre effets thérapeutiques et effets secondaires neurologiques.
Mais qu’est-ce qu’ils observaient ? Ils observaient des patients qui étaient admis
dans leurs services dans un état délirant et hallucinatoire aigu. Leur agitation était sou-
vent extrême, leur verbe haut et prolixe. Ils étaient entourés d’excitations sensorielles
de toute sorte, aussi bien celles que nous partageons tous, de notre réalité extérieure
commune, que celles que fabrique l’activité hallucinatoire. Happés par le bombarde-
ment sensoriel environnant, saisis par la multitude des sensations qui les submergeaient,
ils parlaient sans cesse des expériences qu’ils vivaient, ils décrivaient comment tout,
autour d’eux, devenait signe – un signe qui leur était personnellement destiné : les cou-
leurs des voitures qui passaient, le vol des oiseaux, le regard des passants, les annonces
du métro, les questions de l’interlocuteur médical et soignant prenaient immédiate-
ment un sens particulier, les investissaient d’une mission spéciale, les unissaient au
monde des humains et des choses qui les entouraient par des liens d’amour ou de haine,
de passion et de persécution, qui constituaient pour eux une formidable force motrice.
De ce fait, ils n’avaient de cesse que de se mouvoir, ils étaient agités et parfois agressifs,
et pouvaient parcourir des kilomètres de quête exaltée dans un état de complet désin-
térêt de soi, sans être conscients de la faim, de la soif, de la fatigue et du manque de
sommeil, avant que les soins ne leur soient imposés.
Mis sous les nouveaux médicaments, ces patients s’apaisaient progressivement
dans un sens très particulier. L’agitation progressivement régressait, le sommeil reve-
nait, ainsi que la sensation de la faim – et d’ailleurs très vite les psychiatres de l’épo-
que observeront des conduites d’hyperphagie, voire de boulimie. Une indifférence par
rapport au monde environnant s’installait progressivement, qui semblait aller de pair
avec la réduction, puis l’extinction de l’activité hallucinatoire. On dirait que, de la même
façon que leur psychisme au moment de la crise ne faisait pas de différence entre sti-
mulation sensorielle extéroceptive et activité hallucinatoire, de la même façon l’indiffé-
rence par rapport aux stimulations extérieures s’associait à la diminution de l’activité
hallucinatoire, comme si cette dernière, prise pour une activité d’origine « externe »,
suivait jusqu’au bout le destin des autres stimulations d’origine externe. Ainsi, leur
débit verbal et leur prolixité sous traitement neuroleptique diminuaient au cours des
entretiens, ces derniers devenant de plus en plus pauvres, les patients étant de moins
en moins intéressés par ce qui les entourait et par ce qui leur était dit.
Cependant, cette indifférence pour le monde extérieur n’était pas pour autant une
indifférence complète. En effet, la plupart des auteurs de l’époque avait remarqué le
parallélisme entre deux processus: d’une part, la baisse de l’activité délirante et halluci-
natoire, et plus généralement l’intérêt pour le monde extérieur et ses stimuli ; d’autre
part, le développement progressif de préoccupations de plus en plus pressantes con-
cernant le corps et son fonctionnement (le blocage moteur, le tremblement, mais aussi
la constipation, la sécheresse de la bouche, etc.). Certains auteurs, comme Kammerer