LLPHI 423 – Anthropologie et psychanalyse.
L. Courbin
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Pour Freud, cela n’est pensable que si l’on admet que la contrainte n’est pas
qu’extérieure, mais aussi intérieure : elle s’exerce d’elle-même par le lien affectif qui existe
horizontalement entre les membres du groupe et verticalement, avec le meneur : dans
l’Eglise : le Christ aime tous à égalité. Dans l’armée, idem : le chef aime tous ses soldats à
égalité, c’est pourquoi ils sont camarades. Il y a donc quelque chose du collectif qui vient me
construire, qui vient soutenir la constitution de ma personnalité, de ma personne.
Il y a dans une foule, « des liens libidinaux d’une nouvelle sorte », qu’il s’agit
précisément d’identifier.
Selon Freud, ces foules mobilisent des mouvements pulsionnels classiques et très
anciens pour l’individu, qui ne sont autres que les mouvements qui ont préparé puis formé le
complexe d’Œdipe :
- Le premier est ce lui de l’identification (identification à la mère ou au père) :
« expression première d’une relation à une autre personne », p. 167.
- Investissement objectal sur l’autre parent, c’est-à-dire investissement à buts sexuels
non inhibés.
C’est la structure de base du complexe d’Œdipe, dont les modalités de sortie sont
extrêmement diverses : identification à la mère/au père ; relation d’objet qui s’institue avec
l’autre parent, qui est ouvertement à but sexuel. Ces deux mouvements peuvent prendre des
formes très diverses, recouvrir de l’hostilité ou de l’amour. Freud donne quelques exemples,
qu’il prend dans des cas où la sortie de l’Œdipe a été pathogène. Dans ces cas peuvent se
produire des identification par le symptôme : soit identification qui signifie la volonté de se
substituer à l’objet (alors elle exprime l’amour pour l’autre : par exemple une enfant qui
contracte la même toux que sa mère : mêle volonté de se substituer et sentiment de
culpabilité : tu as voulu devenir ta mère, deviens-le, dans la douleur), soit identification à
l’objet aimé : le cas de Dora, imite la toux du père). Ou encore, s’identifier à une personne
dont on aimerait vivre la situation : ainsi, dans un pensionnat de jeunes filles : l’une d’entre
elle reçoit une lettre d’un jeune garçon qu’elle aime en secret, et réagit par une crise
d’hystérie. D’autres, s’identifiant à elles sous l’effet de la jalousie (j’aimerais être à sa place),
vont reproduire la crise.
Le refoulement survenant, vers cinq ans, ces pulsions sont « inhibées quant au but ».
Elles deviennent alors des relations « tendres » (plus de désir sexuel, plus d’hostilité), ce qui
modifie durablement le rapport aux parents. A la puberté, les deux s’unissent normalement :
pulsions sensuelles et pulsions inhibées : c’est ainsi que se constitue ce que nous appelons
l’amour, qui conjugue les deux types de pulsions.
Ce sont ces pulsions, « inhibées quant au but », qui vont intéresser Freud, parce
qu’elles expliquent selon lui ce que la relation amoureuse peut avoir de « romanesque »,
d’évitement de l’immédiatement sexuel. Il y alors un mouvement d’idéalisation de l’objet
aimé. Cette idéalisation est analysable selon Freud comme une manière, pour le moi, de
« déborder » sur l’objet aimé. L’objet est idéalisé parce qu’il représente ce que le moi propre
voudrait bien être. Ainsi, « l’objet sert à remplacer l’idéal du moi propre » (p. 177). Il faut
entendre idéal du moi comme sur-moi : un lieu de pulsions inhibitrices : mais avec cette
distinction : le sur-moi est une instance d’interdictions, de commandements. L’idéal du moi,
c’est plutôt l’ensemble des valeurs que j’aimerais réaliser, incarner.